Le Vent de la Chine Numéro 4
Au Chunjie (nouvel an lunaire, nuit du 4 février, le monde chinois, après l’Occidental, change d’ère.
Le lapin meurt – vive le Dragon!
Superstition à part, il n’est homme ni lieu qui ne soit affecté: du 5 au 11 février, statutairement, tout s’arrête au Pays du Milieu!
En 40 jours, 0,8MM d’immigrés de l’intérieur retournent au village (dont 90% en bus; en train depuis Pékin, ils sont 8 à 9M). La police ne peut endiguer les trafics de billets à la sauvette (vrais ou faux, mais aux prix toujours triples), ceux des pétards et explosifs, ni les manifestations spontanées du Falungong.
Les provinces remplissent leurs quotas d’arrestations et de verdicts: sectaires, dissidents, catholiques de l’ombre.
A Urumqi (Xinjiang), 5 séparatistes ouighours sont condamnés à mort. A Shanghai, 13 pirates, partent ivres pour l’exécution en chantant des airs « pop », tandis qu’à Pékin, un bibliothécaire sino-US est relâché (OMC oblige). Ainsi, toutes les administrations bouclent leurs dossiers, à temps pour le Chunjie: nos trois sujets ci-dessous en rendent compte, comme presque toute notre page 2.
Hors des instances de pouvoir, la société s’affaire. Dans les villes, parcs et temples rivalisent de tradition : banderoles, danses du yangko et du Dragon, rites de la Terre, floralies, services religieux, opéras de Pékin, spectacles de poupées…
Le peuple vaque avant tout à ses emplettes, pour le banquet familial.
Les instances « écologiques » tentent de préserver animaux sauvages et hommes, les uns des autres, en avertissant ceux-là de ne pas manger ceux-ci : ils renfermeraient de dangereux virus (hépatite B, dysenterie). L’on prépare ses cadeaux – professionnels, améliorant les chances de carrière.
Parmi ceux-ci, figurent au premier plan cette année les services prépayés: massages, salle de gym., voyages, coiffeur, abonnement de presse, carte téléphonique voire assurance maladie.
Enfin, génies de l’innovation, douze maîtres-queue de Shanghai, Pékin et Canton ont imaginé de mettre leur service aux enchères sur Internet, pour le soir du réveillon, inventant ainsi une plage commune à trois « vices » du pays: deux antiques – le manger et le jeu- un à l’état natif – le e-business !
Présidé par le Directeur Général H.F. Beseler et le vice-Ministre Long Yongtu, le meeting Chine-UE (24-26 jan), pour l’entrée chinoise à l’OMC, n’a abouti qu’à des progrès: l’essai devra être transformé à Pékin après la mi-février.
Normal, c’était, dit Bruxelles, la 1ère vraie négociation (jusqu’alors, pour la Chine, seuls comptaient les USA).
Le fait qu’un arrêt des pendules (suspension de la dead line, pour un marathon au finish), ait été exclu a priori, prouve que de part et d’autre, on n’avait guère la foi!
D’autre part, même si le deal sino-US convient à l’UE à 80%, les 20% restants sont complexes et ardus – ils recoupent, en partie, les concessions refusées à Washington.
L’UE veut des JV assurance-vie et télécom à 51%, une baisse des pics de douanes dans le cognac, les fruits, les céramiques, certaines classes automobiles; elle veut que ses banques accèdent plus vite au marché RMB, des clauses de sauvegarde pour le marché de l’UE, plus de protection des investissements en Chine… Au total, des milliers de dossiers ont été mis à plat, et de nombreux accords partiels "à l’essai" sont déjà en place.
Entre-temps, Uruguay, Pérou et Cuba, voire d’autres, viennent de signer avec la Chine. A Pékin (28 janvier-1er février), 500 parmi les plus grandes firmes et meilleurs juristes du pays préparent, sur le terrain industriel et des services grand public, l’entrée chinoise au club mondial des affaires.
Les choses, à présent, vont très vite!■
· Après rachat en 1999 de son compatriote Kia, le coréen Hyundai entre dans la JV auto Kia /Yueda à Yangcheng (Jiangsu). De 15MUSD de capital, la JV passe à 60MUSD, puis (à terme, investissement Hyundai) 300MUSD. Yangcheng assemble la Pride, concept de Ford / Mazda équipé (pour 12000USD) d’un moteur 1,4L à injection électronique et transmission automatique. Les 1000 Pride montées en 1999 passeront à 15000 en 2000, puis 200000 produites en 2002 (dont 3/4 assemblées à l’étranger), et 300000 à terme.
