Le Vent de la Chine Numéro 38

du 20 au 26 novembre 2000

Editorial : Le cinquième recensement, en crise!

La semaine passée, tandis que la Floride recomptait ses votes, la Chine vérifiait son recensement.

Car malgré cinq jours supplémentaires accordés en catastrophe, ce plus vaste sondage jamais entrepris au monde apparaissait hors contrôle, et la consigne fusait à travers l’empire:  yige bu neng shao (« que pas un seul ne manque! »).

On est loin du compte :

Les premiers résultats du sondage accusaient un « trou » de 10M dans le Hunan (55 au lieu de 65 attendus), de 2M dans le Shaanxi (à 34M), et d’autres volumes dans le Guangdong, le Fujian, à Shenyang, à Pékin…

La pire crainte des organisateurs s’est matérialisée : une part des recensés a refusé de coopérer! Il y a les parents des 10aines de M d’enfants conçus hors du planning familial.

A Canton, trois enfants non déclarés ont dû être enregistrés sous les appellations de « n°1″, n°2″ et « n°3 » -ils n’avaient pas de noms!

Il y a aussi les 150M de migrants, en ville sans papiers, qui préfèrent éviter les contacts.

Mais la faute se trouve aussi du côté des recenseurs, des autorités villageoises ayant falsifié leurs chiffres pour couvrir leurs manquements, et des recenseurs ayant taxé leurs recensés, parfois avec l’aide de la police…

Le dérapage du recensement expose les difficultés à gérer un pays de ces dimensions. Faute de dialogue social suffisant (par le jeu de la presse et de l’opinion), des projets d’intérêt national comme le recensement sont incompris ou détournés. D’autre part, par rapport au 4ème recensement de 1991, celui de ‘2000 butte contre le brouillard des libertés nouvelles, individuelles, pas toujours avouables: entre son passé et son présent, la Chine est au milieu du gué.

NB : récemment publié, « la Chine le long du Fleuve Jaune« , de Cao Jinqing, dépeint la gestion démographique en milieu rural au Henan: afin de combattre les naissances hors quota, certains villages sont mis à l’amende collective (tout le monde paie) et « préventive » (payable à l’avance).

Dans les cas où le dépassement est (trop) faible, les contrôles sont relâchés, afin d’inciter à la faute et rehausser le rendement de la taxe. Dépendants de ce revenu pour leur survie, les administrations du planning familial « sont passés d’une limitation, à un encouragement des naissances: elles ont inversé leur objectif (sic) »!

 


A la loupe : APEC : un accord, de mauvaise grâce

Les 15/16 novembre 2000 au Brunei, le Président Jiang Zemin assistait au sommet de l’APEC.

Visite qui lui a permis de voir des alliés tel le russe Vladimir Poutine, des homologues tels le chilien R. Lagos, le malais Mahatir, le coréen Kim Dae Jung, et de faire ses adieux à Bill Clinton.

S’y affrontaient les pays développés menés par Clinton (réclamant dès 2001 une nouvelle ronde de l’OMC et plus de concessions globales), et les "PVD" soutenus par Pékin, revendiquant la garantie préalable de ne pas y aborder les thèmes de la pollution ni des salaires – leur retard en ce domaine, constituant leur atout 1er, dans une optique de concurrence globale…

Ce sommet se déroulait dans un climat de reprise incertaine : la zone APEC connaîtra 4,6% de croissance en 2000, mais seulement 3,5% en 2001, la Chine jouant les bons élèves avec 8% (2000). Cette incertitude était reflétée au plan politique, avec USA et Canada en pleines élections, les Présidents taiwanais et philippin en plein processus de destitution, et ceux du Pérou, d’Indonésie et du Japon sur le gril…

Clinton, finalement, a su convaincre : l’APEC appelle "une ronde de l’OMC en 2001, précédée d’un ordre du jour convenu".

On note, en marge de l’APEC, la tentation toujours plus claire d’accords privilégiés bilatéraux -notamment entre Singapour et six pays, Australie, Japon et Canada en tête. Les experts sont partagés sur les conséquences possibles de ce "bande à part" : facilitant, ou bloquant l’émergence du club mondial du commerce?

 


Joint-venture : 349M$ de la Banque Mondiale pour Pékin

· A en croire le Quotidien de la Jeunesse pékinoise, sur la base du sondage de 10.000 personnes dans 20 métropoles, 32,1% citadins comptent acheter leur voiture privée d’ici 2005.

