Le Vent de la Chine Numéro 20

du 8 au 14 juin 2003

Editorial : SRAS : Degré Zéro, et les lendemains!

Face au SRAS, la Chine gagne la partie, annonçant trois jours la semaine passée, sans cas nouveaux ni morts. Après hésitations, l’OMS suit et s’apprête à déclassifier «très bientôt» comme zones dangereuses, Nord-Hebei, Tianjin, Shanxi, Mongolie. Pékin pour sa part rouvre (10/6?) cinés et bibliothèque nationale, après un mois de mise en berne.

Pour les milieux étrangers, la convalescence suit: le LFP se remplit doucement (2/3 des d’élèves de retour), et  les Cies lèvent progressivement l’interdit de voyage: la page semble tournée!

Au chapitre « aides aux PME pour remonter la pente » (20000 jobs perdus), l’Etat a promulgué baisses ou grâce d’impôts, et dans Pékin, 726M$ sont (29/5) distribués chez 2 banques, Everbright et Beijing Commercial, en prêts préférentiels sur 5 ans, à bas taux, voire taux gratuit, en cas de remboursement dans les délais. Les dossiers sont traités le jour même par Find Capital, n°1 national du crédit auto. En même temps, les assurances versent leurs 1ères « primes SRAS ».

Enfin, les migrants reviennent en ville, soumis à l’arrivée à des contrôles médicaux rigoureux—sans attestation, on ne rentre pas!

Le danger passé, est-ce un hasard –sans doute pas!- si 2 pétitions font grand bruit,  encensées par la presse, suite à la mort par bavure d’un migrant à Canton (au 17/3, 18 policiers et médecins punis depuis).

[1] Celle de Xu Zhiyong, Teng Biao et Yu Jiang, docteurs en droit à Beida et profs (30naires), réclame l’abolition du mécanisme permettant d’ arrêter, taxer et expulser les migrants. Cette pratique n’est pas constitutionnelle, ni même légale.  Les expulsions devraient, selon cette demande, être contrôlées par la justice. Ce qui irait dans le sens de la demande de Hu Jintao, depuis sa nomination comme Président et Secrétaire national du PCC, d’améliorer le sort des migrants.

[2] Celle de He Weifang, éditeur du “journal du droit de Beida”, réclame la suppression de la détention extrajudiciaire en place depuis 1982. He réclame aussi qu’une instance spécifique se voit reconnaître le privilège de l’interprétation de la constitution (ANP ou  tribunal ad hoc).

La presse constate qu’aujourd’hui, censures et arrestations de dissidents, qui continuent, n’empêchent pas une tolérance exceptionnelle pour les revendications de réformes juridiques limitées, liées à des problèmes sociaux, ne remettant pas en cause le monopole du PCC! « Dans les années 1980, dit He, on croyait au grand changement par la passion : aujourd’hui, nous recherchons le petit changement par le droit, la transformation lente et sous contrôle de la culture et des organes administratifs. C’est plus efficace, et c’est ce que les gens veulent » !

 


A la loupe : Vers la république- un feuilleton décoiffant!

Les fans chinois de la TV vous le diront : 走向共和 zhou xiang gong he (« vers la République »), feuilleton diffusé depuis mai sur CCTV1, en 59 épisodes, a unanimement plu!

Zheng Jiaming le réalisateur (aussi vice-directeur de la propagande au Henan) a réuni une image riche,un scénario habile au service de la 1ère reconstitution honnête des derniers jours de l’Empire mandchou avant la République de Sun Yatsen en 1911. Finis, les poncifs véhiculés par les manuels scolai-res, d’une époque barbare ou décadente. On y voit certes les compradors et seigneurs de la guerre, mais aussi des administrateurs et intellectuels patriotes, des bourgeois et petites gens hantés par des problèmes semblables à ceux d’aujourd’hui : comment concilier liberté d’opinion et stabilité, et surtout, éviter de répéter corruption, violence d’Etat, les erreurs cycliques du passé chinois…

Dans cette réévaluation, même  l’impératrice Cixi, connue comme cruelle et bornée, ressort métamorphosée sous des traits agréables…

Le succès fut immense : CCTV put doubler son tarif de pub, à 17.150$ les 15 sec. Un débat vif s’engagea dans les foyers, sur internet-7500 messages sur sina.com. Mais le thème était trop brûlant : avant même la fin, la série fut censurée, puis interdite de rediffusion, avant un  retournage partiel. Avatar qui n’est pas sans rappeler, en 1988, la diffusion d’un autre feuilleton intense, Heshang (élégie du Fleuve Jaune). Alors aussi, les censeurs s’étaient émus. Mais ils n’avaient pu ni couper, ni interrompre : à l’époque, Deng Xiaoping en personne avait dit « non »!

