Le Vent de la Chine Numéro 4

du 27 janvier au 9 février 2003

Editorial : Le cheval est mort – vive la chèvre

La transhumance d’hiver s’est ébranlée: 45M de voyageurs/jour, 1,8MM (+3,7%) attendus d’ici le 25 février, en avion (8,7M), en train (130M) et surtout en bus. Ils voyagent mal, souvent debout, encombrés de lourds trésors, bidons, ballots, quartiers de lard, TV… Cadeaux des «riches» citadins à leurs   soeurs et pères, heureux d’être une fois l’an réunis au village, en un semblant d’égalité, la nuit du  Chunjie, printemps lunaire, le 31 janvier!

Pour certains, la fête a goût amer: maçons grugés par des patrons indélicats, qui menacent de se suicider (et parfois, passent à l’acte), paysans ruinés qui séquestrent leur percepteur ou policier potentat local… L’Etat, en ces temps, tente de se faire aimer. Pékin multiplie les bonnes résolutions : étoffer les aides d’accès au logement pour pauvres, réduire les accidents du travail, et traquer la corruption, bien sûr!

1000 métiers se surmènent pour exploiter au mieux le marché gras mais éphémère de la fête astrale. Les restaurants affichent complets depuis des mois pour leurs réveillons aux prix extravagants (jusqu’à 240$/tête). Sur«bookés» avant l’année de la  chèvre, les hôpitaux multiplient les césariennes contre la montre : les familles tant qu’elles peuvent, évitent ces héritiers-cabris de l’an 2003 que l’on annonce comme : (sic)  «opportunistes…velléitaires… caractériels et moutons noirs de la famille »: les médecins attendent un déficit annuel de naissances de 5% (-1M).

Enfin, la police travaille dur pour imposer l’interdit des pétards rituels: à Shanghai le 20/1, 10.000 caisses ont été détruites, d’une valeur de 240 M$, autant que le montant national des primes de délation.

Signe de 2002, le cheval était dangereux dans sa fougue : la chèvre sera «Yin», eau, et patience, pétrie de bon esprit (d’équipe), de créativité et d’art. Elle est  aussi symbole de vie par sa couleur noire, opposée au blanc funéraire. Les chinois en attendent donc l’apaisement des conflits planétaires en cours. En économie, les maîtres du  fengshui (géomanciens) promettent stabilisation et relance douce. « Mais», précisent-ils, gare à une attaque sur la bourse passé août, car « souvent chèvre varie!» -faisant allusion aux sautes d’humeur notoires des capridés.

A ce détail près, le nouveau n°1 Hu Jintao,  ne pouvait rêver signe plus propice, pour faire en douceur son entrée sur scène 


A la loupe : Promotions – LE BLITZ DE Hu Jintao

A six semaines de sa prise du pouvoir, comme Secrétaire général et Président, Hu Jintao a installé ses hommes (anciens de l’université Tsinghua, de la Ligue de la Jeunesse communiste, de l’Ecole du Parti ou des régions de l’Ouest) dans 11 de 27 postes stratégiques, dont 6 positions de gouverneurs, maires ou secrétaires du Parti.

La semaine dernière voyait les élections des leaders de 9 provinces ou régions autonomes. A l’instar du nouveau Politbureau, la couche dirigeante des provinces est rajeunie (58 ans de moyenne) et éduquée – mais pas seulement en ingénierie. Exemple: Li Keqiang, 47 ans, docteur en économie, devient Secrétaire général du Parti et Président de l’Assemblée populaire du Henan. Hu contrôle aussi, désormais Guizhou, Ningxia, Hunan, Hebei, Guangxi, Sichuan, Yunnan, Mongolie Intérieure, Guangdong et Shanghai.

Hu parvient à imposer Meng Xuenong comme maire de Pékin, à la place de Liu Qi, l’homme de Jiang Zemin. Faisant de la guerre à la pauvreté son cheval de bataille, Meng, 53 ans, veut offrir une prime de 7200$ à 60000 foyers modestes, comme aide à l’accès à la propriété, et exacerber la construction de logis à bas prix.

Par ailleurs, parmi moultes bouffées de réforme politique en l’air, Siyang (1,2M hts, Jiangsu) fait dans l’inédit. Voyant dans l’incompétence de ses cadres la racine de son indigence, il a fait voter par 40000 actifs les 9 policiers, cadres et garde-pêche les plus haïs : ils ont été rétrogradés 6 mois, salaires tronqués. Pire,  ils furent contraints à faire leur autocritique 


Joint-venture : Piratage – un partout, balle au centre

· En novembre 2002, le Moftec imposait de nouveaux tarifs douaniers de 10,3% à 23,2% sur 5 produits sidérurgiques, avec quota de 5,1Mt sur 5 mois, portant sur 59% des imports. Or, trois de ces produits (tôles fines laminées à froid, inox, et revêtues-colorées) viennent d’être exemptés à compter du 1/2. Pékin recule, suite à la demande de ses utilisateurs d’aciers fins dans l’industrie électronique: en un mois, leurs commandes ont épuisé plus de la moitié des quotas. Renchéri par des groupes comme Midea (climatiseurs) ou Wanbao, Galanz, n°1 mondial du micro-onde, annonçait déjà une perte de 120M$, et l’obligation, pour la 1ère fois, d’augmenter ses prix de 30% – c’était un trop mauvais signal ! 

