Le Vent de la Chine Numéro 7

du 24 février au 9 mars 2003

Editorial : Tianjin sur les starting blocks

Deux événements font que depuis des semaines, plus rien ne se dit publiquement en Chine : la tension avec les US autour de l’Irak et de la Corée, et l’imminence du changement de gouvernement (5 mars, Plenum de l’ANP) !

Ceci nous donne loisir d’évoquer Tianjin (10M d’habitants), qui quitte soudain sa léthargie pour se plonger dans des plans pharaoniques d’urbanisme futuriste.

Tianjin en a les moyens: 20 ans d’industrialisation, sa zone TEDA, son port de Tanggu lui assurent en 2002 un PIB de 24MM$ dont 20% en services : 1er revenu de Chine du Nord, supérieur à Pékin. Elle s’offre donc un époustouflant ravalement, à 24MM$ sur 15 ans, dont 2,4 d’ici 2005.

l Avec ceux d’autres métropoles chinoises, ce plan offre bien des similitudes: démolition massive de quartiers traditionnels, gigantisme et spéculation autour de chantiers aux noms ronflants – «Héritage, Loisirs, Business, Intelligence, Maritime»...Déjà 18Mm² ont été abattus et 1,5M de gens relogés -apparemment satisfaits car bien compensés. 15km² seront rebâtis au centre, 300 en banlieue, sertissant de béton quelques 100aines de joyaux historiques -temples bouddhistes, ex-concessions étrangères…

Ce sacrifice permet à la ville de se redessiner selon ses rêves, et selon les canons de l’esthétique la plus récente. Dès 2003, on (re-)construit 4 routes, 2 ponts, des centrales d’épuration, une ligne de métro sur berges, ainsi que 7 zones d’1M m² ou plus chacune, alternant parcs, marinas, stades, un opéra, deux musées, et les inévitables tours d’hôtels, de logis, de bureaux et de commerces. Variété et qualité du design seront garantis par la présence dans le concours de 38 architectes étrangers.

l Par rapport à des villes comme Pékin, Tianjin a deux atouts : avoir commencé plus tard (évitant leurs erreurs), et disposer des 72km de la rivière Hai, hier pour ses usines, demain pour ses loisirs. Du centre-ville à la mer, un concept global a été imaginé, avec zones à vocations distinctes, promettant une ville plus verte et ludique – plus attractive pour les affaires. Le financement se fera à toutes les sources: investissements publics, BOT, et surtout achats fonciers par une bourgeoisie locale enrichie (6000$/an /ht en 2010), fière de s’afficher, après 50 ans d’effacement dans l’ombre de Pékin, comme une des villes les plus créatives du pays!


A la loupe : Tianjin – de chômeuses à businesswomen

La Chine compte 500 incubateurs – destinés à soutenir la création de PME, qui font 8 emplois sur 10  en ville et 75% du tissu industriel national. Parmi elles, l’Incubateur pour femmes d’affaires de Tianjin fait exception, en parrainant non pas les secteurs high tech mais les chômeuses. A Tianjin, le chômage féminin est un problème puisque la femme y est 40% de la main-d’oeuvre, mais 60% des sans-travail enregistrés. Créé en octobre 2000 par la Fédération des Femmes avec l’UNDP et Ausaid (agence australienne), ce centre a changé la vie de 2700 foyers, en prêtant un total de 660.000$, permettant à des femmes de fonder 51 PME, source de 60.000 emplois.

A chaque dossier retenu (sur la base de la motivation et du plan de la candidate), l’incubateur offre près de 500$ sur 3 ans, sans intérêts, une salle dans ses locaux, une formation et une assistance par des experts. En 2 ans, les prêts auraient été remboursés à 100% – même si 20 des PME d’origine se sont «retirées», dont 4 en échec.

Les projets tournent autour d’aliments enrichis, de couture ou macramé et autres filières à basse technol. La production est écoulée localement. L’exemple le plus moderne étant une firme d’équipements d’épuration des eaux usées ayant grandi à 300 employés et 240.000$ de chiffre/an.

Le modèle de Tianjin fait tâche d’huile. Anxieux de résoudre ses immenses problèmes d’emploi, Pékin vient de lancer en janvier (VdlC N°3). un programme national de micro-crédit directement inspiré de lui, garantissant à tout chômeur un prêt bancaire de 2600$ sur 2 ans !