 


Joint-venture : Poids lourds—le grand jeu

— Les semaines qui suivent montreront si la Chine juge la restructuration de son secteur du camion lourd suffisamment solide pour ouvrir le secteur à l’étranger. Après la rupture des négociations entre Daimler-Chrysler et FAW (cf VdlC n°16) – parce que le N°1 mondial prétendait imposer sa marque-, Volvo et le groupe d’Etat CNHTC qui piétinent depuis’94, attendent le verdict du min. du Commerce sur leur dernière proposition de JV 50/50. Le projet de 193M$ prévoit l’ouverture à Jinan (Shandong) d’une chaîne de 10.000 camions Volvo/an, d’un coût moyen de 100.000$. Ils formeraient la crème d’un marché chinois de 260.000 camions/an. Pour Volvo, n°2 mondial du routier, le choix de la Chine est stratégique: la trop grande réussite de son effort de concentration, qui lui a donné le contrôle de Mack (US) et RVI (de Renault), force le  suédois à se développer ailleurs, sur les marchés neufs. Or le camion chinois, avec son marché intérieur qui va exploser, fera partie du décor concurrentiel mondial, passé 2010.

NB: RVI et Nissan aussi, attendent une licence camions, avec Dongfeng : au choix du Ministère du Commerce, mais RVI est propriété Volvo, lui-même à 20% détenu par de Renault, et Nissan est détenu à

44,4% par Renault : Renault comme Volvo ont chacun deux, voire trois fers au feu! 

— Le 28/2, Goldman Sachs rachetait à 10% de leur valeur (+-) 229M$ d’actifs faillis de la banque ICBC, confiés à sa structure de défaisance (SDD) Huarong (cf VdlC n°08).  Le 04/06, il récidive au quintuple, reprenant pour 1,2 MM$ de telles dettes : le nouveau, ici, tient à ce que la SDD a été en partie mise à l’écart. Tout en maintenant la forme d’une JV, Goldman Sachs peut reprendre plus de dettes, en ayant plus de gestion directe sur elles. Cette évolution est révélatrice de 2 tendances :

Œ les SDD n’ont pas vraiment marché, n’ayant su écouler en 3 ans que 41MM$, en écrémant les meilleurs actifs. Or, comme ses 3 soeurs, la ICBC a 24% de mauvaises dettes, 150MM$ en ce qui la concerne, à écouler sous 5 ans selon l’ordre de Liu Minkang, boss de la CBRC. Désormais, il faut passer à la vitesse de croisière—exit la SDD!

? L’assainissement de la finance  ne se fera pas,c’est sûr, sans entrée de l’étranger dans son capital et son fonctionnement. Chaque banque est en quête de partenaires. Dans ce bal des débutantes, la finance US est spécialement respectée en Chine : GS et Morgan Stanley ont une avance sur les autres, dans le partenariat initié par le recyclage des mauvaises dettes!

 


A la loupe : Canada / Chine, labos financiers!

D’une surface comparable à la chinoise pour une population égale à celle de Chongqing, d’un niveau high tech au sommet mondial, le Canada est l’image inversée de la Chine et pour ce pays, forcément un partenaire spécial : pas étonnant, dans ce contexte, que deux contrats «expérimentaux», deux premières mondiales, viennent d’être signés – un sur chaque rivage! « a mari usque ad mare »

[1] Dans le cadre de l’assouplissement du cadre financier national, la Banque de Montréal devient le 1er étranger à entrer dans le fonds mutuel chinois Fullgoal, vendu à 6 groupes (dont, outre la BoM, le shanghaien Haitong, courtier n°1). Comme les 5 autres, la Banque de Montréal acquiert 20M de parts, pour un montant tenu secret. Fondé en 1999, Fullgoal gère 5 fonds d’invest, et 1MM$ de 65.000 épargnants. La banque canadienne l’aidera à peaufiner des produits nouveaux à distribuer en Chine. A terme, avec 2 agences (Pékin, Canton) et un bureau (Shanghai), la banque veut être en bonne position pour placer sur les marchés nord-américains une part de l’épargne chinoise privée (1200MM$), surtout des 75 à 150MM$ attendus en fonds de placement d’ici 2010.

[2] Compagnie privée de Dalian (Liaoning), expert paysagiste des métropoles chinoises (12M$ de chiffre en 2002), Hanfeng s’inscrit début juin en bourse de Vancouver, hôte de 2300 PME industrielles et de ressources naturelles.

