Le Vent de la Chine Numéro 22

du 22 au 28 juin 2003

Editorial : La Chine, phare de la génétique céréalière ?

Près de Taiyuan (Shanxi) se cache un centre agronomique aux parcelles de blé à grain noir ou vert, long ou court, barbus ou non : sur 2,4 ha, des 100aines d’espèces sont sélectionnées par croisement conventionnel (pas d’OGM). Les ouvrières créent des hybrides en castrant le grain, refertilisé avec une autre espèce. Ce grain une fois semé, on retient dans la nouvelle génération, les caractères génétiques recherchés.

Dans ce centre, le professeur Sun Shancheng élève le 1er blé à grain noir au monde, fruit de 50 ans de recherche. « En ’66, au Guangxi où j’étais en poste », se souvient Sun, « les autorités m’ont ordonné d’abandonner : le blé noir était alors anti-socialiste, seuls intéressaient les blés rouges »…

Aujourd’hui, Sun a recréé sa céréale couleur ébène, et l’étranger est entré en scène : Limagrain (n°1 européen de la semence de blé) qui a détecté l’intérêt du projet. Le blé noir, pour un rendement de 6 t/ha, détient 50% de protéines de plus, et 3 à 5 fois plus de magnésium, phosphore ou sélénium : « sans perdre en rendement, ce blé noir réagit comme une pompe à sels minéraux », confie A. Bonjean, généticien du groupe.

Racheté à 60% dès 1998, le centre de recherche est devenue la base de recherche du blé de Limagrain en Chine. Par ses laboratoires et collections de souches, le groupe a pu étalonner et améliorer le blé noir, doublant le rendement. Tout en travaillant la teneur en gluten, Limagrain  étudie à présent pour ce produit, des applications commerciales, en coopération avec des groupes chinois et étrangers, pour créer, par ex.,  barres chocolatées ou petits déjeuners instantanés.

Dans ses cartons, le centre en JV détient aussi un blé ramifié offrant 11% de rendement de plus en zone aride. Limagrain a également racheté à l’équipe d’un professeur Cai de Pékin, le maïs Nongda ’95, espèce nouvelle, offrant la meilleure résistance aux pestes pour un rendement supérieur, qui pourrait couvrir jusqu’à 30% des surfaces nat’les en 2004.

« La Chine a une50aine de découvertes aussi prometteuses», dit Alain Bonjean, « mais cette recherche trop locale a du mal à percer, et s’ex-porte moins encore: nous apportons les chaînons manquants, de la technologie, du financement, une approche commerciale».

Cette agronomie sino-étrangère pourrait étonner le monde par sa capacité à concevoir, produire et transformer des produits nouveaux à des prix imbattables. Ex. : le blé dur (à spaghetti), devrait perdre ses subventions suite à l’élargissement de l’UE. Or la Chine fait ses pâtes avec des blés tendres. A ce défi, le marché européen devra réagir, pour survivre!

 


A la loupe : SHANXI- ballade entre Taiyuan/Yuanping

Autour de Taiyuan, la plaine de loess jaune est ravinée sur des 10aines de m de profondeur par les pluies. Les efforts pour araser les sommets afin d’en tirer des champs minuscules, témoignent d’une soif de terre. Partout, en ville comme aux champs, l’air est trouble, pollué du charbon de milliers de PME Au village, les boutiques sont misérables, les routes défoncées, jonchées de gravas et les rues non balayées: « les gens du Shanxi n’ont pas le moral », dit-on sur place. Pourtant, jusqu’au début du XX., des villes comme Pingyao déployaient fièrement leurs murailles et richesses : que s’est-il passé ?

Il y a eu le report de l’industrie vers les côtes, qui a frappé de plein fouet la Chine de l’intérieur. Mais surtout, le Shanxi a sa part des 200M d’enfants de Mao, conçus hors planning familial, qu’il faut aujourd’hui nourrir et employer: comme toute la Chine jaune, la province voit passer au loin, à la côte, le train de la croissance!

Au Shanxi, le SRAS a frappé dur : 448 cas,  4. rang national. A présent, l’alerte est passée, mais les cicatrices demeurent, avec les banderoles de slogans et surtout, les contrôles sanitaires. Policiers et infirmiers suant sous leurs casques hermétiques prennent les températures, désinfectent le fond des véhicules. En 36 heures nous sommes contrôlés 15 fois, dont 6 entre les seuls aéroports de Taiyuan et de Pékin- quoique le Shanxi ait été retiré de la liste des destinations suspectes de l’OMS. Mais après 5 mois de crise, la Chine administrative ne prend plus de risques – chat échaudé…

NB: le 17/ 06, l’OMS levait sa restriction pour les voyages à Taïwan, mais Pékin demeure encore sur ses listes.

