Le Vent de la Chine Numéro 8
Chaque année, l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) est le phare permettant de lire, dans ce formidable rassemblement d’experts et de bilans, les tendances d’avenir.
Le cru 2000(3ième Session, IX. Plénum) ne faillit pas à la règle.
Un institut de la SDPC nous signale que d’ici 2005, l’économie poursuivra la mutation de ses sources de financement :
[1] «en cure d’amaigrissement», les banques, malgré une hausse de leurs prêts de 13%/an, ne compteront en 2005 que pour 22,5%, (550MMUSD), 1% de moins qu’en 1991-1995.
[2] l’investissement étranger ne croîtra que de 4%/an (à 365,5MMUSD), dont 200MMUSD seulement vraiment venus d’ailleurs: 8,5% du tout.
[3] en 2005, le privé assurerait 24,8% de l’investissement en fonction de l’accès qu’on lui donnera à la Bourse, et de la croissance de cette dernière.
[4] enfin l’État doublera son intervention.
Par rapport au laissez-faire de Deng, c’est un demi-tour: en’96,il n’assurait que 2,69% des invests publics). Depuis lors, il paie 6 à 7,3 MMUSD/an en infrastructures, et 12MM en 2000! Le budget 2000 reflète ces orientations: 111MM USD (+12,3%), et un fort déficit de 27,7MMUSD (+6MM) -dû à l’effort d’équipements (+10% dont 70% investis à l’Ouest) et au maintien de la croissance, malgré trois ans de « lâchage » de la consommation.
NB: en 1999, suite aux remarques du FMI, il était question pour le gouvernement de réduire ces invests centralisés (contraires au marché et à la réforme), pas forcément moteurs de croissance, et par contre, terreau pour la corruption.
Le fait qu’il s’en tienne à son principe (mais dans sa conjoncture maussade, a t’il vraiment le choix?), suscite le doute des députés de la Côte, qui seront les payeurs: une croissance 100% étatisée, peut elle réveiller le marché (déjà majoritairement privé)?
Enfin, les 6,5M de chômeurs de 1999 deviendront 12M en décembre 2000.
Les entreprises d’Etat (EE) ont fait en 1999 des profits de 26,5MM USD (+52%).La Bourse a engrangé (en Chine et ailleurs) 15 MMUSD, +30%. La capitalisation privée a atteint 319MMUSD (+36%): base qui serait plausible pour une relance des investissements – si le pouvoir créait le climat, par quelques touches de politique libérale – à ce jour, le choix inverse semble être à l’ordre du jour
"Pour un tel criminel, seule la mort suffisait, afin de sauvegarder la loi, apaiser la colère populaire et rectifier le travail du Parti"
Sur cette épitaphe de Xinhua, fut exécuté (08/03) Hu Chanqing, ex-vice gouverneur du Jiangxi, pour avoir pris pour 843 000USD de hongbao ("enveloppe rouge"). La vindicte du peuple est réelle, la gabegie comptant pour 1er fléau social, auprès de 23% des pékinois.
C’est donc un message clair aux hautes sphères du PCC : nul ne sera à l’abri de la loi.
Cependant, sur la corruption, au Plénum, le débat de fond n’a pas vraiment eu lieu.
Zhu Rongji l’a évoquée en termes évasifs ("la Chine devrait suivre un code de conduite pour bâtir un gouvernement propre et honnête)". Des paroles fortes ont été entendues : "dans des provinces, corruption et abus publics sont hors contrôle, les statistiques falsifiées sont la norme", dit une élue pékinoise.
Par contre, restent en souffrance deux affaires-clé, celle de Xiamen (10MMUSD), et celle touchant le vice-Président de l’ANP Cheng Kejie, en "congé" précipité…
Juge et Procureur suprêmes ont promis, sur ces cas, des verdicts "dans l’année".
Il n’a pas été question de cet outil utilisé avec succès ailleurs dans le monde, une police et une justice spécialisées et indépendantes. A cette lumière, la fin de Hu Chanqing apparaît moins comme solution, que comme acte sacral, avatar d’un moyen d’intimidation antique, passé en proverbe: sha ji xia hou ("tuer le poulet pour effrayer le singe")
Séduits par la perspective d’un marché de 60M d’internautes en 2005, les télécoms chinois se montrent voraces d’équipements étrangers : en 2000, les 4 groupes publics, China Telecom, Unicom, Jitong et Netcom, vont commander pour 1MM USD, dont la part du roi (700MUSD) revient à Unicom, pour déployer son réseau à large bande et à intégration de services, de type ATM et IP. Lucent Tech. (US) a déjà engrangé 100MUSD de contrats (CT, Unicom, Netcom).
