Le Vent de la Chine Numéro 1

du 6 au 12 janvier 2003

Editorial : Le nouveau pouvoir : Courtoisie politique, plutôt que Réforme politique!

Typique du glossaire de Jiang Zemin, «» zhengzhi wenming (courtoisie politique) est le concept du début 2003 : dans l’équipe née du XVI. Congrès, unie par l’âge mais non par ses allégeances (déchirée entre Jiang, Li Peng, Zhu et Hu Jintao), il faut plus que jamais maintenir l’harmonie de façade.

Aussi s’est-elle donnée 2 priorités simples et prévisibles:

enrichir le pays, et

– maintenir l’autorité du PC (cf rubrique «politique»). C’est ici que le mot d’ordre prend son sens : courtoisie politique signifie partage du pouvoir – report du bras de fer, et de toute réforme politique :

Zhu Rongji a pu placer Wen Jiabao (futur 1er ministre) et Wu Yi (vice 1ère), mais son influence tombe

A 62 jours de sa retraite (le 9/03, clôture de l’ANP et de son mandat de 1er min.), nul ne mise plus sur lui !

Surprise! Avec sa Ligue des jeunes communistes, Hu Jintao s’impose : ses amis Li Keqiang (47 ans)et Li Yuanchao (52) prennent la tête du Henan (province la plus peuplée)et du Jiangsu (poumon industriel).

Ce qui n’empêche Jiang Zemin et son Club de Shanghai de poursuivre leur conquête des postes stratégiques, nominant Hua Jianmin Secrétaire Général du Conseil d’Etat, centre nerveux de l’administration.

instrument ultime de pouvoir, la police, pour la 1ère fois, est partagée entre tendances: Wu Guanzheng (proche de Hu) Président de la  jilüjiancha (police du Parti), Luo Gan (Li Peng), maître de toute police et du judiciaire, et Zhou Yongkang (de Jiang), nouveau min. de la sécu publique. Signe de cette volonté de partager la police, et de la renforcer, Zhou est le 1er des ministres de la police à accéder au Politbureau.

NB : en cas de conflit, pour 2 ans, Jiang fera l’arbitrage – même Hu Jintao croit en son impartialité, vu l’impératif de solidarité gouvernementale.

Aux organes de tutelle économique et monétaire, les nominations apparaissent moins factionnelles et plus guidées par les compétences -afin de leur donner les meilleures chances d’assainir bourse, banques, et Entreprises d’Etat.

A la BPdC, Dai Xianglong (allié de Zhu Rongji) est relayé par Zhou Xiaochuan – en compensation, il empoche le fief de la mairie de Tianjin.

A la CSRC, Shang Fulin, ex-N°1 de la banque de l’Agriculture, remplace Zhou Xiaochuan.

Long Yongtu, le négociateur, rate un poste auquel il pouvait prétendre: le ministère du commerce ira à Lu Fuyuan, ex-vice ministre de l’Education. Long paie les concessions faites à l’étranger, pour l’entrée à l’OMC !


A la loupe : Vide administratif de fin d’année…

Même après l’échéance du XVI. Congrès, le vide décisionnel se poursuit – jusqu’à l’intronisation, en mars, du nouveau pouvoir: les cadres attendant l’émergence de leaders clairement en charge. Aussi une gestion passive des dossiers se fait très visible- celle des mesures imposées par la tradition, ou les échéances immuables -ici, celle du tournant d’années :

– Plusieurs dissidents ont été libérés, tel Xu Wenli, co-fondateur de l’éphémère Parti de la Démocratie (expulsé aux US) et deux des 4 leaders des émeutes industrielles de Liaoyang en mars dernier.

– Une 4. cabine spatiale "Shenzhou’" en 37 mois, a été lancée depuis Jiuquan (Gansu) le 30/12, avec succès – la Chine se rapproche d’un lancement de spationautes, "d’ici mi-2003".

– Zhu Rongji a lancé (27/12) le chantier du canal Sud-Nord» (3 parcours distincts, jusqu’à 1000km chacun) devant acheminer 45MMm3 /an ou 3% du Yangtzé jusqu’au Fleuve Jaune. Ce projet d’1/2 siècle accumule les records,par son coût (60MM$!), ses problèmes techniques, et son enjeu – la maîtrise de l’eau! Dès maintenant, les firmes étrangères sont invitées à participer.

– 5 lois ont été adoptées ou révisées (28/12), fixant les règles des écoles privées, protégeant la prairie (ce qu’il en reste) et préparant l’abolition du  Hukou pour rétablir la liberté de mouvement des paysans. L’ANP a aussi entamé la lecture d’un fondamental Code civil de 1200 articles, clé de voûte de tout l’appareil législatif, à adopter sous 3 ans.