Joint-venture : Siemens, le portable du footballeur

· Début février 2003, une mystérieuse épidémie de pneumonie sema la panique autour de Canton (305 cas,5 morts). A prix surmultipliés, des dizaines de milliers de bouteilles de vinaigre blanc et autres remèdes traditionnels se vendirent. Le fléau à présent jugulé, l’autorité enquête sur Roche, soupçonné d’avoir contribué à cette ambiance par un SMS du 9/2 qui identifiait le mal comme fièvre du poulet et comme remède efficace, son antiviral Tamiflu. Le SMS avait fait boule de neige: 105000 boîtes de Tamiflu se seraient vendues en 5 jours. A l’origine, Roche semble avoir tenu (9/2) une conférence de presse sur son médicament, ce qui n’a rien d’illégal. Roche s’inscrit en faux et réserve ses droits contre ses détracteurs.

NB : selon les médecins, l’origine de l’épidémie était bactérienne (chlamydia) et non virale !

· Pénétrant tard le marché chinois du portable, Siemens endosse la tunique de sponsor exclusif de la CFA, association chinoise de foot. Ce mécénat signé le 11/2 porte sur plusieurs années, pour un montant secret (8M$/an selon la presse, beaucoup moins, selon un expert). Le 1er match télévisé sous le logo conjoint, le 12/2, a été suivi par 19% de l’audience pékinoise (selon Sofrès) -excellent taux. Siemens aura ainsi un ou deux matches de championnat/semaine en solo, et des centaines de M de fans. Mais pour remonter la concurrence, ce gadget suffira-t-il ?

· Malgré sa jeunesse, SAIC Chery ne craint pas la route : la JV shanghaienne avec GM (20%) s’ en va en Iran produire 30.000 voitures/an, avec le fabricant local SKT. Ce contrat sans nul doute dû aux bons contacts politiques, permet aux US de remettre un pied discret dans ce pays qu’ils durent quitter en 1979, après la Révo Islamique de l’Ayatollah Khomeini. A Chery, il permet de toucher un cachet -secret- en échange de pièces et de technologie. Basé dans l’Anhui, ce constructeur qui a vendu 50.000 voitures en 2002, veut doubler son chiffre cette année, pour 1,15MM².

NB: ce contrat admiré par la concurrence, n’est pas pour SAIC un coup d’essai : en octobre dernier, pour 60M$, le conglomérat avait repris 10% de la JV Daewoo-GM prenant ainsi pied, en Corée, dans une des bases planétaires de l’automobile.


A la loupe : Pékin/Vatican – un concordat qui dérange

Depuis décembre 2002 s’accumulent les bruits de reprise de contacts entre Pékin et Vatican, afin de rétablir les liens coupés par Mao en ’51 et rassembler les 12M de catholiques chinois. Les 2 capitales y ont intérêt croissant. La RPC veut renforcer les églises bona fide, pour enrayer les sectes, qui croissent dans les églises de l’ombre,profitant de leur formation précaire. Le St Siège demande un concordat,pour éviter le schisme : le dernier évêque formé par Rome, est décédé en 2001. Dès août 1999, une directive inspirée par Jiang Zemin préparait le rapprochement. Depuis 2001, le Pape multiplie les gestes,demandant le «pardon» chinois pour les «erreurs» passées et donnant son accord tacite pour transférer sa nonciature apostolique de Taipei à Pékin…

Or, chaque effort de normalisation a rencontré un veto différent, venu de l’un ou l’autre bord, des perdants potentiels. Le clergé taiwanais a discrètement milité contre la normalisation qui le priverait de l’ambassade-phare du St Père.

En juin 2000, l’Association Catholique Patriotique fit barrage -quand Zhu Rongji annonça qu’il serait reçu par le Pape au Vatican : sous un concordat, l’ACP, organe de contrôle de la foi, serait appelé à disparaître !

Le 18/2, Joseph Zen, évêque de HongKong, dénonçait devant la presse l’aggravation de la répression anti-catholique en Chine, et un risque d’interdiction pour son diocèse de 347.000 âmes, au terme d’une nouvelle législation locale imposée par Pékin.

L’Eglise de HK est redoutée par le clergé «patriotique» – étant par sa richesse et sa position, celle qui a le plus fait pour renforcer et aider les églises de l’ombre. Or cette influence et ce pouvoir d’ intervention de l’Eglise du «rocher» devrait forcément, suite à un concordat, céder le

pas à des formes d’action plus coopératives.

