Le Vent de la Chine Numéro 19

du 1 au 7 juin 2003

Editorial : Russie, SCO, Evian—Hu Jintao sur tous les fronts!

Que peut penser Hu Jintao, en sa première mission mondiale en qualité de n°1 chinois (26/5-5/6), après s’être vu 10 ans tenu à l’écart par Jiang Zemin, qui lui préférait ses lieutenants ? Nul ne peut le dire – Hu reste d’un  secret légendaire.

Peut-être même Hu n’a-t-il en ces instants aucune pensée d’ordre émotionnelle, et ne parle t’il qu’à des concepts politiques telle la multipolarité, fil rouge de son voyage. L’idée étant d’aider Russie, Union Européenne voire Inde, à émerger afin de contrebalancer la puissance des USA.

Dans ce voyage désigné un des plus importants de la décennie pour la Chine (par ses étapes, ses enjeux et la position de départ du nouveau Prsdt), la halte moscovite fut la plus imposante. Avec son égal Vladimir Poutine, Hu a fixé un contenu à «l’accord stratégique bilatéral» signé depuis 2 ans: les 2 pays veulent spécialiser leur coopération dans le commerce et l’énergie. Ils ont signé, comme attendu, le contrat du pipeline Angarsk-Daqing, (VdlC 18), accord-mammouth entre les pétroliers CNPC et Yukos, qui prévoit un prix de 150MM$ pour la livraison de 5,1MM barils d’ici 2030 (10% des besoins chinois), plus 1,1MM$ pour 5Mt fournis par train, pendant la construction du pipeline. Ce qui au passage, permettra à Yukos de racheter son rival Sibneft et de passer n°4 mondial privé. Les 2 Prsdts auraient aussi parlé armements russes, dont la Chine achète 1MM$/an : pas par hasard, Hu vient d’exhorter l’APL à se moderniser- pénétrant ainsi le pré carré de Jiang Zemin, chef des forces chinoises.

Le sommet de la SCO le 29 à Moscou (Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan et Ouzbekistan) a vu la création d’un Secrétariat permanent à Pékin. A vocation anti-terroriste, le pacte se mue en organisation internationale. Mais cela suffira-t-il à rendre à la SCO son utilité perdue lors du débarquement (post-11/9) des Marines en Asie Centrale/Afghanistan?

Les entretiens avec G.W. Bush, J. Koizumi et J. Chirac, entre St Petersbourg et Evian, étaient faits pour présenter  Hu Jintao aux leaders mondiaux. Rencontres protocolaires. Peu en est ressorti -d’autant moins que l’ambiance « post-guerre d’Irak », était lourde.

A propos de la Corée du Nord, Hu Jintao a pris l’initiative. Après avoir offert à Bush un second sommet à trois (Chine, US, Corée), il a publié avec Poutine un appel musclé aux 2 parties, adjurant

]Pyongyang, de rester non-nucléaire (ce qui affaiblira sa position de négociation), et

]Washington, de fournir des garanties au régime stalinien pour sa sécurité :

Manière, pour les deux compères, de placer la «balle au centre», et d’éviter de pousser leur petit voisin à  l’irréparable !

 


A la loupe : SRAS (toujours) : le début de la fin !

¯    30/5 : 7  cas, 1 mort pour toute la Chine: l’épidémie touche à sa fin, même si les experts étrangers maintiennent leurs doutes sur ces données.

¯ Ce nuage pourrait se dissiper suite au vote (28/5, Genève) autorisant l’OMS, en cas d’épidémie, d’entrer en tout pays sans invitation.

¯ Avec HK au moins, la coopé fonctionne:le CDC du Guangdong et l’Université de HongKong croient tenir la source du SRAS, dans 3 espèces sauvages consommées en Chine du Sud, civette, raton laveur et blaireau. Dès lors, la Chine s’achemine vers un ban total de toute conso d’animaux sauvages. En avril, 0,93M d’animaux ont été saisis sur les marchés du pays : la nature, sauvée par le SRAS?

¯ Cette même coopé a découvert que sur 10 marchands de ces bestioles, la moitié avait développé des anti-corps au SRAS. Du coup, l’équipe sino-HKgaise se dit prête à «tester» un vaccin, voire le commercialiser «sous 6 mois». De même, un grand nombre de nouveaux produits anti-SRAS sortent, combinaisons, détergents, machines…

¯ Une fois disparue la situation de danger manifeste, s’ensuit une fringale de plaisirs d’une population sevrée de sorties : les restaurants sont pleins, tard, les bars rouvrent, les gens s’amusent.

¯ Les premières plaintes en justice de particuliers contre l’Etat se préparent. La presse, de même, s’émancipe vite. Emerge une interrogation populaire sur les causes de l’épidémie.