Cette entrée était préparée depuis’02 par le rachat du groupe minier canadien McVicar. C’est la 1ère firme chinoise à chercher un placement au pays de la feuille d’érable -auparavant, les regards se tournaient vers HK, NY, Londres ou Singapour. Hanfeng y vise 30M$, notamment pour  2 usines modernes d’engrais à Pékin et Shanghai (12M$).  Avec 15% de sa population d’origine chinoise, Vancouver est pour Hanfeng une porte d’entrée en Amérique, et un stage de formation avant d’ autres étapes plus coriaces, dès 2004 si tout va bien : le TSE (Toronto) et le Nasdaq (New York)!

 


Argent : internet cafés : resserrer les chaînes

— En juin 2002, l’incendie criminel d’un cybercafé pékinois clandestin causait 25 morts, suivis de la fermeture -provisoire- des 200.000 cafés internet- du pays. Mais la chose a fait réfléchir: le 27/5, l’opérateur Unicom reçoit du ministère de la Culture la licence d’opérer sa chaîne, 700 cafés d’ici décembre, la plupart en franchise -l’investissement de départ oscille de 60.000 à 120.000$, à 100 PC minimum par site.

Ce plan ambitieux permet au N°2 du téléphone portable de réduire ses coûts par achats massifs, et d’offrir les meilleurs tarifs (sur son propre réseau).  La concurrence, c’est  Feiyu (480 cafés qui veulent devenir 2000 d’ici 2007), et “17173”, fédération de 67.000 cafés privés. China Telecom et Netcom visent aussi leur entrée. Pour le ministère, l’avenir est dans ce passage des cafés privés vers des chaînes, garantes du respect des règles contre virus, accidents, dissidence et délinquance : “mens sana-PC sano” !

— Déjà engagée, la délocalisation de l’électronique vers les marchés émergents poursuivra sa course, disent IFC et  B.A. Hamilton qui annoncent entre 2001 et 2005, le doublement de la production électronique à 125MM$, dont 80MM$ en Chine. Alors, la Chine produira 10% de plus que l’Europe de l’Ouest entière et 14,3% du total mondial (contre 8,1% en 2001). Ainsi la faible transparence financière et politique du pays reste compensée par  l’attraction imbattable du coût de production et du rapport qualité/prix. Idem, l’effet du SRAS sera des plus limités.

 


Pol : Quelle zone de libre échange?

— Après 10 ans de travaux et 21MM$ d’investissement, le barrage des 3 Gorges parvient à une étape critique, la mise à l’eau. Bouché le 1er juin, à 5m/jour, le réservoir devait atteindre la cote 135 deux semaines après. Cet été, quatre des 26 turbines de 700MW tourneront. A terme, en ’09, le réservoir contiendra 22MMm3 d’eau, et sa production atteindra 18,6GW (l’équivalent de 19 centrales nucléaires). D’un coût global d’au moins 22MM$, il sera l’outil d’industrialisation de la Chine centrale, tout en alimentant la côte par le réseau électrique en cours d’intégration. Mais la vieille controverse se poursuit, inévitable. Le directeur de la SEPA annonce (5/6) une détérioration nette de la qualité des eaux du Yangtzé, qui imposera l’investissement de 2,4MM$ en centrales d’épuration. Le 21/05, l’inspecteur en chef de la qualité du barrage, Pan Jiazheng dénonçait un béton “inutilement solide” et des centaines de fissures (apparemment normales et sans danger). Curieusement, son discours était publié sur le site internet de l’ouvrage, reflétant une décision à un niveau bien supérieur au sien: l’opinion, au sein du pouvoir, est divisée!

— Dès octobre 2003, les fruits et légumes entre Chine et Thaïlande circuleront à droit zéro. Signé le 16/5, cet accord précède une série d’autres entre la Chine et les 10 de l’ASEAN, avec qui elle négocie lentement une zone de libre-échange pour 2010. La Chine traite aussi, pour un projet identique, avec Japon et Corée du Sud : la libéralisation de leurs échanges (285MM$ d’ici 2005) pourrait être chose faite d’ici 20 ans, selon la plus récente étude de faisabilité.

NB: Taïwan n’est pas invitée au banquet pour cause politique, ce qui agace le Sénat US, qui menace (5/6) de négocier une  ZEL directe Taïwan / US : manifestement, l’exclusion de l’île de ces accords, sur l’insistance chinoise, ne pourra durer. De toute manière, ces accords asiatiques ne sont qu’un volet de la démarche qui se déroule en même temps au plan régional (APEC) et mondial (OMC)!

 


Temps fort : Carambouille, et/ou guerre de pouvoir?

