Le Vent de la Chine Numéro 39

du 4 au 10 décembre 2000

Editorial : Une ASEAN qui se cherche!

Le Sommet de l’ASEAN à Singapour (24-25/11) a bien reflété sa nature profonde: glacis de 10 « petits » pays en quête d’équilibre entre ses géants voisins.

En 1999, le PIB des 10 atteignait 655MM$, une « plume », face aux 5500MM$ à leurs invités, Chine, Japon et Corée. D’ici 2010, l’ASEAN sera une zone de libre échange.

Mais comment aller plus loin? Se muer en Forum d’Asie de l’Est, ouvert aux questions de sécurité et de politique? Englober Chine, Japon et Corée? L’ASEAN en tout cas sait bien qu’avec la globalisation,la course aux investissements étrangers et les attaques boursières, aucun pays ne peut plus se permettre le luxe du « chacun pour soi« .

Le plus à l’aise, à cette rencontre, fut Zhu Rongji: 1er Ministre du pays au meilleur PIB (+8% en ‘2000), et aux dimensions lui permettant de jouer au « premier de la classe« .

L’idée du « Forum » est celle de Zhu, malgré le contentieux sur les îles Spratley avec 4 pays de l’ASEAN, et la sensibilité chinoise sur toute question de souveraineté: Pékin semble certain, en cette nouvelle enceinte, d’exercer son influence tout en réduisant celle des USA! L’ASEAN de son côté, voit avec inquiétude les progrès commerciaux de cette Chine qui en 1999, a reçu 40MM$ d’investissements étrangers directs, contre 16MM$ à ses membres (17% des IED pour l’Asie cette année-là, plus bas pourcentage en 20 ans)!

Deux semaines plus tôt, cinq pays du club avaient conclu avec la Nouvelle Delhi un accord pour  accélérer l’intégration de leurs économies, tout en construisant une route trans asiatique « Inde-ASEAN« .

A Singapour, avec la Chine, les mêmes déterraient un vieux projet de mise en valeur du Mékong, et un autre de voie ferrée entre ASEAN et Kunming (Yunnan) : pour l’ASEAN, manifestement, après 20 ans de développement par le Sud (la mer), l’avenir s’ouvre vers le Nord (Chine) et l’Ouest (Inde), sur fond de rivalité entre ces puissances émergentes!

Signe des temps, les tentatives de pactes bilatéraux de libre échange prolifèrent : Singapour avec 6 pays de la région pacifique (déjà conclu avec Nelle Zélande), le Japon avec 4… D’autres comme la Malaisie craignent que ces deals ne torpillent l’ASEAN et son futur espace commercial préférentiel. Mais ces accords bilatéraux sont peut être le seul premier pas possible, et n’engagent pas l’avenir! 

 


A la loupe : La moto chinoise pétarade!

En 1993, avec 3M d’unités, la Chine a ravi au Japon le 1er rang en matière de motos.

Son règne n’a fait que forcir depuis, puisqu’en 1999, avec 11,3M motos et 10M de moteurs, elle assurait 50% de la production planétaire.

De Janvier à Septembre 2000, la demande intérieure ne faiblit pas (encore): 8,15M d’unités vendues, +12%. Le marché est très axé vers les campagnes: polluante, la moto est bannie dans plus de 60 métropoles.

Avec le soutien étatique (primes à l’export), la petite cylindrée chinoise se fraie sa piste vers les marchés du Tiers Monde, entre Asie, Afrique et Amérique latine.

En neuf mois, ses exports ont progressé de 463.8%, à 689000 unités, 23% du marché export mondial de 1999.

Un des leaders en Chine, Jialing (Chongqing) revendique 9% du palmarès, avec 56.000 exports!

La force de la moto chinoise est aussi sa faiblesse. Sa robustesse et sa simplicité lui assurent un rapport qualité-prix imbattable. Mais avec 140 modèles et 37 groupes (publics, ou privés tel Hope qui produit au Vietnam), comment atteindre la masse critique pour assurer recherche de nouveaux produits, et réseaux de SAV, clé des marchés riches?

L’entrée à l’OMC jouera en faveur de la moto chinoise, décuplant ses performances à l’étranger, au prix d’une concentration intense, déjà en cours.

En 1993, les 37 groupes actuels étaient encore 100, sans parler des 600 sous-traitants. La question étant de savoir si l’étranger, hier partenaire de cet effort (dès 1993, 21 chaînes de montage importées du Japon, de RFA, d’Italie, d’Autriche), pourra le demeurer -si le secteur aura toujours besoin de ce soutien technique!


