Le Vent de la Chine Numéro 21

du 26 juin au 2 juillet 2005

Editorial : PRÉCOCE TORPEUR -POLITIQUE- ESTIVALE

Comme chaque été, la Chine s’installe dans la torpeur, dont elle ne sort que pour réagir contre les catastrophes naturelles.

C’est la canicule, tant au nord, frisant 40°  à l’ombre qu’à Chongqing ouvrant ses abris souterrains. Au sud, les crues font suite aux pluies diluviennes. Déjà 732 morts/disparus depuis janvier, 2,45M d’évacués entre Canton, Fujian et Guangxi, dont la rivière Xi passe de 10m la cote d’alerte. Les dégâts atteignent déjà 2,8MM$, et sous l’angle des intempéries, le plus dur restait à venir, ce week-end!

Ce dérèglement ajoute aux soucis du planificateur: la récolte 2005 stagnera à 470Mt promettant 20Mt de déficit,aggravé par le grouillement des rats fuyant les crues, dévorant légumes, fruits et céréales !

Cette semaine encore, la Chine est questionnée par l’OMS, (l’organisation mondiale de la santé) sur son utilisation routinière, depuis 8 ans, de l’Amantadine dans les élevages en prévention de la grippe aviaire.

C’était un des deux seuls remèdes connus à la grippe de l’homme, et l’OMS constate que depuis décembre 2004, cet antiviral a été neutralisé par le virus du poulet, dit H5N1, alourdissant ainsi le risque pour l’homme, si jamais le virus devait muter. Pékin nie avoir jamais permis la pratique, tout en spécifiant qu’il va s’appliquer à la bannir… Cet incident pose la question des échanges entre services vétérinaires mondiaux et chinois (ces derniers très secrets), et de la maîtrise de l’autorité chinoise sur ses campagnes, faute de compétence et de discipline.

C’est le moment que choisit Chen Chaogang, chercheur universitaire à Canton, pour avertir d’un risque d’obésité galopante dans cette société en mutation.

 Inactivité, mauvaise nutrition font croître de 8%/an l’obésité infantile : ils sont 10% d’enfants obèses et si rien n’est fait, sous 10 ans, les obèses (= + de 20% du poids idéal) passeront de 90M à 200M. Problème d’un pays qui n’a pas oublié ses famines des années ’50, et qui a pris pour modèle unique les USA, McDo, KFC, Pizza Hut !

Enfin, la rue parle de l’attaque meurtrière du village de Shengyou, commanditée par Guohua, firme d’Etat (cf VdlC n°20).

Hu Jintao, Wen Jiabao veulent des comptes, d’urgence : bien conscients d’une nouvelle source d’insécurité, issue de pouvoirs publics outrepassant la loi, et d’une nouvelle capacité d’autodéfense des communautés !

 

 


A la loupe : Les Trans’ en Chine, musique fusion française!

Ponctué par les hyper basses, le festival résonnait à travers le parc Chaoyang, ces 18 /19 juin : 1ère fois dans leur histoire, les Trans’musicales troquaient leur base rennaise pour une escapade pékinoise, inédite dans l’histoire du socialisme.

Point d’orgue aux Années croisées, l’événement était soutenu par Paris, accepté par Pékin, offrant, ainsi à quelques milliers d’heureux une palette de groupes français et chinois, en pleine montée en sève,  détectés par les organisateurs JL. Brossard et le BMA, le bureau des musiques actuelles.

On vit ainsi se succéder sur la scène les Kazakh de IZ, chantant dans leur langue avec leurs instruments an-tiques, et Denez Prigent le barde du Finistère, a capella en breton, qu’une naïve Chinoise prenait pour une rengaine en hindi. A mesure que défilaient les DJ comme Missill ou Pat Panik, l’assistance se dégelait.  En fin de la 1ère soirée, Gotan Project porta sur la pelouse chinoise l’univers sentimental, érotique et trouble du tango argentin : la jeunesse du monde dansa pieds- nus, et applaudit sagement.

Le dimanche fut le temps de la liesse, insolite en ce régime qu’on connaissait plus guindé.

Sous les projecteurs du final et les sons de St Germain (mêlant avec génie reggae, jazz, techno et latino), l’on assista à une chenille de 100aines de m, tandis que les cohortes de policiers très jeunes desserraient leur cravate, et refrénaient une envie évidente de se mettre à danser.

Grand succès donc, cette sortie des Trans, qui promirent de revenir en 2006 (ailleurs en Chine, peut-être?).

Elle fut aussi le signe encourageant d’une mondialisation qui s’ébranle sur sol chinois, celle des arts et de la jeunesse: preuve d’une maturation-décrispation, et mouvement qui, cette fois, vient de France!

