Le Vent de la Chine Numéro 12
La mort du Pape a libéré des ondes de choc longtemps surgelées entre le Vatican et Pékin, antagonistes naturels, pôles planétaires de pouvoirs spirituel et temporel.
Dès l’annonce du trépas (3/4), les bonnes volontés se multiplièrent.
A New York, l’ambassadeur Wang Guangya, Président du Conseil de Sécurité rendit hommage au « grand leader religieux » et dit son gouvernement «encouragé par son oeuvre de réconciliation » et son «désir d’améliorer la relation». Pékin rappela alors la possibilité de reprise des relations, et ses conditions: «que Rome ferme sa nonciature à Taiwan, et ne se mêle pas de ses affaires intérieures».
En face Joseph Zen, archevêque de Hong Kong remarqua que Rome pouvait transférer sa nonciature de Taipei à Pékin, «pour peu que Pékin octroie une vraie liberté à l’église en Chine »…Il n’en fallut pas plus aux fidèles pour reprendre espoir en cette normalisation que le Pape avait désiré, au point de souhaiter « survoler la Chine en avion, pour prier pour elle» …
Mais dès le 4/4 transparaissait l’arrestation de 3 prélats de l’ombre entre Hebei et Zhejiang : signal délibéré d’intransigeance – Pékin ne vouait pas de normalisation sans coupure du lien entre l’église et le Pape!
On a donc – ce n’est pas rare en Chine- des gestes contradictoires, qui traduisent des tendances opposées au sein de l’appareil.
Ceux qui s’opposent à la réconciliation sont ceux qui ont à y perdre : l’église officielle, qui doit se poser la question de son avenir en cas de réhabilitation de celle de l’ombre, et une arrière-garde refusant d’admettre l’échec d’un modèle social amputé de toute spiritualité.
Enfin, alors que ce décès libère une chance de réconciliation, survient un incroyable risque!
Le deal en l’air suppose le sacrifice de Taiwan. Mais son Président Chen Shui-bian se rendit aux funérailles (8/4) à Rome, rompant 50 ans d’absence en Europe. La Curie l’a accepté, causant ainsi l’ire chinoise. Mais c’est l’Italie qui a délivré le visa, permettant aux grands de ce monde de rencontrer cet homme-clé de toute solution future de la question taiwanaise!
Ainsi le décès du Pape crée un faible vent d’espoir, repoussant les vantaux de la Cité Interdite. En face, se dresse un formidable mur de soupçons, et d’électrons libres risquant de tout faire capoter. Mais «les voies du Seigneur sont impénétrables », et objectivement, les deux parties ont plus à gagner qu’à perdre dans une entente!
«Si tu recherches le chemin du ciel, tu es à la bonne adresse» : ainsi parle à ses centaines de milliers de visiteurs un des 12 sites internet chinois dédiés au suicide, offrant aux jeunes les voies les plus efficaces pour interrompre son existence.
Comme dans le cas du porno virtuel (1400 sites gommés en l’été 2004), le censeur s’inquiète, alerté par les parents sur la mode morbide de leurs enfants.
A la rubrique suicide, le moteur Google en chinois détecte 566.000 entrées, et les guides de suicide, 78.000. Quoiqu’on ignore encore l’impact réel de ces appels au geste fatal, Pékin se soucie, observant l’exemple du Japon où le mouvement cause déjà 55 jeunes morts en 2004. Les sites identifiés sont donc bloqués, et leurs auteurs, passibles de poursuites pénales.
L’info rappelle l’alerte lancée par Chen Zhiyan, chercheur à la CASS – l’académie des sciences sociales– : le pays compterait 20% de dépressifs, dont 100M de névrosés profonds, 7% de la population. Mais à l’inverse de l’Europe ou de l’Amérique, cette tendance n’est pas reconnue comme maladie : 85% des malades ne reçoivent aucun soin, alors que la solution, le plus souvent serait l’écoute. Aussi, chaque année, à bout de souffle, 2M de gens tentent le suicide, avec 287.000 décès «estimés» en 2004 (en fait, sans doute plus, car bien des décès sont maquillés par les proches), faisant de lui, la 1ère cause de mortalité chez les moins de 35 ans.
Un travail de prévention démarre, notamment avec le centre pékinois anti-suicide, sous la houlette d’un jeune psychiatre américain, mais la Chine est en retard. Les responsables savent déjà que tels sites de guide-suicide ne seront pas faciles à éliminer, faute d’éradiquer d’abord le désir morbide, dont les causes sont complexes et variées: loi de l’argent (l’abandon de l’égalitarisme), pollution, mauvais système de santé, alcool/ tabac, 100.000 accidents mortels/an, la faible couverture sociale, le silence radio entre générations, dans le monde du travail, et la vie publique!
