Le Vent de la Chine Numéro 16

du 11 au 17 mai 2003

Editorial : SRAS : le front se déplace au sud!

Confortés par une baisse de virulence du SRAS en Chine (seulement 85 cas nationaux le 9/05) et l’espoir d’une redescente  d’ici le 17/05, les Pékinois ressortent dans les rues, et les masques tombent: la capitale baisse sa garde. L’embellie reflète l’effort du pouvoir, qui a mis 15.000 personnes en 40aine, les 80 réservoirs de Pékin et les frontières sont  «temporairement»   fermées…

Fausse note : le patron pékinois de la santé Wang Wannian admet que seuls 40% des cas nouveaux, proviennent de gens confinés, et donc sous contrôle: en Occident, il en faut 80%, pour être sûr de maîtriser structurellement l’épidémie. L’OMS d’ailleurs, se plaint toujours de l’insuffisance des informations chinoises.

A défaut d’une cuirasse médicale inattaquable, on fait dans le patriotisme: une superproduction en millions de US$ se prépare,  avec pour héroïne en « ange en blanc », la diva Gong Li.

NB : des centaines d’infirmières pékinoises terrorisées ont quand même démissionné, malgré des hausses de salaires allant jusqu’à 450² .

Le front de la peur se déplace au sud : Shanghaïens, Nankinois s’emmurent, inquiétés par le 1erdécès (8/5) dans Hu (sobriquet pour Shanghai). Les voyageurs entrants et sortants encourent jusqu’à 22 jours

de 40aine, étranglant ainsi la production industrielle, et la délation de malades dissimulateurs est rémunérée. A Nankin, 10.000 personnes ont été internées, en partie suite à l’indiscipline d’un apparatchik qui cacha 3 semaines son voyage à Pékin et sa maladie.

Peur en Chine du Centre, paix à Pékin, frappent par leur arbitraire : Shanghai et Nankin ne comptent que 14 cas, et Pékin ne va pas si bien. Comme si la capitale retrouvait le sourire, après avoir épuisé son capital de panique!  Au 10/5, la Chine recense 4884 cas et 235 morts, dont Pékin 2227 cas et 116 morts.

 Le plus gros souci cependant, concerne les campagnes, aux hôpitaux faibles et en quasi-faillite, à présent hantées par des M de migrants retournés des villes (1M vers l’Anhui, 0,8M vers le Henan), Wen Jiabao le  1er Ministre multiplie visites et téléconférences pour entendre les besoins, réconforter, et briser la chaîne du silence – c’est une révolution mentale plus que technique. Pékin promet la prise en charge complète des malades paysans.

Enfin, du dehors, les dons affluent : 75M$, des pays riches,  instituts mé-dicaux, grands groupes et diaspora chinoise. Le don le plus fort émanera d’un homme très grand : soutenu par son club des Houston Rockets, Yao Ming le basketteur vedette, diffuse à Shanghai (11/5) un Téléthon de 3h,  où interviendra tout le MBA Magic Johnson en tête !

 


A la loupe : La Chine tousse, l’économie prend froid

Un mois d’explosion du SRAS montre des effets nocifs sur la croissance. Des M de PME ont perdu «leur» semaine d’or du 1er mai. Selon Citigroup, si d’ici juillet, 10% des jobs de service se perdent, le chômage urbain passera à 13% (+4,5%). L’export souffre, de 80% (viande) à 10-30% (électronique): le contrôleur de qualité ne peut plus venir, et la hantise du virus s’instille.

D’ici août, l’export perdrait 10MM$, selon Pékin. Le port de Shenzhen qui avait augmenté jusqu’à 75% son tonnage au 1er trim., voit cette envolée brisée par la chute des commandes de la Foire de Canton (-75%).  Toutefois, selon un sondage de Deutsche Bank, l’Investissement  direct étranger (IDE)  réel  résisterait à ce stade. La Chine demeure le lieu béni de l’investissement, mais si, après l’été, le virus n’est pas jugulé, des départs industriels seront inévitables.

En consommation intérieure, la bière broie du noir, avec les consignes d’abstinence sanitaire. Motorola ferme 15 j.  son QG pékinois (1000 jobs), et coupe 250 emplois à Tianjin.

D’autres secteurs, toutefois, profitent de la crise. N°4 chinois de la TV couleur, TCL va doubler ses ventes en UE en 2003, profitant du US$ bas et de l’² haut. Les voitures se vendent toujours plus, ainsi que les télécoms (téléphone, internet), et bien sûr, désinfectants et textiles (masques). Les thermomètres font grise mine, entre la rupture de stock et l’interdiction de faire valser les étiquettes. 