 

 


Joint-venture : Banque de la construction – Temasek veut sa part !

— Après la Bank of America (BoA), c’est au tour de Temasek (branche d’affaires du gouvernement de Singapour) de tenter d’arracher son entrée au capital de la Baque de la construction (CCB).

Engouement étonnant : dans les cercles d’experts, les 3MM$ d’investissements alignés par la Bank of America passaient pour risqués, sur une banque publique à la situation -gestion et avenir- tout, sauf transparente. Le pari de la BoA tient du “quitte ou double”, puisque la banque US s’est réservée l’option de doubler sa mise à 19.9% de la CCB d’ici 2011.

Si elle réussit, elle obtiendra une position centrale sur le marché financier de la République populaire. En cas d’échec, elle perdra des années de croissance, le temps de combler ses pertes. Temasek serait en chasse d’un placement substantiel, égal à celui de BoA.

Théoriquement, CCB pourrait accommoder les deux demandes, et franchir le plafond réglementaire de 25% de parts étrangères après son entrée en bourse fin 2005.

En ce cas, avec ses prestigieux parrainages, suivant le succès de la Banque de la communication, CCB n’aurait aucun mal à battre le record national de recettes boursières et obtenir les 5MM$ attendus.

Bank of America devrait tout tenter pour protéger son avantage actuel, payé au prix fort. BoA pourrait en tout cas obtenir un 1er joyau : le rôle ultra-rémunéré de souscripteur du titre CCB, en remplacement de Citibank, le rival évincé (cf VdlC n°20).

— 3ème (dernier?) essai pour Hyundai, pour franchir la barre d’accès au club des camionneurs et autocaristes chinois. Un essai de JV tournée vers le marché chinois et l’export avait échoué avec Daimler à l’été 2004.

En décembre 2004, la 2de tentative avait raté avec Jianghuai (Anhui), chaîne de montage pour 780M$ d’investissement. C’est à présent avec Guangzhou Auto que le Goliath coréen veut se marier, autour d’un immense projet de camions-bus. Les deux veulent placer incessamment 430 M$, puis 1,2MM$ d’ici 2010.

En 2004, Hyundai vendait en Chine 36.000 camions et bus. Dès 2007, la JV en sortira 20.000, pour passer à 50.000 en 2009, et à un volontariste 200.000 (tous formats) en 2011. 

Comme sa production locale d’auto doit en même temps quintupler (dès 2005, Hyundai veut produire et vendre 200.000 voitures, +40%), le groupe pense franchir la barre du 1M de véhicules sous 5ans, grâce à l’usine de Canton, à sa JV avec Beijing auto (voitures) et celle de sa filiale Kia avec Dongfeng dans le Jiangsu (camions)!

NB: la Chine compte déjà 30 marques de bus, 20 de poids lourds. Les ventes nationales de camions pourraient friser les 600.000 unités cette année.

 

 

 


A la loupe : Fusions – acquisitions: la Chine s’enhardit

Vingt ans de croissance ont renforcé des firmes chinoises, au point de s’imposer au coeur du marché mondial, par le rachat de groupes battant de l’aile. Deux cas courent aux USA, qui entreront parmi plus grandes fusions-acquisitions de l’année -si elles réussissent ! 

[1] N°4 de l’électroménager US, Maytag (Hoover), venait de perdre 80% de ses profits, 25% de sa valeur en bourse. Ripplewood (NY) devait le reprendre – 1,13MM$.

Or, voilà Haier, n°2 chinois du frigo (26%) et de la climatisation (17%) qui surenchérit, appuyé par Bain et Blackstone. Avec ses 13 parcs industriels en Chine, Haier peut garantir une production chez elle à moindre coût.

Par sa marque, Maytag le ferait leader de marchés stratégiques aux US, tel celui du réfrigérateur (il n’y détient que celui du mini-frigo). Surtout, Maytag compléterait son réseau global de distribution –  Haier exporte déjà vers 160 pays… L’offre de Haier place Maytag devant un dilemme. Sa direction préfère Ripplewood, qui rassurerait le personnel. Mais les actionnaires apprécient la surcote : Haier fixe à 150M$ (+14%) sa prime pour reprise de Maytag par l’étranger! Le verdict émergera sous deux mois: on s’attend à des surenchères !

[2] Même débat chez Unocal (9e pétrolier aux US).

Dès 2004, CNOOC (n°3 chinois) offrait 13MM$, et était supplanté par Chevron (n°5 mondial), à 18MM $, en cash et en actions. Washington s’était dépêché de valider la transaction, qui maintenait UNOCALl «dans la famille».

