Le Vent de la Chine Numéro 23

du 29 juin au 5 juillet 2003

Editorial : Chine et Inde réconciliées, « pour se faire entendre »!

« (A deux, nous faisons) les nations les plus peuplées de la terre, aux économies les plus vives, aux 2 seuls marchés-continents. Si nous agissions de concert, il serait très difficile au monde de nous ignorer… Le temps du soupçon est révolu » (A.B. Vajpayee, 1er ministre indien).

«Chine/Inde, les pays les plus peuplés du monde, sont déterminées à progresser dans la coopération et le bon voisinage » (Hu Jintao, Président chinois)

La 1ère visite en 10 ans d’un 1er ministre indien (23-27/06), a mis fin à 41 ans en «chiens de faïence», suite à la guerre-éclair lancée par la Chine en 1962. Le 24/06, les leaders ont signé une promesse de régler les litiges frontaliers et un pacte de non agression. 9 lettres d’intention ont été signées pour faciliter visas, centres culturels et lancer la coopé scientifique. Une route commerciale de 3500km va être rouverte à travers les Himalayas, après la reconnaissance de facto du Tibet «partie de la Chine», et du Sikkim comme région indienne. L’accord se fait au détriment des petits alliés, Pakistan pour la Chine, Dalai Lama pour l’Inde.

Le réchauffement comporte bien sûr des limites : les 2 bords sont dirigés par un leadership âgé, n’ayant jamais connu l’autre que dans le conflit.

Les méfiances demeurent donc, sur la volonté mutuelle de régler des litiges après 22 ans de négociations stériles. Le dossier du Pakistan, militairement aidé par la Chine, n’a pas même été évoqué –à Delhi, l’opposition craint que les concessions n’aient été inégales…

La volonté de coopérer n’en est que plus remarquable, symptomatique de l’évolution de part et d’autre : comme si la globalisation ne leur laissait pas d’autre choix. Chine et Inde «pèsent» ensemble 2,3MM d’âmes, et 33% du marché mondial. En quête de croissance, elles voient se profiler des synergies entre les logiciels et le savoir-faire financier d’Inde, la mécanique et l’informatique chinoise. Déjà les échanges s’emballent, avec 2,3MM$ de janvier à avril 2003 (+71%), et Pékin annonce à son voisin 0,5 MM$ d’investissement sur son territoire.

Restent enfin des souvenirs inattendus entre ces géants hérissés de vieilles inimitiés: à travers son roman-phare du 西游记, Voyage à l’Ouest, la Chine reconnaît l’Inde comme le berceau mythique du bouddhisme. Gandhi était fervent admirateur de la Chine. Bon nombre d’Indiens admirent dans la Chine le fait d’avoir débandé les pieds de ses femmes, quand eux gardent Castes et Intouchables. Ils saluent aussi son pragmatisme économique – déréglementation, ouverture au capital étranger. Cette admiration réciproque crée la base d’une coopération  qui, à moyen terme, pourrait changer la face du monde industriel, en cassant les prix.


A la loupe : SARS / SRAS – c’est fini – mais…

Dernière région du monde figurant aux deux listes noires de l’OMS (celle des destinations de voyages déconseillées, et celle des foyers de contamination), Pékin vient d’en être gommée (24/6) par son directeur régional, le Dr nippon Shigeru Omi, après exactement 2 mois de ban. Décision qui  suit la déclassification, la veille, de HK comme foyer d’infection. Ceci, malgré qu’un nouveau cas enregistré à Canton le 25/6 y ait été soigné – pas de danger, estime l’OMS. La radiation de Taïwan des listes infamantes, est elle aussi imminente!

Le Pékin de la rue s’est réjoui, et a fait fête. Pékin est absoute, parce qu’elle n’a plus connu de cas depuis 20 jours, et à moins de 60 (càd 47) malades en convalescence. En réalité, elle avait reconnu 2 cas (11 et 17/6), mais l’un était un ex-suspect, et l’autre, non confirmé. Pékin vit sous la pression de franchir cette étape avant 1er juillet, date du 82ème anniversaire du PCC où Hu Jintao devrait annoncer  la couleur de l’avenir, et promulguer la victoire du Parti sur le SRAS –à un prix certain, qui commence à apparaître avec précision.

Au minimum (chiffres officiels), 347 Chinois sont morts du virus, dont 191 Pékinois. Les pertes des PME et des services atteindraient 48MM$ soit 10 % du PIB semestriel (plus que durant la crise de 1997). Un sondage révèle que 25% des Pékinois ont vu leur revenu baisser, de 20 à 60% selon les cas. Le commerce extérieur aurait perdu 10MM$ (sur 625 l’an passé), et les IDE 1MM$ (sur 50). Restent à reconstruire les 8M de jobs perdus, la santé publique, et surtout, l’image du Parti !


