Le Vent de la Chine Numéro 5

du 21 au 27 février 2000

Editorial : Printemps du Dragon – une euphorie saisonnière?

15 jours de fête glaciaux mais ensoleillés ont plongé la Chine en une douce euphorie, traduite en chiffre d’affaires dans les commerces : entre 30% et 70% de progrès sur 1999, y-compris dans les achats de luxe et la bijouterie(20% des ventes du Gu-you, grande surface pékinoise), et la téléphonie (2,3M d’appels longue distance depuis Pékin, la nuit du  Chunjie).

Seuls ont été oubliés les taxis, « métier stratégique« , en service imposé.

Signe des temps: l’interdit des pétards, depuis 1993, a été moins suivi que jamais: à travers la Chine, 33 morts, et des milliers de blessés par ces engins au comportement aléatoire – rien que dans Pékin, 230 artificiers amateurs se sont faits coffrer. 

A leur apogée lors de la yuan-xiaojie (fête des lanternes, 19 fév.), les retours se sont avérés difficiles:

4M/jour, se sont entassés dans les bus et trains, contre 3,4M lors de la vague « aller » : les migrants ruraux sont rentrés en ville plus tôt que prévu, dans l’espoir de battre de vitesse les barrages de police.

Aujourd’hui, 1ère semaine « ouvrable » de l’année du  Long (Dragon), c’est pour le gouvernement le retour aux affaires, avec un objectif obligatoire: la sortie du marasme. Villes, provinces et niveau central présentent leurs plans d’action (largement étudiés en ce numéro).

C’est aussi, pour Pékin, le retour à des réalités plus dures: le chancre irrésistible de la corruption, et la tension sociale, exprimée par un suicide rare (cf col. droite), et la poursuite des avatars du Falungong.

Pékin poursuit aussi ses préparatifs pour les échéances de 2000: pour mars, le Plenum de l’ANP et le scrutin taiwanais, pour fin 2000(?), l’entrée à l’OMC.

Avec en toile de fond toujours plus nette, la polarisation des forces entre deux clans, dont l’un semblait inexistant il y a six mois: pour ou contre le 1er personnage de l’État, et son droit moral à diriger le pays à l’issue de ses mandats (2002 puis 2003). C’est à dire d’être le leader à vie, comme avant lui Mao Zedong et Deng Xiaoping!


A la loupe : Tian An Men: un incident rare

Mardi 15 vers 16 heures, un homme s’est dynamité place Tian An Men, à quelques pas du monument aux Héros révolutionnaires. Trois heures après (délai très court, en ce pays avare de déclarations), la police expliquait son geste: paysan du Hubei, (forcément) malade mental, Li Xiangshan en était à sa 4ème tentative à Pékin pour obtenir le redressement d’une taxation illégale excessive.

D’autres explications viennent à l’esprit: celle de séparatistes ouighours du Xinjiang, très actifs ces dernières années dans des actes terroristes (y-compris à Pékin). Ou celle de membres du Falungong, dont les chefs sont de plus en plus traqués (deux verdicts de prison cette semaine, un envoi en camp). Situation qui induit souvent, en ce pays, une radicalisation de la base…

La thèse officielle est cependant plausible.

Le cas de Li n’a rien d’exceptionnel. Dans Pékin grouillent les plaignants provinciaux, dont rares repartent la tête haute. Pour les autres, le suicide est une option, que la tradition suggère de suivre en des sites chargés de symboles, tels la Grande Muraille- ou Tian An Men, lieu de l’Empereur – qui sous l’Ancien Régime, écoutait ce type de plaintes.

La réaction rapide de Pékin trahit la volonté de déminer une autre bombe: celle des rumeurs.

Ce que ce geste traduit sur le fond : l’effritement de ce qui constituait le plus puissant ciment de ce peuple d’1/5 de l’humanité: son auto-contrôle, remplacé par l’émergence de l’individu, exigeant de gérer sa vie – voire sa mort


Joint-venture : HK-Télécom – quel repreneur ?

• Le 24 janvier, le géant britannique C&W consternait HK en annonçant la cession de ses parts (54%) de HKTelecom au singapourien public Singtel : HKT passait sous contrôle du rival.

