Le Vent de la Chine Numéro 6

du 17 au 23 février 2003

Editorial : CRISE IRAKIENNE -VERS UNE NOUVELLE DONNE EURASIENNE !

Deux éclairs viennent de zébrer la semaine diplomatique mondiale:

[1] la dénonciation (12/2) de Pyongyang par l’AIEA, pour avoir violé un engagement en rouvrant un réacteur nucléaire. Ce processus ouvre la voie à des sanctions du Conseil de Sécurité (CS) – et à un lâchage possible de Kim Jong-il par son allié chinois.

[2] Le 2d rapport du chef-inspecteur Hans Blix (14/2), sur le degré de coopération de l’Irak avec le monde.

Mais dès le 11/2 intervenait un tournant capital : 3 membres permanents du CS, France, Russie et Chine se coalisaient contre l’exigence de Washington et de Londres, d’intervention armée immédiate. Jacques Chirac recevait à Paris le Président Poutine et appelait Jiang Zemin pour confirmer cette alliance englobant aussi l’Allemagne (membre non permanent). Deux résolutions s’affrontaient (14/2), celle des US, et celle de Paris pour un renforcement des moyens d’inspection en Irak.

Le bilan de cette ligue est capital : les US se voient refuser leur exigence, à l’ONU – et à l’OTAN. C’est une première historique ! Une alliance majeure émerge dans le monde, axe eurasien inspiré par Paris et Pékin. Le Pacte Atlantique demeure, mais non plus pour l’Europe, comme boussole montrant le Nord : il rétrograde au rang d’outil parmi d’autres, sur la palette des forums mondiaux.

Dans ce contexte, la crise Irak/Corée aura servi de révélateur à un vieux processus jusqu’alors invisible, de création d’une conscience eurasienne (commerciale, géographique, politique),et du sentiment d’une influence excessive des US hors de leur continent. Ajoutez à cela l’avènement en 2000 d’un Président Bush, vif à la détente, et néophyte aux affaires du monde: le résultat était inéluctable !

A présent vient le temps des actes. Le silence de S. Hussein – conforté par un message TV de Ben Laden (12/2)- devra entraîner ultimatum + guerre, mais de plus en plus probablement hors OTAN et ONU-, par les seuls US et leurs rares alliés : d’emblée, le front eurasien sert de catalyseur à une lame de fond pacifiste mondiale. Entre les trois pôles (US, Chine, Europe), le jeu des forces ne sera plus jamais comme avant.

NB1 : Pékin a déjà évacué en grande part son ambassade à Bagdad.

NB2 : sur la question coréenne, Pékin s’oppose à un débat au CS, inévitable après le jugement de l’AIEA : le blocage est complet !


A la loupe : Acier – leçon d’une mésaventure !

De plus en plus après 15 mois d’OMC, les réflexes de l’économie planifiée aboutissent à une impasse reconnue par les acteurs économiques chinois. L’évolution du marché sidérurgique depuis mai, fait l’objet d’un débat public tendu, entre producteurs et utilisateurs.

Baosteel, annonce (9/2) des ventes de 4MM$ et des profits de +65%, à 519M$, grâce à 3 mécanismes: la chasse aux gaspillages, la chevauchée fantastique de l’automobile (+53%), et la levée de quotas/taxes sur 5 laminés importés, mesure discriminatoire dont Baosteel, maître de 50% du marché chinois avec des clients tels General Motor ou Audi, était 1er bénéficiaire !

Mais pendant ce temps, l’utilisateur grinçait des dents, surtout l’électroménager aux marges étroites, contraint d’acheter chinois et de renoncer à une offre étrangère meilleure. N°1 mondial du micro-onde, Gallanz cria au désastre, dénonçant la 1ère hausse de prix dans son histoire : le Moftec fut contraint à faire marche arrière en janv. dernier (cf. VdlC n°4/VIII)).

D’où ce débat industriel,et la contradiction d’une administration protégeant un lobby au détriment d’un autre. La presse spécialisée appelle la mise en place d’un mécanisme de régulation des intérêts entre producteurs et consommateurs.

