Le Vent de la Chine Numéro 14

du 27 avril au 3 mai 2003

Editorial : SRAS – la victoire sera chinoise ou ne sera pas!

Face à l’épidémie virale qui déferle sur la Chine, après le renvoi de deux hauts cadres (20/4, cf dernier n° du VDLC), Hu Jintao créa une cellule de crise aux pouvoirs étendus, sous la direction de Mme Wu Yi, vice 1er ministre, également nommée nouveau ministre de la santé.

Un plan de crise doté de 2,4 MM$ a été lancé, inspiré par l’OMS, à travers l’ensemble du territoire.  Il n’était que temps : l’épidémie ne pouvait plus être cachée, avec (au 26/4) 988 cas dans Pékin, pour 48 morts et 2.753 dans 19 provinces, pour 122 morts.

Tirés des 50 hôpitaux locaux (23/4), malades et suspects ont été regroupés hors de Pékin, sur des hauteurs de Miaofengshan ou à Shunyi. 17 hôpitaux (depuis le 26/4) sont spécialisés dans l’accueil des  nouveaux cas. Le 24, les écoles pékinoises ont été fermées, et rouvriront le 7/5 (2 jours après le LFP, dont les pertes, selon JP Raffarin, seront comblées par Paris, « de manière à assurer sa pérennité ». JP Raffarin annonce aussi des crédits pour deux nouveaux lycées à Pékin et Shanghai, doublant leur capacité).

Le 25/04, maçons, paysans et étudiants furent interdits de quitter la ville. Des milliers de gens ont été placés en quarantaine, souvent contre leur gré. Les bars de Pékin ferment l’un après l’autre, « volontairement, 15 jours pour nettoyage » : Pékin entière est consignée, avec des M de gens confinés chez eux, entrées et sorties, trains et avions sous contrôle. La peur était évidente, cohue pour quitter la ville, et magasins dévalisés de leurs denrées. Le pouvoir (25/4) multiplia les appels au calme, rappelant que « l’approvisionnement ne posait aucun problème, sauf de délai d’acheminement ».

NB : la peur des chinois est culturelle, et concerne moins le SRAS, reconnu comme peu létal, que la quarantaine, comme l’explique cette intellectuelle : « la quarantaine est infamante. Y être astreint, vous rend coupable d’une différence, et laisse des stigmates à long terme, auprès de nos collègues, voisins, parents et amis! »

Etrange contradiction que cette population sereine quand le moment était à s’inquiéter, et vice versa !

Des inspections furent envoyées dans 17 provinces, et tous les gouverneurs, convoqués à Pékin, furent requis sous peine de limogeage de préparer les hôpitaux, assurer l’admission de tous les malades (gratuit si nécessaire) et garantir la transparence de l’information. Ce qui est en jeu selon Wolfgang Preiser, chef de la mission OMS à Shanghai : « si l’humanité ne parvient pas à endiguer le SRAS en Chine, elle aura perdu toute chance de tuer le virus dans l’oeuf et d’empêcher sa diffusion ailleurs sur la planète! ». L’épidémie gagnerait vers l’intérieur, Shanxi notamment (Taiyuan, sa capitale,  durement touchée, et des dizaines de cas reportés à Xingu, ville minière à 30km).

Par ailleurs, au plan politique, des questions apparaissent au sein du monde chinois.

[1] Le limogeage du min. de la Santé Zhang Wenkang et du maire de Pékin Meng Xuenong intrigue. Ami de Hu Jintao, Meng (53ans) aurait critiqué début 2003 l’anarchie du SRAS à Canton -offensant Li Changchun, ex-Secr. de la province, juste promu au Comité permanent, et protégé de Jiang Zemin. Dans ce climat, on peut entrevoir comment Meng dut subir des attaques «de plusieurs fronts», et assumer seul le poids du désastre pékinois, quoiqu’en règle socialiste, le véritable maître de la ville soit le Secr. du PCC Liu Qi, qui n’a pas été inquiété. Commentaire de JP Raffarin : « le fusible n’a pas été remplacé par un autre, mais la responsabilité est montée droit au sommet, à Hu Jintao en personne« .

[2] De Canton, suite à une fuite, la presse révèle que l’épidémie fut notifiée à Pékin le 8 février, qui ordonna le 10 de tout traiter par la censure et le silence. Qui donna l’ordre? Avec l’accord du Président?

[3] Le 1er malade du SRAS fut interné à Pékin le 1er mars – en secret, pour ne pas déranger le Plenum de l’ANP. Selon l’OMS, « le mois de mars fut perdu pour l’humanité, dans la lutte contre le SRAS ».  De toute évidence, des comptes seront réclamés, par l’étranger, au niveau des clubs d’investisseurs et de l’OMS, par l’opinion qui gronde et s’éveille, voire à l’intérieur du Parti, entre factions rivales qui observent un silence malaisé.