 


Joint-venture : Shanghai, la valse des QG asiatiques

OMC oblige, la Chine vient d’ouvrir les marchés de Chengdu (Sichuan) et Chongqing aux assureurs étrangers. Dans la foulée, la tutelle CIRC émet le 16/06 la licence promise en avril (lors de la visite de JP. Raffarin), à Groupama qui devient le 3 ième groupe français autorisé après CNP et Axa (sur 36 étrangers habilités et 57 filiales). Le spécialiste de l’assurance mutuelle rurale (2/3 du marché en France) investira 24M$ autour de la  capitale sichuanaise, en retard en assurances (malgré les 15 maisons du cru), avec des dépenses/habitant de 124Y/an contre 1000/habitant à Shanghai. Le retard du secteur agricole est plus flagrant encore : 0,5% des 25MM$ dépensés en primes d’assurance en 2002. Avec son marché de 80M d’habitants dont les 3/4 vivant au village et 20.000 grandes fermes privées, le Sichuan semble être en Chine un bon premier pas!

— Les choses vont bien pour Honeywell, le géant US de l’électronique de pointe et des équipements (spatial, auto, chimie, bureautique…) : d’ici 2005 (selon ses dires), son chiffre en Chine doit bondir de 67% à 1MM$, réalisant ainsi 1/3 de ses ventes asiatiques. Féru d’avionique, le groupe du New Jersey voit (entre autres) les 144MM$ que l’aérospatiale chinoise devra payer d’ici 2020, dans l’achat de 1.600 nouveaux appareils. Il ne lui en faut pas plus pour déplacer son QG Asie-Pacifique, à Shanghai, afin de se rapprocher de ses 22 JV ou filiales à 100% (500M$ d’invest) et des clients. Un vaste mouvement de déplacement des sièges est ainsi en cours : 80 d’entre elles vers Shanghai, 240 vers la Chine (dont 1/3 depuis oct. 2002). Les perdants sont Singapour (ex-QG d’Honeywell) et HK.  Ce choix ne tient pas compte du coût de fonctionnement (Shanghai serait la 11ème place la plus chère) : des sites comme Shanghai ou Pékin deviennent incontournables!

 

 

 


A la loupe : Marine—et CMC : le grand nettoyage

La fin du sous-marin n° 361 (cf VdlC n°16) aurait pu rester sans suites – comme en d’autres occasions. Aussi, le débarquement semaine passée de 12 officiers dont l’amiral Shi Yunsheng, prend le sens d’un désaveu de l’APL, et plus encore. Sont aussi démis Yang Huaiqing, commissaire politique de la marine, et le vice-amiral Ding Yiping pacha de la flotte du Nord depuis novembre 2002.

Cette sanction se fait contre Jiang Zemin, patron des forces armées, qui avait nommé ces hommes. Lors d’une orageuse session  du Politbureau dédiée (23/5) à la modernisation de l’APL, Hu Jintao cita Jiang, sur « l’obligation des têtes militai-res d’assumer leurs responsabilités ».

En même temps, un document parvenait au CC, signé de prestigieux aînés tels Song Ping, Qiao Shi et Wan Li –tous ex-membres du Comité Permanent et ce dernier, ex-Président de l’ANP. Le papier recommandait la retraite anticipée de Jiang dès la fin de son mandat, sans attendre 2008. Coup rappelant la mule du Pape, car tous ces hommes avaient été écartés par Jiang. L’initiative renforçait Hu Jintao qui, après avoir repris la haute main sur les groupes directeurs Affaires étrangères, Finances, Eco, et Taiwan, impose sa voix à la CMC.

En août, le conclave de Beidaihe va trancher sur ces mouvements, ainsi que sur une vaste réforme, comme  我们的新长城 womende xinchangcheng, « notre nouvelle Grande Muraille » n’en a plus vu depuis longtemps : d’ici 2008, 20% des 2,4M de soldats passeraient au civil ainsi que bon nombre d’actifs en kaki, ayant échappé à la démilitarisation de 1999, et la région militaire de Jinan fusionnerait avec celle de Nankin.

Notons le triple slogan stratégique de Hu aux soldats: «neutraliser l’influence US, améliorer les échanges avec Taiwan, parer l’armée à toute éventualité» : contrairement à Jiang, Hu n’a pas besoin d’une dialectique guerrière pour convaincre l’APL, qui dans ce mot d’ordre, n’entre qu’en 3ème position, et dans une langue modérée!

