Le Vent de la Chine Numéro 6

du 28 février au 5 mars 2000

Editorial : Pékin adresse à Taiwan – un missile de papier?

Le 21 février 2000, en 11000 caractères, Pékin tirait un coup de semonce, avec son Livre Blanc sur le principe d’une Chine (unique) et la question taiwanaise.

Le message était : «si Taiwan laisse trop stagner les négociations de retour à la patrie, ce sera l’attaque ». 

Voici donc le troisième « casus belli » de la Chine -les deux autres étant : si Taiwan déclare son indépendance, et si des troupes étrangères pénétraient dans l’île.

En apparence, ce ton belliqueux, à la veille de l’ouverture de la campagne présidentielle taiwanaise, rappelle les exercices aéronavals chinois autour du bastion nationaliste, lors du scrutin de 1996.

Vues de près, les choses semblent plus bénignes. Ce texte constitue la réponse formelle, huit mois plus tard, à l’affirmation provocante du Président Lee Teng-hui du 9 juillet 1999, de l’existence d’ « une Chine, deux États« . Il reprend toutes les thèses officielles chinoises (sur base historique, diplomatique etc.) justifiant la réunification, priorité n°1 d’un régime en mal de pérennité, dont l’idéologie socialiste déchue, a été remplacée par le  aiguozhuyi, patriotisme.

Or, ce manifeste contient aussi des nuances nouvelles, modératrices, un genre de main tendue.

[1] Pékin y pose (c’est une 1ère) le principe d’un dialogue d’égal à égal,dans le cadre d’une gestion partagée de la souveraineté.

[2] Il reconnaît (c’est aussi inédit) une dimension internationale au problème taiwanais.

[3] Enfin, il se garde (pour l’heure) de fixer toute date limite à sa menace: permettant ainsi à la presse de parler d’un « missile de papier » (variation sur une célébrissime citation de Mao)…

Tout reste donc ouvert. Pékin, confirment les diplomates, ne démontre pas même de préférence marquée pour l’un ou l’autre candidat à la charge suprême.

Par contre, le Livre Blanc rend improbable, désormais, de nouveaux exercices militaires « électoraux » le 18 mars : ils seraient inutiles, et même dommageables (au niveau du  Congrès US) pour la seconde priorité du régime, l’entrée avant fin 2000 à l’OMC!


A la loupe : Le chômage rural, mal des campagnes

D’ici 5 ans, selon le Ministre de l’Agriculture, le monde rural aura 600M de paires de bras, dont les fermiers ne feront plus que 196 M (1/2 de 1998).

Il y a 10 ans, les "cadets sans terre" pouvaient se tourner vers les usines coopératives, faites de bric et de broc, qui ancraient au terroir, bon an mal an, 4M de petites mains très peu payées. Mais aujourd’hui, ces papeteries, scieries, ateliers textiles etc. sont en reflux, car polluants, dangereux et déficitaires. En ’98, sur 100 ouvriers ruraux, 20 étaient retournés aux champs!

Le drame de ces emplois étant de n’être ni soutenables (écologiquement, économiquement), ni remplaçables!

Seule alternative : l’exode massif, bien visible ces jours-ci (l’après-Chunjie, Nouvel An lunaire, donne au chinois le «top!» du départ).

Sur les 10M/an de pauvres qui monteront à la ville d’ici 2005(contre 7,6M jusqu’en 1999), seuls 7M y seront "reçus". Ce qui ne signifie pas "employés": en 1998, sur 70M de ruraux venus en ville, seuls 22M y ont trouvé un job stable. En 15 jours, Canton (ville) a reçu 4,2M de migrants dont 20% désoeuvrés qui rejoindraient, (si la police ne les chassait énergiquement) le M de chômeurs recensés dans la province…

Dernier volet: l’agriculture maintenue « en quarantaine» depuis 50 ans, en dépit de nets progrès depuis 20 ans, ne soutient la concurrence mondiale, ni en qualité, ni en productivité. En 1999, elle a perdu, à l’export, 0,6% (avec 13,54MM USD, soit 6,9% du total).

Avec l’OMC, la Chine importera toujours plus. La Chine n’a plus que quelques années pour éteindre la mèche de la bombe. Et elle le sait


Joint-venture : Legend s’attaque au cybermarché

• Rare bonne nouvelle pour les exports chinois assiégés à travers le monde de procédures anti-dumping, rançon de leur succès commercial : l’ITC, "chambre d’accusation" des imports aux USA, a débouté (4 voix/2) la plainte de trois producteurs US d’acide citrique contre les 43000t d’export chinois en 1999 (37MUSD): "aucune preuve", a estimé le jury, "que la concurrence ait été faussée".

