Le Vent de la Chine Numéro 15

du 4 au 10 mai 2003

Editorial : SRAS – la semaine décisive, en Chine et pour le monde!

Pékin en est convaincu : cette semaine (5-11/05) sera décisive, dans la guerre contre le virus, et la lame de fond sur la Chine, a atteint son faîte. En effet, la mairie annonçait (le 2/05), depuis 12 jours, le nombre de cas nouveaux se maintient à 100/j en moyenne, sans s’envoler en courbe hyperbolique : ce qui rendrait, dit la mairie, toute nouvelle envolée improbable- « sauf en cas de nouvelle mutation« .

Grâce aux sacrifices des médecins/infirmières, la proportion des victimes reste minime par rapport à la société (3638 cas dont 170 fatals, au 2/05). Sacrés « anges en blanc » et « guerriers sans peur », les médecins reçurent au 1/5 la « médaille du travail« – ils comptent 18% des 1700 cas recensés dans Pékin en fin de semaine. L’OMS en déduit que les procédures d’asepsie hospitalière sont à réviser en Chine!

Dans sa stratégie de guerre au SRAS depuis le 18/4, l’Etat a bouleversé la vie de sa société prévenant tout rassemblement de plus de 50, interdisant dans Pékin et en toute zone à risques mariages et enterrements, championnats, danse, mais aussi sports en salle et piscine. 15.000 personnes sont en quarantaine dans Pékin, tandis que l’université médicale du Shanxi à Taiyuan (16.000 professeurs et étudiants) a été isolée. Même Zhong Nan Hai (siège du Parti communiste) ou l’école du PCC ont des cas, et des sections isolées.

Entre deux feux, les 96M de migrants ne sont bienvenus ni à la ville,ni dans les villages qui, autour de Pékin, imposent leur fermeture au moyen de milices d’autodéfense, à défaut de pouvoir compter sur un hôpital solide. Le danger, pour eux, est exacerbé par l’approche des moissons, traditionnellement avides de bras supplémentaires.

Face à la crise, la Chine a vu une 2de vague de départs d’expatriés, businessmen au chômage technique et étudiants (nippons).  Nouvelle positive : après fort débat, le LFP a suivi son «frère», le lycée V. Segalen à Hong Kong, en rouvrant le 5/5, renforcé d’une cellule médicale et psychologues, 315 élèves sur 732 « rempilent », aidant à arrimer la communauté francophone de 49 nations!

Le 1er mai fut peu célébré dans un Pékin aux rues désertes, avec drapeaux rouges mais sans danses du dragon. Du jamais vu en ce pays : l’absence de beaucoup de petits métiers, bricoleurs de vélos ou coiffeurs – seuls insistaient, l’âme chevillée au corps, quelques marchands de fruits!  

La TV passa une orgie de films pour aider des 100aines de M de gens à tuer le temps. Zeng Qinghong, vice Prsdt rappela l’enjeu : « de notre succès contre l’épidémie, dépendra le maintien de la réforme, de la croissance et de la stabilité ». Hu Jintao et Wen Jiabao  se rendirent « sur le front »en province (Tianjin, Guangzhou) pour maintenir la mobilisation.

Invisible dans la presse, le questionnement se poursuit dans tous les esprits : d’où vient le SRAS, qui l’a tu au monde, qui savait quoi? En privé, la population exprime méfiance et mécontentement.

Détail insolite : en pleine campagne anti-SRAS,le régime trouve urgent de convoquer le Bureau Politique (28/4) -en plus de l’instance normale du Comité permanent- afin de lancer une nouvelle campagne nationale des 三 个代表 sange daibiao, « trois représentativités », l’omniprésent slogan de Jiang de 2000 à 2002, depuis lors inscrit dans la Constitution, et oublié. Les « 3R » auraient « un impact… sur le renforcement significatif de la nation  » (sic) -comme un effet immunoactif sur la société en quelque sorte. Tous les cadres du PCC sont te-nus de reprendre l’étude de cette «importante théorie» et de considérer  «la guerre au SRAS comme sa mise en oeuvre ». Fait notable, c’est Hu Jintao qui mène la campagne (meilleure manière de s’en protéger).

