Le Vent de la Chine Numéro 24

du 6 au 12 juillet 2003

Editorial : Mort du magasin de l’amitié—la fin d’une époque!

Le magasin de l’Amitié est mort la semaine passée à Pékin. Depuis plus de deux semaines, le grand magasin socialiste de 4 étages était fermé « pour rénovation ». Et puis soudain, la moitié des 800 employés, les femmes de plus de 36 ans et les hommes de plus de 45 (tous ayant plus de 10 ans d’ancienneté) reçurent leur lettre de licenciement. Les plus âgés ont droit à la retraite anticipée. Les autres se voient promettre  500Y /mois de chômage, et trois offres de réemploi au sein du réseau des propriétaires, grandes entreprises publiques comprenant le groupe Xiyou et le grand magasin de Xidan. Parmi ceux-ci, 200 ont osé manifester le 1/07, chantant des hymnes socialistes – 3 journalistes étrangers se sont fait « arrêter », comme dans le bon vieux temps !

Et pourtant, cette fermeture était logique et inéluctable. Le « youyi » 友谊 avait été créé 40 ans plus tôt à l’image soviétique, afin de distribuer à une élite étrangère ou des apparatchik, des petits volumes de biens rares et chers. Jusqu’à l’aube des années ’90, c’était le seul endroit en ville où trouver beurre, caviar, mais aussi poisson, fruits et légumes. On réglait ses emplettes dans une monnaie spéciale pour étrangers, qui alimentait un très vif marché noir et n’avait cours nulle part ailleurs, le « FEC ».  Le magasin était militairement gardé, moins pour protéger la sécurité des acheteurs, que pour interdire l’accès à ces produits de luxe, hormis aux ayants droit. La vocation du lieu était donc politique, plus qu’économique – d’où son nom. Ce qui explique la consternation du personnel, depuis toujours coopté pour sa loyauté envers le socialisme.

Le magasin avait été rattrapé par une concurrence toujours plus âpre, rognant jour après jour sur son originalité, et vendant moins cher que lui. Il survivait depuis des ans par le marché captif de bus d’étrangers venant acheter des colifichets. En 2002, son profit était de 4% – en comptant l’hébergement de surfaces à des fast food comme Pizza Hut. Le SRAS vint achever l’Amitié, épongeant 80% des ventes durant 2 mois.

Les propriétaires annoncèrent d’abord la fermeture pure et simple puis, après la manif, un sursis de quelques mois pour le rez-de-chaussée. Mais le personnel voit déjà l’édifice rasé et reconstruit dans du béton plus rentable : le site est « idéal », central et sur deux lignes de métro.

C’est ainsi que le même jour voit le 82. anniversaire du PCC, la fermeture de l’Amitié et, dans les rues, les pub pour des films yankee tels « le Seigneur des anneaux » ou « Matrix2 » : signe aveuglant de changement de boussole vers un « Nord » toujours plus américain!

 

 


A la loupe : HK – une loi impopulaire, au forcing !

A HK pour parler de libre-échange et de lendemains du SRAS, Wen Jiabao voulut séduire, allant réconforter, sous les caméras, un foyer décimé par le fléau. Il fut moins à l’aise face à la  presse insulaire, sur son propre passé réformateur et surtout sur la future loi de sédition. Voulu par Pékin, l’art. 23, son fer de lance, promet la prison à vie à quiconque coupable de trahison, de sécession ou de subversion envers la Chine. Critiquée par le RU, l’UE et les USA,  HK va contre 150 ans de tradition de tolérance à l’anglo-saxonne sur le «rocher ».  Même retouchée par les juristes du gouvernement local,elle devrait violer la promesse d’inviolabilité des libertés civiles jusqu’en 1947, incluse dans l’ accord de rétrocession de 1984, selon le principe : 一国 两制 yiguo liangzhi (« 1 pays, 2 systèmes »)

Mardi 2/7, entre 0,35 et 0,5M d’insulaires marquèrent à leur façon l’anniversaire du retour à la Chine, en marchant contre le projet législatif—et contre le bilan du moyennement populaire gouverneur C.H. Tung. Largement ignorée par la presse chinoise, c’était pourtant la manifestation la plus importante à HK depuis ’89. Une autre plus volumineuse encore est à attendre le 9/07, durant le débat législatif que le régime précipite au Legco, le Parlement local. Ce qui pose des questions de bilan et d’avenir pour Hong Kong. Economiquement, rien à re-dire – il n’est pas évident que quiconque eût pu mieux faire. Jusqu’à ce jour, les rapports bilatéraux ont été malaisés, mais ont toujours maintenu l’apparence de convivialité. En imposant à HK une loi peut-être inutile et dont elle ne veut en aucun cas, le débat se déplace—et ripe!