[1] Le 1/6, l’ICAC, police anti-fraude à HK arrête 21 personnes autour du groupe Shanghai Merchants, y-compris Mo Yuping, sa PDG : 6 camionnettes de dossiers sont confisquées.

[2] Depuis le 26/5, Zhou Zhengyi, son mari, était assigné à résidence à Shanghai.

[3] Le 2/6 à  Shanghai, Nongkai, pièce maîtresse de la nébuleuse commerciale du magnat était perquisitionnée : 2 camionnettes de papiers furent emportées. Ensemble, ces trois faits marquent l’envoi de la plus grosse affaire de fraude de l’année, et le projecteur tourné sur un certain capitalisme privé chinois!

Zhou qui 15 ans plus tôt vendait des raviolis, s’était hissé au 1.rang de richesse dans sa ville, créant un empire d’immobilier, banque, courtage, agriculture et autoroutes.

Sa fortune avait démarré dans la revente aux étrangers de stock options pour cadres chinois. Depuis, il pratiquait la friture, consistant à contracter (par corruption) de gros emprunts avec pour hypothèques, des Cies qu’il ne possédait pas, ou sans valeur, puis de les racheter et jouer sur les cours. C’est ce que faisait déjà Yang Rong, le patron de CBA, aujourd’hui en fuite. A la tête d’au moins 6 firmes en bourse de HK ou Shanghai, Zhou doit aujourd’hui répondre d’un emprunt de 256M$ à la BdC (HK), avcc la complicité de son administrateur, Liu Jinbao, rappelé à Pékin, voire disparu. En outre, 12000 foyers shanghaiens accusent Zhou d’expropriation frauduleuse (63.000m²), obtenue sans compensation, moyennant bakchich de 2,4M$.

Pas moins de 4 polices se pressent sur l’affaire –audit national, Ministère de la Sécurité d’Etat, CBRC et 纪 律检查 jilüjiancha, la Commission Centrale de vérification de la discipline (police du Parti).

NB : proche de Jiang Zemin, aujourd’hui au Comité Permanent,  Huang Ju était à l’époque Secrétaire du Parti à Shanghai. Il n’est pas impliqué à ce jour : tout l’enjeu est là!

 


Petit Peuple : tout est perdu, fors le coeur !

饱经风霜 bao jing feng shuang, dit-on en chinois  pour désigner «celui qui a tout enduré, souffert, perdu et pleuré» – l’éternel perdant. Le mot convient bien au personnage de Qin Kai-yuan, dont la vie n’est pas parsemée de pétales de roses. Enfant, il fut jeté, puis oublié dans une ferme du Guizhou. De retour à Pékin à 32 ans, sans diplômes sans piston, il ne trouva qu’une place de boutiquier. Son mariage fut un désastre: femme et enfant s’envolèrent après 3 ans. Ce  n’ est qu’à 50 ans passés que la chance se présenta, sous la forme d’un chèque de 12.000$, prime d’expropriation de son appartement de Zhongguancun. C’était le moyen de repartir à zéro… Malgré les avis des proches, il plaqua tout pour son Guizhou d’adolescence, s’installant en mai 2001 à Kaili avec 15 bergers allemands : son idée géniale était de louer ses services canins en gardiennage des nouveaux riches…

Mais le guignon veillait: en septembre à l’aube, aux vespasiennes, des vagissements sortant d’un carton troublèrent sa miction matinale. Il l’ouvrit imprudemment : une paire de jumelles faibles  mais vivantes, le regardaient de leurs grands yeux de l’ethnie Miao. Lâchement, le bureau de la population refusa de les prendre, feignant de le soupçonner d’être le père. Avec son valet, ils jouèrent donc à “2 hommes et deux couffins, apprenant à la dure l’art des langes et du biberon, des nuits blanches et des dîners hurleurs. Sa fortune y passa. Délaissés, les chiens expirèrent à la file. Impayé, l’assistant disparut. En mars 2003, Qin retourna à Pékin avec ses poupons sans papiers, qui hésitent à l’appeler papa ou papi. Les trois sous qu’on lui prêta alors, il les plaça dans une affaire “en or” de cactus pour restaurants qui, entre l’ultime gelée et le SRAS, périclita sans hésiter.

Aujourd’hui, Qin cherche une famille pour ses filles mais refuse tout le monde, car les candidats veulent des adoptions séparées: “si rien ne va mieux, dit-il, philosophe, on restera tous les 3 -on trouvera toujours de quoi vivre”. Et voici enfin- peut-être- une chance? Jinhua Shibao s’émeut de telle constance dans la déveine, et publie l’histoire, avec pour légende, “tout est perdu, sauf le coeur -et les enfants”!