Pourquoi cette campagne anachronique? Parce que 3 faits négatifs se sont conjugués en 48h :

? le SRAS,

‚ la mort (30/4, toujours pas annoncée le 3/05), de Zhao Ziyang à 83 ans, réformateur très aimé, en disgrâce depuis 1989

ƒ la perte d’un sous-marin de classe Ming et de 70 hommes d’équipage au large de Hainan.

En Chine, une interprétation universelle et éternelle s’impose à ce genre de phénomène : la fin du mandat du ciel -à tout le moins, pour l’homme sous le règne de qui le virus a incubé sans être inquiété. L’équipe précédente étant présente en force dans la nouvelle, Hu Jintao est contraint à la solidarité envers elle. Au risque, de se trouver incapable de se démarquer à l’avenir, afin de produire, face à l’opinion intérieure ou au monde, une alternative crédible!

 


Joint-venture : Lait – la Chine reprend contrôle

— Il n’est pas parsemé de fleurs, le chemin de la laiterie en Chine. En 2001, Kraft avait dû céder pour "un verre de lait" (9,3M$) sa JV avec San Yuan (Pékin). En 2002, Danone avait dû se résoudre à échanger ses 2 usines contre 5% des titres de Guangming (Shanghai). A présent (27/4), c’est au tour de Parmalat de se retirer de Chine, faute d’y faire des profits -en 2002, il y a perdu 2M$.

Sans compensation, le groupe italien confie la gestion de sa JV à 65%, au partenaire Nanjing Milk, n°1 de sa province (Jiangsu). Ecrémé de sa 12aine d’expatriés, Nanjing aura 3 ans pour redresser la JV, vendant 4.500t /mois de yogourts / lait sous la marque transalpine. Ce délai lui permettra en fait, plus probablement, de constituer un trésor de guerre pour rembourser son créateur… Avec l’OMC, cependant, une autre approche se dessine. Alors que le marché intérieur croît de 20%/an, atteignant 10Mt de lait frais (en 2001), 0,6Mt de poudre et 1Mt de produits transformés, la Chine va réduire ses taxes de 60 à 10% d’ici 2006 : des groupes tel Challenge Dairy s’apprêtent à exporter en masse. Challenge, coopérative australienne,va livrer en Chine 2000 t de produits/an, pour un chiffre d’affaires de 200M$ d’ici 2009. Le "truc" consistant à partager les profits avec San Yuan, qui distribuera : San Yuan et Challenge ont créé pour cela une JV de 27M$, à 50/50%.

 

 

 


A la loupe : La Russie donne, et garde !

Après moults louvoiements, le 1er ministre russe Kasyanov a tranché (29/4) : l’oléoduc d’Angarsk fournira d’abord à Daqing 20Mt de brut/an -comme prévu – moyennant 2,5 MM$ à charge des 2 pays!

Depuis des mois pourtant,le Japon cherchait la brèche, offrant d’avancer les 5MM$ nécessaires pour un ouvrage plus ambitieux, 4000km vers Nakhodka (cf VdlC n°3), et de financer au passage un complexe pétrochimique d’1MM$. Moscou explique son choix chinois par la faiblesse du dossier nippon. Tokyo exigeait la garantie de l’Etat russe pour se lancer dans le projet – techniquement téméraire. Moscou entend que Tokyo prenne ses responsabilités.

La vraie raison pourrait être autre. Les experts doutent qu’Angarsk puissent fournir Chine ET Japon + Corée, ces derniers pour 50Mt/an. Or, Pékin reste pour la Russie le voisin offrant les meilleures perspectives, au marché exponentiel et aux 6000 km de frontières à développer en commun. Dès maintenant, elle paie à Moscou pour 1MM$ d’armes/an. Et puis, le Kremlin avait sur son bureau une autre demande chinoise sur laquelle il voulait opposer un « niet ». Or, il ne pouvait pas refuser sur toute la ligne au « partenaire stratégique » !

La Chine en effet, met toute la pression pour obtenir en concession pour 49 ans, 2 ports sibériens endormis dans le détroit de Sakhaline, Posyet et Zarubino, qui ouvriraient la route maritime à son charbon du Dongbei (Jilin/Heilongjiang, cf  VdlC n°12).