Joint-venture : SPDB, cheval de Troie de Citibank?

· Les 6,4MM$ de revenus réalisés par Samsung en Chine l’an dernier, lui ont assuré près de 10% de son chiffre d’affaires: marché qui justifie son dernier effort de délocalisation massive en Chine: dès avril, moyennant un investissement de 7,3MM$, deux usines à Suzhou (Jiangsu), produiront semi conducteurs, écrans LCD pour PC et agendas "palm" électroniques. Sans spéculer sur les standards d’avenir, Samsung va aussi renforcer ses capacités en tél. mobile, tant en CDMA dans sa JV de Shenzhen avec Kejian, que dans le GSM dans son usine à Tianjin. Avec de tels invests, le coréen pense pouvoir, en ’03, tailler des croupières aux leaders du secteur,en doublant ses ventes CDMA (1M d’unités en 2002) pour prendre 35% d’un marché évalué entre 7 à 12M unités (leader Motorola), tout en talonnant Nokia, pour ravir la 2de place en GSM. Cerise sur le gâteau, Samsung veut aussi 10% du marché de l’agenda digital.

N.B. : curieusement profil bas, Sony entre lui aussi sur le marché du LCD, mais par la petite porte (comparé à Samsung), avec «seulement» 75, voire 150M$ d’investissement pour son usine à Wuxi (Jiangsu) qui ouvrira en mars 2004, pour fournir ses usines de caméras vidéo et digitales.

· Après moultes péripéties, Citibank entre, à concurrence de 5%, dans la SPDB, 9ème banque chinoise avec 30MM$ d’actif,fondée en 1992 pour financer les grands travaux de Pudong. L’investissement de 72,5M$ garantit à Citibank un siège au conseil d’administration, et l’accès aux 270 filiales de SPDB, s’ajoutant à ses propres 7: pour l’ins-tant, les banques étrangères sont limitées à une ouverture par an! L’entrée de Citibank dans SPDB offre à cette dernière la base et le capital pour accélérer son expansion (au dépend des 4 soeurs) mais surtout, un vivier de compétence: il s’agit surtout d’une alliance afin de se profiler sur le marché des cartes de crédit. Pour Citibank, l’enjeu est de devenir "chinoise" (contournant le mur protectionniste), avec pour partenaire une des banques les plus saines du pays, appelée à se hisser parmi les plus grandes. NB : pour mémoire, HSBC, Bausparkasse Shwabish Hall, Newbridge et l’IFC, parmi d’autres étrangers, ont conclu ou négocient des accords similaires.


A la loupe : La Chine du TGV sera-t-elle allemande ?

En U.E, l’Allemagne est le 1er partenaire commercial de la Chine (23,5 MM$ d’échanges en jan-oct. 2002), techno-scientifique et d’éducation. Aussi une visite en Chine du chancelier G. Schroeder est-elle toujours un événement faste. Sa dernière (29-31/12) n’a pas failli à la tradition, l’ayant vu étrenner, à Pudong avec Zhu Rongji, le fameux train Maglev de Siemens-Thyssen-Krupp, pour 1,2 MM$, dont près de la moitié payée par Berlin. Ce joujou à lévitation magnétique s’est avéré capable d’avaler en 7min à 430km/h, les 33km entre l’aéroport et Liujiazui, la «City» shanghaienne!

Mais ce succès technologique (1ère matérialisation "commerciale" du Maglev dans le monde) peut-il aboutir à un marché? « Oui! » , dit Schroeder, qui prête à Zhu l’intention de prolonger de 470 km la ligne, jusqu’à Nankin au nord, Hangzhou au sud. L’enjeu étant les 1250 km du circuit Pékin-Shanghai, d’un coût estimé à 22M$!

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres: le Maglev, dans la presse, est très contesté. Sur son monorail, le Maglev ne transporte que des passagers, tandis que le TGV japonais ou français peut prêter sa ligne aux rames conventionnelles…Or, Zhu, défenseur n°1 du Maglev, part dans 3 mois, et la ligne rapide aux normes standard, est déjà presque achevée : le choix est loin d’être fait!

Schroeder a aussi rencontré Jiang Zemin et Hu Jintao. Les intérêts politiques sont considérables. Allemagne et Chine se démarquent des US de G. Bush, dans leurs bruits de bottes autour de Bagdad et de Pyongyang. Berlin compte sur Pékin pour l’aider à devenir permanent au Conseil de Sécurité et maintenir sa croissance malgré le miasme mondial. Tout ceci n’a empêché le chancelier d’adresser à ses hôtes, par étudiants interposés

(devant l’université de Tongji), des paroles onctueuses mais vertes, sur les droits de l’homme: "à long terme, l’innovation et la croissance réussissent le mieux dans une société ouverte, ne freinant pas le libre flux de la communication"!