En bref, en 2003, quelle baisse de croissance pour la Chine :  0,5% (selon la Banque Mondiale), 2% d’ici l’été?   Mais Pékin, affranchi de toute peur d’inflation (+0,9% en mars), annonce déjà un plan de relance, en un coup de fouet compensatoire !

 


Joint-venture : le rêve de gloire du câbleur

— Pour les places encore disponibles sur le marché auto chinois, la course s’accélère…

[1] Daimler – Chrysler prépare 3 JV, sous marque Mercedes. Deux à Pékin, pour les camions et les voitures (20.000/an), une avec Dongnan (Fujian) pour les fourgonnettes. En poids lourds, des discussions antérieures avec FAW (Changchun) avaient échoué. Le groupe allemand affiche son exigence—une participation de 50/50% et “a le temps”!

[2] Soupirant malheureux pour CBA – Brilliance (c’est BMW qui fut l’élu), Rover le britannique dans la tourmente, s’est rabattu sur Geely (Ningbo), fantasque groupe privé, surgi du néant. Geely est pourtant déjà en compte avec d’autres puissants partenaires, de la nébuleuse GM + Daewoo + SAIC (cf VdlC n°7).

— Forcée par la loi nouvelle, HSBC publie les résultats de ses 9 branches, de ses 8% dans la Banque de Shanghai et 10% dans l’assureur Ping An.

En 2002, le groupe réalisa 19M$ de profits nets (+31%).

Ces chiffres reflètent la réduction des provisions pour créances irrécupérables réduites de 35 à 1,77MY, mais aussi une progression des recettes sur commissions (+21%, à 26M$), fruit de la croissance des marchés financiers, selon Dicky Yip, le directeur Chine. Pendant ce temps la HCCB (Zhejiang), une des 80 banques municipales du pays, s’apprête sous 2 mois à 下海 xia hai, passer au privé, après feu vert de la tutelle CBRC. Pour ce faire, elle doublera son capital à 133M$, dont la majorité sera détenue par le privé. 7 autres banques municipales, dans la province, attendent leur tour.

New World Infrastructure voit grand.

 Après avoir investi 300M$ dans la recherche technologique pour une plateforme de TV digitale, permettant de distribuer à chaque foyer le film, jeu ou programme de sa demande, ce groupe hongkongais au capital de 16MM$ part à l’assaut du marché du Fujian, y investissant 100M$ pour équiper d’ici fin 2003, un réseau de 20M de connexions. Au mieux, parmi les 4M de foyers câblés dans la province, à 35Y /mois, il aura 200.000 abonnés d’ici déc.

L’enjeu, est le grand plan de digitalisation des réseaux câblés d’ici 2015, comptant aujourd’hui 100M d’abonnés. NWI mise sur son avance technologique pour vendre son outil de distribution – être le deus ex machina par qui passe tout programme TV de l’avenir en Chine, sans en produire aucun!

 


A la loupe : L’hirondelle, sous les nuages !

知情权  Zhiqingquan, « droit à savoir », est le mot d’ordre du moment du SRAS -attribué à Hu Jintao, le pari d’exploiter la crise pour imposer des réformes, usant de ses pleins pouvoirs de crise. La technique consisterait à restructurer le Parti, sans le dire (sans liberté de presse).

Avant de rénover les structures,il s’agit de combattre sur les fronts urgents de l’épidémie, du frein à la croissance, et du défi frontal à l’ordre public. Or en pleine crise, réveiller l’opinion serait rajouter une tension inutile sur un pays non préparé. D’autre part, Hu doit s’appuyer sur, plutôt que défier, les agents durs du Comité Permanent tel Luo Gan, chef des polices et bras droit de Li Peng. Tous ces paramètres permettant d’expliquer l’attitude ambiguë, de Pékin à ce stade, en attendant de reprendre l’initiative  :

·   la transparence : mince, elle s’exprime par l’aveu du Ming 361, et un franc-parler un peu élargi dans les forums internet.

·   la propagande : patriotisme conjuguant lutte du SRAS avec 3 représentativités, et portant les hommes et femmes en blanc au pinacle de l’héroïsme national (30 admis au Parti le 1/05).

·    la poigne: les fauteurs de panique par SMS ou internet sont arrêtés, Zhang Dongming, censeur  à Canton, nommé chef du Southern Weekend – le journal hier le plus libre du pays, censuré le 24/4 (il voulait dévoiler la dissimulation par Shanghai de 38 suspects de SRAS à l’OMS)…

Hu poursuit aussi la guerre à la corruption. Trois leaders provinciaux dont un  proche de Jiang Zemin (Cheng Weigao, ex-Secrétaire du Hebei) voient leurs procès se préparer « d’ici quelques mois », – ils risquent lourd. Guerre aussi à l’incompétence: 120 cadres démis en 3 semaines.