¯ Mme Wu Yi, vice 1er Min voit dans le ravalement du système de santé son mandat prioritaire : une des manières les plus efficaces de prévenir ce questionnement de la base, en corrigeant 20 ans de lacunes, à minuit moins cinq!

 


Joint-venture : les bonnes affaires du maïs chinois

— Poussé par une taxation avantageuse, le maïs chinois s’exporte agressivement – il coûte 20$/t  de moins hors de Chine qu’à l’intérieur.N°2 exportateur mondial l’an dernier avec 11,6Mt, il voyait ses sorties en jan-fév, progresser de 34%, à 2,3Mt, laissant présager un score encore meilleur en 2003. Au coeur du grenier chinois, le Jilin s’accapare les 2/3 de ces exports, sur une récolte de 15% du total national. Dans ces conditions, pas étonnant que Dacheng, n°1 de la chimie du maïs, choisisse Changchun (Jilin) pour installer une usine dernier cri de 290M$ et d’une capacité de transformation de 6Mt de grain, en produits chimiques organiques et acides aminés (additifs alimentaires).  Invest pertinent: la Chine du Nord-Est est en manque d’aliment du bétail, face à une croissance hyperbolique de la prod. laitière et de viande. Les 4000 PME publiques de ces additifs, ne résisteront pas à cette concurrence intégrée. Enfin, les excédents seront vendus – avec la plus-value de la transformation – vers Angleterre, Japon et Corée du Sud.

NB : nonobstant, la récolte d’été (toutes céréales, surtout blé) va encore chuter de 4% à 95Mt, contre118Mt en1999. La récolte d’été fait 20% du total (le reste vient en automne). Dans la baisse joue la sécheresse, les quarantaines du SRAS, et surtout le fait que la Chine a moins besoin de grain, et comme dans le vin, joue la qualité.

— Producteur de télévision du Tennessee, Five-Rivers et 2 syndicats portaient plainte (2/5) devant la US Trade Commission, pour dumping contre la Chine, réclamant 86% de taxe. Avec 4,45M d’appareils importés en 2002, en partie an nom de la chaîne Wal-Mart, les US ont quintuplé leurs achats de Chine depuis 1999 -25% de l’énorme export chinois. Le groupe ayant le plus à perdre, serait Changhong (Sichuan) avec 2M d’appareils écoulés en 2002. Selon TCL, autre producteur chinois, 5-Rivers agirait ici pour le compte de groupes européens, fournisseurs traditionnels des US. En outre, la partie chinoise s’apprête à faire valoir que ses profits sur ce marché, à + 620% en 2002 , 570M$, l’exonère du soupçon de dumping. La Commission doit décider le 12/06, de lancer ou non une procédure d’enquête.

NB: face à l’Europe aussi, depuis sept. 2002, la TV chinoise est bridée dans ses ardeurs expor-tatrices. Suite à un accord “volontaire”, seules 7 GEE peuvent exporter hors taxes, dans les limites d’un quota de 400.000 unités, toute autre production étant taxée à 44,6%.


A la loupe : Trois ficelles pour relancer la bourse

La crise du SRAS rend plus urgente que jamais la relance de la réforme financière, à commencer par celle de la bourse. L’enjeu est de détourner l’ épargnant du «bas de laine » en lui donnant des produits financiers crédibles, et de privatiser la majorité des Entreprises d’Etat, par sauvetage pour celles viables, par dissolution pour les autres. Pékin  lance, ou poursuit plusieurs actions nouvelles :

[1]La CSRC octroie (25/5) aux Cies d’invest étrangères les 1ères licences d’accès aux fonds obligataires et aux  parts A: sous peu, UBSWarburg et Nomura les achèteront, dans le cadre strict du système QFII (cf VdlC n°10). Les 2 Cies ont 3 mois pour changer leurs devises (entre 50 et 800M$), les placer dans la banque accréditée, et « faire leurs emplettes », dont la bourse attend un rebond des cours. Au moins 6 autres banques étrangères attendent le même privilège.

[2] Réciproquement, le pays évoque—mais pas pour tout de suite- le lancement du  QDII, système pour chinois en quête de parts étrangères.Mesure réclamée par HK (où un  titre équivalent se négocie jusqu’à 3 fois moins cher), sans grand risque pour la stabilité monétaire, avec 316MM$ de réserves publiques (mars), contre 150MM$ aux firmes et comptes privés. Mais le QDII ne ferait aucun bien au marché boursier intérieur : pour l’instant, l’achat de titres étrangers se fait –comme depuis toujours, en très gros montants, par les provinces et GEE—au marché noir!