· Le meeting national annuel des banques, assurances et maisons de courtage (25-28 janvier 2000, Pékin), a dévoilé la plupart des mesures de relance de la bourse qui apparaîtront après le Chunjie :
[1] la poursuite des ventes des titres d’entreprises d’Etat (EE), à concurrence de 49%, au privé (à l’étranger, en Bourse), mais aussi aux EE elles-mêmes, les rapprochant d’une "privatisation de facto",
[2] la création de marchés secondaires hi-tech à Shanghai et à Shenzhen, permettant des synergies entre start-ups et GEE (cf.VdlC n°3),
[3] l’éviction hors bourse, pour toute EE dans le rouge plus de trois ans,
[4] l’entrée sur le marché des fonds d’invests permise à la finance étrangère.
Avec cette double limite : pas de fonds en parts A (réservées aux chinois, 90% du marché), et contrôle de la JV par la partie chinoise.
La session du Parlement cantonais (Guangzhou 22-25 janvier) avait pourtant rondement démarré, avec ses tautologies de bilans auto satisfaits, le PNB de 102MM USD (+9,4%, face aux +7,1% du niveau national) et les exports de 78MM USD (+2,7%).
Et pourtant la province, pour 2000, ne se dote que d’objectifs timides: un PNB de +8,5%; des exports de +2%, des ventes de +12% (contre +14% en 1999). A en croire le patron du Plan, Huang Weihong, tous les indicateurs seraient défavorables. Consommation intérieure faible, pression étrangère sur l’industrie d’export, baisse du soutien de l’Etat (reporté sur l’Ouest du pays), tous ces facteurs imposent le retour à une croissance soutenable, autour des marchés ruraux et de la relance d’une demande en biens et services chez une société paysanne pauvre (revenu moyen = 3 269 Yuan/an, soit 40% du citadin).
Une alarme a sonné durant ce congrès: avec + 27% depuis 1999, le crime explose, économique surtout (533000 cas, pour 15MM USD). 15000 convicts en ont pris pour 5 ans au moins – la mort pour un chef des douanes, la prison à vie pour un Secrétaire du Parti, 10 ans pour un banquier racketteur d’1,3MMY.
Mais peut-être ce bilan lucide est-il signe de prise de conscience, début de remontée?
He Yinkun, Chef provincial de l’Environnement, est tombé dans l’enfer qu’il avait créé.
Les édiles de Foshan (2,7M d’habitants, en banlieue de Guangzhou) se plaignirent de leur eau polluée par 17 usines de galvanoplastie, toute bénies par M. He. L’audience accepta d’autant moins son rapport, que son n°2 refusa sous les huées, de s’excuser. La censure fut votée par 23 voix contre 5: une 1ère historique en ce pays. Ce qui ne change
rien à l’existence du bureau de l’environnement: le vote n’a, pour l’instant, de valeur que morale. Mais il aura perdu la
face – ce qui n’est pas rien, en ce pays.
Les pieds au seuil de l’OMC, la Chine se met aux règles de l’ère nouvelle. Introduit par la mairie de Pékin, un système"carotte +bâton" intéresse désormais directement les PDG de 10 EE au succès de leur firme.
A sa nomination, le PDG reçoit (minimum) 12000USD de stock-options, dont la plus-value doit se convertir en titres, trois ans durant. A ce terme, sous réserve du feu vert d’un comité, le patron peut réaliser son capital.
A l’inverse, si le pouce du comité pointe vers le bas, le patron, trois autres années, restera sur la touche de tout management de haut vol. Concept d’une efficacité toute yankee, mais dont le succès sera directement fonction de l’indépendance (non acquise!) du comité.
En 1999, l’érosion des IED fut moins lourde que ne le craignait Zhu Rongji, mi-novembre: le bilan est de 40,4MMUSD (-11,4%).
La chute des IED contractés est plus sensible: -21 % (41 MMUSD), ainsi que le nombre de pro jets approuvés: 17100, soit -13,8%. Malgré cette nouvelle plutôt bonne, le planificateur national (tout comme celui de Canton, cf.p.1), reste très prudent dans la définition des objectifs pour 2000: prévoyant une croissance industrielle de 8 à 9%, contre 9% pour 1999.