Persona non grata du PCC (interdit en Chine depuis 1998, en raison de son franc parler), Mgr Zen- se dit néanmoins prêt à se sacrifier à l’autel de la réconciliation, si nécessaire…


Argent : Chalco, l’alu chinois à toute vapeur

· N°2 mondial de l’alu et leader du marché chinois, Chalco poursuit sa marche forcée, en comptant sur les forces chinoises pour atteindre une position (en volumes et en prix) invulnérable. Avec pour partenaires Minmetals (trading) et la province du Guangxi, sa JV annoncée le 18/2 (la 3ème  depuis déc.) prévoit d’ici 2005 une usine dans le Guangxi, d’une capacité de 800.000t d’ alumine/an, d’un coût de 361M$ – 7ème du genre en Chine. Les 2 JV précédentes, fonderies d’aluminium d’une capacité de 530.000t d’ici 2005 ont pour partenaires Huazhong (HK) et Yichang (barrage des 3 Gorges!) au Sichuan, et Zhangze (Shanxi). Cumulés, les 3 projets atteignent 1,45MM$ d’investissement!

· Au 1/3, SDPC, SAFE et Min. des Finances ferment d’un tour le robinet de l’emprunt extérieur. D’ici là, les capitaux étranger dans les firmes étrangères ne pourront plus excéder l’écart entre capital enregistré et invest. autorisé. Cette mesure imposée par l’alourdissement des charges (JO de Pékin 2008, croissance de la SS), veut préserver pour l’Etat la capacité d’emprunt extérieur. Le même barrage est appliqué (20/2) au marché intérieur : la CSRC annonce le septuplement à 24.000$, du «ticket d’entrée» des firmes pour toute action ou obligation nouvelle. Ceci permet à l’Etat à la fois d’écrémer les nouveaux candidats à la Bourse pour en renforcer le niveau, et d’écouler ses parts non cotées d’EE. Tandis que le marché des bons reste son apanage: 60 MM$ de bons du trésor sont mis en vente le 20/2, promettant de battre en 2003 le record des 107MM$ émis en 2002. NB : entre les mesures obligées par les charges publiques incontournables, et le souci affiché de libéraliser les marchés financiers, la contradiction est patente.

· Inscrit au X. Plan, un des outils du rattrapage de l’Ouest arrive- le réseau électrique Ouest-Est, d’un coût de 4,26MM$, d’une longueur de 3750km en différents tronçons. Dès ’05, il acheminera 10gW vers la côte, pour en combler l’insatiable demande (+19% à Canton en ’02). Son impact vient d’être évalué par Lehman Bros: fa-ce à un tarif moyen à la côte de 20,5 fen, le kW/h hydraulique de l’Ouest, rendu sur place, coûte moins (19,2 fen). Pékin et Canton seront les 1ers à sentir la piqûre, dès 2004.Conscients du défi, les électriciens de la côte se sont prémunis en investissant dans cette concurrence: Beijing Datang au Yunnan, Shanxi et Gansu, Huaneng au barrage des 3 Gorges (3%), CLP au Shaanxi.

NB  : de principe politique imposé par Pékin, l’intégration du réseau électrique national se transforme en réalité commerciale.

· Un des plus gros conglomérats de houille et d’électricité (6MM$ de chiffre/an), Shenhua achète chinois : 17 turbines de 600mW commandées à Shanghai Electric Corp(19/2) pour 1,1MM². Record historique pour un contrat énergétique local. Livrables entre fin 2004 et 2007, ces 10gW seront installés à la côte, entre Canton, Zhejiang, Hebei et Shaanxi. Double du précédent, ce standard de 600mW permet un meilleur rendement anti-pollution. Pour SEC, ce contrat égale son chiffre global de 2002, et la moitié des investissements nationaux en génération électrique !


Pol : Chine-US/Entente verte pour l’OMC

· La Chine se souvient des 100.000 métallos de Liaoyang (Liaoning), descendus dans les rues en mars 2002 suite à la disparition du fonds de pension d’une usine en faillite, et de son directeur. Craignant de voir se matérialiser le vieux cauchemar d’un syndicat libre du type Solidarnosc, Pékin avait fait arrêter 4 leaders, dont 2

Yao Fuxin et Xiao Yunliang passaient en procès (huis clos)le 15/1 pour subversion. Alors que le verdict reste en suspens (peut-être dans l’attente d’une décision du nouveau pouvoir), la base reprend l’initiative, à en croire HRIC qui annonce (20/2) la reprise de négociations entre représentants des travailleurs et mairie, pour faire libérer les hommes avec, comme moyen de pression, la menace d’une nouvelle épreuve de force.