[3] Avant décembre,  les assurances pourront placer en bourse au-delà des 10 à 15% d’actifs aujourd’hui permis, soit (en déc.2002) 3,7MM$ sur les 84,5 MM$ de leur capitalisation. Selon le plan, les Cies pourraient investir directement, via une maison de courtage ou en JV, ou lister des actifs. C’est ce que s’apprête à faire China Life (n°1 nat’l, 24 MM$ d’actifs) qui veut drainer 3MM$ , notam-ment par un titre contenant ses polices les plus récentes (dont le profit irait aux porteurs) : peut-être un placement qui séduira l’étranger du QFII!

 


Argent : vin—l’Orient est rouge!

Zhong Guan Cun, Quartier “Latin” et technologique de Pékin, 10.000 firmes, ouvrit sans fanfare en janv. une simili place boursière de vente d’entreprises. Entretemps, 310 boîtes publiques ou hightech y quêtent les participations d’acteurs institutionnels chinois ou étrangers. Les 20 courtiers agréés vérifient la qualité des offres (rapports d’exercice et actifs), et se notifient mutuellement les demandes, forme d’enchères étalées dans le temps. Procédure lourde, mais qui tente de garantir la transparence. Il s’agit d’un autre outil testé en Chine pour relancer la réforme financière (cf p.1). Il se fera au bénéfice des PME, et de Pékin – un peu en ersatz du marché des valeurs technologiques accordé depuis des ans à Shenzhen, mais reporté sine die.

— Plus de 40% des “vins” bus en Chine en 2002 contenaient jusqu’à la moitié de substances autres que raisin (eau, sucre, fruits…). Pratique légale, justifiée par l’expansion du secteur, la plus forte au monde, mais qui posait des problèmes : en 2002, la viniculture chinoise atteignait 5,8M hecto mais la consommation n’était que de 4M. Le secteur réalise que l’avenir est à la qualité, et que la Chine a toutes ses chances à l’export (elle exportait 50.000 hectos l’an dernier). Depuis le 24/5, les commerçants se voient imposer de réétiqueter leur faux vin et au 30/6, seul le vin à 100% de moût de raisin sera légitime en Chine. Ainsi, la Chine adopte les standards mondiaux, et se prépare un avenir radieux. Deux simples chiffres montrent ses chances d’expansion: en 2000, le vin n’occupait que 6,8% du marché in-térieur des spiritueux et 1% du marché mondial. Avec un chiffre d’affaires dès 2001 de 17MM$, et une capacité de production à bas prix et de qualité (grâce à l’import d’ expertise étrangère) les vins chinois ont tout pour faire un tabac !   

 


Pol : Embellie sur l’Everest (face Est)?

—Le 19/5, Référence-Jeunesse, hebdo du Parti publiait un “papier” affirmant qu’à Wuhan (Hubei), une étudiante sur 10  pratiquait l’amour vénal pour payer ses études,et qu’une sur 4  travaillait comme hôtesse dans des bars. Conclusions dérangeantes mais pas invraisemblables, et qui recoupent d’autres enquêtes du même type en d’autres provinces ces années passées. Mais l’autorité a décidé de faire l’exemple:  2 journalistes et un rédacteur en chef du Journal de la Jeunesse, la maison mère, ont été mis à pied.  Cette péripétie évoque le malaise de la presse chinoise : la marge est étroite, entre la concurrence effrénée, l’effondrement des valeurs traditionnelles au profit l’argent, l’achat des plaisirs, la tentation de parler pour débrider la plaie (et vendre plus de copies), et celle de se taire pour ne véhiculer qu’une image positive (et fausse) du pays! 

— Pour la 2nde fois en moins d’un an, une délégation du gouvernement tibétain en exil est à Pékin, menée par Lodi Gyari, représentant du Dalai Lama à Washington. Signe, à tout le moins, d’un intérêt réciproque à se parler, et d’un espoir d’entente. L’inconnue sur l’attitude future de Hu Jintao, pèse sur le dossier tibétain comme sur les autres. Hu connaît bien le Toit du monde, pour y avoir été Sécrétaire du PCC pendant 4 ans. Il pourrait avoir envie de trouver intérêt à  normaliser avec le Dalai Lama, dans le cadre d’un plan global de redressement de l’image de la Chine. Même sans accord de fond, une visite du Dalai à Pékin et Lhassa aurait un retentissement considérable, et vu les signes persistants de réconciliation sur le terrain, le risque serait limité.

Le réchauffement est donc indéniable—mais pour autant, Pékin ne baisse pas sa garde : sur la visite des émissaires, dans les média, c’est le silence radio— au contaire, Guo Jinlong, actuel secrétaire du PCC au Tibet,  encourage (19/5) les 2,6M de Tibétains à “poursuivre sans relâche le combat contre la clique du Dalai”!

