Le Vent de la Chine Numéro 4
Hu Jintao le Président chinois est en France (26-29/1), puis en Egypte (coeur du monde arabe où la Chine a des ambitions), au Gabon et en Algérie (pays stratégiques, producteurs de gaz et pétrole).
La visite française fut programmée en octobre 2000 entre Jiang Zemin et Jacques Chirac, afin de remettre sur ses rails une coopération parmi les plus anciennes, entre R.P. Chine et pays de l’Ouest, mais délitée par 10 ans d’incompréhension, après les événements de juin 1989.
Elle doit coïncider avec le 40. anniversaire des relations diplomatiques, et l’année de la Chine en France.
Cette 1ère sortie de Hu Jintao dans le monde, en 2004, a cependant d’autres enjeux tacites, de part et d’autre.
« La Chine espère », déclare un cadre au 外交部 Waijiaobu (Ministère des Affaires Etrangères) «que la France la soutiendra contre l’indépendance de Taiwan et le référendum». Il se trouve que l’île dirigée par Chen Shui-bian, leader du DPP indépendantiste, s’apprête à doubler son scrutin présidentiel de mars, d’un référendum (cf p.2).
Pour la Chine, l’initiative est inacceptable, et elle a déjà obtenu des US un lâchage partiel de leur petit allié.
George W. Bush estime peu sage cette question populaire destinée à assurer à Chen sa réélection, au risque d’une détérioration des relations sino-US. Fort de ce succès, Pékin veut obtenir la même prise de distance des Européens, France en tête!
Dans cette démarche, il faut noter la part de spectacle, et celle de raison :
Pékin a toujours exprimé une nervosité lors des scrutins taiwanais de 1996 et 2000, qui lui causent un double préjudice de « précédent démocratique à sa porte », et d’un « pas de plus dans la dérive de Taiwan vers l’indépendance ». Mais cette tension est moins patente que lors des votes précédents : Pékin se maîtrise, et mise sur l’intégration à long terme, par l’attraction inéluctable de son grand marché sur sa « province rebelle ».
A Paris, Hu Jintao a obtenu « directement et sans consultation avec le gouvernement français» (?) le droit d’un discours devant l’Assemblée Nationale : privilège, et enceinte puissante pour se faire entendre des Français et du monde sur toute question, y-compris taiwanaise.
D’autre part, cette mission de Hu ne comporte pas de contrat d’affaires. Pourtant, deux énormes chantiers sont guignés par la France (4 centrales nucléaires, le TGV Pékin-Shanghai), dont les choix par la Chine, fixeront aussi les filières à l’avenir—20 ans de développement et chance de synergie euro-chinoise. Il semble plausible de supposer qu’à qualité égale des offres (concurrence nipponne pour le TGV, américaine pour le nucléaire), la Chine fera pencher la balance dans le sens de ses alliances.
C’est ainsi qu’en grand silence, ce voyage comporte en filigrane un prix à payer—et que la France semble prête, et d’accord : l’offre de montrer patte blanche, à toutes fins utiles, pour l’avenir!
Quand tombent les flocons sur Shanghai et souffle le blizzard sur Pékin, les riches Chinoises ne rêvent plus que d’un manteau de fourrure – marché dont la croissance s’est emballée en 2003, dépassant les 40%, pour atteindre 1,1MM$ de chiffre, dont les trois quarts à l’exportation.
Ainsi Haining (Zhejiang) produit 25% du marché mondial des étoles, manteaux et vestes, et achète pour ses ateliers, chaque jour 100.000 peaux de marte, loutre, kolinski, écureuil, lapin ou goupi (espèce strictement indigène). Ces PME sont propriété d’intérêts shanghaiens ou de Hong Kong qui conserve, grâce à cette main d’oeuvre délocalisée, 60% du marché mondial.
Par ailleurs, les éleveurs du Nord et de l’Ouest produisent 1M/an de peaux de renard bleu ou argenté (27% du volume mondial), autant de vison, et des volumes importants d’Astrakhan, élevage grevé de coûts élevés d’aliments, et par une faible qualité technique (tannage, teinture). De toutes manières, pour les besoins des transformateurs chinois (marché intérieur + mondial), la production locale ne suffit pas : le pays importe 5M de peaux de vison, 1,5M de renards du Danemark et de Finlande, 40% du marché mondial!