Joint-venture : Anti-dumping: la Chine fait ses gammes

· Les dernières nouvelles chinoises en matière de procédure anti-dumping montrent les progrès rapides du pays dans la maîtrise de cet outil de protection commerciale.

1. En juin, Philips accusait Caihong de vendre ses tubes cathodiques en Europe à un prix 50% inférieur au prix pratiqué sur le marché. Après enquête, sur base des documents produits par Caihong, Bruxelles vient de débouter Philips.

2. Le 24/11, faisant suite à la plainte introduite contre 11 pays exportateurs par le lobby US sidérurgique dans le secteur des laminés à chaud, une série d’aciéries chinoises se sont placées sous la houlette de Baosteel pour organiser sans retard leur défense auprès de la US International Trade Com.

3. Sur son propre marché, le MOFTEC vient d’appliquer (23/11) des droits anti-dumping temporaires sur les imports d’ester acrylique japonais, allemand et américain, concluant ainsi une enquête lancée 12 mois plus tôt.

· La banque asiatique de développement (ADB), qui détient déjà 10% de Xiamen International Bank, annonce son entrée probable dans deux autres petites banques (non précisées), pour 50M$ ou 25% de leur capital.

Au même moment, cinq groupes étrangers sont entrés pour 169M$ dans Taikang Life (n°5 des assurances), portant son capital à 241M$.

Il s’agit de l’International Finance Corporation (IFC), Softbank (Japon), Winterthur, Banque Leu (Suisse) et le Group Investment Corporation (GIC) – Singapour. Par ailleurs, l’offre publique de vente (OPV) de la banque privée Minsheng sur le marché boursier "A" (27/11) a été couverte pour 48,5MM$ d’offres d’achat, soit 97 fois l’offre initiale, de 495M$.

Tous ces signes d’engouement pour les groupes financiers (banques et assurances) nouveaux ou privés sont encouragés par l’Etat, et suggèrent un "transfert de confiance": les grands groupes d’Etat ne sont, après tout, peut-être pas l’avenir!

· le 25/11 quelques milliers d’employés d’Uniden, JV sino-japonaise de téléphones ont débrayé pour protester contre leurs salaires inférieurs au minimum légal de 419Y/mois, et les voies de faits d’un contremaître expatrié sur l’un des leurs.

Le mouvement a été couronné de succès: la paie a été révisée et le cadre nerveux, muté. L’incident constitue un indicateur d’une dégradation du climat économique en Chine méridionale. Exploitant un personnel migrant incapable de se défendre, les usines de Shenzhen retranchent les "frais" (dortoir, cantine…) des salaires, qui tombent ainsi en dessous de 230Y/mois.

 

 


A la loupe : LAI Chanxing, la chute de l’ange

Lai Changxing, l’homme le plus recherché de Chine s’est fait arrêter (23/11) à Vancouver.

Depuis 1993, à la tête de Yuanhua, son hydre commerciale à Xiamen (Fujian), ce jeune (42 ans) et grassouillet homme d’affaires avait monté un intense trafic de contrebande, et causé à l’Etat des pertes d’au moins 3,6 MM$.

L’arrestation a permis de voir que Pékin et Ottawa connaissaient la présence de Lai à Vancouver depuis août 1999.

En juin, 3 agents chinois, et son frère lui rendaient visite pour tenter de le faire revenir. Pékin avait en main ces données, au moment de l’annonce des verdicts de mort (8 nov.) contre 14 inculpés dans cette affaire. Idem, Lai se targue d’une «légalité" au Canada: entré avec femme et enfants sur passeports Hong kongais délivrés début 1990, son visa avait été renouvelé et sa demande d’asile politique enregistrée.

Asile? Pour un escroc? C’est la surprise la plus forte, après l’arrestation.

N’ayant rien à perdre, Lai s’épanche, et déclare avoir été agent du ministre de la Sécurité Publique. On lui aurait demandé des preuves contre le vice-ministre Li Jizhou son «patron» (aujourd’hui en prison). Il aurait refusé, signant ainsi la suite de ses malheurs!

Pays au marché intérieur limité, dépendant fort de ses exports, y-compris vers la Chine, le Canada a fait le choix de rendre le transfuge -si sa justice veut bien le suivre. L’affaire a été lancée au moment le plus inopportun pour la presse canadienne (juste avant les élections). Ottawa a tenté (en vain) d’obtenir le huis clos et croit que l’allégation d’espionnage devrait barrer à Lai toute chance d’asile politique.

La presse chinoise garde le silence, pour ne pas compromettre l’extradition.

NB: si Ottawa extrade, se posera la question :"Vers où" -Pékin, ou HK?

La seconde option, la plus probable, mettrait les autorités de la RAS dans l’embarras.