 


Argent : coût des normes -Pékin fait ses comptes

— Le VdlC n°21 évoquait le coût des normes nationales agricoles, en cette Chine écartelée entre sa tradition centripète et sa vocation d’export. Le Min. du Commerce fait à présent le même bilan appliqué à tous secteurs : en 2002, “normaliser chinois” coûte 17MM$ aux exportateurs, entre contrats perdus, frais d’inspection, 40aines, et passage aux standards mondiaux.

1er trou noir: l’alimentaire (aux très grandes ambitions dans l’UE) à 9MM$ et 90% des produits soumis à des barrières, suivi de  l’industrie légère (4MM$), l’équipement électrique, la machine outil (2MM$). 95% des barrières techniques étaient dressées par les pays riches : UE (41%), Japon (30%) et US (25%). Une différence de traitement entre une masse des locaux frappés, et un corps d’étrangers épargnés. 71% des (petits) exportateurs souffrent, aux produits hors normes internationales. Par contre, seules 30% des 325MM$ des exports sont frappées : c’est que la moitié des 200 grands exportateurs du pays sont étrangers, tel le nouveau recordman toutes catégories, le taiwanais Honhai (4,4MM$ d’export) qui s’offre le luxe de battre les Chinois dans leur spécialité, la pièce électronique. A ce palmarès 2002, Motorola est second avec 2,8MM$.

NB : le reste des exports chinois non restreints, se répartit  entre marques chinoises et étrangères, ces dernières exportant 96MM$ en 2002, x10 le score de 1990.  

— 1er électricien de Chine, Huaneng conclut (18/06) un peu convainquant mariage avec le n°1 du charbon, China Coal. Par un set de contrats à moyen et long terme, CC deviendrait 1er fournisseur de Huaneng, et les deux ont signé un mémorandum de coopé pour bâtir une puissante centrale thermique dans le bassin de Pingshuo (Shanxi), aux réserves de 6,1MMt. En même temps Huaneng, son concurrent China Power et le charbonnier Huainan signent (10/6) une lettre d’intention pour une  centrale de 10 GW dans l’Anhui, couplée à une extraction de 30Mt, pour le marché de Shanghai, du Jiangsu et du Zhejiang. Paradoxalement, après avoir démantelé State Power, début 2003, l’Etat tente de créer des grands groupes entre électriciens et charbonniers, qui étaient en crise ouverte sur le prix de la houille quelques mois plus tôt. 

NB : rappelons le nom du PDG de Huaneng : Li Xiaopeng, fils de Li Peng.

 

 

 


Pol : l’habeas corpus pour les migrants?

— Evoquée dans le VdlC n°20, la mort de Sun Zhigang, graphiste sans papiers tué suite à son arrestation, a eu une conséquence des plus extraordinaires (nous pesons nos mots) dans l’histoire du pays. Suite au tollé dans la presse et le monde intellectuel et juridique, avec discrétion extrême, Wen Jiabao le 1er Min. a fait abroger par décret du Conseil d’Etat (18/6) le règlement discrétionnaire autorisant depuis 1982  l’enlèvement et “rapatriement” des migrants. Ce texte techniquement illégal, n’était jamais passé devant l’ANP. Son abrogation élude tout débat des élus, ce qui en principe pourrait permettre sa réintroduction. Il n’a pas aboli, pour autant, d’autres règlements de police de la même époque (début de l’ère de Deng), permettant l’envoi en 劳改所 laogaisuo (camp de travail) jusqu’à 2 ans et la désintoxication forcée, sans verdict de justice. Même avec ces limitations, cette décision révèle une vulnérabilité publique, une volonté d’aller de l’avant, et elle ouvre une brèche dans la marche vers un Etat de droit. 2 inconnues demeurent : le texte de la nouvelle loi -resté secret-, et l’application qu’en feront les policiers.

— Autant la Chine se montre malthusienne et conservatrice dans sa pratique des noms de famille (avec les fameux老百姓, laobaixing ou “100 vieux noms”), autant elle se rattrape dans les prénoms, mettant une prodigieuse créativité dans ces choix, liés au lieu ou au moment. A tel point que la Commission d’Etat à la langue et à l’écriture a dû réagir en limitant la liberté d’appellation des enfants, au sein d’un groupe de “seulement” 10.000  caractères, tout en en bannissant 50.000 autres. A la base du règlement, on trouve trois motivations bien différentes. Au plan technique, la liste des caractères valides est celle identifiable par les systèmes informatiques. De toute manière, les plus lettrés des chinois dépassent rarement les 7000 caractères. Au plan humain, il peut être raisonnable de protéger les petits contre des noms durs à porter, tels que « Sadam-Deng-Sars », « Jeuzazes » (pour « jeux asiatiques »), ou « Jeuzoles ». Enfin, au plan idéologique, l’Etat-Parti prétend bannir les noms dérivés de l’ère coloniale (genre “Formose”), et des myriades de prénoms d’origine obscure, régionale, clanique ou mafieuse.