NB : pour combattre le SRAS, la transparence et la concertation, seuls nouveaux outils désormais utilisables, portent en Occident un autre nom : démocratie. Qu’en fera-t-on, après la tempête?

 

 


Joint-venture : Citibank s’offre 1/4 de Pudong Bank

— Le 11/04 était une date quasi-limite pour China Airlines, 1er transporteur aérien taïwanais, pour recevoir l’aval du Conseil d’Etat dans sa tentative d’acquisition de 25% de China Cargo moyennant 47M$. Quatre jours plus tard, l’entente eût été caduque, au terme d’une règle fixée par le Gouvernement de Taibei, 1er actionnaire de China Airlines. Par cet  accord, China Cargo, contrôlé à 55% par China Eastern, verra le transporteur insulaire devenir son 2d actionnaire,dont il recevra 4 directeurs (dont un vice PDG). Les avantages : pour la firme de fret aérien, de l’argent frais et une meilleure gestion de ses 4 MD-11 et de son Boeing 747. Pour la firme taiwanaise, un premier pas en Chine, contournant le double blocus des législations des frères ennemis.

— Nous évoquions (cf VdlC n°1) la reprise par la Citibank de 5% de la SPDB, banque jeune et moins endettée que les grandes, créée 10 ans plus tôt pour financer la construction de Pudong. L’entente conclue en décembre 2002 prévoyait une alliance stratégique, dont l’ampleur fut à l’époque tenue secrète: Citibank dispose de 3 options d’achat de 7% qui porteraient, une fois réalisées, son contrôle de la 9me banque chinoise à 24,9%, bien plus que le plafond légal actuel de 15%. Il faudra une révision de la réglementation – apparemment sur les rails! La maison new-yorkaise rachètera ces parts sur trois ans (entre2006 et 2008), aux 2 tutelles municipales qui ont promis de les rétrocéder à un %age fixe du cours de l’année précédente—aujourd’hui, cela donnerait le quart du cours en bourse. En échange, Citibank injectera 20M$ et sa technologie dans la branche cartes de crédit de SPDB – dans l’attente de pouvoir légalement contrôler ensemble, une JV à 50/50% !

 

 


A la loupe : L’automobile elle, ne tousse pas !

La Foire de Canton a souffert du SRAS, ayant vu à mi-parcours 3,3MM$ de contrats et 15.000 visiteurs, 1/3 et 1/4 des chiffres de 2002.

Le Salon de l’auto de Shanghai (21-24/04) souffrit aussi, d’une fermeture anticipée et d’une baisse des visites (90.000 entrées en 2 jours). Il n’en fut pas moins la 2de manif. d’Asie et la plus vaste jamais tenue en Chine, 81.000m2 ,  730 compagnies de 23 pays, 300 modèles dont une 40aine de nouveaux, tels la Nissan Sunny (berline), la Chevy Spark (compacte), ou l’«économe» Honda Fit

SRAS à part, la tendance est claire : le Chinois aime la voiture. Les ventes de 2002 ont monté de 56%, à 1,1M d’unités et 78MM$. Elles passeront en 2003 à 1,5M (probablement +50%): la Chine dépassera la France comme 4. marché mondial.

Envers du décor : la guerre des prix qui redouble, avec les coupes chez VW début avril- 2400$ sur la Passat, -1200$ sur la Bora. C’est que VW, ayant chuté de 50 à 40% de part du marché en 2 ans, rugit : il investira 638M$/an d’ici 2007 entre ses 2 JV (Shanghai-SAIC, Changchun-FAW) qu’il veut fusionner pour retrouver « sa » moitié du marché. Après avoir vendu, au 1er trimestre, 162.000 voitures (+86%), le «roi de l’automobile chinoise» s’apprête à lancer 5 nouveaux modèles en 2002.

GM progresse légèrement à 8% du marché, avec 84.000 ventes (+54%), et va aussi sortir 5 modèles en Chine d’ici la fin 2003.

PSA peaufine le retour de Peugeot, avec la 307 qu’il produira à Wuhan dès 2004 sous la marque (JV) DPAC. En attendant, il augmente les gaz chez DCAC, visant  110.000 unités (+30%) cette année, et sort la Xsara, son 4ème modèle. Avec sa machine bicéphale, PSA vise 15% du marché.

L’inconnue réside chez les nippons et coréens, Nissan (=44% Renault), Honda, Toyota, Daihatsu et Hyundai, tard débarqués, investisseurs lourds, jouant leur va-tout, avec floraison d’usines requinquées, de nouveaux modèles : 1MM$ pour Nissan, et plan de 100.000 véhicules dès 2004!