Joint-venture : Time Warner – retour aux 1ères amours

Time Warner était en Chine dès 1929, dans la distribution du cinéma muet. Le voilà de retour à Shanghai, sur un métier proche de ses 1ères amours. Avec Yongle, n°1 du cinéma (57 salles) dans le delta du Yangtze, il va placer 3,4 M$, à 49% à sa charge -max. autorisé par la loidans un complexe de 11salles de 110 à 350 places à la pointe du progrès. Au-delà du concept multisalles, c’est aussi la suprématie hollywoodienne que le géant US importe. Ses concurrents s’en rendront compte dès l’ouverture le 12/7 : sur son dernier film champion, Matrix2, TW (producteur) réserve à TW (distributeur) une semaine de monopole shanghaien! Saigné par les CD pirates (dont 45M détruits par la police en ‘01), le marché du ciné en Chine ne vaut que 120M$, mais Shanghai a la part du lion : 12%.

— La mission Vajpayee à travers la Chine avait aussi pour but d’éclairer la vitrine de l’économie indienne, et pour sa 100aine d’industriels, d’y faire des affaires. En avril déjà, le groupe d’alu indien Balco avait acquis 4 turbines à Shandong Power moyennant 230M$. Cette fois-ci n’a pas vu de gros contrats, non faute de d’offres et demandes potentielles mais en l’absence d’accord de protection mutuelle des invests (cf VdlC n°06). On en est donc, pour l’instant, aux débuts. 71 firmes indiennes ont investi 190M$ en Chine, dont Orind, usine de matériaux réfractaires au Liaoning (380 employés directs), et Satyam, n°4 du logiciel en Inde, depuis 2002 à Shanghai, 30 employés– il compte en recruter 150 autres. Moins attirante, l’Inde a séduit 15 Cies chinoises qui y ont placé 38M$ à ce jour. Au niveau commercial, les choses vont mieux. De janvier à avril, la Chine a vendu pour 300M$ de voitures et machines, 247M$ de chimie et autant de textile, tandis que l’Inde lui cédait pour 425M$ d’acier: échanges en hausse de 71%, qui promettent de franchir dès ‘04 la barre des 10MM$ – avec un an d’avance sur le plan!


A la loupe : Chantiers navals: Japon, Corée rient jaune

En construction navale, la Chine tient depuis 8 ans son rythme de croisière, avec 12,3% du marché de la planète bleue, n°3  mondial loin derrière le tandem Japon/Corée. En 2002, elle construisit pour  4,6M TJB (+9,7%), une industrie aux 2/3 tournée vers l’exportation.

Au 1er trimestre 2003, les carnets de ce secteur très conjoncturel ont avancé à toute vapeur, ayant engrangé pour 720M$ (+180%) de commandes,  le tiers des 2MM$ attendus pour  l’année. La sous-évaluation du RMB et la hausse de l’€ n’y sont pas pour rien. Ceci, sans compter le renouvellement de la flotte nationale de haute mer, d’un âge moyen de 20 ans : 10M TJB à pourvoir d’ici 2005, au titre de 200 navires. Sans compter non plus les commandes d’une marine militaire aux grandes ambitions.

L’apparente concentration des chantiers chinois (60% de la production partagée entre CSIC et CSSC) cache une grande diversité entre unités éclatées et vétustes et autres suréquipées et re-structurées. Chez CSIC, le n°1 dont le chiffre d’affaires en 2002 atteignait 2,7MM$, les chantiers non rentables seraient passés de 12 à 8.

La Chine rattrape aussi son retard technologique: elle ne serait plus que 7 années derrière la Corée -qui tente de freiner son accès au savoir-faire des méthaniers. Ayant investi 1,8MM$ en R&D depuis 2001, la CSIC livre coup sur coup (30/5) un porte-conteneurs de 5.668TEU, le plus grand vraquier 175.000TJB et le plus gros tanker bâtis en Chine, 150.000TJB—utilisé comme plate-forme off-shore, doté d’une capacité de stockage de 1M barils, il extraira jusqu’à 3,6Mt de brut par an—durant 20 ans.

Enfin, soutenue par ses atouts naturels, coût salarial et capacité à produire vite, la Chine ne cache pas l’ambition de passer n°1. Elle y réussira -peut-être, à long terme, une fois devenue l’usine du monde, réalisant par elle même la plupart de ses exports à travers les océans!