— La sidérurgie céleste a longtemps vécu dans le meilleur des mondes, profitant de son marché et imposant aux fournisseurs ses tarifs léonins.
Mais le marché du minerai vient de s’inverser, du fait de la faim chinoise insatiable en minerai.
Au 1er avril 2005, VDRC – Vale do Rio Croce – (Brésil) et Rio Tinto (US) ont imposé au syndicat d’achat Baosteel (+ 16 aciéries) un coup de bambou de +71,5%. C’est alors que BHP Billiton le fournisseur australien donne le coup de pied de l’âne en exigeant une surtaxe de 7,5$/t, qui correspond à la moitié d’une épargne de 15$/t sur le transport, (la distance Chine-Australie étant plus réduite que celle vers Brésil ou US, mais le tarif étant unique) que le Chinois empochait seul jusqu’alors. Aussi sidérurgistes et diplomates chinois tentent d’infléchir Canberra, au nom de l’amitié, et du fait qu’à terme, le minerai aussie verrait son prix doubler, à 60$/t!
NB: BHP aurait aimé renvoyer l’ascenseur à la Chine, en lui louant Falcon, sa technologie aéroportée de détection de veines minières. Mais le Pentagone a dit “non!”, au nom de l’embargo sur les armes à la Chine. C’est son droit, Falcon étant un brevet Lockheed Martin, même si l’application civile est propriété exclusive BHP.
— A Linkou (Taipei), Quanta est devenu en 15ans 1er mondial de l’ordinateur portable, au chiffre d’affaires estimé (2005) à 7,6MM$.
Quanta travaille à façon pour les grands, Dell, Apple, Sony et surtout HP. Mais sa marge bénéficiaire, comme pour tout produit en fin de cycle, a fondu comme les glaciers (-18% au 3. trimestre2004.) : c’était prévu par Quanta, qui vient d’achever pour 16M$ (sources internes) sa 6ème usine à Shanghai, et s’apprête à y délocaliser 45% de sa production soit, pour 2005, 5,6M de laptops. Ceci ne veut pas dire un abandon de Taiwan, au contraire. Quanta achève aussi, dans l’île, un centre de R&D -recherche et développement- à 140M$, où travaillent 2000 chercheurs.
En 2007, ils seront 5000, qui créeront les produits d’avenir, convergence entre téléphone, TV, PC et domotique. Ainsi les deux rivages du détroit se partagent les tâches : production massive à faible marge pour Shanghai, recherche en amont à haute marge pour Taipei!
NB : deux autres groupes mondiaux renforcent leur production sur le continent, avec à la clé, élargissement de la gamme des produits. Pour 70M$, le suédois SKF –Svenska Kullager Fabriken- n°1 du roulement à bille, se renforce d’une usine à Dalian (Liaoning) et de 3 nouvelles chaînes à Shanghai, avec pour clientèle la métallurgie, l’énergie, la mine, la construction, l’auto… Nexans, le spécialiste planétaire du câble à façon, inaugure le 6/04 sa 4ème usine (filiale à 100%), pour un investissement de 22M² qui fournira d’abord la construction navale et les chemins de fer, les centrales nucléaires, pour un chiffre attendu de 15M²/an d’ici 2009.
— Tant espérée outre-Manche, la reprise de Rover par SAIC – Shanghai Automobile Industry Corporation– a fait long feu.
Des années de négociations capotent. Le plan de sauvetage injectait 1,85MM$, dont 70% par SAIC, 20% par Nanjing Auto et 10% de Londres, en grâce d’impôts. A force d’éplucher les comptes, le 1er constructeur chinois s’est convaincu que Rover n’était pas sauvable, faute d’investissements depuis des lustres, et vu les nuages noirs sur le fonds de pension.
Pour Rover, c’était la dernière chance, et c’est la faillite, coulant 6100 jobs directs, voire 10 fois plus d’indirects—toute une région des Midlands.
Pour Tony Blair, c’est la douche froide, juste avant ses législatives de mai : son appel infructueux à Hu Jintao (6/4) dit bien son désarroi.
Quant à Saic, il vient de rappeler son grand besoin de marque-fleuron, ainsi que sa prudence et maturité en affaires!
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Un courant anti-nippon déferle sur la Chine.
Foyers de discorde, la demande de Tokyo de passer membre permanent du Conseil de Sécurité, puis la publication de manuels scolaires qui exonèrent Tokyo de ses crimes de guerre. Clairement, le Japon a tenté de gommer son passé par un programme d’aide en MM$ en Chine et par des excuses en biais, qui n’ont pas satisfait.