Tel le monstre du Loch’ Ness, le projet de pont autoroutier entre Hong Kong – New Territories et Shenzhen – Shekou, réapparaît.
Canton et la RAS avaient prévu d’en faire supporter le coût (4MMUSD) par le privé chinois.
Son abstention expose les progrès à faire, en termes de transparence des finances locales, pour ranimer la confiance. Finalement, le projet sera financé par les deux niveaux centraux.
Pékin ne prend pas grand risque: l’autoroute, à terme jusqu’à Canton-ville, recevra en 2006, 66000 véhicules/j, camions du port de HK, et visiteurs de Disneyland (Lantau).
Un 2d invest, presque du double (7MMUSD) est inévitable, à charge de HK, pour créer trois bretelles de raccordement.
Le moratoire sur les centrales thermiques n’aura duré que deux ans.
Anticipant une reprise de la croissance, la SDPC vient d’approuver le projet de Tuoketuo (Mongolie. Intérieure), de 2 unités de 600Mw chacune. 2/3 de l’investissement d’1,2MMUSD sera assumé par le promoteur Beijing Datang, le reste revenant à la BM.
Quoique branchée sur les projets d’énergie propre,la Chine n’a pas les moyens d’assumer un programme énergétique excluant le charbon. Tuoketuo se trouve en zone peu peuplée, loin de la capitale, qu’elle desservira par ligne à haute tension, tout en polluant la prairie et les moutons.
Un des axes-maîtres du 10e Plan, est l’effort pour développer le Centre et l’Ouest – 19 provinces parmi les plus démunies et les plus instables.
Au terme d’un conclave du Conseil d’Etat présidé par Zhu (Pékin, 19-22 janvier 2000), deux mesures de désenclavement ont émergé.
Fiscale, la première incite les groupes étrangers à s’y installer, moyennant 15% d’abattement sur leurs taxes d’entreprise pendant trois ans. Pour ceux parvenant à exporter (en valeur) 70% de leur production, ce qui reste des taxes sera encore réduit de moitié dans la même période, jusqu’à un seuil de 10%.
La seconde mesure, tient au percement de huit axes radiaux Nord-Sud et Est-Ouest, allant de quelques centaines de km à la traversée du pays. D’autres projets moins avancés et volontaristes, visent l’envoi à l’ouest, de "cerveaux" de retour de l’étranger, renforcer son potentiel technologique. On imagine les pubs à Harvard ou au MIT : «Revenez au pays -on vous enverra à Urumqi!»
Leader d’un Timor Oriental encore dans les langes, Xanana Gusmao, (Pékin 25-27 janvier) a choisi "sa" Chine.
Le pouvoir socialiste lui offre 6MUSD pour la reconstruction du pays. T
aiwan pourrait avoir offert bien plus (pour une ambassade, en février 1999, il aurait versé 1MM USD à la Macédoine). Mais Timor n’a peut-être pas le choix. Sa survie immédiate est liée à l’entretien d’une force policière de l’ONU sur son territoire, à laquelle la Chine participe directement et dont le maintien dépend, entre autres, de la R.P. Chine, membre du Conseil de Sécurité.
Après des mois de tergiversations, Pékin dévoile un embryon de législation de contrôle d’Internet : diverses mesures doivent imposer aux groupes de services sur la toile une "auto-censure" d‘information afin de prévenir la fuite des "secrets d’Etat" (non définis). Par défaut, l’Etat pourrait intervenir, voire fermer le site.
Autre réglementation protectionniste: toute firme importatrice d’outils (télécom, informatique) comportant des systèmes d’encodage doit "s’enregistrer".
Dans les deux cas, les risques de dérapage sont évidents. Sur les sites Internet, home du e-commerce, tout appauvrissement ou ralentissement du message seraient suivis d’une baisse de l’intérêt du public, menaçant de mort cet outil sur lequel Pékin fonde en partie ses espoirs de relance.
De son côté, le contrôle des systèmes de cryptage, par une administration elle-même pas toujours "sous contrôle", remet en cause la propriété intellectuelle des firmes étrangères, et la confidentialité de toute opération. Fort conscient de la contradiction, le pouvoir, semaine passée, multipliait les gestes pour rassurer : "un cadre réglementaire vaut mieux que la jungle; on n’en est qu’au début; faites-nous confiance.
