Le Vent de la Chine Numéro 19

du 5 au 18 juin 2005

Editorial : VENTS DE SAISON

Cette semaine, alors que les gros dossiers maturent (tel le conflit textile Bo Xilai, ministre du commerce, menace Etats-Unis et Union Européenne de rétorsions sur son marché agricole), d’autres affaires insolites occupent le devant de la scène.

[1] Le 29/5, funérailles rares à Taipei: celles de «frère moustique», alias «arbitre final»:

Hsu Hai-ching, un parrain de l’île, escorté en toute impunité par 10000 gangsters de toute l’Asie. Cette foire régionale des triades dit le prix à payer pour la mésentente sino-taiwanaise et -nippone : la pègre ne sera éradiquée que par la coopération des polices, aujourd’hui absente!

[2] La Chine vient (23/5) de rejoindre les 120 Etats partenaires du Protocole de Biosécurité de Carthagène, sur le commerce international des OGM.

 En vigueur depuis 2003, la convention régit les échanges, l’étiquetage, les contrôles et les ventes.

Selon Wan Bentai, Directeur à la SEPA (l’administration pour la protection de l’environnement) pour l’écosystème, cette ratification vise aussi la protection de la biodiversité -de l’héritage génétique. Surtout, l’outil juridique est l’ultime étape avant la mise en magasins du riz et du blé génétiques, dont la Chine a mis au point ses souches OGM (organisme génétiquement modifié), très prometteuses.

[3] Six semaines après son arrestation à Guangzhou, Pékin accuse d’espionnage Ching Cheong, correspondant du Straits Times à Hong Kong (31/5).

C’est une rupture à 10 ans d’efforts pour améliorer les rapports avec la presse, efforts qui avaient renforcé son image. Pourquoi le basculement?

En 18 ans, aucun correspondant n’a subi telle accusation. Mais Ching concentre sur lui plusieurs motifs d’exaspération. Comme toute une classe de journalistes, il opérait sur la Chine depuis Hong Kong en touriste, sans se soucier de permis ni contrôles. Il travaillait sur Zhao Ziyang, leader du printemps de Pékin 1989 (dont le 16. anniversaire vient de passer, le 4/6) : figure traumatisante pour le régime, qui ne parvient pas à la faire plonger dans l’oubli. Enfin Ching, Chinois de souche, peut être vu, en haut lieu, comme renégat. L’image même de son succès le dessert : Ching Cheong est un électron libre, parmi les plus efficaces pour améliorer le savoir sur ce régime prêt à beaucoup pour rester dans l’ombre !

Pékin dit avoir aveux et preuves d’obtention de «secrets d’Etat à la solde de l’étranger». On verra leur crédibilité lors du procès. Ching risque la peine de mort.

 


A la loupe : Harmonisation fiscale : ‘man man lai’!

L’organisation mondiale du commerce (OMC) oblige, la Chine prépare l’harmonisation de la taxation des firmes, mettant fin aux privilèges des étrangers (15%,11% de taxe d’affaire, voire chez certaines Zones économiques spéciales de l’Ouest, l’exemption totale sur 10 ans), face aux 33% réservés aux locaux.

Mais pas trop vite! Le pays garde une soif insatiable d’Investissement direct étranger, nerf de sa croissance. Une bonne part des 50MM$ entrés en 2004, visent l’export, et en 15 ans, ce cadre fiscal imbattable lui a offert 6% du marché mondial, contre 1,8% en 1994. Pékin a donc tranché en faveur des lobbies étrangers soutenus par des intérêts locaux bien connectés : au 1/1 2007, un taux unique sera applicable, intermédiaire, autour de 27%, en tout cas soit sous la moyenne asiatique (Corée du Sud =28%, Thaïlande= 30%).

Pour ne pas tuer sa poule aux oeufs d’or, la Chine promet donc quatre années de sursis (jusqu’en 2011), à tout investissement en place d’ici fin 2006.

De nombreuses autres exemptions sont au four, dans l’énergie, les secteurs écologique et à haute technologie.

Par cette décision, la Chine confirme que pour alimenter sa locomotive, elle n’a pas d’alternative à recourir au savoir-faire étranger. Mais ceci ne la rapproche pas de deux objectifs, pourtant plus vitaux à long terme que l’attraction des capitaux :

[1] développer son marché intérieur, par la suppression des barrières régionales et la création d’un régime universel de pensions—Sécurité sociale, et

[2] rattraper l’étranger sur son sol, en productivité et en éco d’énergie! On en est loin.

Sous cet angle, un échec du plan de refroidissement économique, signifierait une fuite en avant – faire tourner la Chine par l’économie expatriée, tout en gaspillant ses ressources, tant qu’elle peut se le permettre !