Mais la Chine apprend. Pékin qui tient depuis 1975 sa foire aux fourrures (12-15/1 cette année, et 12.500 visiteurs du métier), s’apprête à ouvrir en mars sa 1ère vente aux enchères, technique assurant 90% des échanges mondiaux. Ainsi, la Chine veut se caler sur le marché extérieur pour le suivre en qualité et en prix. Les éleveurs sauront quelles espèces et quels équipements choisir, éliminant les risques d’erreur. Passant ainsi, enfin, à la vitesse de croisière !
Ÿ Cette année, la Chine engloutira dans ses entrailles industrielles un tiers de toute la production d’acier de la terre, de 900Mt.
Or, le n°2 mondial (en volume) LNM, coté à New York et basé aux Pays-Bas, ne dispose d’aucune base de production en Chine.
Voilà qui contredit l’objectif de globalisation du propriétaire, le magnat indien Lakshmi Mittal qui y exporte 2Mt/an, notamment de sa sidérurgie du Kazakhstan, via Urumqi (Xinjiang). Aussi LNM annonce un invest de 100M$ pour réhabiliter une usine de laminage à froid et galvanisation à Yingkou (Liaoning), dont la production sera portée à 400.000t/an, destinée aux industries (auto) et aux chantiers.
LNM sera propriétaire unique, garantie contre le piratage de son savoir-faire. La matière 1ère proviendra de ses aciéries kazakhes et roumaines, créant une intégration mondiale à meilleur compte que la concurrence astreinte à l’approvisionnement local.
Ÿ 1er gros revers pour Yang Rong, l’ex-PDG fondateur de la nébuleuse industrielle Brilliance (CBA) dépossédé de son bébé l’an dernier, en fuite aux US. Yang Rong vient d’être débouté par la Cour Suprême des Bermudes, dans son action pour bloquer le « transfert » de 39,5% de Brilliance d’une société-écran, la Fondation de Chine pour l’Education, et rapatrier 690M$ vers Broadsino, son groupe. Yang Rong va faire appel, plus pour l’honneur qu’avec le moindre espoir, vu le verdict catégorique (« Broadsino n’a jamais possédé ces parts »). Un autre procès est intenté devant un tribunal fédéral à Washington, contre la province du Liaoning. Yang espère encore obtenir une astreinte mondiale sur les BMW produites en JV dans les usines CBA, si celles-ci cherchaient un marché à l’export. Et à partir de là, négocier…
Comme pour permettre aux Chinois de prendre leurs congés le coeur léger, plusieurs lueurs de réformes bougent dans le tunnel administratif, annoncées juste avant le Chunjie :
[1] Projet le plus audacieux, une loi serait proche de l’adoption, privant la police de son droit arbitraire de placement jusqu’à 4 ans en laogaisuo 劳 改所, camp de rééducation.
Applicable dès 2004 ou 2005, elle imposerait une nouvelle procédure, les peines étant du ressort du juge, et pour 1 an max. La liste des crimes passibles de peine de mort serait réduite et précisée, et tout verdict obligatoirement confirmé par la Cour Suprême -qui pour faire face à cette tâche, devrait recruter 100 à 200 juges assesseurs.
NB : en 2002, selon Amnesty International , la Chine exécutait 1060 citoyens (et sans doute bien plus), et envoyait 250.000 autres en camp.
[2] Une réforme des taxes s’en vient, qui remplacera la taxe industrielle par une TVA. Le Dongbei (Nord-Est, région industrielle délitée) a été choisi comme région-test, et ce dans 8 secteurs (équipement, auto, chimie, chantiers navals, métallurgie, industries agro-alimentaires et high tech). Aussi exemptées de taxe à l’équipement, ces firmes reçoivent une chance unique de redécoller : voici deux outils du futur plan d’Etat pour la rust belt, ayant appris des faiblesses du plan pour le Grand-Ouest : moins de primes, plus de privilèges. Mais gare à la surchauffe!
[3] De même, est pressentie l’abolition de la taxe routière, remplacée par la taxe au carburant.