NB : C’est exactement ce qui se fait depuis 30 ans au sein des Comités consultatifs à la Commission européenne voire, aux US. Mais le fait que la Chine réclame de tels outils de concertation démocratique hors-PCC, et le fasse via la presse, en dit long sur la puissance du changement et la maturation très rapide de ce pays.


Joint-venture : Legend-AOL – la JV bat de l’aile

· Conformément au contrat «OMC», la Chine a procédé fin janv. au démantèlement de sa grande muraille contre le tabac étranger : la taxe passe de 65 à 25%, la licence spécifique tombe. Pour les géants Altria (ex-Philip Morris), BAT, Reynolds voire l’allemand Reemtsa, c’est le jour de gloire, après des années d’invest à fonds perdus. Avec un produit au coût de revient inférieur, une image très solide en Chine (exemple, Marlboro) permettant de justifier un prix double, et avec de solides alliances locales, ces leaders mondiaux sont sûrs de ravir d’ici 2005 jusqu’à 20% de ce marché de 80MM de paquets et de 38% de la production mondiale, aujourd’hui atomisé entre 146 producteurs, la plupart appelés à disparaître.

NB : Comptant dès maintenant 350M d’âmes engoudronnées, la clientèle chinoise du tabac croît de 18M/an – autant que le nombre des naissances. Ce, malgré les 1M de morts du tabac/an, et bientôt 2M selon le britannique Lancet). Mais le tabac, en 2002, a fourni 14MM$ au fisc chinois, 1er contributeur : impossible, pour longtemps encore, de résister à tel chant des sirènes!

· En juin 2001, Legend s’associait à AOL en une JV de 200M$. Le n°1 chinois du PC voulait se préparer au marché du contenu internet, pour le jour désormais proche, de saturation du marché du PC. Il s’agissait de créer avec le géant US un portail permettant de télécharger tous produits en mandarin, d’information,de divertissement, d’ études et d’échanges:concept ambitieux mais qui semble échoué. On apprend (10/2) que Legend a interrompu ses financements et repris la plupart de ses hommes dans la JV. Ceci est en rapport au désastreux bilan d’AOL en 2002 (ses 100 MM$ de pertes essuyées l’an passé), et au fracassant départ de 2 têtes dont Ted Turner, fondateur de CNN, filiale de Time Warner. Legend, pour l’heure, dément tout projet de se retirer…

· Après avoir depuis 20 ans reçu outillages et coopérations de tout l’Occident, les chemins de fer chinois exportent à leur tour : au Pakistan, l’allié de toujours, ils viennent de livrer un premier lot de 26 wagons passagers sur 175 contractés, moyennant 200M$. Un second convoi suivra, 8 locomotives puis 61 autres. Mais les ambitions chinoises vont beaucoup plus loin : dans le cadre d’un programme de réfection complète des chemins de fers pakistanais, une lettre d’intention (12/2) a été signée entre Dongfeng et Islamabad, envisageant la livraison de 1300 wagons de marchandises, 52000t de rail et de matériel de signalisation. Ce contrat étant assorti d’un prêt bonifié chinois de 150M$/15ans.


A la loupe : Quand la coopé sino-indienne s’éveillera…

Chine et Inde multiplient les paradoxes : pays les plus peuplés (1/3 de l’humanité), vivant dans la plus forte promiscuité (9,7% des terres émergées), ils réalisent pourtant la plus haute croissance (6 à 7% pour la Chine en 2003, et 5,5% pour l’ Inde). Nonobstant ces succès, un passé d’hostilité les laisse avec des échanges très médiocres de 5MM$ en 2002 – "peut faire beaucoup mieux" !

Mais poussés par la raréfaction des marchés, ces houleux voisins remontent la pente, cherchent à se- tel George Fernandes, le faucon indien ministre de la défense qui retire sa formule d’une Chine «ennemie potentielle n°1», pour admettre humblement : «à 70 ans passés, tel les anciens de la Longue Marche, j’ai mes convictions, et suis peut-être trop âgé pour en changer radicalement»…

A l’état natif, l’intérêt sino-indien se lit dans cette 15. Foire high tech à Delhi, avec la Chine invitée d’honneur : les contrats n’ont atteint que 15M$, mais les 6000 demandes déposées portent sur 1MM$ de marché, qui pourrait être contracté en oct., à Pékin, lors de l’expo Made in India. Le1er ministre Vajpayee, qui s’y rendra spécialement, pourrait alors y signer avec son collègue Wen Jiabao l’accord bilatéral de protection des invests, pierre angulaire de toute coopération commerciale.