Un groupe automobile, dans ce segment, espère se tailler la part du lion: Citroën-DCAC, fort de son image de marque et de ses bons résultats (+23% de ventes en 10 mois, 43.000 Fukang). La plus grosse JV sino-française (1,58MM$) vient d’annoncer à quel horizon elle atteindrait son objectif de 300.000 véhicules/an: en 2007-08, soit 15 ans après la pose de sa 1ere pierre à Wuhan (Hubei). 

· Afin de convaincre le jury olympique de lui attribuer les JO 2008 (verdict attendu le 13/07/2001), Pékin déploie des efforts considérables pour nettoyer son environnement.

Moyennant 1,255MM$, la mairie se lance (15/11) dans le remplacement de 2200 chaudières à charbon, 1ère cause de pollution atmosphérique et 1er moyen de chauffage public. Les nouvelles chaudières seront à gaz, apportant un gain de rentabilité de 30%.

Le plan prévoit aussi l’aménagement d’une centrale de traitement des eaux usées du bassin de Liangshui et le relogement de 3000 familles: en conséquence, en 2005, 40% des eaux usées de la ville seront retraitées. De ce budget, la Banque Mondiale prend en charge 349M$, environ 1/3, sous forme de prêt.

· Le 14/11, Southland Financial (US) échangeait 13,8M de ses parts contre 60% de celles de Ai Wei InfoTech, filiale en JV du groupe aéronautique pékinois Changfeng.

D’ici cinq ans, Ai Wei doit établir pour le compte du ministre de la Santé, à environ 240M de chinois actifs dans l’agro-alimentaire (ou apparenté), leur carte d’identité à puce. 80.000 cartes ont déjà été délivrées avec succès. En 2003, ce marché est évalué à 140M$.

· La Chine assemble 300.000 lecteurs DVD/an, 60% de la production mondiale, dont la moitié est exportée. Aujourd’hui, un consortium des 6 pionniers nippo-US du DVD (Hitachi, Matsushita, Mitsubishi, Time Warner,Toshiba et JVC) réclame du secteur chinois des royalties, sur ces technologies copiées : 4% du prix ou 4$ par lecteur vendu, 1$ par décodeur, voire 7,5 cent par disque. En ordre dispersé, les réponses vont du "rien à faire!", au "allez voir ceux qui nous ont vendu la technologie"(Guangdian), au "trop cher" (Changhong), en passant par "nous l’avons inventé nous-même" (Panda).

Afin d’éviter des rétorsions, les constructeurs chinois ont nommé un négociateur unique, le DICC!

 

 


A la loupe : Les dotcoms se calfeutrent pour l’hiver

Boudés par les investisseurs depuis le "crash" mondial des valeurs hi-tech d’avril, 70% des sites internet chinois sont promis à la mort d’ici la fin de l’année.

Déçus par le retour de leurs investissements et tenant compte des prévisions de croissance pessimistes du secteur jusqu’à l’été 2001, les groupes publicitaires réduisent leur présence online (-11%, à 12M$ pour Chinadotcom, à Hong Kong).

Le marché souffre d’une évolution contradictoire : la très robuste croissance du nombre des abonnés (+50% tous les six mois), n’est pas suivie par les achats Online, auxquels seuls 10% se sont risqués, d’août à octobre, même chez les trois grands – Sohu, Sina et Netease qui continuent à perdre de l’argent, malgré des hausses de leurs chiffres d’affaires au troisième trimestre, respectivement de 1,6M$, 7,2M$ et 2,55M$

C’est à ce moment, en apparence risqué, que Legend décide de reprendre pour 102M$ de "dotcoms", faisant fi des pertes (5M$ au premier semestre) de son propre site lancé en avril, FM365: le prix très bas de ces portails ruinés, n’explique pas tout. Legend semble croire à un marché très rémunérateur de l’espace internaute chinois de demain, et à la maîtrise d’un pré-cieux outil de vente de ses propres PC.

Legend n’est pas le seul : Netbig, n°1 de l’enseignement online, vient de racheter (10M$) Chinaedu, complétant sa gamme de services.

NB1: ces transactions, consolidation du marché chinois, (comme le rachat, le mois dernier, de Chinaren par Sohu) se font souvent par échange de parts et jeu comptable, sans transferts de fonds.

NB2: depuis l’Amérique, « Mecque » de l’internet, le message demeure inchangé: « sans investissement étranger, point de salut ». Or, l’interventionnisme étroit du MII effarouche l’étranger.