 


Joint-venture : Un tigre nippon au moteur de Toyota

— Quoique entré en Chine 9 ans plus tôt, Denso, le n°3 mondial de la pièce auto, y fait 130M$ de ventes en 2002, soit un lourd retard face à Bosch (RFA, 600M$) ou Delphi (US, 575M$).  Denso paie 10 ans de stratégie nippone d’ “export plutôt que délocalisation”. Mais avec le redéploiement rapide de l’auto japonaise en Chine, Denso croit pouvoir rattraper pour tripler ses ventes en 33 mois, et passer n°1 en 2010. Ce qui, vu les parts de marchés déjà conquises, suppose de casser les prix. Preuve de sa certitude de réussir son pari, les  6 JV dont 4 à Tianjin (Hebei), seront d’ici mars 2004 rachetées sous la bannière de Denso (China) Invest Ltd avec holding de vente depuis le QG régional de Pékin.

Atout précieux : Denso est filiale de Toyota, partenaire de FAW avec qui il construira 400.000 voitures en 2010, porte ouverte pour d’autres filières de FAW – bus, camions,  et les Audi et Jetta (VW) faites à Changchun (Jilin).

— L’électroménager US souffre en Chine. Au prix d’accords avec les ténors de la distribution (Carrefour, Guomei, Dazhong) Whirlpool a pu colmater l’hémorragie et consolider à 7% sa part du marché chinois (en machine à laver). Maytag jette l’éponge, et trouve après 2 ans, à vil prix, repreneur pour sa JV de lave-linge et réfrigérateurs Rongshida à Hefei (Anhui), n°3 nat’l. L’accord est annoncé avec  ElcoBrandt, filiale française de l’israélien Elco.

ElcoBrand affirme payer, si la tutelle avalise le deal, 20 à 30M$ pour 25% des parts possédées par la partie chinoise, ainsi que les 50,5% de Maytag. Pour imaginer l’ampleur de la “casse”, en 2001, le groupe de l’Iowa évaluait ses actifs captifs à 42M$! Elco affirme pouvoir gonfler dès cette année les ventes d’un quart, à  140M$, malgré l’environnement difficile de guerre des prix, sur un marché où caracole Hai’er, 24% des ventes intérieures de lave-linge en 2002, et 8,5MM$ de chiffre global!

NB  : cette reprise par Elco salue l’entrée du 1er groupe israélien dans un secteur industriel chinois, à un niveau significatif.

 

 

 


A la loupe : Réforme- deux pas d’un côté, un de l’autre!

Le 1er juillet 1921, date mythique, 12 apôtres cachés dans une école de filles de la concession française de Shanghai, tiennent le 1er Congrès (fondateur) du PCC. 82 ans après, pour marquer l’anniversaire de la plus grande organisation de masse du monde, Hu Jintao, le 1er Secrétaire prononçait (1/07) un discours attendu. Des rumeurs évoquaient le projet d’une pratique nouvelle de démocratie interne, avec l’élection directe par les militants des hauts cadres régionaux.

Les optimistes restèrent sur leur faim. Hu omit  le sujet, se bornant à saluer son prédécesseur dont il cita la théorie des 三个代表 san ge dai biao (trois représentativités), hissée aux cimes des pensées de Deng/Mao/Lénine/Marx.

Le fait n’a échappé à aucun observateur : depuis le 15/6, le clan de Jiang Zemin orchestre un vigoureux retour. Au printemps, saisissant l’opportunité du SRAS, Hu Jintao avec son 1er Ministre Wen Jiabao, ont gagné des pouvoirs imprévus, martelant les thèmes de la prééminence de la Constitution (=état de droit) et du droit du peuple à l’info (= liberté de presse), tout en occupant diverses positions-clé et limogeant un hom-me d’en face, Zhang Wenkang le Ministre de la Santé.

Jiang réagit à travers ses places fortes, Département de la Propagande voire APL. Les résultats sont nets: les tests de démocratie interne attendront 2004, Jiang fut l’hôte ostensible du 1erindien Vajpayee, et l’enquête contre le scandale de la BdC et du financier shanghaien Zhou Zhenyi, qui aboutissait à Huang Ju, proche de Jiang, est bloquée.   

Cet hiver en été n’a pas empêché la sortie de la 1ère véritable réforme de la nouvelle équipe, concernant la condition des migrants (cf VdlC n°22). Le 28/6, une nouvelle loi ratifiée par le bureau de l’ANP déplace le sort des sans-papiers, des mains de la police vers celles de la justice. Ils ne peuvent plus être saisis de corps, mais conservent leurs pièces d’identité. Si la loi est appliquée—ce qui prendra du temps!