• Remorqueur du marché du PC (23%) Legend veut s’imposer sur le créneau de la communication en réseau (networking). Une JV s’est créée à HK avec le taiwanais D-Link, d’un invest initial de 10MUSD (57% pour Legend). Objectif : la production, vente de services (même e-commerce) de tous produits de réseau, logiciels et équipement. Chiffre d’affaires d’ici 2003:250MUSD.

• Un des 3 grands du trafic maritime conteneurs, China Shipping prépare l’OMC en s’associant avec le français CMA CGM sur un faisceau de lignes entre 28 ports d’Extrême-Orient, de la Méditerranée et de l’Atlantique (Européenne). Au 1er mars, les deux armements mettront en commun 50 porte-conteneurs d’une capacité annuelle de 139000 "boîtes" (20 pieds).

Autre JV française de la semaine: Alstom et Puzhen (Nankin, Jiangsu) s’allient pour produire les 168 rames de la ligne 3 ("Pearl") du métro de Shanghai (à 65% localement).

Avec ses châssis d’aluminium, permettant une vitesse de 80km /h, Alstom met dans la corbeille de mariage sa technologie la plus avancée, dite "Metropolis".

 


A la loupe : Le point du gouvernement sur l’Anju, l’opération ‘logement privé’

En deux ans, 60% du parc locatif public a été vendu à ses habitants.

Tel est depuis mars 1998 le 1er bilan de cette campagne Anju (home sweet home) d’accès à la propriété.

Deux tiers des 35 métropoles ont entrepris de vendre leurs HLM. Combinées à celles des logements neufs, ces ventes entreraient pour 1,5 à 2% des 7,1% de hausse du PNB en 1999 (donc, pour 20 à 25%).

Succès donc, sur le papier.

Mais les chiffres sont invérifiables, et sur le terrain, l’écho est autre: l’État s’est heurté à des résistances, qui se résument à la question : comment vendre au peuple ce dont il jouit gratuitement depuis ’49? L’administration a dû se résoudre à brader, et offrir de fortes primes. Même ainsi, au nom de la stabilité sociale, le programme a été souvent "surgelé", y-compris dans sa menace de décupler les loyers des réfractaires à l’achat.

Une autre option pour développer ce secteur, a été la construction "populaire": une couronne de 14 villes neuves s’est bâtie autour de Pékin, 202 km² (1,3M habitants, à 80% d’ex-pékinois). Un problème fréquent, comme à Changxingdian, est le syndrome de Sarcelle: ni routes, ni métros, peu ou pas de commerces, hôpitaux, restaurants ni écoles…

Manque aussi cruellement à ce logis privé, un droit immobilier (une jurisprudence…) définissant mitoyenneté, charges, droits de propriété, de revente, de location…

Prochaine étape annoncée par le Ministère de la Construction : la vente des appartements des EE à leurs employés. Mais celles-ci (souvent au bord de la faillite), sont en mauvaise posture pour vendre,et le personnel (un pied au chômage) mal parti pour racheter leur foyer – même délabré.

Remarque: si la vente du parc d’Etat génère 25 à 30% du PNB annuel, et si 60% est déjà parti, on voit peut-être

poindre à l’horizon la fin de cette phase de croissance : une fois que sera épuisé ce "ballon d’oxygène immobilier"!

 


Argent : Quotas d’acier – la fronde des métallos

• En sidérurgie, afin d’enrayer surproduction (+27% depuis 1993) et «fonte» des profits (-93%), Pékin a imposé pour 2000 un quota national de 100Mt, ventilé à travers le secteur.

Ce qui n’a pas empêché, en janvier 2000, six aciéries de dépasser l’objectif. Convoqués (22/2) à Pékin pour se justifier, les PDG "fautifs" ont recouru à une défense incroyable en ce pays, accusant leur tutelle (y-compris face à la presse, de comportement "planifié archaïque".

Shuicheng (Guizhou), une des aciéries épinglées, porte l’étendard de la rébellion: "Nous vendons à 100%, et n’avons pas de stock. Comment payer nos 30000 métallos avec les quotas de Pékin?"