[4] Les 15 zones sous douanes de Chine vont être ramenées à 3 ou 4, et dotées d’un abattement de taxe sur tout produit local à l’entrée de la zone. Système remplaçant la restitution à l’export du produit, car payée avec un lourd retard, elle pénalisait ces zones au lieu de les avantager.
[5] Enfin, Pékin prévoit la création d’une agence nationale anti-trusts, corollaire de la création d’un grand marché unique. Ce projet inquiète des firmes étrangères (craignant qu’il ne fonctionne comme outil protectionniste). Dernière annonce : celle d’un plan draconien contre les accidents industriels, cause de 14.675 décès en 2003, +9%.
Ÿ En distribution d’électricité, Pékin poursuit la dérégulation.
Après le démantèlement du monopole (cf VdlC n°1, VIII) et la création d’une tutelle – la SERC-, s’est ouvert (15/1) à Shenyang (Liaoning) le 1er centre de trading, pour mettre les producteurs en concurrence, face aux distributeurs à travers le Dongbei (Jilin, Liaoning et Heilongjiang, 100M d’usagers, 1,2Mkm²), en un réseau unique.
Le système n’est pas encore opérationnel, en l’absence d’un mécanisme de fixation du prix. Une fois ce prototype rodé, 5 autres (5marchés régionaux) seront créés, couvrant tout le territoire.
NB : Une des difficultés, est de concilier garanties au producteur et concurrence : l’autorité profite du moment. Avec une production déficitaire, le problème de baisse des prix ne se pose pas!
ŸLes pétards saluant l’arrivée du singe soulignent aussi le bilan économique triomphant de l’année de la chèvre en Chine, son meilleur depuis 1996.
En hausse de 9,1 % (et non 8,5 comme publié 2 jours avant), le PIB pour 2003 atteint 1.400MM$, avec des pointes à 9,9%.
Malgré le SRAS, le revenu par habitant dépasse les 1.000 US$.
A presque la moitié du PIB, l’investissement augmente de 26,7% (fruit d’une politique agressive de prêts), la production industrielle affiche +17%, l’export +35%, le commerce intérieur +9,1%, pour une inflation limitée à 1,2%.
Pour l’avenir en 2004, Crédit Suisse First Boston voit une inflation de +3,9%, et un prophète officieux de la CASS, une croissance de 8,5% !
Le 16/1, le Président taiwanais Chen Shui-bian déclencha une vive réaction continentale en associant au scrutin du 20/3 (celui de son éventuelle réélection) un référendum de 2 tendancieuses questions.
Le pouvoir sollicite un mandat pour renforcer la défense de l’île suite au gonflement de l’arsenal de missiles chinois pointés vers elle (jusqu’à 500), et des directives pour l’ouverture d’un dialogue d’ «interaction» (sic) avec Pékin. La manoeuvre se déroule face à un électorat écartelé, quasiment moitié-moitié.
Lien Chan, l’adversaire KMT de Chen Shui-bian, voit sa position renforcée par l’annonce, le 20/1, d’un déficit commercial en plein explosion envers la Chine, 40MM$ (+26%) sur 58,4 MM$ d’échanges.
En apparence, à ce stade, le référendum ambigu et mal expliqué n’a rien apporté à Chen ni au DPP—mais à 2 mois de l’échéance, rien n’est joué!
Le vol du pétrole, ou du gaz, ou de l’électricité publique par des simples citoyens est un « héritage » socialiste – souvenir du temps où tout était gratuit, « propriété du peuple ».
Il est aussi une plaie des firmes de distribution : ces larcins insidieux leur causent des pertes en MM$ à l’échelle du pays.
La Cour de Putuo (Zhejiang) vient de jeter au cachot quatre faussaires qui pratiquaient le bricolage des compteurs, et avaient ainsi détourné pour 10.500$. Parmi ceux-ci, Liu Qiaoying, chômeuse, responsable des 3/4 du vol, prend 4 ans fermes, et 1200$ d’amende. Lourde peine, pour peu de chose. Mais la Cour a retenu le fait que Liu truquait les compteurs de tout le quartier, et avait créé sa «Cie de distribution», avec abonnements à tarif décompté (de 6 à 60$, selon usage) pour l’électricité détournée de Shanghai Electric. Le système fonctionna 2 ans, le temps de dévider la quenouille, pour les lourdes roues de la justice. Liu et ses trois employés furent épinglés et les 132 abonnés, invités à régulariser moyennant 83.137$ de contraventions – 3 fois le prix de leur fraude!