Par presse interposée (29/4), la Chine dénonce la détermination russe à « ne pas faire un geste pour la Chine  qui ne profiterait qu’à elle »… La réalité sur le terrain, est la hantise séculaire de Moscou devant cette Chine aussi douée pour le commerce que dans les berceaux, capable de réussir là où la Russie a échoué: peupler, enrichir son Primorskyi Rad (province maritime). Face à cette menace, la Chine n’a qu’un mot à opposer : « nos frontières sont déjà délimitées » (elle n’a pas de revendication sur la Sibérie). Mais pour apaiser la méfiance russe, ce genre d’argument rhétorique ne fait pas le poids!

 


Argent : Shanghai – retour du glamour maritime

—  Shanghai, ville d’escales et de plaisance… Le paquebot du baron de Clapique dans "la Condition humaine" (André Malraux)… Shanghai veut retrouver son "glamour" maritime perdu en 1949, et prendre sa part du marché mondial de la croisière, qui touchera en 2005 quelques 13,6M de vacanciers spéciaux et fortunés. En Asie, les deux grandes escales sont HK (2,4M de visiteurs par la coursive), et Singapour. Shanghai n’obtenant péniblement, en 2001, que 47.000. Aussi la 龙头 longtou ("tête du Dragon", embouchure du Yangtzé) veut d’ici 2008, investir jusqu’à 1,2MM$ sur un front de mer de 200 hectares au Nord du Bund, avec une darse de 8m de fond par 1,2km pour une capacité d’accostage pour 6 grands bateaux blancs ensembles, et 1M de touristes/an qui lui apporteront 200M$ de recettes. Shanghai connaît ses atouts imbattables : au centre d’un cercle maritime et fluvial entre Japon, Corée, Chine du Nord, du Sud et de l’Ouest par le Yangtzé navigable jusqu’à Chongqing. Auteur du projet, Star Cruises (Malaisie) veut en faire un de ses ports d’attache. HK regrette pour sa part d’avoir refusé en 2000, le plan du groupe Cheung Kong (du milliardaire Li Ka-shing) pour doubler son infrastructure, ce qui lui aurait évité, à présent, de "rater le coche (d’eau") !

NB : la mairie et le Conseil d’Etat étudient le projet, entre Kuala Lumpur et Miami, et doivent encore donner leur feu vert!

 


Pol : Le printemps indien

Après J.P Raffarin, en ces temps difficiles, la Chine a reçu (21-27 /04) un autre "ami" plus inattendu : George Fernandes (cf, VdlC N°6), le bouillant min. indien des armées, qui avait osé décrire la Chine en 2000 comme "premier adversaire potentiel" de l’Inde, ce qui avait déplu ici : on voit  entre-temps le chemin parcouru!

Peu de détails ont transpiré sur les échanges avec Jiang Zemin (patron de l’armée -l’APL), Wen Jiabao et Li Zhaoxing, ministre des Affaires Étrangères On sait qu’aura lieu en mai, à Pékin, une 2de ronde de discussions sur la coopé contre le terrorisme, et que les capitales veulent renforcer les visites entre états-majors. A été passé sous silence, le vieux litige sur le tracé de la frontière de 4500km.

L’intérêt spécial de cette visite, est que cette fois, le rapprochement vient de l’Inde, en dé-pit de son gouvernement de coalition BJP, ombrageusement cocardier et plutôt mal disposé envers Pékin au départ. Si les choses changent, c’est que Delhi n’a à court terme rien à attendre des US: les 2 pays devant bientôt affronter des élections, et G.W. Bush étant pour longtemps occupé par l’Irak, l’Union Européenne, voire la Corée du Nord.

Entre Chine et Inde, des "coups" à faire ensemble, peut-être, mais aucun amour n’est perdu : tout en envoyant Fernandes à Pékin, Delhi espère exploiter à son avantage la faiblesse momentanée de la Chine, brusquement isolée par l’épidémie. L’Inde rêve de remplacer Chongqing sur les marchés de la moto (195000 exportées au 1er trimestre pour 66M$, +45%), voire Tianjin pour celui du vélo (dont le salon a été annulé). Ce à quoi la Chine rétorque : "le SRAS n’enlèvera pas notre atout ultime : moins cher nous étions, moins cher nous demeurons!"

 


Temps fort : Nouveaux promus- des protégés de Zhu Rongji!

Ce n’est pas une mince surprise de voir que les deux cadres appelés pour remplacer maire de Pékin et min. de la Santé chassés le 18/04 (VdlC n°13) sont de l’écurie de Zhu Rongji: ces postes clé auraient pu être réclamés par les hommes de l’ancien et de l’actuel n°1. Zhu venait de se retirer faute d’appuis dans les hautes sphères. Peut-être à cause de la tension, ont été choisis deux personnages neutres et solides : pour rassurer l’étranger!