Dans les deux cas, la vie du magnat déchu, ne vaudrait plus bien cher !

 


Argent : La Chine, reine mondiale de la ‘boîte’

· Depuis 1993, la Chine est leader mondial du conteneur EVP (20 pieds).

En 2000, sa production atteindra 1,35M de "boîtes" (+18%), 70% du marché mondial. En vingt ans l’activité s’est rapidement déplacée de Corée du Sud et Japon vers la Chine, qui exporte 95% de sa production assurée par 40 groupes (90% en JV).

Parallèlement, en 2000, la flotte chinoise, selon Standard & Poor, est passée n°2 mondiale avec une capacité de 10M EVP/an. Shanghai ayant traité 5,5M EVP cette année, est le 6e havre mondial de conteneurs. La Chine a 640 quais en eau profonde, dans des ports comme Ningbo, Qingdao, Xiamen, Dalian, Shenzhen ou Tianjin, et 2400 quais conventionnels, ayant traité (jan-août) 1,1MMt de fret – +20% sur un an. Témoin du report du trafic maritime de HK vers le nord, la Chine émerge comme nouvelle puissance maritime mondiale.

· D’ici 2005, la Chine investira 14,5MM$ dans le développement de 7 gisements de pétrole et gaz récemment découverts off-shore, afin d’accroître la production nationale annuelle à 40Mt. Trois outils verront le jour pour exploiter ces ressources : le complexe d’éthylène Shell-Huizhou, n°1 nationale (800.000t/an), le 1er terminal GNL à Shenzhen (le groupe étranger fournisseur de la technologie sera désigné le 18 déc.) et la plus grande usine d’engrais (dans l’île de Hainan).

Gisements, réserves financières, marché/prix porteurs, et alliances étrangères: le secteur pétrolier chinois détient tous les atouts pour entamer un puissant décollage.

· Les fortes pluies des deux derniers mois dans le centre et le Nord-Ouest, ont nui à la récolte de coton.

Les 250.000t de perte sèche ont réveillé le spectre de la pénurie: les prix ont monté de 8% à 13.600Y/t, mouvement exacerbé par le refus de vendre des producteurs, spéculant sur les prix.

Pour enrayer une escalade menaçant le dynamisme de l’industrie (dont les exports ont augmenté à 12MM$ en neuf mois, + 29%), le gouvernement a plafonné le prix à 11.000Y/t, et augmenté les volumes de coton déstocké sur le marché, de 10.000t/jour en octobre à 30.000t/jour en novembre. Mais face à la demande industrielle prévue de 4,8Mt entre septembre 2000 et août 2001, la SDPC prévoit un déficit de 25%.

En janvier pourtant, elle assurait (cf VdlC n°02/V) avoir "suffisamment de coton en stock pour trois ans » : décalage qui jette un doute sur l’état réel des stocks, cotonniers comme céréaliers.

· En ouvrant (7/11) les enregistrements de noms de sites internet en mandarin, la CNNIC a suscité un fort engouement. Trois semaines plus tard cependant, l’action apparaît avoir été prématurée : 420000 des 800.000 sites enregistrés n’ont pu être validés. Une partie du déchet est due à la duplication: les neuf centres d’enregistrement n’étant pas interconnectés. D’autres se sont révélés trop longs, ou émaillés de caractères interdits, tel "!" ou "*".

Pour se sortir de ce mauvais pas, la CNNIC a décidé d’accorder "la priorité au premier occupant", tout en rappelant aux candidats les règles d’inscription.

 


Pol : SIDA – une journée choc

· Au 29/11, Kajima, un des ténors historiques du génie civil nippon, est devenu le 1er groupe à signer un contrat d’indemnisation avec ses ex-forçats chinois durant la IIe guerre mondiale, dans ses mines du Nord du Japon.

Tout en continuant à décliner toute « responsabilité légale« , Kajima crée un fonds « de consolation » (sic) de 4,5M$ géré par la Croix Rouge chinoise, au bénéfice de ses 986 « esclaves » d’autrefois -ou de leurs ayant-droits, la moitié d’entre eux étant décédés en détention. Dix fois supérieur à ce que les plaignants réclamaient, ce paiement se veut le « pont éclatant qui encouragera l’amitié sino-japonaise » (sic). Il pourrait en tout cas faire jurisprudence dans nombre d’autres plaintes du même genre.

· Rendez-vous mondial de la lutte contre le SIDA, le 1er décembre en Chine a oscillé entre la répétition lénifiante de slogans et les regards anxieux sur les ravages du fléau.

Hier confiné aux provinces du Sud (Yunnan, Guangxi) et de l’Ouest (Xinjiang, région la plus touchée), il gagne aujourd’hui les métropoles et régions côtières.