Sous le nom de Chang’an («Paix éternelle»), Xi’an était en l’an 1000, la 1ère ville du monde, riche d’1M de marchands rassemblés par la route de la soie. Aujourd’hui Xi’an, 8 M d’âmes, rêve à son glorieux passé, dont témoignent ses murailles, sa grande mosquée, ou ses soldats de terre cuite, âgés de 23 siècles.
Mais Xi’an cache bien son jeu: une renaissance est perceptible, activée par 5 ans de politique de rééquilibrage de l’Ouest, et une « botte secrète ».
Berceau des lettres chinoises, Xi’an la studieuse, compte 40 universités dont 16 « high tech ». Or, aujourd’hui la Chine (le monde) trouve toujours moins les cerveaux nécessaires à sa croissance. Voilà l’atout caché de Xi’an, qui s’affirme soudain 1er centre national de technologie!(cf Vdlc n°03 (IX))
A 1/4 d’h du centre-ville, le décor se mue en Silicone Valley. Les usines neuves se succèdent : Pepsi, NEC, Baxter (n°3 mondial du médicament)… Nous sommes au parc « high tech » de Xi’an, présenté par son Président Jing Junhai, professeur d’économie d’une 40aine d’années, pôle de développement grâce auquel la ville a eu 13,5% de taux de croissance.
Depuis 2001, le parc a engrangé 300M$ investis par les 1000 firmes implantées ou nées sur place : 3,7 par jour en moyenne, nées dans ses « incubateurs », et qui prennent la part du lion des subventions offertes par les programmes nationaux stratégiques de projets technologiques -depuis 1999, 40% de ses firmes actives sont dans les industries de l’information, 30% en optique, mécanique et aéronautique, et 20% en biotechnologies. Le parc est aussi en tête du pays en matière d’innovation.
Parmi ses espoirs d’avenir, figure Yanliang, complexe aéronautique qui produit déjà des pièces pour Airbus et Boeing. Yanliang lutte avec Shanghai pour produire le 1er avion de ligne purement chinois, de 100-150 places :
1ère chance de faire passer la Chine, en matière d’aviation, dans la cour des grands !
Liés comme les doigts de la main, Xiao Li et Xiao Wan partageaient tout à Zhunyi (Guangxi) : souvenirs d’enfance, travail à l’usine, copains !
Et puis un jour de déc. 2003, Li convola. En apparence, tout continua comme avant, jusqu’à ce soir du 10/1 de triste mémoire, où Li invita les amis à dîner. Wan fit une chose bizarre. Oubliant son habitude de boire et rire jusqu’à l’aube, il partit tôt, et poussa tout le monde à le suivre,“ pour que le couple se repose”.
Mais le lendemain à l’usine, ce ne furent que chuchotements et rires étouffés. N’y tenant plus, Li finit par demander à quoi rimait tout ce micmac. Triomphalement, Wan dévoila alors le mouchard qu’il avait caché la veille sous leur oreiller, et lui fit écouter leurs ébats nocturnes, comme l’avait écouté avant lui toute l’usine et toute la ville!
Dans l’esprit de Wan, il s’agissait d’une de ces 闹房 nao fang, blagues plus ou moins fines, sans lesquelles il n’est pas de mariage paysan en Chine. Mais la sienne comportait deux grosses différences : un mois de retard, et un acharnement technologique inamical. Pour tout dire, l’acte ressemblait comme deux gouttes d’eau à une jalousie, face à ce mariage vécu comme une trahison. Xiao Li et sa blonde ne trouvèrent pas ça drôle: ils demandèrent réparation à l’amiable, puis n’y parvenant pas, portèrent plainte la semaine passée. Pour le viol de leur intimité, ils revendiquent des excuses publiques, et 2 ¥ de pretium doloris.
Voilà comment à Zhunyi, les amis séparés offrent une illustration biblique de l’expression 反目 成仇 fan mu cheng chou – “se défiant du regard, désormais pleins de haine”!