Argent : Chalco et la surchauffe de l’alu chinois

· En 30 ans, de 1949 à 1979, ils avaient été 210.000 chinois pistonnés, à jouir du privilège de sortir du pays : de jan à nov 2002, ils auront étés 15M soit 2000 fois plus -et 25% de plus qu’en 2001. Avec la hausse de ses salaires et un passeport accessible par internet (à Shanghai, moyennant 24$ et quelques jours d’attente), la Chine devient un des derniers marchés en expansion pour le tourisme international, le seul blocage provenant des pays développés, peu soucieux d’ouvrir un tonneau des Danaïdes de migrants clandestins. 1ère destination rêvée : les US, Las Vegas et les plages hawaïennes -mais seuls 400.000, en ‘2000, ont obtenu le visa. L’Asie elle, fait fête aux voi-sins nouveaux riches, allant jusqu’à re décorer ses resorts pour faire plus chinois. Le marché devrait quadrupler d’ici dix ans -la grande affaire sera l’ouverture de l’UE, une fois un accord trouvé sur les migrants illégaux -pierre d’achoppement.

NB : dans l’autre sens, le marché est encore meilleur : 89M d’étrangers furent reçus en Chine en 2002, pour une recette de 20MM$.

· En matière de média, la grande affaire du jour, est la radio, qui remonte le terrain cédé hier à la TV et de la presse : elles sont 303, les chaînes chinoises, émettant 21.000 heures par jour en 43 langues – principalement putonghua, cantonais, shanghaïen. La remontée se sent aussi au niveau des recettes publicitaires : les ondes ont connu la plus forte croissance avec 220M$ en ’02, +20%, et +40% à Radio-Beijing qui engrangea 8M$ rien que pour les annonces sur son programme de trafic routier aux d’écoutes record : un pactole, et ça ne fait que commencer!

· N°3 mondial et n°1 en Chine de l’aluminium, Chalco s’attend à voir le marché intérieur augmenter en 2003 de 18,6% (à 5,1Mt). Pour anticiper la demande, il prépare son 2d investissement croisé avec un groupe chinois d’énergie -dans l’éternelle course à la baisse des coûts. Le 1er  deal en décembre impliquait Zhangze, l’électricien du Shanxi : pour 706M$, les partenaires convenaient d’ouvrir en 2005 une fonderie de 280.000t de capacité. Le second projet se fait avec Huazhong (HK)et 2 groupes de Yichang (Sichuan), liés au Barrage des Trois Gorges.

2 tranches de 250.000t seraient bâties, la 1ère pour un montant de 360 M$. La lettre d’intention précise que le barrage fournirait le Kw/h à 0,205Y – 11,6% moins cher que le prix moyen pour Chalco. Manière pour le groupe d’anticiper la baisse des prix suite à l’éclatement de SPC (State Power Corporation), et pour l’Etat, de donner une clientèle au Barrage. La conjoncture permet d’ailleurs à Chalco de surfer sur les prix pour financer son expansion : le groupe vient d’augmenter de 9% le prix de la tonne d’alumine -à 241,6$/t !

 


Pol : Corée du Nord – la Chine, ni… ni!

· Le Prsdt Jiang pourrait avoir bien des raisons d’être satisfait du XVI. Congrès, ayant placé ses hommes et éliminé ses rivaux pour rester seul des anciens encore sur scène. Mais la rumeur sibylline le dit insatisfait d’avoir méconnu trois faits – "trois" étant le chiffre rituel de Jiang, cf  san jiang – 3 explications, ou  sange daibiao – 3 représentativités

 Jiang se plaint de n’avoir pas reconnu à temps :

[1] la "mauvaise santé" (politique ou corporelle?) de Hu Jintao,

[2] le pouvoir de Li Peng (qui serait un des gds gagnants du Congrès, ayant placé plus d’amis que prévu au Bureau Politique),

[3] et l’"obstination" de Zhu Rongji. Sur le sens exact de cette énigme – nos informateurs déclarent forfait!

 

· Un flot d’activités à travers le monde, ont pour but de trouver une réponse à la Corée du Nord, suite à sa décision de rouvrir son réacteur nucléaire de Yongbyon et d’expulser les hommes de l’AIEA.

Le 02/01, un vice ministre sud coréen des Affaires étrangères, à Pékin, a demandé l’aide chinoise, pour faire pression sur son petit allié. Les 6 et 7/1 à Washington, Japon, Corée du Sud et US se rencontrent pour tenter de s’accorder, tout en attendant les conclusions de l’Agence de Vienne.