De son côté, le MII poursuit sa campagne"nationale": les Compagnies internet basées en Chine, avant d’entrer en bourse étrangère, devront obtenir le feu vert du MII. Ceci, sans préjudice des tampons d’autres instances comme CSRC et Conseil d’Etat.
NB: ce regain de dynamisme protectionniste serait lié, dit la rumeur, à un départ possible du Min. Wu Jichuan, patron du MII.
Après les USA, l’Empire du Milieu est devenu le second marché de Nokia, leader mondial du "dageda" (téléphone GSM): 27% du marché en 1999, 76M d’appareils vendus (+50%).
Avec ses sept JV et sa société à 100%, le géant finlandais a généré 2,3MMUSD de chiffre (+15%) en Chine, dont 40% exportés vers l’Asie et l’Europe.
En Chine, sur 100 savons, tubes dentifrice ou sacs de lessive vendus sous le label de Procter &Gamble, 40% sont des copies.
Idem, pour toute paire de chaussures de sport Nike légitime, s’en vend une fausse. 28 groupes étrangers, parmi lesquels Unilever, Coca Cola, Glaxo, réagissent en créant le Comité de Protection des Marques de Qualité (en anglais QBPC).
Poliment mais fermement, ce lobby tente de sensibiliser l’administration à la lutte contre la contrefaçon, dans l’intérêt commun: les 28 groupes "pèsent" 6MMUSD d’investissements locaux.
Contrainte par le tremblement de terre de septembre 1999, de reporter, à mars 2000, ses élections présidentielles, Taiwan doit, à présent, subir de l’ANP une salve concertée d’attaques verbales, destinée à renforcer la pression:
Zhu Rongji a ouvert le débat, en rappelant que si Taiwan devait oser le divorce, la Chine "ne resterait pas les bras croisés".
Trois Commandants de régions militaires ont suivi, menés par Zhang Wannian, chef d’état major, et Chi Haotian, ministre de la défense, multipliant mises en garde, promesse de "défendre HK" et réclamant une date limite pour le retour "pacifique".
Qian Qichen, Vice 1er, daubait l’île, "effarouchée de tout, la conscience coupable…" et accusait les USA de rêver d’en faire un "porte-avions insubmersible"…
Le quotidien de l’APL n’était pas de reste, en s’en prenant pour la 1ère fois (quoique non nommément) à Chen Shui-bian, le candidat DPP indépendantiste.
Jiang Zemin, comme souvent, tenait des propos dualistes, à travers deux poètes classiques.
Un journaliste taiwanais citait Caozhi (époque Qin 1700 ans: "quand on cuit les haricots au feu des cosses, les haricots pleurent dans le wok – pourquoi nous mettez-vous sur le gril?".
La réponse fut: "c’est Taiwan qui attise le feu". Mais ensuite, citant Du Fu (ère Tang, 1200 ans), "la guerre fait rage durant trois mois", Jiang précisa : "nous n’en sommes pas là"!
A noter, au Plénum, des voix critiques entendues, sur l’infléchissement "dur" envers Taiwan (cf VdlC n°06/V). Tel cet élu du Henan, selon lequel, sur le Livre Blanc, l’ANP n’aurait pas été consultée. Ou encore, ce souhait d’une réunification "non forcée", ainsi que la question faussement innocente: "pourquoi fixer des échéances correspondant aux limites d’un mandat personnel".
Preuve, sur la stratégie pour le retour de Taiwan, d’une apparente absence d’unanimité.
Espoir n°1 du régime pour assurer la relance, la campagne "refaire l’Ouest" a été l’un des temps forts du Plénum. Pékin veut déverser sur ces 10 provinces et territoires, 70% de son budget "infrastructures" (crédits propres et prêts mondiaux).
A l’exception d’un emprunt d’Etat de 12MMUSD pour 2000, aucun montant n’a été précisé.