Par la suite, une alternative locale s’est dégagée: le rachat minoritaire (34,9%, juste sous la barre de l’obligation d’appel d’offre) par PCCW, étoile filante de la bourse de HK, pilotée par le fils cadet du magnat Li Kashing.

Mais ce plan de sauvetage est loin du port: PCCW ne détient que 2,1MMUSD face aux 14,2MMUSD du coût de l’affaire et pour C&W, Singtel est plus fiable. La chance pour PCCW, réside dans l’intervention (on en parle) de Li Kashing, pour "dépanner" Hong Kong, et son fils cadet.

• Après la hausse en 1999 de 32,7% des ventes de sa  Fukang, DCAC (Citroën-Wuhan) veut maintenir le cap en 2000 avec une progression de 31% (58000 véhicules). Ses atouts : sa petite taille (faite pour la ville, là où est le marché), sa sobriété en carburant (dont le prix augmente), et en entretien.

• Les 54MUSD versés par Cadbury Schweppes en juin 1996 dans une chocolaterie à Pékin, commencent à rapporter : en 1999, le groupe a vendu 4000t (+92%), à comparer aux 9% atteints par la concurrence.

La barre de la rentabilité devrait être franchie cette année.

• N°3 mondial, BP-Amoco et Shanghai Petrochem haussent la mise : pariant sur la reprise, ils veulent gonfler de 40% la capacité de leur projet de production d’éthylène, à 900000t/an, et investir 3MMUSD – un de plus que prévu.

La nouvelle satisfera Pékin (qui doit encore donner le feu vert).

Mais un projet peut en cacher un autre: sur ce marché (matière 1ère de nombreux plastiques), trois autres projets géants sont sur les rangs (Dow Chemical, Shell et BASF) : viabilité incertaine! Mais un projet approuvé, peut ensuite s’«échanger». A Shanghai, un terminal GNL d’un coût en centaines de MUSD sera bientôt âprement disputé.

Ce sera le second, après un autre terminal GNL en adjudication à Huizhou (Guangdong), sur lequel BP n’est pas favori!

 

 


A la loupe : Corruption – Pékin frappe vite et fort

Lassantes de prévisibilité, les nouvelles se bous-culent, de victoires de l’État sur la corruption:

[1] Jiaodian fangtan, l’émission la plus populaire de l’empire (CCTV-Pékin), accueille chaque matin deux queues fournies de visiteurs: celle de ceux venus se plaindre d’abus, et celle des abuseurs, venus se défendre.

Zhu Rongji, amateur du programme, le soutient. 70% des sujets font l’objet, avant diffusion, de pressions de  guangxi ("bras longs").

[2] A Nanchang (Jiangxi), Hu Changqing est condamné à mort (15/2) pour avoir extorqué entre 1995 et 1999, pour plus d’1MUSD en cash, voitures, montres en or et bijoux, comme haut cadre du Conseil d’État puis vice-gouverneur: 1ère peine capitale à si haut niveau!

[3] Shantou (Guangdong), devrait être, de nouveau, cible de la  jilüqiancha, police du Parti, en quête de contrebande. A Pékin, le Guangdong plaide pour que le projecteur, pour changer, s’oriente ailleurs -vers le Shandong.

[4] Silence sur l’affaire Yuan Hua, Cie de Xiamen (Fujian) ayant importé en 7 ans, hors taxes, pour 10 MMUSD et arrosé des centaines de cadres (160 en prison ou sous enquête).

Après l’extradition de Birmanie de Lai Changxing, boss de Yuan Hua, deux écoles s’opposent: celle partisane de débrider l’abcès ("pas de dénouement avant mai!"), et celle voulant étouffer l’affaire avant le Plenum.

La toute récente comparution à Pékin (au sommet) des 2 top leaders du Fujian, semble augurer de la seconde option.

[5] La Chine envisage la naissance d’une "armée du Trésor", pour protéger les percepteurs malmenés dans les campagnes.

Tandis que Zhu Rongji évoque une campagne (une de plus), contre "plusieurs polices, monopoles et services publics",

 avec publication de "codes de conduites" et "sans pardon"…

 


Argent : Canton ne va plus au charbon

• Dès les 1ers jours de l’année du Dragon, l’État poursuit l’annonce de mesures de relance.