La Corée prépare une tentative de compromis, où la Maison Blanche, sans aller jusqu’au traité de paix exigé par Pyongyang, garantirait par écrit la souveraineté nord-coréenne, en échange d’un renoncement à l’aventure nucléaire.

Et la Chine, là-dedans?

Elle a dit, le 2/1, qu’elle tenterait de convaincre le pays du Matin Calme de faire marche arrière.

Elle refusera le blocus réclamé par G.W. Bush (qui au mieux, lui vaudrait des dizaines de milliers de réfugiés nord coréens fuyant la faim). Et elle pourrait chercher à encourager la Maison Blanche à traiter directement avec Kim Jong-il, et non plus, comme jusqu’à présent, à travers des "Mr Bons-Offices" tel Roh Moo-Hyun, l’imminent président sud-coréen.


Temps fort : State Power – explosion, et trou noir !

Suivant d’autres secteurs tels les télécoms ou l’aviation civile, la restructuration de State Power Corp (SPC) est effective au 29/12. SPC était le 60e groupe mondial (la Chine est 2d producteur et client de la fée électricité), aux 160MM$ d’actif et 2M d’emplois. Elle assurait 46% de la génération et 90% de la distribution.

En apparence, le schéma directeur cité en mars par la SDPC, la Commission d’Etat de planification et de développement, est respecté: une démarche commerciale, dissociant réseau et centrales.

2 distributeurs se partageront le territoire, sur un réseau unique : Southern Power (5 provinces du sud) et State Power (les autres).

5 groupes électriciens sont agréés- Huaneng, Datang, Guodian, Huadian, et China Power Invest., qui rachèteront 162 des 202 GW du parc de SPC. Chacun aura au max 20% des capacités nat’les. L’électricité sera rachetée aux enchères inversées, pour imposer une baisse graduelle des prix, surtout ceux des opérateurs indépendants (42% du parc, et 30 à 40% plus chers que SPC). Les producteurs devraient obtenir une garantie de retour sur invest. de 10 à 12%, mais l’objectif est d’assurer 50% des profits aux distributeurs (contre 27% aujourd’hui), pour permettre les nécessaires investissements d’intégration du réseau.

4Enfin, 4 Cies de service recevront 11,4GW de capacité de SPC.

Manque à l’appel une tutelle spécialisée et un mécanisme des prix – les deux à fixer «dans l’année». Mais ce système laisse bien des doutes. Ainsi, Gao Yan, l’ex-Président de SPC est en fuite, avec un fort trou de caisse. Deux enfants de Li Peng, son protecteur, n’en demeurent pas moins Président et vice-Président de CPI et de Huaneng. De même, les deux distributeurs ont obtenu 15% des capacités de SPC, contredisant le principe de séparation des genres. Et surtout, l’absence de mécanisme de prix jette une ombre formidable: la transparence comptable n’est pas garantie, et selon les experts, la mise en place d’un réseau unique privé et public, prendra 10 ans !


Petit Peuple : l’Art, Printemps pimenté

·  Chunyang angran-  «Le printemps est dans l’air», dans l’art contemporain chinois. BBC a diffusé deux clips faits pour choquer: un activiste grignotant ce qui semble un foetus, un autre buvant un vin où macère un soi-disant pénis. BBC veut savoir pourquoi la Chine «produit l’ art le plus outrageux et le plus noir au monde ». L’une de ces images fut projetée en 2000, à la 3. Biennale d’art moderne de Shanghai. Pour fêter la 4. édition de ce must de l’art chinois (en cours, jusqu’au 20 /1), un certain Wang se promena nu sur le Bund – artère très fréquentée-, en guise de happening. Mais en pure perte : le public blasé n’accorda pas un regard au show exhibitionniste. Pour le reste, la plupart des oeuvres de la Biennale, décapantes et inquisitrices, expriment le bonheur et l’aliénation face aux chocs de la mutation en cours dans leur univers – stress, béton, libertés, suicide. Face à ce déferlement d’égotis-me créatif, la censure ne peut rien faire -le monde des arts est libre! Enfin, ce jeune art peut aussi s’avérer fin et mature : à Guangzhou, sous le titre de Cabochons, Zhang Hongtu montre un double portail vermillon, genre «Cité Interdite» ou Zhong Nan Hai, le siège du PCC. L’oeuvre n’est anodine qu’en trompe-l’oeil. Un lacis de grands «clous» aux trois-quarts arrachés et pendant vers le bas, finit par trahir son piteux secret: il s’agit selon l’artiste, de "verges surgelées dans un état d’érection impropre ». En un mot donc, cet art chinois dont on parle toujours plus, constitue un éveil irrépressible, blindé contre tout tabou – qui, par sa verve et son impertinence, interpelle le conformisme du reste de son monde.