Mais CNOOC relance (21/6), 500M $ de plus (tout en cash, séduisant pour les actionnaires), tout en assurant le maintien des 6.000 emplois. Si Cnooc reprenait Unocal, ses réserves d’or noir et de gaz augmenteraient de 80%! Localisées en Thaïlande, Indonésie et Asie Centrale, elles atteindraient la Caspienne. Mais en cas de chute des cours (aujourd’hui à 60$/baril), ce serait la ruine !

Une surenchère de Chevron est possible, comme de Ripplewood. Un barrage public aussi, par un très secret Comité des Investissements étrangers aux Etats-Unis.

Mais quoiqu’il advienne, ces offres de Cnooc et de Haier lancent au monde le message clair de leur prise de confiance, de puissance, et de savoir-faire global!

 

 


Argent : Pour un pétrole moins cher, achetons soufré

La demande chinoise en pétrole monte en flèche, et sa dépendance extérieure avec. En mai, sa note pétrolière passait à 4,66MM$, +86%.

Pour faire face, des solutions impensables deux ans plus tôt sont activement sondées.

On a vu la tentative d’achat d’Unocal, ou l’investissement dans les sables bitumineux de l’Alberta.

Une autre voie est celle du pétrole à forte teneur en soufre. Ce pétrole tel le Arab Heavy fait 70% de la production mondiale, et se vend 20% moins cher.

Aussi la Chine annonce t’elle un plan de 3MM$ sous deux ans, pour des raffineries capables de traiter cette huile plus lourde. CNPC, (la compagnie nationale pétrlière), Sinopec et West Pacific (filiale Total et les 2 autres) préparent au moins dix de ces unités de craquage désulfurisantes. La capacité visée est de 330.000 barils/jour – on n’en sait pas plus!

NB: PetroChina lance 2 liaisons entre le gazoduc Urumqi-Shanghai, en cours de finition, et celui Shaanxi-Pékin jusqu’au Jiangsu. Pour une liaison de 890km, il en coûtera 931M$

 

 


Pol : Téléphonie – le standard 3G local va mal !

— En quart de finale de coupe du monde de football (22/6), le Japon faisait trembler le tenant du titre Brésilien sur un score nul de 2 à 2 (victoire brésilienne au goal average). Quant au Onze Céleste, écarté aux éliminatoires,  le calice est amer.

Le 19/6, Peter Velappan, Président de la Fédération asiatique, renforce l’alerte, évoquant un ballon rond à l’agonie en Chine, à cause des sifflets noirs (arbitres véreux) et de pratiques telles matchs truqués, paris marrons et vandalisme. Rares en ce pays, ces critiques veulent faire pression sur l’administration CFA, (l’administration du football chinois) pour donner une chance à Vision Asia, ligue urbaine semi-professionnelle qui doit bientôt gérer les matches entre 285 villes chinoises. Tout en soutenant la fronde des présidents de clubs comme Pékin, Tianjin ou Dalian, qui revendiquent le partage avec la CFA de l’organisation du foot…

NB : Il faudra davantage pour tout changer : tel tous les sports en Chine, le football est statutairement privé de Fédé et d’autonomie, au nom du monopole du régime. Or, cette gestion brasse aussi de très gros cachets, à travers le sponsoring et les droits de TV… Il se dit que le lourd encadrement sportif pèserait trop pour pouvoir être maintenu au-delà de 2008… affaire à suivre ! 

— Chine et Japon poursuivent leur traversée du désert vers la réconciliation.

Le 23/06, deux vice-ministres des affaires étrangères, Shotaro Yachi et Dai Bingguo se voyaient à Tokyo. Mutisme total, et sans doute pas de fruits du tout. Le terrain est trop mauvais, avec l’annulation le 23/5 par Mme Wu Yi (Conseiller d’Etat) d’une rencontre avec le 1er Ministre nippon Koizumi, pour cause de ses visites au temple de Yasukuni où reposent des criminels de guerre. Or, à la veille de ce second sommet, Koizumi avait soin de rappeler que sa foi de type révisionniste, n’était pas négociable…

Dans ce climat, la prière de S. Tanigaki, ministre nippon des finances, à son collègue Jin Renqing (25/6, Tianjin) de réévaluer le ¥ «vite et fort», avait peu de chance d’être entendu… Malgré plusieurs signaux d’alarmes depuis l’archipel nippon telle l’annonce par Uniden, n°1 mondial du téléphone sans fil, d’un redéploiement vers les Philippines, ou telle la chute des vocations nippones d’invest en Chine, de 87% en décembre, à 55% en mai!

— L’oral de rattrapage du standard TD-SCDMA de téléphone de 3e génération (“3G”) s’est mal passé, dit la presse (22/6). Une 1ère session avait eu lieu en novembre 2004 : déjà, ce standard porteur de l’oriflamme écarlate avait déçu, face à la concurrence de l’Europe (GSM) et des Etats-Unis (CDMA).