En deux ans, le Guangdong, quatrième bastion du SIDA, a vu ses cas officiels quadrupler à 1419, -en privé les services sanitaires parlent plutôt de 20.000. Shanghai compte 380 cas officiels, et Pékin 606. Dans le Yunnan, 28% des héroïnomanes sont séropositifs -ils seront 40% en 2005.

De même, les 2,2% de prostituées séropositives deviendront 5% dans trois ans. L’estimation des séropositifs, au plan national, va jusqu’à 2M.

Le 1er décembre, oubliant un instant leur pudeur, les villes se réveillent: concert à Pékin, flash radio, clips TV…Mais pour les experts, l’heure est grave. Après 12 ans d’incubation, le SIDA change de vecteur de dissémination, de la drogue à la prostitution, et se diffuse des campagnes vers les villes -plus des deux tiers des malades urbains sont des migrants. Dernier chiffre passablement effarant: sur 3824 personnes entre 20 et 64 ans, seuls 3,8% savaient que « le SIDA ne s’attrape pas par un moustique« 


Temps fort : Une industrie de tous les dangers

L’année 2000 en Chine aura, une fois de plus, connu un lot terrible d’accidents. Neuf hommes (26/11) perdaient la vie à moins 2745m, dans les houillères Etoile Rouge (Sichuan), après avoir percé une poche de méthane.

La veille, 11 autres (ou 50, avec les «disparus») étaient morts d’un coup de grisou à Hunlunbeier (Mongolie Intérieure). Le 27/09, l’explosion de Muchonggou (Guizhou) avait tué 162 gueules noires (cf. VdlC n°32 /V).

Le 1er semestre, avec 2730 décès, confirmait aux mines chinoises le rang de plus meurtrières au monde.

D’autres cas ont vu l’explosion d’un camion de munitions (8/09, Urumqi, 60 morts), d’usines de pétards (27 morts le 4/08 à Pingxiang/Jiangxi, 37 à Jiangmen / Guangdong le 30/06), une catastrophe routière le 7/07 (65 morts), fluviale le 2206 (130 noyés), aérienne (même jour, 44 morts).

Même des secteurs modernes tel le génie civil ne sont pas indemnes: l’effondrement d’un pont autoroutier en construction à Shenzhen (27/11) a fait 30 blessés. Même le 1/12, le 2d étage -illégal- d’un supermarché en construction s’effondrait à Dongguang (Canton), laissant 8 victimes.

Cette série noire a une cause unique : le fort retard, par rapport aux pays développés, dans la pratique de sécurité!

Le pouvoir tente de réagir a posteriori (la presse mentionne de nombreux procès, voire de lourdes peines de prison aux responsables), et de manière préventive, en renforçant l’appareil réglementaire, en multipliant les contrôles de la SETC et en fermant les unités les plus dangereuses, polluantes et redondantes – 18000 mines disparaîtront en 2000, sur les 50.000 du pays. Le Guangdong veut rebâtir 4000 ponts (sur 18000) d’ici 2005, moyennant 83M$…

NB: le bilan noir reflète aussi la pléthore de grands chantiers en Chine. Tel ce tunnel, entamé cette semaine, de Taihelu à Shanghai: 2880m dont 736m sous le fleuve Pu, avec 8 voies routières, en trois boyaux : il sera 2d au monde dans sa catégorie, et 1er d’Asie.

 


Petit Peuple : La farce du vieillard sous la lune

· Quittant leur village de Tangkou au début des années ’90, deux fleurs de province cantonaise, Yan Caiyun et Yan Caifeng (soeurs) s’en allaient faire leur vie à Shenzhen, comme monteuses dans deux usines électroniques.

Les années passèrent, laissant de fines ridules au bord des paupières. Ni les services de l’entremetteuse, ni les prières paternelles au "Vieillard sous la Lune" (Dieu de l’hymen) ne surent leur éviter, à 30 ans, le titre infamant de  lao guniang (vieilles filles), ce qui causa chez le père un accès de colère homérique.

Quelques mois plus tard, miracle : les deux soeurs revinrent au foyer, chacune avec un prétendant! Aux anges, le père pria l’aînée de convoquer son homme la première. Mais le lendemain, catastrophe: au bras de sa soeur, la cadette vit son promis! La 40aine sonnée, craignant la vieillesse, Li (c’était son nom) avait couru deux hases à la fois, sans découvrir leur parenté. Pour couronner le tout, elles étaient enceintes…

"Quand le riz est cuit, il faut le manger!", trancha le père Yan : on tirerait à la courte-paille. C’est la jeunette qui gagna l’époux. L’aînée n’eut qu’un avortement, pour tout potage.