 


Argent : L’économie chinoise brûle-t-elle?

— Jeune colosse de la grande distribution, Bailian résulte de la fusion (24/4) de 4 GEE shanghaiennes: Friendship (mère de Lianhua), Hualian, Yibai et Shanghai-Materials (commerce de gros). Entre 20 villes, le nouveau venu tient 4000 magasins de toutes tailles (3,4MM$ d’actifs) pour un chiffre de 8,4MM$. Cette fusion typique de la philosophie de l’ex-SETC a été menée par la mairie, pour éradiquer la guerre de prix (universelle dans le secteur) entre les 4 groupes d’Etat, et les renforcer face à l’outsider Carrefour, qui réussit trop bien, à présent qu’ est consolidé son montage légal et financier.

— Epoustouflante, la croissance du PIB au 1er trimestre, 9,9% (cf VdlC n°13) pose à la presse la question d’Archimède : alors que les profits industriels, à 159MM$ ont quasi doublé de janvier à mars (+94%), faisant pâlir les 20% de moyenne de 2002, y a t’il surchauffe?

áRelevée à +12% l’an passé, la demande en électricité plaide en faveur de la surchauffe : el-le a souvent dépassé la puissance installée, entraînant des pannes de secteur. Du coup, l’Etat va pouvoir arbitrer "l’ardente" dispute tarifaire  entre chauffagistes et charbonniers (et augmenter les prix). Autre argument, le taux d’inoccu-pation des logements locatifs, 26% (légère hausse) à Pékin au 1er trimestre : signe indiscutable de "bulle". Boulimique, l’immobilier pourtant, aspirait encore dans ce trim. 35% des 74MM$ d’investissements fermes. En surchauffe, seraient aussi l’automobile, l’acier et l’alu, dit la Commission d’Etat SDRC, à peine sortie du moule.

áD’autres économistes publics arrivent à des  conclusions inverses: pas besoin de verser de l’eau froide sur l’économie chinoise, par ex. en coupant la pompe aux investissements d’infrastructures : des phénomènes conjoncturels tels la faiblesse des échanges mondiaux et le SRAS, feront le travail "naturellement"!

 

 


Pol : Pyongyang, la locomotive folle

— Au cours du sommet tripartite Chine-US-Corée du Nord (23-25/4, Pékin), Pyongyang a réussi le tour de force d’humilier ses 2 interlocuteurs. Igor Ivanov, ministre russe des Affaires étrangères avait prédit une «mauvaise surprise» : assez vite, le "pays du matin calme" apparaissait être venu sans vouloir négocier. Li Gun, son diplomate, était un «petit calibre» face au  Sous Secrétaire d’Etat J. Kelly. Il annonça d’emblée que son pays aurait "des" bombes atomiques, qu’il prétendait tester, voire exporter à sa guise … Le sommet s’achevait dans la confusion. Li Zhaoxing, ministre chinois des affaires étrangères tentait de faire bonne figure, en affirmant que les deux parties étaient d’accord pour se revoir…

Analyse :  de plus en plus se profile une thèse inquiétante, conforme à la mentalité fanatique de ce pays reclus, depuis 1/2 siècle,  dans la splendide misère de son idéologie. Pyongyang serait désormais convaincu que son stalinisme n’est pas viable. Il importerait pourtant de rester fidèle à sa  « Juche » (socialisme-national), et à Kim Il-Sung, le père fondateur disparu. Pour ce faire, plus qu’une voie : lancer le pays dans un « finale » cataclysmique pour la partie du monde où il peut nuire, ses voisins d’Asie.

— Après avoir annoncé les dérives de l’industrie du tabac, la Chine présente sa restructuration. Une partie des 500.000 employés y perdront leur job, tandis que le Monopole d’Etat perdra sa fonction commerciale au profit de "China Tobacco" (à naître, sous le sigle de CTGC), gardant son rôle de tutelle. Un cigarettier ira en bourse -certainement Red Pagoda (Yunnan), n°1. D’ici 2 ans, culture, transformation, distribution et import-export seront intégrés en 5 groupes de CTGC, qui "pèsera" la bagatelle de 38% de la tabagie mondiale. Des 123 usines, 25% auront alors fermé. La raison de restructurer cette "vache à lait" du fisc chinois (17MM$ versés en taxes l’an dernier) étant l’arrivée des géants étrangers, dont les produits se vendront librement en kiosques dès janvier 2004, et sans quotas un an plus tard.

— Responsables du quart des décès des enfants de moins de 14 ans, les accidents sont la première cause de mortalité pour cette tranche d’âge. Lourd tribut pour l’avenir, ils pourraient être évités par l’observance des règles élémentaires de sécurité, inconnues des enfants comme des parents chinois. Pour leur apprendre, l’Action chinoise pour la sécurité des enfants dépêche (31/03) 8000 “messagers de la sécurité” volontaires qui feront le "commis voyageur" entre les écoles du pays, neuf mois durant, enseignant les panneaux de circulation, les vitesses de freinage, etc.