En fin de carrière mais honorée, Mme Wu Yi, réformatrice-technocrate, est une battante, et un des acteurs de l’entrée de la Chine à l’OMC. Wang Qishan est un jeune (54 ans) connu à l’Ouest pour avoir démêlé, à Canton en 1998, la plus tumultueuse faillite de l’histoire du régime.

Natif du Shanxi, ce «jeune loup» épousa la fil-le d’un prince rouge, Yao Yilin, compagnon de Deng Xiaoping, vice 1er ministre, puis grand argentier. Sous cette ombrelle, il prit du galon, fonda en 1982 la China Rural Trust & Invest Corp, tentative (avortée en 1997) d’attirer l’investissement étranger vers les campagnes.

Par la suite, Wang passa de banque en banque, vice-Président de la BPdC, Président de la banque de la construction (CCB)…Il fut remarqué par Zhu, qui l’envoya en 1998, gérer l’ explosive faillite de la GITIC, bras financier du gouvernement cantonais, permettant à nombre d’étrangers pris dans la nasse (3MM$ de passif), de récupérer des bribes de leurs avoirs. En 2000, il était patron du Bureau de la restructuration.

La retraite de Zhu l’avait laissé vulnérable -son bureau avait été dissous et lui, muté à Hainan… Le voilà remis sur des rails, avec un mandat prestigieux mais que peu lui envieront, vu le risque. Sa 1ère apparition comme maire, pourfendant le SRAS (28/4) a montré un style inédit, fait de transparence, réalisme et humilité. Wang, ici, joue sa carrière: ce sera le quitte ou double, l’enterrement politique ou l’ascension comme espoir de la 5.génération!

 


Petit Peuple : Petit Peuple:le tigre, la radio, et le SRAS

— La pneumonie atypique est avant tout un miroir impitoyable des rapports humains, pris pour acquis en temps normaux, mais dont elle force en ces temps d’urgence, à vérifier l’adéquation.

1er centre exclusif d’accueil du SRAS, l’hôpital Ditan, avait besoin d’un équipement pour grands malades, permettant de prendre les radios au lit. "Pas de problème", répondit l’hôpital du Peuple, je t’en cède un -passe le prendre", suite à quoi Wang Hao, chef du service logistique, se mit dès 8h du matin en quête d’un camion. Surprise: aucune des Cies municipales, publiques ou privées ne voulurent se déplacer, lorsqu’elles surent l’origine, et la destination du chargement. Au téléphone, toutes mentirent effrontément : "je n’ai plus de camionnettes… en réparation", "mes gars sont à Qingdao… à Shijiazhuang… en stage"… Les docteurs avaient beau promettre monts et merveilles: à la seule idée du SRAS en l’air, on leur raccrochait au nez!

A 15h, c’est une présidente du Ditan désespérée qui appela, en une inspiration subite, son vieil ami commissaire de police, qui répondit "présent". Il lui fallut quand même 90 minutes pour trouver une firme ayant assez d’ennuis pour ne pouvoir prendre la tangente: à 17h, une fourgonnette du groupe Jiaoyou freinait devant l’hôpital du Peuple… On aurait pu croire la saga terminée: elle ne faisait que commencer!

Au chargement, le véhicule apparut décidément trop petit. Plein de bonnes adresses, le policier réquisitionna alors au Parc Ditan, voisin, un fourgon plus spacieux, qui fit son entrée acclamée à 18h24. Cependant son escouade de porteurs,découvrant où ils étaient, prirent leurs jambes à leur cou -et les garanties apologétiques des carabins ne purent rien y faire. Il était 18h38. A cette heure, même le commissaire en perdait son latin. Finalement, quelques médecins, nurses, le policier et des plantons retroussèrent leurs manches,et s’abstinrent de cracher dans leurs mains pour charger les 370 kg de l’appareil, qui aboutit à bon port à 19h24, pour entrer en fonction deux heures et demie plus tard.

Soufflant enfin après leur mésaventure, médecins et commissaire ont cristallisé l’hystérie collective du SRAS en un proverbe : tanhu sebian 谈 虎 色 变 – "à parler du tigre, on pâlit à vue d’oeil"!