Les frondeurs dénoncent l’irréalisme des quotas, fixés sur base des productions de 1988. Au schéma "égalitariste" de Pékin, ces industriels sans complexe opposent l’idée d’une régulation -sauvage- par le marché.

• "Qui perd ses dettes s’enrichit": pour éponger leurs passifs, les plus grosses entreprises d’Etat (EE) comptent sur les structures de défaisance. Pour les autres, existe mille moyens imaginatifs, et illégaux : faillites, fusions, pillages des maisons mères au profit des filiales, et abus des failles juridiques, sous les yeux clos des provinces, qui pensent au chômage. De janvier à octobre 1999, entre Hainan, Canton et le Guangxi, la BPdC a gagné 5731 procès contre telles firmes indélicates, portant sur un litige de 6,37MMY.

Fruit de cette victoire à la Pyrrhus : 986MY, soit 16% du tout !

• +8,9% en janvier: tel est l’indice souriant de la croissance industrielle, "dans les temps" pour tenir les 7% de hausse du PNB, objectif de l’année. Mais ce chiffre résulte moins d’une reprise de la demande que du jeu de l’État : investissements d’infrastructure, primes à l’export et planche à billets (+34% de masse monétaire en janvier, équivalent de 193MM USD).

Remarque : le nouvel index des prix à la consommation (IPC), remplaçant celui au détail (IPD), et intégrant loyers et services, est aux normes internationales et plus présentable sous l’angle de la déflation :

 -0,2% à l’IPC de janvier, contre -2,9% à l’IPD de 1999.

Dernier chiffre moins palpitant: celui de l’investissement direct étranger (IDE), qui baisse en janvier à 1,83MMUSD (réel) et 3,4 (contracté), soit -10,5% dans les deux cas.

 

 


Pol : Boat people/Hong Kong: la fin de l’odyssée

• Les 4 jours (21-24) de tapis vert avec l’Union Européenne (UE) pour l’entrée chinoise à l’OMC, ont fini en échec:    les intérêts sectoriels empêchant Pékin de franchir la barre des concessions.

Objections, remises en cause de points déjà réglés…

Le dossier crucial des assurances n’a pas même été abordé. Deux heures. après l’annonce (par l’UE) de la fin de la ronde, les deux ministres chinois annonçaient à la TV, contre toute vraisemblance un large accord de base, et appelaient le commissaire responsable, Pascal Lamy à venir signer: démenti immédiat de Bruxelles, mais l’incident explicite les divisions chinoises.

Un noeud du problème est dans les télécoms, où le MII, ministre de tutelle, est à la fois «arbitre» ET usufruitier (monopole), par China Telecom interposé, de ce secteur promis au plus bel avenir:

le jour même des négociations, il renforçait son glacis réglementaire, destiné à interdire de facto les JV de services Internet prévues par l’accord sino-US.

• à Hong Kong, une page de 25 ans de turbulente histoire vient d’être tournée : celle des boat-people vietnamiens auxquels le gouvernement vient de décider d’accorder des permis de résidence: 1400 réfugiés, depuis de longues années dans la colonie devenue RAS, et laissés pour compte partout au monde, y compris par leur mère patrie.

Depuis juillet 1979, et l’introduction de cette politique humanitaire, HK a servi de refuge transitoire (moyennant 1MMUSD) à 143000 émigrants du Viêt-nam, souvent économiques, hébergés dans vingt camps. Pillar Point, le dernier d’entre eux, fermera fin mai.

• Le rapprochement entrepris depuis dix ans entre Pékin et ses voisins asiatiques, commence à porter ses fruits sur le plan… policier.

Ainsi, le Cambodge vient-il d’extrader deux financiers véreux de Ruian (Zhejiang, 18/02), en cavale depuis quinze jours avec 25MY.

Entre Pékin et Séoul (22/02), ont été arrêtés trois des sept gangsters chinois ayant kidnappé un homme d’affaires coréen, en réclamant une rançon de 80000USD. D’autres coopérations à grande échelle sont menées avec Japon, US, Canada, Australie… sur le front des émigrants clandestins : rapatriement, chasse des deux côtés aux shitou (« têtes de serpent », càd passeurs), et dernièrement, campagne de dissuasion


Temps fort : Banques :’Changez votre cavalière!’

Le grand chambardement des banques est en route, poussé par l’imminence de l’entrée à l’OMC suivie, cinq ans plus tard, de la liberté d’établissement de la concurrence.