L’investissement (toutes origines) dans l’Ouest, de 361MMUSD en 1999, montera de 60%, frisant les 600MMUSD, à utiliser dans des projets de maîtrise de l’eau (Barrage/Trois Gorges, digues Yangtzé/Fleuve Jaune), aéroports, autoroutes.
A travers les portes entrouvertes de l’OMC, la Chine verte entrevoit deux nouvelles :
[1] Une mauvaise : encore une coupe (non chiffrée) dans les prix garantis des blés tendres (Nord, Sud-Ouest) et riz précoce (Sud).
Pour de tels produits (20 % de la production), la concurrence sera intenable face à l’import étranger. Mais à court terme, la mesure aggravera l’érosion du revenu paysan: en 1999 il était de 266USD/habitant/an, soit +3,8% contre+4,3% en 1998.
[2] Une bonne nouvelle : sur le dossier,en panne depuis des lustres, de la chasse aux taxes illégales imposées par les pouvoirs locaux, l’État s’active.
Dès sa phase de préparation, ce projet pilote remue bien des choses dans l’Anhui : au 1er juillet 2000, toutes les taxes (abattage des cochons, maintenance des canaux, éducation…) devront céder la place à un impôt unique, central, de 5% max. Toute transgression sera sanctionnée par la perte des subventions centrales.
à l’ANP, les dirigeants cantonais annoncent l’épuration de toutes les dettes privées auprès des institutions financières au bord de la faillite (crédits ruraux, ITICs, banques, maisons de courtage). Rendu possible par le concours de Pékin, ce redressement ne concerne que les porteurs individuels, qui dans le cas de la GITIC représentaient 5% du passif (94MUSD). A l’exclusion des institutionnels chinois et étrangers.
En Chine depuis 10 ans, ni la répression toujours plus ferme, ni les campagnes qui se succèdent n’ont pu enrayer les progrès de la drogue.
Les 680.000 drogués "officiels" accusent une progression de 14% – le chiffre réel pourrait être dix fois supérieur.
Les trois-quarts d’entre eux sont des hommes, dans la fleur de l’âge (17-35 ans) et prennent de l’héroïne, ( vecteur du SIDA).
En 1999, ont été saisis 5,3t d’héroïne de Birmanie, 16t de ice, et 33000 dealers ont été condamnés.
Dernière mode dans les milieux étudiants: se rendre "high" aux sirops antitussifs (principe actif = ephédrine), encore en vente libre en pharmacie. Révélant l’ampleur du phénomène, le patron de l’administration pharmaceutique de Shenzhen affirme que dans sa ville, 30% du commerce global de détail serait imputable aux médicaments!
au terme d’un décret, écoles et maternelles ont entre cinq et dix ans pour renoncer aux dialectes et promouvoir le putonghua (mandarin). Il s’agit d’un apparent demi-tour sur l’approche traditionnelle, qui promouvait paritairement en zones mixtes, le patrimoine minoritaire non Han, qui regroupe 56 langues et dialectes, dont le tibétain et le ouïghour (Xinjiang).
Entre les deux bords du détroit de Taiwan, la course aux armements se poursuit.
Aux 1MM USD/an d’achats chinois d’armes à la Russie (selon des estimations étrangères), Taiwan réplique en commandant aux USA quatre destroyers de classe "Egée", d’une valeur nominale de 1,5MMUSD.
Le Pentagone vient par ailleurs de donner son accord à la dernière commande taïwanaise, 162 missiles Hawk sol-air, pour 106MUSD, et à la modernisation d’un appareil de type Awacs, pour un montant équivalent.
Ce feu vert pourrait être lié aux actuelles pressions chinoises sur Taiwan, et adresser un message à Pékin, concernant les commandes de destroyers.
Sur le front de l’OMC, les nouvelles se bousculent: conclusions de l’accord avec la Colombie (8/3), la Thaïlande (10/3), alors que se poursuivaient les négociations avec l’Argentine. Le 8, Bill Clinton soumettait au Congrès sa proposition d’octroi définitif à Pékin, du statut des "Relations Commerciales Normales". Le 21/03, reprise des négociations formelles entre Chine et le secrétariat de l’OMC.
Enfin, le 27/03, arrivée à Pékin du Commissaire Européen Pascal Lamy, avec l’intention, cette fois, d’en finir.