Conséquence : la toile chinoise prend du retard.


Argent : La croissance,à quel point du cycle?

· CCTV révèle (13 novembre 2000) un projet d’implantation d’une usine stratégique.

Le conseil d’Etat vient d’approuver l’investissement de 143M$ dans une base de production de 1000t/an de polysilicone, par le groupe E’mei Semiconductor.

Ce matériau permet d’obtenir le silicone monocristallin, matière première de 98% des semi-conducteurs. L’enjeu étant de garantir l’approvisionnement de cette industrie de pointe.

NB: en 2005, la Chine consommera 800t, et le monde 28000t, tandis que la capacité de production sera limitée à 23000t.

· La lame de croissance qui porte la Chine depuis le début de l’année va-t-elle se maintenir ?

Les indices d’octobre apportent des réponses variables. Grâce à une semaine fériée (1er octobre) les ventes au détail ont cru de 10,4% (36,6MM$). Le commerce extérieur se maintient à un très haut niveau, +35% (387MM$ de jan. à oct.). En revanche, l’indice des prix à la consommation a rechuté (déflation) de 0,1% en oct.

La croissance de la masse monétaire globale (M2) a ralenti à +12,3%, comme les actifs immobilisés à +10,8%.

Pendant ce temps, l’épargne en devises (valeur refuge!) augmentait de 32,5%, à 70MM$.

Enfin, comme facteur de relance en 2001, les investissements directs étrangers (IDE) contractés devraient faire sentir leur influence, ayant augmenté de 37% à 43,5MM$ (jan. à oct.).

· Fin novembre, Minsheng, la plus petite (1,66MM$ de capital) et la plus jeune (née en 1996) des banques de Chine, sera aussi la 1ère banque privée à être cotée en bourse, espérant réunir 580M$ sur le marché "A".

Ce mouvement précède la naissance de 10 nouvelles banques privées, déjà annoncées,  dont quatre dans les mois à venir. C’est un petit pas vers une diversification du marché bancaire -alternative voulue par la concurrence étrangère, face aux quatre grandes banques, toujours percluses de mauvaises dettes.

 


Pol : Une visite historique

· 8 fen/kg (1 cent US): cette hausse imposée de la taxe à la vente des bananes a déclenché une émeute (15/11) de 1000 planteurs à Zhangzhou (Fujian).

Venus de leur canton de Nanqing, ces fermiers réclamaient la démission de leur « chef », et des élections. Le calme est revenu après inter-vention d’une brigade anti-émeutes, de 300 hommes, dépêchée d’urgence -laissant cinq blessés (chiffre non confirmé). Les bananeraies du Fujian ne se sont pas encore remises d’un typhon en 1999, et cette taxe, combinée à la masse des autres, se traduirait pour le paysan par une ponction de 40% de son profit.

· Le 17/11, Wu Poh-hsiung, Vice-Président du KMT et ex-Min. de l’Intérieur taiwanais, atterrissait à Xiamen: c’était la plus importante figure taiwanaise à fouler le sol de la RPC depuis octobre 1949.

Un aspect remarquable de ce déplacement « privé » est sa durée: 11 jours, incluant sa participation à une conférence internationale Hakka au Fujian, et diverses étapes, y-compris Pékin, où il verrait le vice-1er Qian Qichen, Jiang Zemin et son dauphin présumé, Hu Jintao. A l’ordre du jour, figurerait la préparation d’une visite de Lien Chan, ex-Président du KMT, ex-Vice-Président de Taiwan, et une des personnalités (conservatrices, modérées) les plus acceptables par Pékin.

NB: Constitutionnellement impossible, tant que le KMT était au pouvoir, un tel rapprochement est aujourd’hui induit par le spectre de Chen Shui-bian, le Président « séparatiste« .

· Signe des temps, une industrie progresse à pas de géants en Chine, celle des gilets pare-balle, afin de protéger policiers, hommes d’affaires et banquiers. Et pour cause: le crime violent fait des ravages.

Parmi les rares incidents de la semaine passée ayant fait surface dans la presse, deux attaques de banque retiennent l’attention.

A Pékin (13/11), un couple a tenté un braquage infructueux contre l’agence BoC du Landmark Towers: un homme est pris, une femme en fuite.

Dans une agence de l’ABC à Nanchang (Jiangxi), le 11/11, cinq malfaiteurs exécutèrent à bout portant deux clients, puis s’enfuirent avec le butin, 500.000Y, étranglant un chauffeur de taxi au passage (un suspect a été arrêté).