NB : de mauvaise grâce, Shougang, 3e aciérie chinoise, s’ébranle de Mentougou, sa base pékinoise – écologie et JO obligent. Dès ’04, cet «Etat dans l’Etat» transfère le quart de ses coulées et fourneaux à Qian’an (Hebei). D’ici 2008, avec pour 7,7Mt de capacité déplacée, 75% des aciers de Shougang seront made in Hebei.

¸Le piratage intellectuel résiste coriacement aux efforts toujours plus formidables pour le combattre en Chine. La bataille autour du film «Hero», de Zhang Yimou  navet au demeurant, mais coqueluche de la saison), en donne un reflet rare. Lors de la séance inaugurale à Shenzhen, les spectateurs furent passés au détecteur. Sacs, portables et montres restèrent au vestiaire – on sonda même les lunettes, en quête de caméras digitales miniaturisées. Pourtant, quelques jours après, les DVD circulaient sous le manteau, à 7Y/pièce.1500 km plus à l’ouest à Xi’an (Shan -xi), une ouvreuse de cinéma, interrogée par la police après la disparition des bobines, s’était je-tée d’un 6. étage… Même problème avec Harry Potter, où le triomphe du 1er film fut suivi d’un déluge de gadgets pirates : à la veille du lancement du 2d film, l’auteur J.K. Rowling et la Cie Warner rappellent qu’en Chine, seul Coca Cola peut se prévaloir du petit magicien pour promouvoir sa potion magique. Mais dans ce domaine, une bonne nouvelle arrive à point nommé pour prouver que la guerre aux faussaires n’est pas perdue d’avance : après 4 ans d’efforts, Lego remporte une victoire éclatante sur son contrefacteur: le tribunal supérieur de Pékin a confirmé que 33 aspects brevetés du jeu de construction danois avaient été copiés par Coko (Tianjin), qui doit laisser la justice faire détruire les matrices litigieuses, payer une compensation à Lego et publier des excuses. C’est une 1ère qui fera date 


A la loupe : Monnaie, banques -remue-ménage en l’air

La Conférence financière centrale (22-24/1, Pékin) a éclairé des années de réforme future du secteur :

[1] La libération des sorties de devises progresse, permettant aux firmes de poursuivre leur expansion hors du pays tout en relâchant la pression à la hausse du Yuan. En 2003, 8 provinces/villes pourront valider telles sorties, pour un volume max. d’1,6M$.

[2] La Banque Populaire de Chine sera scindée. Son double, la CBRC, la Commission de régulation bancaire, serait confiée à Liu Mingkang (actuel Président de la BoC, la Banque de Chine)!

[3] Un refinancement des 4 Soeurs se prépare. BoC, CCB, ICBC et BoA recevront soit 40MM$ en argent frais, soit 156MM$ en transfert de mauvaises dettes vers leurs structures de défaisance. Geste inévitable, pour donner aux banques une chance de réduire leurs passifs (367MM$, selon dernière estimation), de 25 à 15% d’ici 2005. Ce sera la 3e action du genre après les 32MM$ octroyés en 1998 et les 170MM$ de dettes transférées en 1999. Le système se doublera de punitions aux banquiers auteurs de nouveaux prêts insolvables : pratique désormais à éradiquer prioritairement.

[4] Les banques verront sous 5 ans, leurs taux d’intérêt libéralisés, à la campagne puis en ville, sur les prêts puis sur les dépôts (cette dernière réforme, en dernier, une fois les banques rentables).

NB : un réseau de banques privées rurales se met en place, pour remplacer les 50.000 coopé ruinées.

[5] Les banques tenteront de diversifier leur capital:

La BoC, qui (comme les 3 autres grandes), annonce des profits pour 2002, 1,35MM$ et +2,4% de profits après déduction de réserves pour dettes, fait savoir qu’elle vendra des parts, avant son passage espéré en bourse d’ici 2005. Peut-être à Standard Chartered, qui en possède déjà 0,4% (50M$).