 


Temps fort : L’industrie du rêve, privée mais soumise

Selon la presse, 30% des films en salles ob-scures et 80% des télé-séries sont à présent tournés par le privé.

Sans compter les 20 films étrangers par an (surtout US) tolérés au terme de l’accord OMC. La course à l’audimat est féroce : pour 700M de téléspectateurs,  2100 chaînes s’arrachent 4MM$ de recettes de pub (40% des annonces annuelles).

En apparence, la concurrence a imposé le recul de la lourde machine socialiste à rêve, avec ses studios dans chaque province et ses pensums édifica-teurs subventionnés. Mais un regard plus pré-cis permet à tout le moins de nuancer !

[1] Désespérant de voir décoller sa China TV (2% de l’écoute à Canton, en 18 mois d’existence), le géant US AOL s’apprête à céder le contrôle de la chaîne évaluée à 70M$,et 16M$ de dettes en 2002. Il la vendrait à Tom.com, site internet du magnat HongKongais Li Ka Shing, très branché en Chine. Avec 26 MM$ de dettes, AOL n’a pas le choix de Rupert Murdoch, qui maintient à perte ses 3 chaînes  «Star» (cf VdlC n°2) : il lui faut se dégarnir de son invest chinois non mûr. D’ailleurs, AOL a dû aussi geler son projet de site internet en JV avec Legend (cfVdlC 6): la Chine ne lui réussit pas!

[2] Diffusées par câble en Chine aux étrangers et hôtels de luxe, les 2 chaînes Sun –et Jet TV, du groupe Sun media (HK) – avaient vu la tempête en mars-se voyant déconnectées après la signature d’une JV qui avait déplu à Pékin, avec le taïwanais ETTV. Pour recommencer à émettre (30/4), Sun a dû changer de partenaire, et cède 70% de Sun TV, pour 9,6M$, au gpe chinois Stellar.

Ces 2 cas indiquent que pour l’heure, OMC ou non, l’étranger même parmi les plus puissants, ne peut percer la grande muraille médiatique, qu’une fois repris par la Chine—ou le cousin Hong Kong : Privé, oui. Etranger, non !

 

 

 


Petit Peuple : Shenzhen-déposez votre mari!

— L’aventure qui suit démontre, s’il le fallait, que Shenzhen n’est vraiment pas une ville com-me les autres ! Un jour que Yu Qiuyu et sa femme Ma Lan, vieux résidents de la métropole cantonaise étaient sortis pour faire du shopping, il la fit entrer au 1er magasin venu. Au 1er rayon, il empoigna la 1ère robe, et sur ce commentaire péremptoire, “ça t’ira très bien”, la lui fit acheter sans même la regarder . Effacée (en apparence), en bonne chinoise, Ma le laissa faire. Mais de retour au foyer, elle étudia leur achat : d’une coupe extravagante, aux tons criards, la robe était  importable. Interrogé sur son comportement excentrique, Yu dut reconnaître qu’il avait ainsi cru écourter la corvée à bon compte : il haïssait faire les courses.

La suite est plus décoiffante : quelques mois après, un centre commercial ouvrant à Shenzhen, se mit à offrir un service inédit à la clientèle, un “dépôt des maris”, qui nourrit depuis lors une polémique passionnée à travers le pays. Avant de prendre son caddie ou de commander sa mise en plis, la bourgeoise méridionale y mène son conjoint, qui peut y lire, boire du thé, fumer ou admirer des oeuvres d’art – le lieu fait aussi galerie. C’est que Yu et Ma, écrivain et chanteuse d’opéra Huangmei, jouissent d’une célébrité nationale : suggérée par Yu, l’idée du dépôt des maris fut reprise avec enthousiasme par le directeur du centre, heureux d’offrir aux visiteurs 各得起乐 ge de qi le  “à chacun sa joie”. Seuls, trois groupes boycottent l’initiative : les femmes  妻管严 qiguanyan (qui portent la culotte) qui exigent de conserver à leur côté leur factotum-gratuit-porteur-de-paquets, les féministes poussant l’ombrageuse revendication de leur propre “dépôt” égalitaire, et les machos qui n’ aiment pas se voir laissés la laisse au clou, tel un vulgaire caniche. “Qu’à cela ne tienne”, conclut Yu, philosophe : “personne ne les force à venir”!

 

 


Rendez-vous : fête du Dragon—Et qu’ça rame!

4 juin: courses des bateaux – Dragons (Duanwujie) – HK, Singapour, Taiwan…

4 juin: 14ème anniversaire fin du Printemps de Pékin