Le Vent de la Chine Numéro 33

du 19 au 25 octobre 2003

Editorial : Shenzhou V – la mise sur orbite de Hu Jintao

Le 15/10, la Chine entière vécut rivée sur la TV,  suivant les révolutions de son vaisseau spatial Shenzhou-V, à Jiuquan (Gansu) Juste avant le départ, le pilote Yang Liwei avait été salué par le Prsdt Hu Jintao, sans Jiang Zemin, l’auteur du projet.  Lieutenant-colonel de l’APL, Yang, 38 ans, était le fils d’un petit comptable et d’une institutrice du Liaoning –région ruinée. A ce titre, il était l’image même de l’espoir chinois, parti de rien pour monter un beau matin, après des décennies de labeur, « dans les étoiles » !

La date du décollage, 12h après la fin du Plenum n’était pas innocente : cet événement médiatique permit de gommer un changement de cap, sur lequel Pékin ne souhaitait pas s’étendre.

En 21 h., Shenzhou-V fit 14 tours de la terre, à 335 km de distance. Le lanceur Longue Marche CZ 2F était le plus puissant jamais produit en Chine (480t charge utile), et la capsule la plus lourde sur terre (8t). Le 16/10 comme prévu, la cabine se posa en douceur, freinée par parachute, sur la plaine désertique, dans l’aube mauve mongole.

Le coût de Shenzhou est lourd : 2MM$/an. Sans apporter d’acquis scientifique ou militaire nouveaux — s’agissant du remake d’une expérience vieille de 35 ans. Dans ces conditions, pourquoi un tel effort? « Dans un but éducatif », dit Gu Yidong, patron du programme. Voire de prestige, comme le fit aux US des années ’60, le programme Apollo. Juste après, un haut cadre déclara cette mission “aussi significative dans l’histoire du pays, que son 1er tir de fusée (1970) ou son 1er tir nucléaire (1964)”!

Mais Shenzhou est aussi un programme à long terme. Shenzhou.-V sera suivi

1. d’exercices de rendez-vous

2. et d’arrimage,

3. d’une station permanente, puis

4. d’une base lunaire.

Dans une rare franchise, ses responsables avouent un pessimisme sur l’avenir, inattendu dans ce pays officiellement fidèle au matérialisme historique : vu la promiscuité et la pollution immense de la terre, le seul espoir de l’humanité est de se transplanter ailleurs. L’objectif est donc, d’abord, l’exploitation des richesses spatiales. Pour M. Gu Yidong, l’espace est une « base minière, énergétique et industrielle idéale, vu sa pureté et l’absence de gravité ».

En agronomie (très vif intérêt pour la Chine, rurale), il permet la germination sous rayonnement spatial, avec pour résultat des semences meilleures.

En industrie, l’espace permet déjà la production de semi-conducteurs, céramique, verre optique et alliages.

Enfin, selon M. Gu, les US auraient tiré 2MMM$ de l’espace, pour un investissement destiné à atteindre 600MM$ d’ici 2010. Avec ses 16 satellites récupérés depuis 1975, la Chine se voit bien suivre la même voie!

 


A la loupe : Macao – le retour du vinho verde!

Les 12-14 octobre 2003, le 1er Forum économique sino-lusophone se tenait à Macao.

Avec ses « ruas » et patios chargés de mousses séculaires, l’ex-protectorat a mal vécu le départ des Portugais et le retour à la mère patrie en 1999. La ville de 0,43 M habitants somnole autour de son casino et d’un tourisme facile, voyant son textile (80% de son export) rongé par la Chine, avec un chômage de  6,4%.

Macao constate aussi la modestie des échanges entre Chine et les sept pays lusophones (6MM$ en 2002, pour 220M habitants).  Il n’en faut pas plus à ce monde (Portugal, Brésil, Cap Vert, Guinée-Bissau, Angola, Mozambique, Timor Est, exception Sao Tomé-Principe, pro-Taiwan) pour signer un Plan d’action destiné à doubler ce score d’ici 2010, par le biais de coopérations prioritaires en agriculture, pêche, infrastructures, échanges de travailleurs et matières premières.

La Chine de son côté offre à Macao un accord CEPA, du même type que celui octroyé à HK (cf VdlC n°24). Signé le 17/10 par le gouverneur Edmund Ho et le vice Président Zeng Qinghong, il vise l’ouverture graduelle d’une zone de libre échange comme avec l’ASEAN, mais plus vite. Une petite zone industrielle entre Macao et Zhuhai va aussi s’ouvrir avant décembre, 40ha mitoyens, regagnés sur la mer. Ainsi Macao, enclave sur diplômée, aux milliers de consultants commerciaux et « abogados », pourrait enfin servir de pont commercial entre l’univers de Vasco de Gama et le Céleste Empire.