[6] Une ouverture sévèrement limitée est en cours, aux actions en Bourse pour l’étranger (par le système QFII), aux obligations pour le privé, ainsi que des banques institutionnelles internationales telles ADB et IFC, dont les titres pourraient constituer la référence d’un indice. La porte s’entrouvre aussi (23/01) aux marchés à terme, pour le courtier étranger, qui peut ouvrir ses JV.


Argent : A Canton, c’est la foire…

· Pour la rondelette somme de 482M$, Guangzhou ouvrit à l’automne 2002, sur l’île de Bazhou, le plus grand palais des expos d’Asie et le 2nd au monde. La phase I s’étale sur 395.000m2,  entre 15 halles au design japonais. L’ennui est que Guangzhou dispose déjà d’un centre d’expos, siège de la Foire de Canton. Il est propriété du Moftec, qui vient de le rénover deux ans avant : l’enjeu était bien sûr le transfert de la foire à Bazhou, et celui de ses loyers vers la mairie – qui n’avait rien demandé au ministère. Ce qui devait arriver, arriva : un bras de fer, et le blocage : la prochaine Foire de printemps (15-30 avril) se tiendra sur l’ancien site. Les négociations se poursuivent – la ville n’a pas l’air de tenir en mains beaucoup d’atouts.

NB: Canton n’est pas seule à collectionner, faute de concertation avec la capitale et des villes comme HK, des «usines à gaz» de prestige sans utilité : Zhuhai s’est offert un aéroport à 831 M$, qui reste vide : aux alentours, se trouvent 4 autres aéroports, dont Macao, sa voisine.

· N°1 de la grande distribution, le shanghaïen Lian Hua prépare pour mars son entrée en bourse de HK et veut y placer 25% de ses actifs, pour 120M$ – si tout va bien. Entre 1900magasins et 20 hypermarchés, Lian Hua a réalisé 2MM$ de chiffre d’affaires en ’02. Dans sa stratégie d’expansion, ses patrons avouent prendre la brasserie Tsingtao pour modèle,dans sa stratégie d’acquisition à-tout-va, pour atteindre une masse critique et contrer un étranger plus fort en capitaux et savoir-faire. En 2002, moyennant 48M$ d’investissements, le groupe a repris 600 magasins, gonflant ainsi son parc du tiers. Pour cette année, Lian Hua compte passer à 2900, tandis que ses hyper-marchés devraient quintupler à 100 d’ici 2005 -tout ceci, sans dépasser un endettement de 70% de ses actifs, affirme-t-il, sans cependant dévoiler ses profits -notoirement inexistants comme dans tout ce secteur en ces temps d’expansion boulimique, et de dumping !

NB : n°2 national, le pékinois Hualian poursuit une stratégie très similaire, prétendant passer de 56 grands magasins en 2002 à 106 d’ici 2005  

· Poursuivant l’objectif d’amortissement accéléré du gazoduc Urumqi-Shanghai (4200km), PetroChina annonce un gain de 12 mois sur la date de mise en service- désormais fin 2004. Le premier tronçon (Mongolie-Shanghai, 1516km), acheminera dès oct. le gaz mongol vers la «tête du Dragon». Dès le 20/1, le consortium annonçait pour les 2,8MMm3 livrés à Shanghai en 2003, l’existence de 17 clients fermes. Leur identité reste cachée, comme le prix contracté. Ce qui suggère un prix cassé – PetroChina attendait 1,3 Y/m3, tandis que l’électricien Huaneng n’était acheteur qu’à 0,9Y/m3… Mais vu la stratégie suivie (la décision politique de construire, hors étude de marché), et l’existence d’alternatives au gazoduc, il n’y a pas trop de choix pour trouver une clientèle à l’ouvrage, dont la capacité passera à 12MMm3 fin 2004, et à 18 MMm3  plus tard !


Pol : Réforme de la presse, sur des oeufs

· Dans sa jeunesse,à bord de son chasseur nationaliste, Chang I-Sung guettait le Mig à étoile rouge s’aventurant sur le détroit. Dimanche 26 janvier, changement de programme : il pilotait un vol direct de China Airlines(taiwanais), Shanghai/Taipei – le 1er  depuis 1949. C’était une révolution, négociée durant des mois par John Chang, petit-fils de Chiang Kaichek. Résultat incroyable, si l’on sait la méfiance entre ces frères ennemis chinois craignant l’un, que Taiwan ne lui échappe et l’autre, que la Chine ne le dévore. Aussi les 2 bords ont-ils assorti ce voyage d’un fatras de précautions, comme forcer les avions à une escale inutile à HK ou Macao, ou limiter ces vols au nombre de 16, et seulement pendant les fêtes du printemps lunaire. D’ailleurs, le feu vert étant tombé très tard, un tiers des 1600 places n’a pas trouvé preneurs. Mais l’essentiel est ailleurs : pour la 1ère fois, les deux gouvernements donnent la preuve qu’ils coopèrent. Sujet qui animera Chinois comme Taiwanais, lors de leur réveillon vendredi 31, et en tout cas, la porte à peine entrebâillée entre les rivages du détroit de Taiwan, ne se refermera plus !