Une part de son opinion s’enferre toujours dans le postulat confucéen : défendre une icône mensongère de ses ancêtres, serait plus important que la vérité et que les bons rapports avec les voisins… Ajoutez l’incertitude économique (fin de cycle): le bilan est forcément négatif!
30M de Chinois ont signé des pétitions contre la candidature. En plus de 20 villes, des manifestations ont eu lieu : le 9/04, 10.000 personnes ont défilé devant l’ambassade du Japon à Pékin -et les 2-3/04, saccage de magasins nippons (Aeon et Seibu à Shenzhen, Ito-Yokado à Chengdu).
Un boycott des produits japonais démarre : l’association nationale des commerces en franchise recommande de les retirer des rayons. Ailleurs, c’est la valse des ambassadeurs, convoqués pour entendre les indignations ou opposer les protestations. Depuis Tokyo, Koizumi ne peut que prier la Chine de protéger ses compatriotes, tout en remarquant mezza voce qu’en cas de guerre commerciale, tout le monde perd!
Message reçu 5 sur 5 à Pékin, qui a d’abord encouragé le mouvement, mais qui s’inquiète à présent. Aussi, dès le 6/4, l’ordre discret est donné à la presse de censurer toute cette affaire, dans l’espoir de calmer le jeu. En même temps, Pékin bloque toute réforme de l’ONU à court terme, ce qui retarde les chances des candidatures de Tokyo, mais aussi Delhi ou Berlin, ce qui lui évite d’assumer la responsabilité d’un veto direct à l’entrée de son voisin, qui laisserait de longues traces glaciales.
Reste une dernière pomme de discorde : le forage gazier de la CNOOC en mer de Chine, zone frontalière. Tokyo prévient que sauf négociation, il va en faire autant. Pékin l’avertit curieusement de s’abstenir, «pour ne pas accroître la tension »…
Nobutaka Machimura, ministre des affaires étrangères, viendra à Pékin, à la fin du mois d’avril, pour tenter de dénouer ces tensions : il aura fort à faire! Il aura à tout le moins un atout : la conscience que pour leur bien-être, les rivaux sont condamnés à s’entendre!
Un marché est dans les langes en Chine, porté par 100M d’internautes: celui de l’e-commerce, au double avantage appréciable en Chine,
[1] déployer un réseau aux tailles du territoire (réalisant le grand marché unique), faisant l’impasse sur les locaux de vente et l’armée de vendeurs, et
[2] offrir une alternative “durable” au modèle de croissance actuel, et son impossible idéal d’une auto par foyer.
Comme volume d’affaires, l’institut shanghaïen iResearch cite les chiffres surprenants de 53MM$ en 2004, et 75MM$ pour cette année. Ses deux poids lourds sont Alibaba (chinois),et eBay Eachnet (US), chacun en train de développer leur système de paiement sécurisé inviolable. Avec sa filiale d’enchères virtuelles Taobao, Alibaba revendique 11M de clients fin 2004, et 30M pour fin 2005. eBay Eachnet prétend le rattraper dans l’année, en portant son personnel à 400, et en investissant 100M$ dans son réseau. Mais pour que le système prenne, un encadrement légal est indispensable: la 1ère loi de ce cadre vient d’entrer en vigueur (1/4), définissant la signature électronique, à qui elle confère la même valeur légale qu’à la traditionnelle. La loi organise aussi la certification des agences garantissant l’ authenticité (en ligne) de ce cachet virtuel. D’autres lois arrivent, pour régler d’autres aspects du marché, telle la protection du consommateur, le SAV ou la responsabilité civile des prestataires.
— Des Etats-Unis et d’Europe soufflent des vents contraires à la Chine.
[1] Sur la question du commerce textile, ayant donné suite depuis janvier à une avalanche d’export chinois (jusqu’à +1500% pour les pantalons de coton aux US), Washington étudie la réintroduction dès juin de quotas sur 14 produits. L’Union Européenne vient de publier son propre plan de crise, établit des seuils d’alerte des livraisons chinoises, collecte les plaintes de producteurs communautaires, et du monde méditerranéens où 2,5M d’emplois sont menacés. Le commissaire Mandelson avertit : “faites votre discipline, ou alors...”
La Chine proteste, mais admet que ses exportations vers l’Union Européenne ont monté de 46,5% en janvier 2005.
[2] Sur la question de la valeur du RMB, les Etats-Unis augmentent la pression, annonçant une action pour faire de cette parité figée (8,3¥/1$) une pratique commerciale déloyale. Le Chinese currency act est un projet de loi déposé au Congrès américain par des élus démocrates et républicains. Un autre projet propose de taxer tout import chinois de 27,5%, passé un délai de 180 jours pour réévaluer.