«Amnistiez moi -j’offre 2MMY!": ce soir d’octobre 1999 à Xiamen (Fujian), Lai Changxing, patron de Yuan Hua, ouvrait sa bourse et Zhu Rongji se détournait dégoûté.
C’était la fin de la plus lourde fraude de l’histoire chinoise : en 8 ans, Lai avait importé au noir pour 10 à 15MMUSD de fuel, PC, voitures, caoutchouc, profitant de protections au plus haut niveau du PC et de l’APL, compromis par ses largesses.
A présent, un vice maire est en fuite, 200 cadres sont en prison, une administration bis est parachutée d’urgence!
Le nettoyage porte la griffe de Zhu. Dès 1997, il "savait" tout sur Xiamen, y passait incognito le Chunjie en 1998.
Été 1999, il mettait sa démission en jeu, et obtenait l’envoi de 400 enquêteurs de la jilüjiancha (Commission de vérification de la discipline du Parti), dirigés par mme Liu Liying, cadre émérite ayant à son actif (en 1995) la chute de Chen Xitong, ex-Secrétaire du Parti de Pékin.
Le problème déteint sur Pékin, peut être par volonté publique de débrider l’abcès, sous contrôle, juste avant les fêtes. Mme Liu a pour mandat de «frapper haut, mais pas trop».
Le n°1 national des visas (enfant du Fujian) est arrêté, mais non Mme Lin Youfang, présidente du Groupe d’Import / Export du Fujian. Mme Lin est la femme de Jia Qinglin, du Politbureau, Secrétaire du PCC pour Pékin, qui avait été appelé en 1997 par Jiang Zemin, … du Fujian, où il était gouverneur!
Face à la bourrasque, l’appareil serre les rangs. Jiang réitère son soutien à Jia Qinglin, "marxiste impeccable", dont la femme descend à HK, démentir à la TV les rumeurs (telle celle de son "divorce" ultra récent, pour sauver son mari). Cependant, têtus, les bruits s’accumulent.
Confronté à la courbe exponentielle des affaires, en volume (2MM USD en 1995, 10/15MM en 2000), et en nombre (109 000 cas en 1998, 130 000 en ’99), l’État souffre toujours plus de carence d’un contrôle judiciaire indépendant : prix à payer pour le maintien du monopole politique du Parti. Les critiques se font plus "pointues", leurs sources s’élargissent : le pouvoir n’en sort pas renforcé!
Village proche de Canton, Luofeng, depuis des années, tirait le diable par la queue: ses vergers réputés, son orgueil et sa source première de revenus, avaient attiré des colonies de rats qui se gobergeaient de mangues, papayes, ananas et (en saison) litchis gorgés de sucre et de soleil…
Un soir d’hiver, ce paysan ruiné n’avait plus d’autre pitance qu’un rat qu’il avait attrapé : eurêka ! Il ouvrit un restaurant de rats. Son succès faisant "recettes", du tangculaoshu (rat aigre doux) au laoshutang (soupe au rat), en passant par l’incontournable laoshu shaomai (ravioli de riz au rat), pas moins de huit guinguettes, interprètent chaque week-end à guichet fermé leurs menus ratiers, pour le plaisir de 600 hédonistes de la capitale méridionale. Pour les rats, l’Eden à l’aigre: 3000 bestioles par jour franchissent le fleuve des enfers, donneurs non consentants d’une demi tonne de chair. Les trappeurs y gagnent jusqu’à 200Y/j.
Déformation professionnelle, ce membre de la basoche cantonaise attaque l’Etat pour la défense de l’étendard.
Doté d’yeux de faucon, le 27 sept, Tian Shiguo a repéré, lors d’un match de qualification aux J.O. de Sydney, que la sélection nationale portait des chaussettes brodées d’une cocarde écarlate rehaussée de cinq étoiles d’or: le drapeau foulé au pied ! Le plaideur accuse la Fédération du ballon rond, ainsi que, pour faire bon compte, un certain Houghton, l’ex-entraîneur (un étranger, qui n’en peut mais!).
Il le fait, au nom de la Loi, qui menace de un à trois ans de réclusion criminelle quiconque délibérément brûle, détruit, teinte, souille, ou piétine l’oriflamme vermillon. Distinguo de Maître Tian: la loi certes, n’inclut aucune provision permettant au citoyen de dénoncer les autres. Mais une révision s’impose", ergote-t-il. La justice, qui n’a que cela à faire, tranchera.