· « Nous avons traditionnellement trop insisté sur la nature idéologique de la presse, négligeant ses aspects commerciaux » : cette opinion de Liu Binjie, n°2 de l’ANPP, l’administration nationale de la presse et des publications, résume bien la réforme en cours. Pékin se donne 10 ans pour réconcilier la presse avec les profits et moderniser ses structures. Pour empêcher les titres de mentir sur leurs tirages afin de gonfler leurs recettes de pub, des JV de sondage seront créées afin d’établir leur circulation réelle. L’étranger pourra aussi entrer sous 3 mois dans la distribution, partout en Chine. D’ici juin, les journaux, si déficitaires, devront remettre un plan de restructuration. Les librairies seront fusionnées en chaînes. La censure sera allégée – par l’abolition des différents rangs de journaux selon leur degré d’allégeance au PCC.


Temps fort : Industries de l’info -2003, la consolidation

Contesté des industriels étrangers comme des chinois, Wu Jichuan, ex-ministre du MII, a pourtant réussi l’exploit de porter son secteur au 3e rang mondial, au rythme marathonien de +24%/an depuis 1997 : en 2002, les industries de l’information sont le 1er secteur en Chine avec 169MM$ de ventes dont 55% à l’export (+42%), et 15% des JV du pays. Mais l’âge d’or se termine : pour 2003, Wu estime la hausse du secteur à 17% seulement, (-7%). Wang Xudong son successeur devra vivre avec un effondrement de l’export (à +8%). A +9,5%, les télécoms croîtront d’un tiers en moins, leur investissement régressera de 0,2%, à 25 MM$, et les nouveaux abonnés au portable seront 52M, contre 61M en 2002 ! Ce qui n’empêche Philips de préparer l’avenir, par une JV avec Samsung et Datang, pour concevoir et licencier des cellules «3-D», type TD-SCDMA -20% du marché du portable serait à prendre, d’ici 2008.

Face à l’érosion des télécoms, l’informatique gardera une croissance ferme : la Chine tient 45% du marché asiatique, et dépassera en 2003  le Japon comme exportateur n°1, avec 13,5M de PC contre 13. Le marché chinois conservera une hausse de 18% contre 16% à l’Asie et 4% au monde. Le leader reste Legend, avec 13,2% de l’Asie en 2002  et une hausse des ventes de 24,4%, à 903.000 au dernier trimestre.

Sur ce marché, les investissements étrangers vont bon train. IBM installe le 1er centre de R&D de software à Dalian (Liaoning), jusqu’à 4000 employés d’ici ’05 -pour le Japon. Intel poursuit un investissement entamé en 1996 à Shanghai : 500 M$, dont 300 déjà payés et 200 d’ici ’05 pour assembler le Pentium 4. Voyant la reprise du marché des semi-conducteurs, NEC rajoute à Shanghai 85M$, d’origine locale, dans son usine NEC-Hua Hong (dont elle contrôle 29%), pour en porter le débit mensuel de 20.000 à 32.000 gaufres de silicium de 200mm : ce sera une des plus importantes unités du pays.


Petit Peuple : Mariée en rouge – mari en menottes

· La mariée était en rouge dans la salle de bal, ce glorieux matin du 28/12 à Shenyang (Liaoning), flanquée de son époux Qianwei qui distribuait cigarettes et verres de shaoxingqiu (vin jaune). Soudain,  huo cong tian jiang, le tonnerre tomba du ciel, sous la forme d’une escouade de policiers par toutes les portes, qui embarqua Qianwei menotté : adieu, limousines noires et ballons rouges, noces et banquet ! Les familles durent rentrer chez elles, avec pour tout rouge, celui de la honte aux tempes ! Qianwei avait fait une bêtise. Impécunieux, pour se payer le mariage de classe sur lequel personne en Chine ne peut se permettre de faire l’impasse à moins de cesser d’être pris au sérieux le reste de sa vie, il s’était mué monte-en-l’air, et à l’aide d’une corde, d’un couteau et d’un faux revolver, avait braqué nombre de foyers. La police était remontée jusqu’à lui mais manquant de preuves,avait imaginé de  yu qin gu zong, «retarder le moment de frapper», pour le saisir au moment le plus vulnérable! L’affaire fait du bruit. Le Journal de la loi (édition du Liaoning) trouve que si la police se devait d’arrêter l’homme, elle a usé d’un procédé abusif, en brisant inutilement a vie d’une innocente jeune femme. Par cet incident instructif, un tabou rare est révélé: en Chine, les noces, c’est sacré – même pour la police!