 

 


Joint-venture : Carlsberg – à l’Ouest, du nouveau

— A l’Ouest, Carlsberg tente sa seconde percée sur le marché chinois de la bière.

Cette région pauvre, et surtout sobre pour cause d’Islam, impose au géant de Copenhague un pari délicat—la consommation moyenne du Xinjiang est de 14 litres /habitant par an, un tiers de moins qu’ailleurs. Dans les années ’90, le Danois a raté une chance, en prétendant imposer sa qualité et son prix, au nom d’une image alors inconnue en Chine.

En face, des commerçants avisés tels SAB (anglo – Afrique du Sud) et Interbrew (Belgique), suivis d’Anheuser (US) multiplièrent rachats et JV à saute mouton, offrant partout  qualités et prix demandés, pour occuper les places fortes de la côte.

Carlsberg sait que ce marché est l’avenir, avec sa croissance de 6 à 8% par an et ses 29Mt de cervoise ingurgitées en ’03 (ayant dou-blé les US au 1er rang). Il n’a donc guère le choix: il a d’abord repris 49% de la brasserie de Lanjian (Sichuan). En 2004, il a englouti 50% de Huanghe à Lanzhou (Gansu).

Avec le singapourien Ongo, il reprend à présent 34,5% de la brasserie de Wusu (Xinjiang). Sa stratégie est claire comme de la blonde : être présent quand même – là où il peut !      

— Les maisons de courtage vont mal en Chine—trop nombreuses (130).

Aux délits d’initié (fruit des obligatoires amitiés corrompues) s’ajoutent la faiblesse d’une bourse locale ayant perdu 50% depuis 2001, et la nécessité d’entretenir un réseau de vente large, coûteux et en panne.

Résultat pour 2004 : les 50 meilleures adresses cumulent un déficit de 562M$.

27 seulement sont solvables (ayant perdu 20% d’actifs depuis janvier : seules 17 peuvent encore subir des pertes ). Pour sauver les 23 autres, il faudrait 2,5MM$. Pour sauver toutes, il faudrait 24MM$. Comme feuilles mortes d’un très précoce automne, elles tombent, Shenzhen Southern, (850M$ de dettes), Minfa (1MM$). Les sauver toutes est exclu : le secteur n’a gagné que 3,8MM$ en 2004 et ne franchira pas les 12MM $ avant 2009!

Une seule panacée donc, que ces courtages attendent comme le Messie:la JV étrangère, comme China International Capital Corporation (CICC) (34% à Morgan Stanley), ou Gaohua (135M$ à Goldman Sachs). Le CLSA et Credit Suisse First Boston étudieraient avec beaucoup d’attention ce modèle!   

 

 

 


A la loupe : La Chine ose regarder son enfance battue

Immense paradoxe que celui de l’enfant chinois, plus gâté qu’en bien des lieux du monde (le jeune shanghaien a plus d’argent de poche que l’adulte!), mais aussi plus abusé!

Pour la Journée nationale de l’enfance (1/6), pour la 1ière fois, la Chine osa poser un regard sans complaisance sur cette face cachée d’elle-même, sous la forme d’un sondage explosif par la Fédération des Femmes, avec le soutien de l’université Beida et l’Unicef auprès de 3500 étudiants de cinq provinces. Même pour des professionnels, les aveux sont éprouvants à lire.

Parmi ces jeunes, 33% des filles, 55% des garçons ont été humiliés, giflés ou frappés. 10 à 13%, furent rossés à répétition avec un objet (trique, ceinture), ou attouchés sexuellement. Tandis que 2% ont subi le viol (ce qui pourrait se traduire, à l’échelle du territoire, par 10 à 15M de viols). Dans 85% des cas, ces actes furent perpétrés  par des proches (parents, camarades de classe), et l’entourage, complice, étouffa l’affaire, pour éviter le qu’en dira-t-on !

La violence se tapit partout.

A la maison, on «corrige» l’enfant pour plus d’obéissance et de résultats scolaires. Les violents peuvent aussi être les grands-parents au village—qui frappent les 22M d’enfants abandonnés sans défense par les parents migrés en ville.

A l’école, des bandes pressurent les petits pour de l’argent, ou pour le prestige. Le professeur voit tout, et se tait -quand il ne donne pas l’exemple, comme cette maîtresse ayant tatoué au front d’un élève le caractère zei 贼 (voleur).

Finalement, cette enquête confirme l’acceptation universelle du principe (néo-confucéen) de la «violence formatrice», et la loi du silence. Elle révèle aussi le prix à payer : les jeunes les plus victimisés, sont invariablement ceux qui obtiennent les moins bons scores (faute de concentration et d’énergie personnelle, et de l’estime de soi, perdues sous la torture). Et 10% d’entre eux sont suicidaires. 