Toute cette remise en cause d’une mentalité rond de cuir est née de la présence… du SRAS: obéir aveuglément aux ordres d’en haut, couvrir les fautes, face au virus, n’est plus rentable!

 

 

 

 

 


Argent : Shanghai : ‘ ma-Tante, Incorporated ‘

— A 1,20$/pièce, la Chine remporte le record du Big Mac le plus modique au monde, suite à l »indigeste’ enquête de la revue Economist à travers 118 pays. Dès 1986, Economist a imaginé (il fallait y penser) d’en tirer un  indice annuel des monnaies: face au tarif, aux US, de 2,7$, le céleste burger “vaut” 56% de moins : le montant, dit l’hebdo, de la sous-évaluation du RMB face au billet vert! Ce résultat abonde dans la vieille plainte de Washington et Tokyo, d’une sous-cote (excellente pour l’export chinois) de 15% du yuan.  Selon l’indice Big Mac 2003, la monnaie la plus surcotée serait le Franc suisse (+69%). L’² serait surévalué de 10%, la livre et les couronnes danoise et suédoise, plus encore!

— Dans un Shanghai champion d’un monde globalisé, l’heure reste aux fusions. Après celle des grandes surfaces (cf VdlC n°14), voici celle des monts-de-piété : 3 chaînes de prêts sur gages (Hualian, Tianyuan et Tianbao) veulent fonder (si Pékin veut bien) un empire de 12M$ d’actifs, 1er du pays, battant Dongfang (Shanghai, 1,150 dépots, 6M$). Interdits par Mao en 1949, les “Clous” ont ressurgi les années ’80, en raison de la carence en crédit aux privés et aux PME. A des taux astronomiques (8 fois plus que la banque), ces usuriers prêtent sur l’or (40% des contrats), les voitures (25%), l’immobilier (15%), l’art…

— Après avoir absorbé l’aéroport de Haikou en 2000, et l’avoir inscrit en bourse de HK en 2001, Hainan Airlines vise le second aéroport international hainanais, à Sanya. HNA est depuis 2001 le curateur de cet aéroport public perclus de 63M$ de dettes.  Ayant appelé Copenhagen Airports Corp. à la rescousse, HNA est en train de dédommager les 140 créanciers. Il se trouve qu’en même temps, 3 banques (CDB, BoC et ICBC) lui ont octroyé une ligne de crédit de 3.4MM$. HNA polit aussi un projet de Cie d’investissement, pour amplifier son accès au crédit et réduire son coût : art que lui a enseigné George Soros, le fakir new-yorkais de la finance, son actionnaire à 35%. Avec 2,3MM$ d’actifs, HNA est à présent le 4ème transporteur chinois, et le 1er privé!  Pour l’avenir, il rêve d’un empire d’aéroports. Il n’a pu racheter celui de Fuzhou, vu ses dettes trop lourdes (cf VdlC n°8), mais en vise deux autres, dans le Shanxi et au Xinjiang.  

 


Pol : Chine-Japon—le torchon brûle

— Imposé depuis 1995,  le moratoire estival sur la pêche maritime va débuter, renforcé sur tous les fronts. Rallongé de deux semaines, il s’étire du 1er juin au 30 août -modulé suivant les zones. Pendant cette période, 118.000 chalutiers, caseyeurs et pêcheurs au filet dérivant seront à la chaîne, ou astreints à plus de contraintes, surtout au nord du Jiangsu où frayent la majorité des espèces commerciales. D’abord indignés, les pêcheurs se font une raison -ils approuvent, même. En effet, les captures en ’95 étaient tombées au quart du niveau des années ’50 -la mer était vide. Ce plan d’austérité halieutique permet la lente convalescence de la ressource, aujourd’hui  33% plus abondante. 