La nouvelle et inquiétante culture de violence qui se propage, est le mieux illustrée par le procès de Li Yonghui, 27 ans, à Shijiazhuang (Hebei). Afin d’extorquer « 1MY » et « 1M$ » (sic) aux autorités, il avait posé quatre bombes dans des lieux publics, causant « 10 blessés » (source policière). Il risque la peine de mort.


Temps fort : La Bourse chinoise fait ses comptes

«Championne du monde du rendement» (47% depuis janvier), la bourse fait ses comptes, sans concessions.

Trop de rumeurs de fraudes circulent – selon Shanghai Daily, 50% des porteurs ont perdu, du fait d’opérations d’initiés entre firmes cotées et porteurs institutionnels.

Listé à HK, Legend-HK (son Président Liu Changzhi) refuse d’aller à Shanghai, dénonçant l’opacité de la bourse chinoise et ses pratiques de "rapports et audits frauduleux".

Dans une nouvelle tentative pour assainir le circuit, le Conseil d’Etat a dépêché ses inspecteurs auprès d’une firme à problèmes: Baiwen, de Zhengzhou (Henan), en bourse depuis ’96, techniquement en faillite depuis août (avec 120.000 actionnaires insomniaques). Cinda, son créancier, réclame le dépôt de bilan (72,3 M$ d’actifs, et 229M de dettes). Baiwen pourrait devenir la 1ère Entreprise d’Etat "sortie" de la bourse.

C’est dans ce climat délétère que se prépare l’ouverture de la bourse secondaire à Shenzhen.

L’enjeu, consiste à y établir la confiance manquante ailleurs : elle sera gérée "par des agences intermédiaires, indépendantes, sans interférence politique", tandis que les nouvel-les inscriptions seront décidées "selon leur performance sur le marché"… Les premières firmes listées seront financées par HK, et les firmes étrangères établies en Chine pourront s’y présenter à pied d’égalité…

Zhang Yujun, nouveau Président de la bourse de Shenzhen, prend ses fonctions. "Shenzhen expressway" va devenir la première valeur méridionale listée à Shanghai (puisque en bourse primaire, toute émission nouvelle revient désormais à Shanghai, en contrepartie de l’attribution à Shenzhen  du second marché).

Mais la confiance dans l’avenir et dans ce marché secondaire, a ses limites : Shenzhen, qui devait remettre « sa » bourse primaire à Shanghai "sous trois ans", estime ne pouvoir le faire que sous 5 à 10 ans!

 


Petit Peuple : Des volailles et des hommes

Province des plus pauvres sauf en soleil, le Xinjiang est au coeur d’un feu roulant d’initiatives visant à le tirer de sa misère. Ce qui peut en partie expliquer, en janvier, l’enthousiasme, de la mairie de Xigou, aux portes d’Urumqi, pour un projet local de poulets en batterie de 300.000 poulets /an.

A l’unanimité, les 40 édiles avaient voté d’assumer le quart de cette production. Mais quand ils vinrent annoncer au peuple paysan la décision démocratique (et sa participation), ce dernier refusa tout net, et aucun discours ne put le faire changer d’avis. Pris à leur propre piège, les gratte-papiers n’eurent d’autre choix, en août, que de mettre une main au portefeuille et l’autre à la mangeoire, chacun empruntant 9500Y sur son salaire, pour élever 2000 poussins dans l’année. Ceci entraîna le transfert de la mairie dans la basse-cour.

Mais ne s’improvise pas éleveur qui veut. Trois mois plus tard, ces volatiles se vendirent mal : chétifs (élevés dans la canicule), et le marché étant de toute manière déjà saturé. Ayant perdu 3000Y chacun, dans l’aventure, nos ronds de cuir n’ont à présent plus le coeur à l’ouvrage, mais restent fidèles au poste, attendant on ne sait quoi -retour de conjoncture, dédommagement de Pékin, ou quelque miracle leur permettant de retourner "à leurs moutons"… Quant aux demandeurs d’actes de ventes ou de certificats de mariage, ils les obtiennent, entre plumes et fientes…

 


Rendez-vous : Singapour, sommet de l’ASEAN

·21-23 novembre, Pékin: Salon Technologie d’Automatisation Bureautique

·21-24, Shanghai: Foire Internationale de l’Industrie

·21-23, Pékin, Shanghai: Vie et Mort d’une Dotcom en Chine (conférence)

·24-25, Singapour: Sommet de l’ASEAN