Les rêves communs ne s’arrêtent pas là. Rien qu’en logiciel, où l’Inde domine avec 550.000 programmeurs (dont 100.000 au chômage), une synergie se met en place. La Chine n’en aligne que 150.000 (son déficit est de 350.000), mais elle est bien plus forte en ventes. Les analystes prédisent qu’en combinant les forces, l’Inde réaliserait 11 des 27 MM$ du marché chinois à l’échéance 2006 (il ne se monte qu’à 1,8MM en 2002), En plus de son marché direct qui ferait 38 MM$. Enfin, les "start-up" indiennes d’informatique ont un autre puissant incitatif à s’expatrier en Chine : les multinationales de l’électronique, entre Shanghai et Canton ont intérêt à les protéger, en tant que fournisseurs des talents que la Chine ne peut pas – encore- aligner!


Argent : Yichang – un aéroport à l’encan

· Plus que tout autre région, le Jiangsu peut illustrer l’adage«vivons heureux, vivons cachés!»: cette province riche et paisible n’éprouve pas le besoin de s’exporter – pas même à Pékin. Mais comme extension naturelle de Shanghai qu’elle enclave autour du delta du Yangtzé, recevant pléthore d’investissements que la métropole saturée ne peut plus absorber, cette terre de 74M d’âmes est passée l’an dernier n°2 national, avec 128 MM$ de PIB et +11,2%. Sa hausse a été plus vive encore en production industrielle (+15,7% et 42,8 MM$) ainsi qu’en investissement étranger direct, à +16,5% et 47 MM$. Quoique province natale de Jiang Zemin, le Jiangsu vient d’être confié à un partisan de Hu Jintao, Li Yuanchao, nouveau Secrétaire du Parti.

· A Yichang (Hubei), un patron de 36 ans vient de reprendre l’aéroport moyennant 68 M² dont 2/3 en rachat et 1/3 en réfection. A la tête d’un patrimoine d’une industrie laitière, d’une Cie d’aviation, d’hôtels et d’immobilier, Wang Junyao hérite d’un aéroport presque neuf, ayant reçu 0,8M de passagers en ’02 (trafic d’une capitale de province). L’avenir est prometteur, avec les croisières du Yangtzé et l’industrialisation qui s’en vient, attirée par les lumières du barrage des 3 Gorges. Le trafic aérien chinois a augmenté de 12% en 2002, et sera n°2 mondial en 2020. Cette opération, pour l’Etat, marque le coup d’envoi depuis janvier, des privatisations d’infrastructures collectives : des centaines de villes s’apprêtent à vendre qui, son aéroport, qui, son usine à gaz, de retraitement des eaux, des déchets, aux chinois comme aux étrangers, réalisant ainsi leur capital et se désengageant d’activités hors de leur vocation.


Pol : en route pour le stock d’or noir

· Etalé sur la quasi-totalité du Xinjiang, le Taklamakan, plus vaste désert d’Asie, sera peut-être un jour vaincu,suite à la découverte (publiée le 10/2) d’une nappe phréatique d’un volume immense –36 MMm3, équivalent du futur réservoir de 632km2 du barrage des Trois Gorges. La prospection systématique par les géologues du CGSB a coûté 5M$ en deux ans, permettant de localiser le gisement et sa 50aine de sources. Les responsables se donnent quelques années pour organiser l’affectation rationnelle de ce trésor et s’imposent d’emblée un plafond d’utilisation annuel de 1 MMm3 – seuil de renouvellement. En majorité éleveurs et cultivateurs de céréales et primeurs, les 90M d’habitants du grand Ouest (dont 10 M en pénurie permanente d’eau) devraient en jouir d’ici 2010, moyennant le montage d’un coûteux réseau de milliers de km d’aqueducs.

· En rapport avec la crise irakienne, Pékin accélère l’acquisition d’une réserve stratégique pétrolière. C’est Sinopec qui annonce un plan d’achats accélérés d’or noir russe et ouest-africain. Mais, alors que Daqing, gisement n°1 (épuisé), entame la décélération de son exploitation, le marché dépasse les 30 US$ /baril et pourrait atteindre les 50 US$, si la seconde guerre du Golfe éclate et s’éternise.