— Non sans un fort sens de la contradiction, les échanges sino-japonais croissent tumultueusement et cahin-caha -entre voisins sans grande affection mutuelle, condamnés à se partager cette région du monde. Les douanes japonaises viennent de pénaliser  la Chine en lui retirant la détaxe à l’import de trois positions tarifaires de leur système de préférences généralisées, à savoir les draps, l’oxyde de plomb (pour émaillage) et la vaisselle, marché de 145M$/an, désormais frappé de 2,3% à 4,7% de taxe. Autre geste inamical, Tokyo a prolongé de 6 mois une enquête anti-dumping sur les exports chinois de serviettes de toilette. Ces mesures ne manqueront pas de provoquer des rétorsions continentales, comme ce fut le cas lors de la guerre des oignons, champignons et du roseau, lancée par le Japon fin 2001, ce qui lui avait coûté 6 mois d’exports de voitures, climatiseurs et téléphones portables  pour 700M$. L’enjeu réel de ces broutilles, étant un commerce bilatéral de 180MM$ prévu en 2010, date à laquelle l’IDE nippon en Chine aura atteint 8,5MM$. Par ailleurs, le Soleil Levant, en Chine, ne s’en sort pas si mal, étant un des rares (avec la Corée du Sud) à y dégager  un surplus commercial, 5MM$ sur  les 102MM$ d’échanges bilatéraux l’an passé.

 


Temps fort : Mission sans retour en mer de Bohai

Quittant Yantai mi-avril, le sous-marin n°361 de l’APL, partait en mission de non retour : le 27/4, il était repéré par des pêcheurs, à 10m de fond. Tracté à sa base de  Fushun (Liaoning), 70 corps asphyxiés en étaient retirés!

Un tel accident ne s’explique que par une chaîne d’avaries et d’imprudences, sur un bâtiment de conception désuète (le Ming copie le Roméo russe). Près de la surface, une émersion d’urgence devait être possible. En route, les 7 compartiments étanches auraient dû être fermés (ce qui n’était évidemment pas le cas). Parmi les 3 causes possibles,la moins folle est la formation de chlorine (gaz mortel) par fuite d’acide des batteries en contact avec l’eau de mer. Les  2 autres étant le maintien (par avarie technique) des moteurs diesel en plongée, et une faute de manip, lors de tests de moteurs anaérobiques, style piles à combustible, technique maîtrisée en Suède, Allemagne et France. Mais en essais, un sous-marin ne circule jamais seul…

Autre énigme, la présence à bord de 15 instructeurs surnuméraires, alourdissant le sinistre.Vu l’exiguïté, le submersible ne pouvait les recevoir que qq heures/jour. En tout cas, ce drame illustre, concluent les experts, une vétusté de matériel, et des faiblesses en formation.

Il occasionne aussi une 1ère  : le 02/5, Xinhua admettait le cas.Jiang Zemin, patron de l’APL et Hu Jintao, Prsdt, prirent ensembles l’affaire en main visitant le bâtiment et des familles de victimes. Hu Jintao déclara qu’il appartiendrait à l’APL de «tirer les conclusions et leçons de l’accident» – sanctionner les coupables. Une enquête débute, menaçant la carrière du pacha de la flotte du Nord le contre-amiral Ding Yiping. Voire des personnages plus haut  placés.

NB : après le drame du Koursk en Russie, la cote de Vladimir Poutine augmenta : une catastrophe navale est acceptable aux opinions publiques – sauf en cas de lutte de pouvoir!

 


Petit Peuple : comment faire la belle au SRAS

草木皆兵, Cao mu jie bing, «ils prennent les herbes, les arbres pour l’ennemi » : tel est le climat pathologique mais parfois cocasse, infligé par le SRAS à ce pays omnibulé par l’obsession de se protéger !

 

– Le 27/4, la route nationale 103 (un des axes stratégiques du pays) fut coupée dans la nuit par deux tranchées de 1 à 2m de profondeur, à la lisière de Pékin. La police cherche encore les coupables – des villages, cherchant à isoler la capitale.

–  Cette pauvre taxi-girl, rentrant fatiguée d’une longue journée de travail, ne trouva rien de mieux à faire, pour désinfecter sa recette, ses clés, son masque et son portable, que les passer au micro-ondes : tout brûla ou fondit. Quant au four, depuis lors, il tousse à fendre l’âme.

– Le 24, l’asile de vieillards de Xiong Xian(Hebei) fut évacué au profit des 10aines de cas de SRAS. Le soir, panique, plus d’électricité: profitant de l’aubaine, cinq suspects filèrent dans la nuit noire. La police établit que le courant avait été coupé par M.Liu, chef de l’Office des grains qui (c’est très fréquent ces temps-ci) boycottait ce foyer potentiel d’infection à sa porte. Aux limiers, M. Liu tenta de couvrir sa faute par une formule dilatoire : il ne savait rien de la 40aine, mais depuis des Lunes, les petits vieux ne lui payaient plus son électricité. Les policiers lui jurèrent qu’il ne l’emporterait pas au paradis—surtout si un des évadés contaminait d’autres autour de lui!