Mise à part une phrase sur l’ "approfondissement" des élections villageoises, le rapport de Zhu Rongji a été muet sur la réforme politique, espérée par la frange sociale éduquée.
Au sein du Plénum pourtant, il se dit que les versions initiales du discours, qq semaines avant, évoquaient une telle réforme, sous un cadre économique raffermi, et après un relèvement du niveau idéologique des masses. Si l’information est correcte, elle confirme le maintien d’un débat au sommet, sur l’opportunité d’une mise à jour des principes du régime -et la minorité des réformateurs
Les députés, pour leur part, s’expriment.
Parmi les centaines de motions déposées, figurent les cinq projets législatifs de Zhang Zhongli, 80 ans, dit "roi de la loi", ayant soumis en 14 ans, 48 projets de loi, dont sept acceptés comme "prioritaires".
D’autres réclament en urgence, une loi pour encadrer le commerce électronique, d’autres, pour fixer les droits des 600.000 journalistes, d’autres encore pour enrayer la montée des monopoles, notamment celui des télécom, dont ils réclament l’ouverture au secteur privé…
Aux élus, argumentant que le pays, après 20 ans d’ouverture au monde, est prêt à une dose de réforme politique, Président et 1er Ministre ont fait la même réponse, suggérant qu’ on leur écrive, promettant de répondre – personne ne ferait filtre.
Plusieurs sites internet publics viennent d’être ouverts, permettant aux niveaux supérieurs un "contact direct " avec la base, qui leur est précieux (Jiang vient de confier qu’il n’avait aucune idée de l’existence du Falungong, jusqu’à sa fameuse manifestation des 10000 devant Zhong Nan Hai, en avril 1999). Tout ceci permettant l’économie de la réforme politique, trop risquée pour l’heure, vu les tensions économi-ques et sociales à court et moyen terme!
5000 élus et observateurs des quatre coins de Chine, dans l’édifice massif du Grand Palais du Peuple, sans parler des hordes de journalistes et diplomates, d’appariteurs et de gardes, créent ensemble une ville dans la ville, microcosme éphémère aux badges en sautoir évoluant entre les groupes de travail TV, la cathédrale-buvette (thé à volonté) et les stations obligées de ce chemin de croix socialiste – l’arrêt-photo sur le perron et les files anarchiques pour le tampon des timbres commémoratifs. Pas une heure sans hap-pening.
En voici quelques uns, pris au hasard :
[1] Zhang Jian, "millionnaire rouge" hunanais de 39 ans, propriétaire de Yuanda, gros groupe de climatiseurs, se taille un succès facile: il est monté à Pékin s’acquitter de ses devoirs d’élu, à bord d’un de ses trois jets privés (Cessna, 8 places), d’une valeur globale de 12MUSD : "d’ici décembre", commente t-il avec simplicité, "j’en achèterai sept autres, pour monter mon club privé".
[2] Wang Zhongcheng, neurologue renommé, défend une espèce menacée : celle des médecins victimes des violences de leurs patients. Telle cette femme en blanc, dénudée par un mari furieux de la prescription rédigée pour sa femme; ou cette infirmière, mise KO (il a fallu 7 points à sa mâchoire) pour n’avoir su trouver à temps la veine d’un enfant. Le professeur préconise l’éducation des masses – vaste programme.
[3] Le 8/3, jour des femmes, le beau sexe fut gratifié de gadgets prouvant la reconnaissance de la nation :
– une ligne tél. directe (n° 148) de conseils juridiques féminins,
– une start-up pour pin-up, "Chinese women on the web", destinée à mettre en contact les talents féminins, et à créer leurs galeries virtuelles d’achats en ligne,
– le choix offert aux jeunes, par la Fédération des Femmes, de la "pilule-des-cinq-jours-suivants"(sic)!
– il maugréait, ce groupe d’élus de l’Intérieur (Sichuan, Henan), en entendant un budget éducation, en hausse pour ‘2000, de 1% (16,5MMY) seulement:
la promesse faite depuis 1997, d’investir dans les écoles au moins 4% du PNB, ne sera pas tenue.
A ce prix, les élus craignent que bien des parents ne soient contraints de retirer leurs enfants, pour les faire trimer aux champs.
18 mars, Taiwan : élections présidentielles
14-18, Pékin: Salon "Data Comm. network"
19-22 Pékin: salon maintenance auto (pièces)