 

[1] désormais, tout emprunt commercial est noté sur une base de données de la Banque Centrale (BPdC), couvrant déjà (sur 301 villes, et bientôt toutes), 70% des prêts nationaux (6200MMY), avec en prime, accessible a priori au bailleur de fonds, le «casier judiciaire-bancaire» de tout emprunteur: rendant impossible d’hypothéquer 2 fois le même actif, cette base est l’outil n°1 de lutte contre les mauvaises dettes.

[2] "police des banques", la BPdC renforce les sanctions pour tout taux d’intérêt sauvage: les taux officiels seront assouplis pour relancer l’emprunt, mais il faut aussi garantir aux banques, pour leur permettre de mener à bien leur réforme, la discipline du secteur et la profitabilité des opérations.

[3] des Comités de supervision, genres Conseils de Direction apparaissent dans chaque banque pour surveiller le Président (cadre politique, et aux pouvoirs fort augmentés, selon la pratique internationale). Les membres des Comités sont à la fois banquiers "pro", ET à stature politique, pour contrebalancer le Président. Ce qui devrait introduire, dans la Direction, indépendance, compétence et honnêteté.

[4] en « coup de fouet » à leur réforme, les banques permutent leurs chefs.

 

Même opération à la CSRC, qui doit se refaire une image (mettre fin aux délits d’initiés, aux cotations de «canards boiteux»), pour redonner de la crédibilité à la Bourse, condition sine qua non de réussite du pari de la relance:

 

banque /ex-président/  nouv.présdt

CCB :   Zhou Xiaochuan       Wang Xuebing

BdC :    Wang Xuebing          Liu Mingkang

ICBC:   Liu Tinghuan            Jiang Jianqing

ABC :    He Linxiang              Shang Fulin

Everbright: Liu Mingkang (pas de chang’t)

CSRC:    Zhou Zhenqing         Zhou Xiaochuan

 


Petit Peuple : Une turbulente fête votive

• A travers Hong Kong (23/2),400000 émeutiers ont tenu sur la brèche des centaines de bobbies nerveux, pour protéger les commerces (fermés en hâte), et détourner le trafic. Il ne s’agissait pas d’une "manif" contre la vie chère, mais du dernier jour de vente de parts de Tom.com, portail de e-commerce sponsorisé par Li Kashing, le tsar financier de la RAS.

L’offre a été souscrite 2000 fois, pulvérisant le dernier record. Un boursier sur cinq devrait avoir accès au titre convoité. Tentant de s’extraire du charivari, cette vieille dame s’indignait:"Mais qu’ont-ils tous à se battre pour porter leurs sous à Li Kashing ?"– variation inconsciente de l’adage : "on ne prête qu’aux riches".

Ce à quoi ce quinquagénaire enthousiaste rétorquait : "mieux vaut se faire piétiner un jour, que s’éreinter un an au boulot"!

NB: Tom-com n’a pas encore fait un HK$ de bénéfice, et ses chances de rentabilité sont inconnues.

• L’histoire suivante ne peut se passer qu’à Canton.

Par un beau lundi de février, les gars de Hongyi s’ébranlèrent pour parader, comme chaque année, leurs Dieux, statues antiques de bois et plâtre chamarrées d’or et de soie. Les pétards crépitèrent. Les cymbales tonnèrent. Fifres et mirlitons firent entendre leurs trilles nasillardes. Rien ne manquait à la fête, sauf…

Ah, si, les journalistes, en retard, qui dès leur arrivée, furent rossés d’importance, et leurs appareils photos profanés. La police elle, était absente, quoiqu’elle ait multiplié les interdictions de se livrer à ces pratiques obscurantistes. Simple oubli? "Impossible", déclare ce témoin anonyme, "mo chi bu wang ». Traduction littérale : «même quand ils n’auront plus de dents, ils se souviendront encore (du traitement qui leur fut réservé en 1999).!"

 

 


Rendez-vous : 3ème session, 11ème Congrès de l’ANP

• 5 mars Pékin : Ouverture 3. session du IXe Congrès de l’ANP

• 29 fév./3 mars Pékin : Salon de Construction

• 7 mars Pékin : Séminaire "e-commerce, your unfair advantage" (sic)

• 3 mars Pékin: J.Lemierre, Dir. du Trésor français, "coopé monétaire: le cas de la zone Euro"