[1] L’investissement prioritaire à l’Ouest progresse, avec 100 projets d’infrastructures dans le Shaanxi (14,2 MMUSD), un réseau routier dans le Ningxia (1,7MM USD d’ici 2005) et 19 projets dans le Sichuan (1,4MM USD).

[2] Pour stimuler la consommation, Pékin veut libérer les prix de l’électricité, du téléphone et des transports : il en espère une remontée de l’index des prix de -1,3% (’99) à +1%.

[3] Un rôle devrait être joué par une bourse dynamisée, notamment par le droit des firmes de courtage d’hypothéquer leurs actifs.

[4] L’encouragement fiscal à l’export, mieux ciblé, sera réservé à une liste de 1900 produits hi-tech.

NB : signe de fin de la crise asiatique, l’export en janvier a remonté de 47,8% (16,8MMUSD), et l’import de 54,4% (15,3MMUSD).

 

• Première historique: Canton renonce à la production publique du charbon.

Déficitaire, le secteur ne représentait que 1% du chiffre national d’1MMt/an. Seront congédiés 30000 mineurs.

Pour le dogme de l’autosuffisance intégrale des provinces, c’est le début de la fin.

Ce dogme «stratégique» avait été inventé par Mao, et repris par les provinces très attachées à cette «néo souveraineté», quoiqu’elle soit un frein aux économies d’échelles et à la naissance d’un marché national. Le processus intervient -logiquement- dans la province la plus avancée, et dans un des secteurs les plus à la traîne.

 

• Indicateur de la mutation du pays, le goût du consommateur évolue à toute vitesse: l’alcool blanc a chuté de 9,5% en sept ans et devrait s’effondrer de 50% dans les années suivantes (report sur la bière, le vin, les boissons sans alcool).

En revanche, les ventes de PC qui avaient augmenté de 16% l’an passé, progresseront en 2000 de 20% : 5,5M d’ordinateurs, pour 25MMUSD.

 


Pol : Taiwan – le débat électoral s’échauffe

• Un jeu triangulaire entre Taipei, Washington et Pékin, accompagne le déroulement de la campagne présidentielle du 18 mars dans l’île nationaliste.

En dépêchant à Pékin son envoyé Strobe Talbott, (17/2), Bill Clinton veut avant tout prévenir le retour d’exercices militaires chinois autour de Taiwan, comme lors du dernier scrutin de 1996. Avertissements verbaux mis à part, Pékin ne semble pas prêt, à ce stade, à aller plus loin dans la confrontation.

Agressive et pittoresque, la campagne se trouve focalisée sur la question des relations avec le géant voisin. James Soong, ex-gouverneur de l’île et transfuge du KMT, représente la richesse acquise, les investisseurs, et plaide pour un retour négocié. Chen Shui-bian, l’homme du DPP, porte les espoirs des insulaires historiques (hakka, minan), mais se démarque prudemment de toute obligation d’un référendum d’indé-pendance. Lien Chan, vice-président, KMT, plaide la légitimité, le rejet de l’«aventurisme» de ses rivaux, et avec la Chine, une paix "à distance", consistant en quelques propositions: des «zones économiques communes», un dialogue au sommet, l’offre (réaliste?) d’un détroit démilitarisé.

A trente jours du verdict, les trois candidats sont dans un mouchoir : 20/25% des intentions de vote chacun.

• Le 16 février, la Chine a signé son "contrat OMC" avec les Philippines.

Lundi 21 débute à Pékin une ronde entre européens (H.F. Beseler, Directeur Général à la Commission Européenne, et le Vice-Ministre Long Yongtu). En cas de progrès, cette ronde sera la dernière: le Commissaire Pascal Lamy viendra pour conclure. Dans le même temps, Washington accélère l’enregistrement au Congrès du deal sino-US. Américains et Européens signent des accords (financés) de coopé avec la Chine (géothermie et aviation civile respectivement).

Signes de l’imminence d’un accord.


Temps fort : Pékin, Shanghai : stratégies pour l’an 2000

Pékin et Shanghai ont pour 2000, des stratégies similaires, mais avec couleurs locales:

– Pékin attend un PIB de 28MMUSD (+9%), un revenu urbain en hausse de 5%, à 1626 USD/an, contre 520USD/an au paysan pékinois.