Argent : Comment percer la bulle de l’immobilier ?

— A +33%  et 34MM$ de jan. à mai, la courbe des investissements immobiliers en Chine alla de pair avec celle des vacances, +9,2%, selon l’estimation navrée de l’association professionnelle : au total, 19% du logis privé affiche “à vendre”, ou “à louer”! Fin avril, 216MM$ avaient été prêtés (non remboursés) aux développeurs, 17,6% de tous prêts bancaires. La bulle s’aggrave donc, renforcée par la corruption. Les banques prêtaient sans états d’âme, car tout prêt aux promoteurs était rentable : plus l’on prêtait, plus l’on se désendettait, selon l’objectif de la CBRC de réduire dans l’année les mauvaises dettes de 3%. Mais avec 1/5 d’invendus, rien ne va plus. La BPdC met le holà, (13/6) imposant aux promoteurs de disposer de 30%  du prêt sollicité (et non plus 20%).Ce qui devrait forcer les banques à rapatrier jusqu’à 22MM$ d’hypothèques à court terme, jetant de l’eau froide sur un marché en ébullition. La mesure agréera aux acheteurs de maisons d’occasion, qui recevront un crédit bancaire jusqu’alors au compte-gouttes. Signe des temps : Yu Guoxiang, investisseur local reprend pour 150M$, 90% du Hilton de Shanghai, 800 chambres à 5 étoiles : de développeur, Yu passe au secteur des services !

— Combien “pèse” la Bourse chinoise? 66M d’actionnaires et 560MM$ de valorisation (chiffres officiels)? Ou bien 1M, et 2/3 en moins (selon les experts)? Sur un chiffre au moins, tout le monde est d’accord : les firmes pratiquant la “friture” (délit d’initié) avec leurs gros actionnaires seraient 79%, selon une enquête citée par Wang Jianxi, vice-Président de la CSRC. Dans l’effort, sérieux mais sans succès, pour crédibiliser la bourse, la CSRC vient d’imposer (20/6) une condition nouvelle à l’inscription des titres: en plus de l’audit classique de la firme, elle exige –comme à HK– des preuves de paiement des impôts, et l’audit des groupes actionnaires.

NB: ainsi, la CSRC espère mettre une bonne ambiance à la cotation accélérée de petits titres (50M parts et 240M$) dont 90 approuvés attendent leur heure: la relance pourrait introduire jusqu’à 5 titres/semaine contre 2, aujourd’hui.


Pol : Drogue – la Chine en cauchemar

— Suivant sa tradition et sa foi dans la valeur éducative du châtiment, la Chine marqua la 6è journée mondiale anti-drogue (26/6) par l’exécution de 26 trafiquants, y-compris Zheng Fuxing, ex-chef d’un labo pharmaceutique du Fujian. D’autres, par 10aines, pris lors de l’opération 严打 yanda (”frapper fort”, cf VdlC n°11) écopèrent de la prison –parfois à vie.  

Mais les 90.000 arrestations et les saisies record en 2002 (9,3t d’héroïne dont 2/3 du Triangle d’Or, 1,2t d’opium, 320kg d’ ice, 3M de pilules) révèlent que la Chine, contre les paradis artificiels, est loin de gagner la partie. La hausse des toxicomanes arrêtés en 2002 (+11%,  1M d’officiels et au moins 10 fois plus réels), révèle la crise. Des réseaux nouveaux apparaissent, Russes, Ouzbeks, pris avec 3kg d’héroïne, ainsi que des substances nouvelles, du magic mushroom à la marijuana (1,3t), en passant par kétamine ou MDMA. Le coût social  commence à apparaître : les accros sont à 74% jeunes, et l’overdose tue déjà 25000/an (chiffre officiel, lui aussi en dessous de la réalité!)

— Comme chaque année, le Guangdong lustre ses plans d’infrastructures : publié le 20/6, celui dédié à l’urbanisation redonnera du coeur au ventre, à des milliers de firmes. Il faut dire que Canton compte 56% de citadins en 2000 (20% de plus que la moyenne nationale), 4 ième mégapole du pays. Ce taux passera à  70% d’ici 7 ans. Pour loger les arrivants, 6 villes de plus d’1M d’habitants sont dans les cartons, toutes dessinées selon les canons de l’urbanisme, de l’écologie, et des télécoms. En 2010, les abonnés à internet seront 25M, la province comptant alors 40 PC et téléphone fixe pour 100 familles. Après l’annexion de Huadu et Panyu, villes de banlieue, Canton dépasse Shanghai en taille (7400km2) et frise Pékin par la masse (10M).  Le secret de la richesse du Guangdong, tient à sa capacité à attirer du reste du pays des M de travailleurs à bas prix, et à les employer pour l’exportation. En 2010, celle-ci atteindra  200MM$, avec une croissance/an de 20% dans le secteur high tech (122MM$).