 

 


Argent : Pétrole—la course aux pompes

— Comme à chaque pression à la réévaluation du RMB, la Chine défend sa parité fixe, mais rouvre d’un quart de tour le robinet de l’investissement chinois à l’extérieur. C’est le cas aujourd’hui, avec la relance du commerce international post SRAS : pour maintenir le cours trop bas du yuan à sa parité fixe de 8,3 /1$, la Banque populaire de Chine rachète 600M$ /jour à ses firmes exportatrices, gonflant ses réserves de 10% en 2 mois, à 340MM$ fin juin.

La tendance est aggravée par la spéculation: début juillet, dit Zhou Xiaochuan, gouverneur de la BPdC, les dépôts/devises chutent de 30% (75% à Shanghai), les porteurs liquidant leurs avoirs en prévision de la réévaluation du Yuan (RMB). Face à cela, la coupe de 0,25% des taux étranger (2/7), la 1ère en 2003, a un effet ambigu. A 0,56% /an, les devises sont désormais x4 moins rémunérées que le RMB. La coupe des taux devrait accélérer leur fuite, et alléger la pression sur le RMB. Mais elle encourage aussi leur revente à l’Etat : en somme, le système de rachat public obligatoire, quasi-total de devises, suffoque! Aussi la BPdC prépare un nouvel outil : les 1.200 membres de la GSDTC, club financier discret mais puissant, seraient autorisés à réinvestir leurs devises en  obligations étrangères. Ces EE, la plupart  industrielles et de service, détiennent déjà (sans permis explicite) de 50 à 80MM$ de bons, surtout aux US. Une telle action équivaudrait  à une liberté surveillée d’investissement à l’extérieur.  

—  PetroChina réagit à sa faiblesse structurelle vis-à-vis du n°2 Sinopec, qui détient le double (28000) de ses stations service, une des vaches à lait du secteur. Dès 2002, le 1er pétrolier chinois investissait 725M$ pour porter son parc  à 4,437 stations, dont les 2/3 reprises à sa maison-mère CNPC. A présent, il annonce des dépenses de 960M$ sous 2005,  pour rajouter 3.400 stations de plus, surtout dans les régions riches, Jiangsu (trusté par Sinopec à 70%), Guangdong, Fujian. Pour Petrochina, cette remontée est cruciale : l’an passé, Sinopec, avec 31Mt de produits raffinés vendus, faisait 3 fois plus que lui!

NB : avec 41.000 stations pour les 2 groupes, sur les 90.000 du pays, la concentration est loin d’être achevée. Les autres sont locales, privées, et l’étranger se profile par une politique agressive de coopé avec les deux géants, comme BP, 293 stations en JV (49%) avec Petrochina.

 


Pol : Crise coréenne – Pékin aux manettes

— En principe, la coopération franco-chinoise roule sur du velours, deux pays à vieille et forte conscience nationale, demandeurs d’un contrepoids à l’hégémonie américaine. Du 29/6 au 1/7, Michèle Alliot-Marie, la première ministre française de la Défense à visiter Pékin depuis 1997, a donc été reçue avec curiosité et courtoisie par de nombreux interlocuteurs, de son homologue Cao Gangchuang au Président Hu Jintao et au Président de la CMC Jiang Zemin. Les deux nations partagent le même impératif de maintenir hors arme nucléaire la péninsule coréenne – malgré un vote opposé à l’ONU sur le sujet (voir article suivant). Afin de rebâtir une coopé militaire qu’elle pressent importante à l’avenir, la France est prête à plaider la cause de la levée de l’embargo européen sur les ventes d’armes à la Chine. Elle reste toutefois beaucoup plus hésitante face à la demande chinoise d’un satellite espion de type Helios, aux images classées “secret défense”…

— Un prêté pour un rendu? Ou plutôt, un bras de fer implacable, et un sursaut de réflexe solidaire socialiste? Le 2/07, un projet de résolution des US devant le Conseil de Sécurité, soutenu par les deux autres membres permanents, France et Royaume-Uni, capotait sur l’opposition de Chine et Russie. Ce texte prétendait avertir Pyongyang d’interrompre “immédiatement et de façon vérifiable” son programme nucléaire militaire. L’initiative était soutendue par une nouvelle inquiétante, la découverte par satellites d’un centre de recherche de Youngdoktong, capable (selon la CIA) de tester des petites charges nucléaires, qui équiperaient les missiles Nord-coréens de moyenne et longue portée.