Sept mois plus tard, le ministère des industries de l’information (MII) admet le nouvel échec : c’est l’intelligence virtuelle des terminaux et des «chips» qui défaille. Pas moyen de télécharger de lourds fichiers, moins encore de faire tourner des logiciels à distance. Sur la suite des événements, c’est nuit et brouillard. Quand les licences d’exploitation seront-elles octroyées? Combien? À qui? De quel standard -le standard chinois aura-t-il sa part? Y aura-t-il pour cette filière une 3e chance?

On voit mal le ministère (MII) abdiquer sur cette filière stratégique, après les années d’efforts qui lui furent consacrées, et l’enjeu : avec son marché potentiellement leader et son rang de 1er assembleur global, la Chine pourrait progressivement imposer son standard à la planète, avec de fortes conséquences technologiques et financières.

Encore faut-il une égalité de niveau technique, aujourd’hui absente —et le monde n’attend pas !

 

 


Temps fort : Israël – Chine: des liens qui se resserrent

Li Zhaoxing le Ministre chinois des Affaires étrangères était semaine passée à Tel Aviv pour rencontrer Ariel Sharon, le 1er ministre, ainsi que, symboliquement, son protégé historique palestinien (le 1er ministre Ahmed Qurei).

Signe de l’importance stratégique de ce Proche-Orient pour l’Empire du Milieu : l’Etat hébreux dispose d’une technologie d’armement autonome, et peut avoir plus d’affinités avec la Chine qu’avec son ancien protecteur US, pour une expansion libre de son potentiel militaire.

En ‘2000, Israël avait déjà tenté de vendre 3 à 5 Phalcon—sa version des Awacs de l’USAF, avion-radar, pour 1 à 2MM$ : les US l’avaient bloqué. Aujourd’hui, Washington gèle la coopération de défense avec Israël, concernant la recherche d’un système anti-missiles Arrow-2, d’un canon à laser courte portée, et du futur chasseur-bombardier F35. Les US dénoncent aussi la livraison par Tel Aviv à Pékin de drones (avions sans pilote).

Juste avant la visite de Li, Israël s’excuse, puis reçoit, en même temps, Condoleezza Rice, dans les parages pas par hasard. Autant dire quel partenariat militaire exceptionnel se profile entre Chine et Israël, alors que l’Union Européenne vient de proroger sine die son embargo sur les ventes d’armes!

Même au simple plan civil, la coopération s’annonce brillante, en informatique, communications, semi-conducteurs, agronomie etc. : d‘1MM$ en 2000, les échanges passaient à 1,8MMS en 2003, 2,5MM$ en 2004, et doivent doubler d’ici 2008, à 5MM$!

Discrètement, Israël veut diversifier ses alliances et s’apprête à ouvrir les frontières aux touristes chinois, aux diplomates (exemptés de visa), aux étudiants. Pour Israël, c’est aussi un rêve – illusoire, peut-être- de freiner les échanges de la Chine avec l’Iran et autres « mortels ennemis » dans la région !

 

 


Petit Peuple : Chengdu, Blanche Neige malgré elle!

Au coeur du vieux Chengdu, l’écolière Wang Yan, son père, son oncle et un ami, vivaient heureux dans leur masure. Mais voilà que leur sérénité précaire fut dynamitée (c’était inévitable) par la taille des trois hommes, entre 80cm et 1m! Fin mars, un journaliste au nez creux épingla Wang Yan et ses nains, sous le titre-choc, “Blanche Neige au Sichuan”. Sans y pouvoir rien faire, elle fut catapultée sur une orbite de star.

La Chine entière la découvrit avec passion (avatar vivant de la légende de W.Disney), trahissant ainsi la soif de troquer son navrant univers pour un monde étranger de fées et de châteaux. Au sortir de l’école, des garçons vinrent lui faire une cour dont elle n’avait que faire. Les appels indécents plurent chaque nuit. Les média se l’arrachèrent – en 2 mois, elle accorda pas moins de 100 interviews. Pékin, Nankin l’invitèrent, avion compris. Les voisins quémandèrent des sous, insinuant qu’elle avait dû en recevoir – elle avait touché 2000¥, la belle affaire!

Tout ce brouillard de célébrité perturbe cette fille simple qui ne rêve que d’études, de dessin et d’un peu d’argent pour offrir une retraite décente à ses nains. Mais c’est trop tard : malgré son âge tendre (17 ans), Yan se voit privée de sa normalité comme de sa jeunesse, suivie comme son ombre (如影随形 ru ying sui xing) par la célébrité, sans parvenir à s’en détacher!