— Très active en matière de semences génétiquement modifiées (au dam de Greenpeace), après avoir présenté fin février son riz miracle, la Chine annonce (3/4) son Lunxuan 987, blé OGM dont les tests réalisés à travers le territoire viennent de battre le record du monde, avec une récolte de 107 quintaux/ha contre 82 au précédent record, aux Pays-Bas.
L’avancée technologique est intéressante dans un pays où le pain tend à remplacer le riz (déjà 25% de la consommation céréalière) : ce blé permettrait à la Chine de doubler ses rendements, notamment grâce à une tige de 85cm, résistante aux orages, aux pestes, à la décoloration, voire, espèrent les experts, à la sécheresse.
Des variantes seraient établies pour chaque type de région, climat et sols. Président de la CAAS – l’académie des sciences agricoles, Zhai Huqu annonce 36M$ de fonds publics pour accélérer les plantations expérimentales, afin d’observer les risques liées à l’introduction de cette révolution agraire—avant l’homologation, sous 12 à 24 mois, qui serait la 1ère mondiale!
Initiées par Zhu Rongji (ex-1er ministre, protecteur de Wen Jiabao) les années de réconciliation portent leurs fruits.
En fin d’une tournée via Sri Lanka, Bengladesh et Pakistan, Wen Jiabao, le 1er ministre, voyage en Inde du 9 au 12 avril 2005. Avec son collègue Manmohan Singh, il mène un dialogue pragmatique entre superpuissances émergentes, pour forger les outils de leur percée dans le monde :
[1] une zone d’investissement frontalière mixte, et un accord de libre échange (ALE), pour 2015.
Les échanges qui étaient d’1MM$ en 1995, en font 13,6 en 2004 (+79%, avec déficit chinois d’1,8MM$). Dès 2010, ces échanges seront passés à 30MM$, les deux pays étant alors 1ers clients mutuels;
[2] des routes de désenclavement mutuel, via Népal, Sikkim et vers le port de Calcutta;
[3] des stratégies globales, partage du monde pauvre pour les achats (surtout de pétrole), et partage du monde riche pour les ventes (textile, électronique). Ce dernier point est important, car il exprime l’enjeu et le défi.
Inde et Chine se retrouvent sur les mêmes positions pétrolières ou marchés à prendre, et leur rivalité permet à un Soudan ou à un Nigeria de les faire surenchérir. D’où l’utilité de renforcer coopération, confiance (sauf au plan militaire!), et codes de conduite.
En tout cas, l’investissement mutuel s’accélère.
Huawei (télécoms) a déjà à Bangalore son centre de R&D de 800 jobs, et va investir 200M$ dans une usine.
ZTE son rival monte à Haryana son usine de centraux CDMA – Code Division Multiple Access – (déjà 3M lignes produites par an), tandis qu’Haier bâtit son unité de production de 50.000 TV/ an—et ce n’est qu’un début, pour cette alliance strictement opportuniste, entre colosses condamnés à s’entendre !
Changchun (province du Jilin) compte, depuis octobre 2004, un héros inattendu : Li Tong, lycéen de 18 ans qui a créé en octobre 2004 la 1ère ligne téléphonique d’assistance sexuelle / psychologie du pays.
C’est au cours d’éducation sexuelle que sa révolte a débuté : rouges de honte, les profs n’en donnaient que 2heures/an, séparaient les élèves par sexes et limitaient leur pensum à l’aspect biologique. Pour leur part, les ados exprimaient leur misère émotionnelle par la violence, les hâbleries, les fugues et la solitude.
Alors Li prit sa décision: il laissa ses études pour ouvrir son téléphone rouge, au désespoir de ses parents qui quittèrent la ville, mais avec le soutien d’une tante qui prêta son appartement. Les fonds lui provinrent des maigres droits d’auteur de Mon coeur brillant, son 1er roman.
Depuis, il écoute 100 jeunes par semaine, et leur tient un message limité : « ne pas confondre amour et sexe». Cet apostolat qu’il s’est trouvé a quelque chose d’admirable, rappelant l’altruisme d’un Lei Feng, soldat maoïste mort au service du peuple.
Mais ce qui frappe surtout chez cette société entière, Li Tong lui-même, est le rejet d’un débat sur le plaisir, qui semble faire «pâlir, rien qu’en parlant du tigre» (谈虎变色 tan hu bian se). Quoique prétendant guider ses proches dans leur vie amoureuse, Li est puceau, et les gouttelettes qu’il jette dans le désert chinois du sexe, sont celles de l’abstinence. Mais le jour où il baignera dans le bonheur d’une amante, que prêchera-t-il à ses ouailles ?
— 11-17 avril, Pékin : International Machine Tool Show
— 15-20 avril, Canton : Foire de Printemps
— 10/04-10/05, Kunming : Festival de la culture et du tourisme