NB: ces taux de violence sur l’enfance en Chine, ne sont pas sensiblement plus forts qu’ailleurs. La seule différence tenait jusqu’alors à l’absence d’enquête et de débat : voilà un tabou qui vole, et la Chine ouvre une nouvelle page de son histoire !

 

 

 


Argent : Banque de Chine, Banque de la construction : les deux banques se voient belles

Non abattues par leurs récents scandales, CCB (la banque de la construction) et BoC (la banque de Chine) tiennent le cap vers la bourse de Hong Kong – pour 2005 encore.

L’époque est propice : la finance chinoise reprend le chemin de la bourse de Hong Kong (HKSE) !

D’ici l’été, quatre mammouths publics vont y plonger, Shenhua, Bank of Communication, Cosco et Shanghai Electric, espérant drainer 8MM$ par cette palette de valeurs diversifiées et des prix attractifs.

Aussi avant le jour “J”, les deux banques épurent leurs comptes et astiquent leur blason. C’est l’heure de la grande lessive chez CCB, très à cheval sur son image de propreté : ayant déposé en mars son PDG Zhang Enzhao, il semble vouloir écarter Citigroup de la liste de ses partenaires – Citigroup s’étant laissé surprendre par Margaret Ren, son ex-vice Présidente-Chine (belle-fille de Zhao Ziyang) mouillée dans une affaire. La CCB surtout, obtient un bel effet d’annonce en plaidant pour l’éviction du comité du Parti, qu’il accuse de se substituer à ses propres rouages. Au chapitre assainissement, elle annonce un taux de mauvaises dettes limé à 3,47%.

Avant son entrée en bourse (pour 5MM$), CCB, la banque de la construction, finalise la session de 10% de son capital aux plus offrants, Bank of America (BoA) et Temasek (bras commercial du gouvernement de Singapour), à 2MM$ chacun.

En 2004, BoC, la banque de Chine se vante de 2,5MM$ de profits (sur un capital porté à 513MM$), et de prêts irrécupérables ramenés à 5,12%, contre 15,3% en 2003. Avant d’entrer à la bourse de Hong Kong (HKSE) (pour 3 à 4MM$), BoC veut elle aussi vendre des parts directes (pour 10MM$) à des partenaires privilégiés, encore inconnus : UBS? BoA? Deutsche Bank?

 


Pol : Audit : neuf cités-U saucissonnées

— A vitesse fulgurante, sans complexe, une trilatérale asiatique prend forme.

Ces 1-2 juin à Vladivostok, les ministres des affaires étrangères de Chine, Russie et Inde se retrouvaient pour forger leur nouveau club. Tel l’OSCl’organisation de sécurité et de coopération,  (forgé sur son modèle), ce meeting vise d’abord la lutte contre le terrorisme islamique, la drogue et la mafia. Puis il coule la titanesque dalle des échanges à venir : coopération promise en transports, énergie, agriculture et haute technologie.

Ainsi, le pétrole russe ne sera pas développé que par les 7 soeurs euro-US, mais aussi par Inde et Chine.

Le prochain sommet est attendu en 2006 à Delhi, précédé de visites triangulaires des 1ers ministres. L’intérêt est double et puissant : développer la région par ses échanges, et y limiter l’influence des Etats-Unis.

NB: détail lourd de sens, dans l’avion vers Vladivostok, Li Zhaoxing le ministre chinois des affaires étrangères rassurait Condoleeza Rice  par téléphone: ce meeting n’était dirigé contre personne, Chine et US allaient “multiplier les rencontres pour régler les différends”…

Manière très asiatique d’avertir G.W. Bush : l’option de “contenir” la Chine, désormais, n’existe plus !

— Caprice climatologique en Chine du sud, dans une vallée de loess escarpée, dont la population trop dense, pour se chauffer, a abattu tous les arbres des pentes – scénario trop banal en ce pays.

Au Hunan, un très gros orage de pluie, le 1/6, a causé des chutes de falaises de glaise, créé des barrages naturels et murs de boue, détruisant tout sur leur passage : le bilan se compte en centaines de morts à Xinshao (y compris celles d’équipes de sauveteurs dépêchés sur place), 3600 maisons emportées, 55.000 habitants déplacés, toutes rizières perdues, 200M² de dégâts. C’est la 1ère alerte de la saison – pas la dernière!

 — Epinglée par la Cour des Comptes, la fraude immobilière qui suit est instructive :

[1] loin d’un cas isolé, elle est systémique,

[2] face à l’Etat misant sur l’intérêt général, les mairies détournent le règlement sans vergogne, car sans sanction possible. En chinois, on appelle cela 天高皇帝远 tian gao, huangdi yuan”, le ciel est haut et l’empereur est loin”.

 Pour freiner la voracité en terres arables des ceintures urbaines, tout projet immobilier est désormais sévèrement contrôlé. Même dans le cas de cités universitaires : ici, tout projet dépassant 35ha doit être approuvé par le Conseil d’Etat.