Tous ces accords arrivent à point nommé : fin 2004, OMC oblige, les quotas textiles US et UE de Macao expirent, causant un préjudice à l’enclave jésuite, au bénéfice de la concurrence chinoise.

 


Joint-venture : 12000 BMW pour Yang Rong ?

— Avec une 100aine d’usines, la capacité  de production de verre plat dépasse en Chine la demande -en volume (1er marché mondial,  27% en 2000)! Mais la progression inouïe de l’auto et de l’immobilier crée des besoins en qualité, hors de portée des “floats” chinois moyens.

Ainsi St-Gobain portera de 25% à 33% sa présence dans ce secteur en Chine – il y détient 22 usines. En 2002, il ouvrait son usine de verre flotté à Nankin (Jiangsu): il annonce (9/10) son prochain pas, à Qingdao (Shandong). Pour un investissement secret, majorité française, St-Gobain reprend avec son vieux partenaire coréen Hanglas, 90% de l’usine Luoyang, qu’il mettra aux normes UE d’ici 2004, pour desservir, depuis ce 3.ème port national, la Chine et toute l’Asie riche.

— En septembre, nous annoncions une JV DaimlerChrysler et Beijing Jeep (elle-même JV Daimler/BAIC), pour l’assemblage de berlines et camions Mercedes. Signé le 8/09, l’engagement d’1,1MM$ devait permettre au groupe de Mannheim l’entrée en Chine, malgré l’échec des palabres avec FAW.

Mais voilà que Hyundai (14/10) vient gâter le brouet, affirmant avoir l’exclusivité avec BAIC en production auto. Le ton monte donc entre le Coréen et Daimler, son 1er actionnaire étranger  (10% de ses parts), incapables de finaliser une JV de camions signée en mars, pour 400M$.

Peut-être la hardiesse de Hyundai est-elle liée au succès sur le marché pékinois de sa Sonata, dont il accélère la production à 52.000 pour 2003 (+2.000), tout en préparant la sortie de sa Avante, pour mars 2004.

ŽAutres cris et chuchotements dans les coulisses de la céleste auto: Yang Rong, père de Brilliance, revendique du Liaoning 690M$ d’actifs et menace, si la cour New-yorkaise le suit, de faire saisir partout au monde, toute BMW produite chez Brilliance à Shenyang (cf VdlC 31). A 57.250$/pièce, 12052 BMW “325” made in China suffiraient pour faire le compte. A tout le moins, cette menace pourrait fermer à BMW (Chine) les portes de l’export, voire, pousser le Liaoning vers le tapis vert!

— La dérégulation des assurances a fait sonner pour la PICC la fin des décennies de gloire facile. Monopolisant 70% du secteur “non-vie”, elle doit rembourser PICC Holdings sa maison mère, dont elle a repris les meilleurs actifs: 1/3 de ses profits de ’03, payés le 2/10. Mais sa tutelle la CIRC vient aussi de lui imposer (comme à tout le secteur) le doublement de ses réserves, à 718M$. Pour y faire face (10/10), la PICC emprunte 242 M$ à la CDB, et promet (10/10) à l’américain AIG 9,9 %  des parts “H” qu’il émettra à la bourse de HK le 6/11, pour un max. de 660M$. Estimée à 2MM$, la PICC aliénera ainsi 15 à 20% de son capital.  

Entre-temps, un autre assureur yankee prend ses marques : N°1 en “vie” aux USA, déjà présent au Mexique et en Inde, Metlife s’associe à Capital Airport, néophyte en ce métier pour exploiter sa licence obtenue le jour de l’entrée à l’OMC. Dès le feu vert de la CIRC, leur JV débutera, à Pékin- début 2004?

 

 


A la loupe : Troisième Plenum – déception, finalement !

Traditionnellement en Chine, le 3. Plenum d’un  nouveau leader, donne la musique de ses années de  mandat.

Celui qui vient de s’achever (11-14/ 10) avait été déclaré « la plus importante rupture conceptuelle dans la réforme, depuis 1993», avec pour but de «rectifier échecs et lacunes du Parti au cours des 25 dernières  années »…

Hélas, dans les documents officiels, rien ne permet encore de voir si le but a été atteint. Une décision et des propositions d’amendements à la Constitution ont été adoptées, pour l’instant maintenues secrètes. Les amendements concerneraient la protection de la propriété privé – sans conséquence pratique, faute d’un tribunal constitutionnel pour permettre de s’y référer-, et l’inclusion des 三个 代表 sangedaibiao,  les 3 représentativités de Jiang, théorie obscure et contestée jusqu’au sein du Comité Central.