NB 1: en 1999, Zhu Rongji avait interdit l’import du pétrole, à l’époque où il oscillait autour des 10$/baril -occasion perdue! En sus de la réserve à acquérir, la Chine devra faire face à ses im-portations régulières, en hausse vive depuis des ans ; ayant frisé les 70Mt l’an passé (+15%).

NB2 : La Russie pour sa part, se profile en producteur majeur (1er fournisseur de la Chine; hors OPEP),ce qui lui permet de voir grand: dans son projet d’oléoduc d’Angarsk (cf VdlC N°3), selon Yukos le pétrolier russe, elle envisagerait de réaliser deux ouvrages en un : vers Daqing, pour satisfaire la Chine, vers Nakhodka pour plaire à Tokyo. Le tout en patte d’oie, pour 6 à 8 MM$ et 3700km de pipeline qui lui offriront la garantie de conserver la maîtrise de son marché.

· Accusé de terrorisme et d’espionnage, Wang Bingzhang vient d’être condamné à perpétuité. Kidnappé au

VietNam en été 2002, il avait été retrouvé 8 jours après, ligoté dans un temple du Guangxi. Etudiant dans les années 1970, dissident de la première heure, Wang avait été expulsé au Canada en 1978, après 2 séjours en prison. puis était monté à New York pour y lancer «Fédération chinoise», et « Printemps de Chine », deux mouvements haïs du régime. En ’98, encore, en-tré clandestinement en Chine, il avait été découvert et expulsé. La libération-expulsion de Wang est assez inéluctable – comme pour tout résident US -pour éviter une tension sinon inévitable


Temps fort : Le printemps vient par SMS !

Pour leurs voeux, un nombre incroyable de Chinois ont troqué la traditionnelle carte rouge pour celle SIM de leur portable, via la messagerie (SMS): la semaine du chunjie, pas moins de 7MM de ces petits messages sur écran ont été échangés, 9% du total de 2002.

La raison du succès, est la plus vieille du monde : à 0,1 yuan, le SMS coûte 8 fois moins qu’une minute de téléphone portable à 0,8Y, partagé entre les deux correspondants. Mais les EE de téléphonie se rattrapent sur le chiffre: les 6MM de SMS de Ch. Mobile durant le chunjie (huit fois plus qu’au chunjie 2001) lui rapportent 72M$. Avec 1MM de SMS, le rival Unicom (China United) enregistre une progression équivalente.

Ce trafic, par ailleurs, profite aussi à internet: 25% des SMS sont d’habitude émis depuis des PC, et 33% durant le chunjie : sur l’année, un portail à haut débit comme Sina.com, tirera de ce trafic le doublement de ses profits. La période faste s’est poursuivie à la Saint Valentin et à la fête des Lanternes (les14 et 15/2).

Une autre source de profit tient au MMS, lancé depuis octobre : bien plus cher (0,9Y), il permet d’envoyer photo ou petite musique de nuit : 2M de MMS ont circulé en 2002 – c’est l’avenir!

Unicom et China Mobile vivent donc des jours fastes. Le MII y contribue en reportant de 18 mois toute nouvelle licence en standard 3G (à large bande) : le but avoué, étant de laisser les exploitants du standard 2,5G étoffer leur réseau et leur fonds de caisse – avant la bataille!

Autre moyen de casser le prix du portable, testé à Canton : le leader en ligne fixe, Ch. Telecom vient de rouvrir son service controversé, de bascule de l’appel par portable vers une ligne fixe, permettant à CT d’empocher la facturation, et à l’usager du portable, de payer beaucoup moins (68Y l’abonnement, plus une redevance non précisée).

NB : une 1ère JV de services internet sans fil (par mobile) vient d’être autorisée : entre Unicom et le coréen SK Telecom, n°1 en son pays, qui prendra 49% d’une JV encore à négocier.

 


Rendez-vous : Pékin : Foire des technologies de l’info

· 25-28 février Shanghai : Foire du bois de construction

· 27 fevrier-2 mars Pékin : Foire et séminaire des technologies de l’information