Or, déplore l’audit, quatre villes (Nankin, Zhuhai, Hangzhou, Langfang) ont contourné la règle, en bâtissant par tranches, présentées comme projets indépendants – donc, non assujetties au “oui” pékinois. Les neufs projets litigieux totalisent 820000 places d’étudiants, dont moins de la moitié réellement  inscrits (340.000).

L’auditeur note aussi un recours abusif aux banques, qui n’ont toujours rien à refuser aux institutions publiques, sans considération du mérite commercial du dossier: (60% du coût, voire 94%). Toutes les conditions sont donc réunies pour une “bulle”, suivie d’une faillite, d’une saisie, et de nouvelles mauvaises dettes pour les “4 soeurs” bancaires !■

 

 

 


Temps fort : Chine – Chili, un contrat de mariage innovant !

Pour la Chine, le Chili est privilégié – et réciproquement : un simple regard sur la mappemonde suffit pour le comprendre, avec son vol d’oiseau de 15.000km sur le Pacifique.

Or, ces pays sont très complémentaires, le Chili aux matières 1ères abondantes, face à l’immense demande chinoise. Pays d’ordre quoique latino, le Chili veut devenir la porte de Chine sur son continent, après avoir ouvert le 1er ALE (accord de libre échange) chinois du Cône sud

Fin mai, Nicolas Eyzaguirre, ministre des finances était à Pékin pour signer un étonnant contrat de mariage entre le 1er producteur et le 1er consommateur de cuivre planétaire.

Sous trois mois, Minmetals va payer 550M$ pour 57.000t de cuivre/an jusqu’en 2020, au prix du marché, crédit reconductible jusqu’à 2MM$. Ces avances sur livraison constituent une quasi-mise de capital chez Codelco, qui l’utilisera pour équiper sa mine de Gaby, où Minmetals prend une option de 25 à 49%. Ainsi, Codelco fera passer son débit de 1,75Mt/an à 3Mt en 2015 !

Tel accord est rendu possible par la vertigineuse flambée des prix, à 1,53$ la livre, contre 0,6$ en 2001. Cet accord à long terme protège aussi les partenaires des fluctuations spéculatives – et de pressions des Etats-Unis.

Partenariat ambitieux, donc, mais les yeux grand ouverts : en pêcherie, Santiago a poliment limité à 5 les 11 navires-usines chinois qui désertifiaient les eaux chiliennes, et prépare pour août des palabres pour imposer un système policé, avec quotas, limitations de filets et protection de la ressource (notamment du maquereau) — le contraire  de la pratique chinoise.

Nul doute que la négociation sera dure—mais sur son terrain, le Chili est en position de force, et le durable est l’intérêt de tous ! 

 

 


Petit Peuple : Le lycéen, le taulard et le greffier

A Zhengzhou (Henan), Wang Jihui avait fait des bêtises, de celles que la société ne pardonne pas.

Condamné à mort, il croupissait au cachot, attendant l’heure, quand on lui parla de Zhang, lycéen à Puyang, qui se mourait faute d’un rein, les siens ayant déjà rendu l’âme. Le groupe sanguin était compatible.

Quelle plus belle occasion de 将功赎罪 jiang gong shu zui, «effacer le crime par l’acte héroïque» et gagner sa place en paradis? Wang décida d’offrir un organe pour sauver Zhang, et déclara son espoir que l’adolescant, par travail et vertu, fasse fructifier ce sursis de vie. La prison consentit.

Mais au jour fixé, le 26/4, mauvais coup de théâtre : la double opération fut annulée, Wang consigné dans sa cellule sur ordre du procureur. C’est qu’avant sa décision altruiste, le condamné avait fait appel et l’audience était proche. Or, l’altruisme de Wang créait un vide juridique. Le Palais soupçonnait une manoeuvre dilatoire. Craignant la clémence, un précédent qui provoquerait une avalanche de don d’organes carcéraux, il préférait expédier ad patres son condamné, entier et sans mic-mac. A la grande déception du taulard Wang, du lycéen Zhang, des médecins et parents!

NB: jusqu’à hier, la justice socialiste s’enorgueillissait de réformer ses condamnés, les amener à s’amender. Programme obsolète, semble t’il!

 

 

 


Rendez-vous : Le temps des Foires (Ningbo, Harbin)…

7-12/6, Expo 2005 :   Foire de Ningbo (Zhejiang)

6-9/6, Pékin :      CBD 2005, salon du bâtiment

13-15, Pékin :                             Salon du métro

15-19 :             Foire de Harbin (Heilongjiang)

7-10, Pékin: CIEPEC, Expo int’le de l’environnement

9-10, Pékin: Bertand Delanoë, maire de Paris,  au Congrès des villes