Temps fort : La presse sous la douche écossaise

Avec sa couverture live par les media, la guerre du Golfe avait offert aux Chinois un goût de presse libre. Puis le SARS / SRAS est venu,  hors-contrôle : le serrage de vis était inévitable!

 » dès mars,  à Canton, XXI. Century Herald fut fermé pour avoir publié la demande, par un aide de Mao Zedong, d’élections libres.

 » le 24/4, pour avoir dénoncé la cache de cas de SRAS à Shanghai, Nanfang Zhoumou de Canton fut censuré, puis reçut un nouveau Rédacteur en chef, plus censeur que journaliste.

 » le 04/6 à Pékin, Xinbao, filiale du Quotidien des Travailleurs fut fermé pour avoir traité le régime de «féodal», avec audace incroyable.  

 » le 20/6, Caijing, revue financière fut interdite, suite à un « papier » sur le scandale Zhou Zhengyi (cf VdlC n°20/VIII), avec  un diagramme des implications dans la BdC. Peu impressionné, Caijing répliqua du tac au tac.

Ce que tout cela cache: l’ère post-SRAS suscite, en réaction à la chape de silence d’hier, une bouffée irrépressible de courage de presse, face à un pouvoir divisé. Wen Jiabao, 1er Min. a émis des règles d’info, spéciales urgences santé, exigeant précision, clarté et non-rétention.

Une audacieuse réforme de la presse se prépare, et sortirait cet été, d’un auteur imprévu : Li Changchun, ex-Secrétaire du Parti à Canton, à présent patron national de la propagande. Tout média serait forcé de s’enregistrer comme firme.  Les abonnements forcés (vaches à lait des organes ternes) disparaîtraient, et tous seraient ouverts à une prise de participation privée ou étrangère à 49% maximum.

NB : Vers la liberté de presse, le chemin est long: avec 38 journalistes emprisonnés, dit le CPJ de New York, la Chine demeurerait n°1 mondial de la répression.


Petit Peuple : Zorro-Zhou Kun est en prison

— Le 19/11/02, dans le train de Wuhan (Hubei) 2 hommes furent pris par la police ferroviaire avec 2 kg d’héroïne. Belle capture, mais 3 semaines après, la joie de la brigade  des stup’ se muait en déception indicible. Quand, en effet, les mulets se mirent à table et donnèrent le nom de leur chef, ce dernier s’avéra être Zhou Kun, 36 ans,  leur collègue émérite, terreur des mafieux dont il avait débusqué plus de 1000, aujourd’hui au cachot ou au tombeau, tout en saisissant 50kg de poudre blanche. Pour sa bravoure, en 2000, on l’avait décoré meilleur flic du pays… Pourtant, les preuves étaient là : en 6 mois, Zhou avait fait acheter à Dali (Yunnan)  10 kg de schnouffe de Birmanie, faisant 1M Y de profit. Par 10 reprises, il avait fait passer l’héroïne en voiture de police, jusqu’à sa base de Liupanshui (Guizhou), plaque tournante vers Wuhan, en train. Parmi les mystères de cette glauque affaire, comment un homme si brillant peut-il troquer sa réputation pour un risque si lourd et un profit si minable? A la loupe, les causes apparaissent aussi complexes. Ainsi :

♣ La menace de la mort avait trop pesé sur lui – une bombe posée dans sa maison par la pègre rancunière, l’avait épargné à un cheveu près.

♥ Il s’accusait de la mort de son père, n’ayant trouvé le temps de lui changer son poêle, ni d’une ultime visite à l’hôpital.

♦ En 2001, saisissant un magot, il avait gardé la somme comme caisse noire de son équipe—c’était déjà une dérive.

♠ Mais surtout, joueur invétéré, il recherchait le coup ultime, prenant trop de risques pour s’infiltrer chez ses adversaires: un beau jour, ils le prirent vulnérable, et le retournèrent : c’est ce qu’on appelle, en Chine, 上楼去梯 shang lou qu ti,  “faire monter sur le toit, puis retirer l’échelle”. Pour sauver sa tête, le héros déchu a dénoncé à tout va, bandits, policiers et fonctionnaires, tout ceux ayant été arrosés : à Pékin, il reste encore, tâche pénible, à le juger !