· Au 31/3, 22 pays membres de l’OMC doivent avoir esquissé une entente régissant les tarifs agricoles -ils en sont loin. C’est sans doute la principale raison du bon climat entre Robert Zoellick, Secrétaire d’Etat US au Commerce, et ses hôtes chinois le 17/2. Ce, en dépit (ou peut être, en partie, à cause !) des tensions sino-US autour de l’Irak, et d’une nervosité nette des farmers yankee face à la levée trop lente des barrières chinoises à leurs produits. Zoellick est reparti assuré que le marché US du soja OGM (1MM$ en ’01) resterait ouvert, et a complimenté Pékin pour ses «progrès». Wen Jiabao, futur 1er Ministre, lui a répondu par le souhait que la relation bila-térale se bâtisse «dans une perspective stratégique» : US et Chine veulent le démantèlement partiel des taxes, subventions, et quotas agricoles à l’OMC, contre le lobby Japon-UE, décidé à maintenir la protection de ses fermiers !

Dernière minute: Le Secrétaire US à la Défense et le min. russe des Affaires étrangères seront à Pékin les 24-25 et 26-27, Colin Powell pour tenter de faire pencher le fléau chinois vers son camp, Igor Ivanov pour militer dans l’autre sens


Temps fort : La grande muraille boursière se lézarde

Jinhua (Sichuan) repris à 51% par China Resource (HK), Geely (Ningbo, Zhejiang) repris à 40% par Guorun (HK): affaires «jumelles»!

Sous réserve du feu vert de Pékin, Jinhua, EE textile cotée à Shenzhen, passe à l’«étranger» (même si CR est de l’Etat chinois à l’origine). CR paie 8M² ces parts non cotées*. Bonne af-faire : il obtient un rabais de 81%, peut-être dû à un scandale de manipulation de son titre en janvier, qui l’a fait chuter d’1/3. Jinhua grossi-ra l’empire textile chinois de CR (6 usines), lui donnant le 3ème rang national et une capacité/an de 60.000t de fil et de 200M m² de tissu.

1er groupe auto privé, Geely recevra +- 50 M² de Guorun, société-conseil cotée à HK. Avec 4 modèles peu chers (6.000/17.000²), Geely a vendu 50.000 unités en ’02, mais vise 300.000 en ’05, voire 1M de voitures en 2010. Il pourrait y parvenir, grâce à un tour de passe-passe: une 1ère alliance a été signée en déc. avec Daewoo (import d’équipements), une autre pourrait suivre avec GM (maison-mère de Daewoo) – pour aboutir à une fusion dans le groupe GM – SAIC: en Chine actuelle, aucun privé n’a les moyens de mettre au point un modèle auto propre.

Mais l’intérêt de ces affaires, leur aspect novateur, est d’ouvrir aux bénéficiaires par la porte de derrière, les marchés boursiers jusqu’alors interdits par la Chine. Geely, grâce à Guorun, passe en bourse de HongKong où il aura accès, par exemple, au capital de GM. Tandis que dans l’autre deal, via Jinhua, le Hongkongais CR entre en bourse de Shenzhen, d’où il pourra lever des fonds pour financer ses investissements chinois (ports, grande distribution, bière, pétrole, chimie).

C’est ainsi que la mise en vente des actifs publics depuis janvier, se traduit par le contournement immédiat de la Grande muraille de la bourse chinoise, marquant ainsi le prélude à son démantèlement inéluctable!

* (dans toute EE en Bourse, seuls 30% des actifs sont cotés – 70% restent à l’Etat)


Petit Peuple : le double ‘oui !’ de Xiaoying

Bien des gongs ont vibré dans l’air frais de samedi 8/2, 1er jour de l’année propice aux unions. Mais dans ce village, le mariage de Guan Xiaoming fut compromis: sa fiancée Zhou Yingying avait disparu happée (éblouie) par les lumières de la ville. Sale affaire pour le père Zhou qui risquait les 8000Y (versés) de la dot, et de subir les lazzi des voisins et la haine tenace du clan Guan. «Il y a bien Hongying, la petite soeur», suggéra l’entremetteuse, anxieuse elle aussi de se sortir du mauvais pas. Tout le monde retint son souf-fle. Bonne fille, Hongying réfléchit: l’affaire était tentante…Et puis Xiaoming le fiancé était si seul et triste…Mais si Yingying l’aînée revenait inopinément? Xiaoying retarda sa réponse jusqu’à une heure avant la fête,et par son «oui!», déclencha les pétards du village. L’union fut célébrée sans manière ni tampon, Xiaoying étant mineure (17 ans) – il sera temps, plus tard, de régulariser. Ce genre de substitution de soeurs dans un mariage, est plus commune qu’on pourrait croire : elle a son proverbe:  jiemeiyijia, dans le lit conjugal, cadette et aînée ont échangé leur place!


Rendez-vous : Foire de la Chine orientale à Shanghai

·1-7 mars, Shanghai: Foire de la Chine de l’Est

· 4-6 mars, Pékin: Expo équipements hôteliers

· 5-8 mars, Pékin: Expo matériel de construction