Gageons que l’éclatement de la crise du SRAS va modifier le programme, et que ces soldats de la vie, enseigneront aussi le port du masque, et tout ce que l’on sait sur ce virus encore totalement méconnu, et la manière de l’éviter.

 


Temps fort : J.P. Raffarin—le tapis rouge !

C’est un risque calculé que J.P. Raffarin a pris en allant (24-26/4) vers un Pékin affolé et en quarantaine. Mission effectuée avec un max. de précautions des deux bords, pour garantir l’innocuité du séjour du 1er ministre. Ainsi, hormis les RV officiels, tout le programme se tint au Palace Hotel, aseptisé :  pour la 1ère fois de mémoire d’expatrié, un (1er) ministre français à Pékin, ne mettait pas les pieds dans son ambassade.

Risque calculé mais payant:en ces temps calamiteux, la visite de Raffarin fut vue miraculeuse côté chinois,offrant au pays une bouffée d’espoir, récompensée par des honneurs rares, tels un banquet du Président Hu Jintao en son honneur!

Au plan politique, le but était de renforcer la sensibilité commune multipolaire des 2 pays, notamment sur l’Irak, et de lui imaginer un avenir sous l’égide des Nations Unies. Raffarin transmit aussi à son hôte l’invitation de J. Chirac au sommet "G8" d’Evian : préludant ainsi à son élargissement inéluctable et renouvelant une alliance étroite des présidences française et chinoise –Jiang Zemin hier, Hu Jintao demain.

Un aspect inattendu de la visite a été la découverte de Raffarin de l’osSRAScisme  en France, rejet, par des inquiets, de quiconque retournant du foyer d’épidémie : "avant le voyage, je trouvais cela sot—à présent, je le trouve odieux", dit-il à la communauté française, en ajoutant qu’il appartenait désormais au corps des victimes!

Le bon climat du voyage se lit aux résultats commerciaux, honnêtes sans être formidables. Airbus signa la vente de 30 A320 (ou A330), pour 1,7MM² dont 0,7MM à la France. Alstom obtint pour 80M² la signature d’un projet ancien de «centrale à charbon propre, à lit fluidisé circulant », à Baima. Crédit Lyonnais eut le feu vert pour une JV de banque d’investissement avec une maison de courtage, et Groupama devint le 3. assureur français à obtenir une licence chinoise (après AXA et la CNP) dans le dommage matériel.

 


Petit Peuple : un voleur de pommes littéraires

— Auteur à succès de livres souvent convertis en téléfilms (“Hôtesse de l’air”,“Animaux sau-vages”),Wang Shuo apprit avec stupeur lors de la 10. Foire du livre de Changsha (Hunan), le titre accrocheur mais vulgaire de sa soi-disant prochaine oeuvre, “Mauvaise coucheuse!”. Les Editions des arts modernes (qui ne sont pas son éditeur ) précisaient que l’ouvrage visait les femmes célibataires. Avec tel titre et tel auteur, les commandes affluèrent aussitôt au stand des “Arts modernes”! Wang Shuo se refusa à toute déclaration -mais son agent déposa illico plainte pour piratage et abus d’identité. C’est alors seulement que l’éditeur finaud sortit l’atout caché dans sa manche : l’auteur, boutonneux de 27 ans juste débarqué de son Dongbei (Nord-est) natal, inconnu des arcanes littéraires (c’était son 1er roman). En fait,son principal mérite semblait être son nom: Wang Shuo, exact homophone de l’homme célèbre… Apprenant ce coup de Jarnac, Wang Shuo grand seigneur, retira sa plain-te -"il faut bien qu’tout l’monde vive"! Quoique le livre semble à une affaire écrite par des “nègres”, et l’"auteur" ait pu être choisi pour son seul nom, en une opération frisant l’escroquerie (trompant le lecteur sur l’origine et la qualité du produit), mais parfaitement légale. C’est ce que suggère malicieusement la presse, citant le proverbe 瓜田李下 gua tian li xia : “au jardin des melons et sous le prunier, suspect!" (s’il n’a pas volé le fruit, c’est tout comme)!

 

 


Rendez-vous : Bangkok, Sommet asiatique du SRAS

29 avril Bangkok: 10 pays ASEAN + HK et Chine, réunis sur la pneumonie atypique, précédé d’un pré-sommet à Kuala Lumpur les 26-27 avril.

3-5 mai, Shanghai Pudong: Salon du cycle et de la moto -annulé

5-11 mai, Shanghai: Salon de l’antiquité