Au plan économique, un petit nombre de principes novateurs ont été décrits. Parmi ceux-ci:

1. la promotion de la bourse comme « norme » des entreprises- et non l’Etat,

2. la coopé des provinces entre elles (le grand marché national unique),

3. le traitement égal des firmes et capitaux publics et « non-publics », formule englobant le privé et l’étranger, dont c’est la 1ère reconnaissance officielle comme partenaire légitime de l’économie chinoise,

4. la volonté de défense du monde rural, et l’approbation de la constitution de patrimoine foncier privé-la protection de tels droits…

Cependant,  le Comité Central n’a rien dit de la manière dont il comptait remplir ces objectifs qui, dans ces conditions, ressemblent à des vœux pieux. Pire, en politique, aucune des idées prêtées à Hu Jintao pour rajeunir le PCC et lutter contre la corruption n’ont été reprises, telles les élections internes des hauts cadres, sur listes multiples.

Ainsi, force est de donner créance à cet avis courageux du professeur Zhong Wei –Université Normale de Pékin : « Les nouveaux leaders cherchent une légitimité dans la croissance économique, mais sans pensée nouvelle. Ils n’ont pas fait preuve d’une forte volonté de briser les barrières »!  

 


Argent : après le SRAS, Pékin lanterne rouge

— Cinq mois après le SARS / SRAS dont Pékin fut l’épicentre, les performances s’en ressentent : l’indice de croissance de la capitale, à 10% de janvier à septembre (avec un PIB de 26,9MM$), la classe au 23e rang sur 30 entités territoriales. Fixé en mai, l’objectif de 11% pour 2003 ne pourra donc être rattrapé qu’avec un 4. trimestre exceptionnel. Même indice décevant en croissance industrielle : avec 8,8MM$ et + 12,3%, Pékin est à la 26ème place, et même lanterne rouge pour la croissance des investissements fixes.

Explications : Pékin est dépassée pour la 2de année de suite, par Shanghai, Tianjin, Chongqing et Guangzhou. Elle est par contre n°1 sur 30 en modernisation (indice 78,5%, selon l’enquête conjointe de trois centres de recherche). Ainsi, le SRAS n’explique pas tout : Pékin a aussi atteint un plafond de maturité.

NB1 : indolence et gabegie publique n’arrange rien. En hôtellerie par ex., de nombreux investissements prestigieux, refaits à neuf  comme l’hôtel “Beijing” dorment, sans chercher le client.

NB2 : le salaire moyen a monté plus vite que la croissance, à +11,8% et 1256$ sur 9 mois. Mais ici se cachent des inégalités, 10% des actifs touchant moins de 753$, et 57%  touchent moins que le salaire moyen. Enfin dans la période, le Pékinois a dépensé 976$ soit +4% : épargne forte, signe de crainte des lendemains!

— Le MoC annonce (14/10) la baisse de 3% des restitutions à l’export (exemptions de TVA), de 15% + ou -. Seront exempts les secteurs auto, constr. navale et ingénierie. A la coupe, 3 raisons :

1. Inefficace et débordée, l’administration ne suivait pas: ses impayés atteindront (avec intérêts) 36MM$ en 2003, +50%..

2. Enfreignant l’OMC, cette subvention était dénoncée par la concurrence, comme ayant gonflé l’export de 33% de janvier à septembre.

3. Surtout, l’économie est en surchauffe, avec un commerce extérieur en hausse de 36%, et 606 MM$ de volume dans la période. Réduire la subvention allégera la pression à la réévaluation, dont Pékin ne veut pas. Selon Lin Yifu, économiste, 1% de coupe de subvention gommera 5% de hausse de l’export.

 


Pol : Libéria: autres temps, autre Chine

— Il est question de multiplier le statut de ville autonome, 直辖市 zhixiashi, aujourd’hui réservé à Pékin, Shanghai, Tianjin et Chongqing.

Au départ voulu pour assurer à l’Etat le contrôle de ces mégapoles, on s’est bientôt aperçu qu’il apportait un “plus” en croissance, du fait d’une gestion plus rapide et autonome, et d’un échange plus rapide avec le niveau central. D’où les réticences compréhensibles des provinces. Dalian / Shenyang, (Liaoning), Nankin (Jiangsu), Qingdao (Shandong), Shenzhen (Guangdong) et Wuhan (Hubei) sont sur la liste des éligibles. L’avantage pour le niveau central, serait de récupérer une partie des pouvoirs dévolus aux provinces. Rendez-vous, pour adoption, au Plenum de l’ANP de mars 2004.

NB : un enjeu est l’exode rural. En 2020, selon l’APEC, 450M de paysans seront devenus citadins, portant le taux d’urbanisation de 36 à 54%. Pour “avaler” si vite une si effrayante cohorte, il faut plus de dynamisme que les villes ne peuvent aujourd’hui en fournir!