Pour compenser, la ville investira 88M USD (+25%) dans l’agriculture. 285M (+10%) sont affectés aux infrastructures, tel le 4ème périphérique, la 5ème ligne de métro ou 8M de m² de logis, dont 1Mm² de HLM.

L’effort de Pékin ira à sa zone high tech de Zhongguancun, qui assurera 13,25MMUSD de PIB (+30%) après avoir réalisé en ’99, 70% des profits industriels de la ville. En 2000, Zhongguancun recevra (entre autres) un centre de technologie commercial (e-business), un parc de logiciels industriels, deux centres de traitement des eaux.

– Shanghai va s’équiper d’une carte à mémoire pour tous ses transports,du taxi au bateau; d’un réseau numérique à intégration de service, prélude à un "cyberport"; elle réalisera 25 projets-clés industriels et 10 agricoles, réduira de 5% le nombre de ses EE endettées, et de 17% leurs subventions, tout en éliminant 2000 fonctionnaires (15%) et en élargissant la couverture sociale (pension/chômage)dans ses usines rurales (condition préalable pour fermer celles polluantes et déficitaires).

Deux comparaisons entre les deux villes : si leurs export en 1999 sont identiques (3,2MM USD), et comparables, leurs crédits recherches pour 2000 (82MUSD à Pékin, 94M à Shanghai), le budget "éducation" de Shanghai, à 1MMUSD serait quintuple de celui de la métropole du Nord (229MUSD).

Et Pékin, candidate aux JO de 2008, gardera son aciérie et son rang de 3ème ville plus polluée du pays.

Les économies de pollution seront cherchées ailleurs : manière bien locale de régler les problèmes "par la bande, non frontalement"!

 


Petit Peuple : Spéléologie scolaire

• "Soir de Pékin" annonce un plan pour discipliner le tumultueux marché des banques du sperme.

Ceci, moins pour des raisons d’hygiène, d’éthique (sujet sur lequel la Chine est pourtant fort sourcilleuse), ni même financières, que pour des motifs de simple efficacité. A travers le pays, des dizaines de banques inexpérimentées, aux procédures incohérentes, ne peuvent faire face aux besoins immenses. Le Ministère de la Santé évalue à 20% le nombre des femmes mariées, en âge de concevoir, qui ne verront fructifier leurs espoirs qu’avec aide extérieure- rançon du stress de l’urbanisation.

Ce qui suit, nous semble lié: en 30 ans, les cas de cancers infantiles ont augmenté de 25%.

Raisons avancées: les rayons-X trop violents durant la grossesse, le tabagisme,une médication et une nutrition déficientes. Dans la même «veine», en octobre – décembre. 1999, plus du 1/3 des viandes inspectées à travers la Chine ont été estampillées «inférieures» du point de vue du bilan bactériologique, acidique et des teneurs en additifs.

Enfin, la presse se donne bien du mal à dissiper les rumeurs de concentrations de métaux lourds dans les légumes exportés vers HK. Tout ceci traçant l’esquisse d’une santé générale en déclin.

• Dans l’univers de l’éducation, deux coups de projecteur révèlent deux portraits aux contours crus : ceux d’un instituteur obtus, et d’une meute de jeunes loups aux crocs trop longs.

Constatant que les devoirs n’étaient pas faits, Luo Yuping renvoya, en plein blizzard, le 10 janvier, douze élèves les achever à domicile. Ce qu’il n’avait pas prévu: deux fillettes, croyant se soustraire à la fessée certaine de leurs parents, n’ont rien trouvé de mieux à faire que de tourner leurs pas vers la ferme d’une tante dans un autre hameau, et de se perdre dans les frimas: on les retrouva à l’aube, congelées. L’instituteur fut écroué et le proviseur, licencié.

A Pékin, le Tribunal de Chaoyang instruit depuis le 20 novembre, la plainte de Zhang Weiyan, étudiante, contre six de ses camarades de promotion : à toutes les  danwei (unité de travail) où elle avait postulé, ces derniers lui avaient fait suivre un "contre-CV gratuit", qui la rendait pestiférée sur le marché du travail. Zhang veut 270000Y de compensation.

Cette pauvre affaire exprime la réduction en peau de chagrin des opportunités d’emploi en Chine et l’agressivité, fille d’angoisse, chez ces jeunes aux valeurs morales érodées depuis la Révolution Culturelle.