 


Temps fort : L’été laisse les laitiers de glace

Quand l’été pointe à l’horizon, les marchands de glaces sortent leurs canons,surtout au Nord, fief de la crème glacée -du fait de la proximité des prairies et de l’offre abondante en lait.

Le marché du lait (frais, UHT ou yoghurt) a vu  les défaites (cf VdlC n°15) de groupes tels Kraft ou Parmalat, repris par leurs partenaires locaux. La glace demeure l’exception, place forte de l’étranger, Nestlé et Walls (Unilever), avec 25 à 30% chacun des 2,8MM$ de ventes l’an passé. Mais la concurrence s’accentue.

Enjeu : le marché encore faible, avec 1 litre/habitant/an en Chine, contre 23 aux US. Les 4000 PME de glaces n’ont de choix qu’entre les marchés ruraux, le piratage et la mort lente. Les joueurs locaux émergents sont Yili et Mengniu, les deux « cornes mongoles ». Bien géré, Yili tient 20% du marché, 17M$ de profits en 2002 -il en prédit +33% en 2003. 4ème laiterie nationale, Mengniu a quintuplé ses ventes depuis 1999, atteignant 241M$ en 2002, ce qui lui a valu 8M$ d’investissement de Morgan Stanley (11% des parts) en décembre dernier.

D’autre part, après avoir ramifié leur réseau de collecte/vente (clé du succès en Chine), les laitiers de Pékin et Shanghai, Sanyuan et Shanghai Bright s’apprêtent à rejoindre le bal glacé, l’un avec Faxi (le franchiseur de Budd’s), l’autre, en franc-tireur, après reprise de 40% (pour 16M$) d’un glacier local . 

Les grands groupes réagissent. Fort de son usine laitière de Shuangcheng (Heilongjiang, depuis 1993, 100.000 dépendants), Nestlé poursuit l’effort de localisation des goûts, avec des saveurs telles sésame ou haricot rouge. Il investit dans le géant US Dreyer (2,8MM$), et quadruple son budget publicité. Walls fait de même, avec 18,4M$ investis en pub et produits nouveaux. Sous une telle grêle d’investissements, pas étonnant que le marché doivent croître de 40%/an, pour atteindre 4,8MM$ en 2006!

 


Petit Peuple : Divorce à la crapule

— Les destinées en Chine ont souvent un moteur simple, même si une crue de détails d’une complexité déroutante en obscurcit vite la vision. En témoigne l’affaire Zhang contre Zhang. En 1984, le mariage promettait, entre Zhang Ping le mécano et Zhang Li l’employée.

Leur bonheur fut sans ombre jusqu’en 1991, moment où il succomba au démon du jeu, entraînant sa femme en enfer.

Li fut bonne à éponger ses dettes et à faire vivre toute la famille sur son salaire, sous les insultes et sous la peur, la forçant plus souvent qu’à son tour à se réfugier avec leur fillette chez des amis. En été 2002, la coupe était pleine : elle divorça, gardant leur F2 à Fengtai. Mais Ping gardait sa clé, pour “voir sa fille”. Un jour, Li constata la disparition de sa car120te d’identité et du titre de propriété de l’ appart. Elle porta plainte. Mais il fallait des mois pour faire refaire la carte et sans elle, le Bureau foncier, contacté pour bloquer toute revente de son patrimoine, l’envoya sur les roses. Aussi fut-ce sans trop de surprise qu’elle vit 4 mois après, des inconnus toquaient à sa porte, les “nouveaux propriétaires”, ahuris de voir dans ces murs une patronne autre que celle avec qui ils avaient traité: pour vendre, le mari avait pris une imposteur, avec la carte d’identité volée! C’était une application parfaite du 25ème stratagème du recueil antique (qui en compte 36), 偷梁换柱 tou liang huang zhu, voler la charpente et remplacer les piliers… Logique dans sa malice, le bureau foncier refusa de dés enregistrer la vente! Comment, face à cette écrasante collusion d’incompétence et de duplicité, la mère et sa fille ne sont pas -encore- à la rue? Grâce à la presse!