C’est la 2nde motion du genre, en trois mois, à être défaite par les deux protecteurs du “pays du matin calme”. La veille (1/07), par courrier, un général Nord-coréen avait menacé le Conseil de Sécurité des pires conséquences pour Séoul, si la condamnation avait été adoptée.

Toutefois, en imposant le report du débat, Pékin et Moscou n’ont gagné qu’un bref sursis. La Chine déploie une suractivité pour sortir de l’impasse, dépêchant deux vices-ministres des Affaires étrangères, Dai Bingguo en Russie et Wang Yi aux USA pour y conférer avec l’état-major de George W. Bush, (C. Powell, C.Rice,et L. Armitage), afin de préparer la visite à Pékin cette semaine (7-10/7) du Président Sud-coréen Roh Moo-hyun. Séoul demande d’être admis à une 2nde ronde de pourparlers, ce à quoi Pékin et Pyongyang avaient dit “non” en avril.

C’est ainsi que Pékin, tout en rejetant les initiatives de tout autre pays à propos de la Corée du Nord, porte  le poids de dénouer la crise – bien consciente de la nécessité de réussir dans cette démarche solitaire !

 


Temps fort : HK/Chine – un libre-échange d’avenir

48 heures avant le 6è anniversaire du retour de HK à la Chine,  le 1er Ministre Wen Jiabao et Tung Chee-hwa, chef de l’exécutif de la RAS paraphent l’accord de libre-échange CEPA. Dès janvier 2004, 273 produits seront touchés, pour 60% du volume d’échange, entre électronique, maté électrique et textile. Les tarifs restants disparaîtront 24 mois plus tard, délai qui permettra de régler le litige : que signifie «made in H»?

A sa Région Spéciale, la Chine permet d’ouvrir chez elle des filiales à 100% dans les services, entre management, pub, distribution, logistique.

2 domaines plus surveillés, vus par la Chine comme piliers stratégiques ou idéologiques voient aussi des assouplissements :

– les assureurs Hong Kongais peuvent prendre jusqu’à 15% des assureurs chinois -contre 10% aujourd’hui. Le ticket d’entrée des banques est réduit de 20 à 6MM$, ce qui permettra à 12  institutions de faire le saut immédiatement, et à d’autres de se regrouper pour en faire autant.

– Le cinéma Hkgais est affranchi du contingent de 20 films étrangers/an  (cf VdlC n°19) :  toutes les productions du Rocher seront licites en Chine, pourvu d’être  en mandarin, et bien sûr, ‚ visées par la censure.

La date de signature du pacte n’est pas innocente : elle vient redorer le blason du pouvoir local à un moment délicat (cf col. droite), et prouver que la coopé avec la Chine rapporte. Au total, l’accord vaudrait à HK  96M$ de cadeau fiscal (sur un commerce bilatéral de 166 MM$ en 2002) et 5000 à 9000 jobs nouveaux -le chômage est de 0,3M. Des milieux d’affaires contestent les chiffres, et parlent de concessions trop grandes, faites à la Chine!

NB: un autre accord calqué sur celui-ci est déjà prêt, avec Macao. Ensemble, ils préfigurent une lame de fond libre-échangiste à travers le monde, objet du sommet de l’OMC à Cancun en septembre prochain!

 


Petit Peuple : Canton, la cour des miracles

— Depuis novembre 2002, à Canton, sur 10m², une étonnante cour des miracles offre tous les produits pensables: fleurs et légumes, choux et oranges; rouge à lèvres, costumes, livres, fours micro-ondes; lits et canapés (à l’étage), vélos et tricycles (devant la porte)…Curieusement, l’enseigne du bazar promet bien plus que la licence au mur, qui n’évoque qu’un modeste négoce d’articles de métal. Autre bizarrerie: lors des repas, le personnel pléthorique disparaît, laissant le magasin sans garde durant 2 heures- mais personne en son bon sens ne s’aviserait d’y voler quoique ce soit. De toute manière, aux prix très bas de cette échoppe, la marchandise disparaît à mesure qu’elle rentre. La clé de l’énigme, tient à l’identité des vendeurs, tous de la police auxiliaire, confisquant et écoulant la marchandise des camelots en infraction. Au début, le trafic restait discret, déchargé 500m plus loin, transbordé par tricycles. Mais depuis février, jusqu’à six camions/jour freinent au seuil du bazar,assurés de l’impunité. C’est l’échange inégal, où les marchands achètent et les limiers vendent : 南街大 鼓,北街舞 nanjie dagu, bei jie wu, « la rue du Sud bat les tambour, celle du Nord danse » !