— Dans la guéguerre à coups de chèques entre les frères ennemis de la Chine, pour accaparer les relations diplomatiques des pays pauvres, le temps travaille contre Taiwan—la partie n’est pas égale. L’île ex-nationaliste perdit la Macédoine en 2001 et Naura en 2002. Le 12/10, le Libéria à son tour change de côté du détroit. Taiwan accuse Pékin d’avoir menacé ce minuscule Etat africain, de par sa position au Conseil de sécurité, de le priver d’une force de paix de 15.000 casques bleus, au budget de 250M$. Il est vrai qu’en 1989, Taipei avait obtenu la même défection moyennant 200M$. Il faut dire aussi que le Libéria “taiwanais”, c’était du temps du Président Charles Taylor, aujourd’hui en fuite. Cet abandon porte à 26 les alliés de Taiwan, tous Africains ou d’Amérique Latine, plus le Vatican –jusqu’à quand?

 


Temps fort : Union Européenne, Chine, amants séparés dans la brume

«Bâtir sur les bases qui nous unissent»: c’est en ces termes que Pékin écrit son1er livre blanc sur l’UE (13/10). Positif, sans «conflit fondamental d’ intérêts », l’UE, 3.partenaire avec 87 MM$ d’échanges en 2002, devrait passer sous 5 ans au 1er rang, devant US et Japon. En même temps, la Chine présente sa liste de commissions ou concessions souhaitées: 1. l’isolation de Taiwan – que l’Europe pratique de fait, en soutenant moins que les US, l’île démocratique

2. celle du Dalai Lama, dans laquelle elle rencontre moins de succès : à Paris, le prélat sort d’une semaine de séminaire bouddhiste tibétain de masse!

3. que l’UE lève l’embargo sur les ventes d’armes à la Chine, en vigueur depuis le printemps de Pékin ‘89. Là aussi, malgré le soutien de J. Chirac, les chances sont minces.

En effet, dans son propre rapport “Chine” (même jour), la Commission de Bruxelles se félicite que la Chine commence à reconnaître l’ importance économique et politique de l’UE comme… partenaire mondial », mais elle bloque sur les droits de l’homme, et rappelle l’écart important qui persiste entre les droits civils, d’association et de religion, par rapport aux normes internationales. Les 15 recommandent l’ouverture d’un dialogue bilatéral: ceux qui croyaient voir dans cette démarche européenne un rituel usé, doivent maintenant admettre qu’aucune normalisation ne pourra faire l’impasse sur cette exigence…

En filigrane de cette valse des rapports, les dates révèlent les arrière-pensées: les 24-25/10, auront lieu à Pékin, le colloque EU-Chine Propriété Intellectuelle, et le 30/10, le Sommet EU-Chine.

Enfin, les 20-21/10 à Bangkok, l’APEC réunira 21 chefs d’Etat de la zone Pacifique.

G.W. Bush renforcera sur Hu Jintao, la pression à la réévaluation du Yuan ¥. Dans ce cas, la Chine évoque son partenaire européen, bientôt n°1, mais l’UE fait sa réponse un peu sèche: elle souhaite bien un rapport privilégié avec la Chine, mais on servir de pion ou bluff dans une partie de poker!

 


Petit Peuple : la vengeance, plat virtuel ‘hot’

— Début octobre, la jeune Mme Lu Yun commença à recevoir une avalanche d’appels désagréables, sans pouvoir rien y faire – son portable était indispensable à son métier. Le fait que les importunes communications s’en tiennent à un argumentaire érotique précis et limité, finit par lui mettre la puce à l’oreille. Elle interrogea les goujats, qui avouèrent leur source : un Forum galant du (autrement fort sérieux) portail internet Sohu.com.

Effectivement, elle y trouva une annonce qui la présentait (sous son vrai nom et n° de portable) comme de moeurs légères et à prix imbattable. Interpellé, Sohu reconnut platement que tout le monde sur son site pouvait y usurper l’identité de n’importe qui—”c’était la technique qui voulait cela, chère Mme!

Différence notable par rapport à l’Europe : la police tenta de remonter à la source. Sans succès, malgré la coopé de la plaignante. Comme le dit cet ami pékinois : “le marché chinois de la haine est vaste et profond, et ses sources impénétrables”. La vengeance pouvait sourdre de partout, pour un sourire en coin ou un mot imprudent, pour une affaire vieille de quelques jours ou années, ourdie par un vieillard ou un enfant, une femme ou un homme. Comme dit le proverbe, ming qiang yi duo, an jian nan fang (明枪易躲,暗箭难防):« il est plus facile d’esquiver une lance de face qu’ une flèche de derrière”. cf Voltaire : « Seigneur, protégez-moi de mes amis : mes ennemis, je m’en charge »!

 

 


Rendez-vous : Jean Chrétien, 1er Canadien, en Chine

22-25/10, Pékin: Salon emballage alimentaire

21-24/10, Shanghai: CISMA machines textiles

21-24/10: Visite J. Chrétien, 1er Ministre Canada