Le Vent de la Chine Numéro 32

du 8 au 13 octobre 2000

Editorial : Une fête parcimonieuse et troublée

Pour la seconde fois en un an, une semaine fériée à l’occasion de la fête nationale (1- 8/10) était donnée. 48M de touristes étaient attendus à travers la Chine. Mais hôtels et Compagnies d’aviation ont accusé, par rapport à la semaine record du 1er Mai, une baisse de 20 à 30%, tandis que les magasins déploraient la parcimonie des visiteurs.

L’Institut Economic Forecasting Department (EFD) l’avait prédit, et en avait anticipé les conclusions : avec cinq semaines de congé, la Chine vient d’atteindre la limite de l’utile, sous l’angle de l’incitation à la consommation, et sauf nouvelle source de croissance, le pays connaîtra en 2001une légère stagflation.

Au 1er octobre, le Vatican avait choisi de canoniser 120 prêtres et fidèles, morts en martyrs en Chine entre le 17ème siècle et 1930. La date était malheureuse – même si elle marquait aussi l’anniversaire de Ste Thérèse de Lisieux, patronne des missionnaires. Le choix politique de cette béatification était contestable – l’église ayant soutenu la colonisation, encore fraîche en mémoire (la Chine ne s’en est affranchie qu’en 1949).

Enfin, Pékin ne s’est pas privé de publier, parmi ces nouveaux Saints, des cas, historiquement étayés, de prêtres fornicateurs, mafieux, pilleurs d’antiquités… Un faux pas qui renforce l’église d’Etat (celle "patriotique") et affaiblit celle de l’ombre, fidèle à Jean Paul II -qui lui même a ressenti le besoin de prendre des distances par rapport à ce passé imprudemment invoqué!

Le 1er octobre toujours, venus de tout le pays, 300 à 1000 membres du Falungong (ce club mystique de 100M d’adeptes, interdit depuis 14 mois pour sectarisme) se sont glissés place Tian an Men parmi les 200.000 visiteurs, et s’y sont faits arrêter après avoir déployé leur panoplie de protestation – slogans, gymnastiques, bannières.

Ce qui doit causer au régime deux forts soucis : comme le 25 avril 1999 pour la première (fracassante) sortie du Falungong à 10.000 autour du quartier général du Parti Communiste Chinois, la police n’a rien vu venir, ni pu faire, sinon évacuer Tian an Men une demi-heure durant (perte de face!).

L’action était coordonnée depuis Hong Kong et des Etats-Unis, et relayée "live" auprès des médias. Avec cette implantation nationale ET étrangère, le mouvement semble moins extirpable que jamais!


A la loupe : Chine – Taiwan : nuages noirs à l’horizon

Neuf mois de rapports sans ride entre Chine et Taiwan, devraient toucher à leur fin, suite à la démission (3/10) de Tang Fei, Premier Ministre taiwanais. Tang savait rassurer Pékin, étant shanghaïen et membre du Kuo Min Tang (KMT) nationaliste, Ministre de la Défense au cabinet précédent, avant sa déroute électorale et l’arrivée au pouvoir du Président indépendantiste Chen Shui-bian, du Parti Démocratique du Progrès (DPP).

A ce départ, plusieurs raisons concourent. De santé frêle, Tang avait subi une opération au printemps. Il était en bute avec les faucons des deux partis qui vivaient mal la cohabitation : le KMT exigeait un contrat de cogestion, et le DPP, le retour au principe d’indépendance. Officieusement, la démission ferait suite au désaccord sur un projet de centrale nucléaire de 5,5 MM$, dont le DPP, "vert", ne veut plus.

La réalité est ailleurs : dans l’absence de résultats de ce gouvernement hétérogène, notamment face à la Chine. Bill Clinton, le 4 septembre à New York, prévenait Jiang Zemin des risques pris, à ne pas donner suite aux offres estivales de dialogue de Taiwan. Le corps du DPP a pu en retenir qu’il perdait son âme, "pour rien".

La nomination d’un homme d’appareil du DPP, Chang Chun-hsiung, a été saluée, à Pékin, comme celle d’un "crypto-indépendantiste". Quelques jours plus tôt, sans doute bien informé, Pékin avait commencé à donner des signes d’impatience : Zhu Rongji (30/09) remarquait publiquement que "la question de Taiwan ne pourrait être reportée indéfiniment"…

 


Joint-venture : China Mobile (HK), n°2 mondial

• A peine sorties d’une périlleuse guerre commerciale, Chine et Corée en préparent une seconde. La première, en juin, visait l’ail chinois – frappé d’une taxe coréenne de 315% (il tirait jusqu’alors, de Corée, 9M$). Immédiate, la rétorsion chinoise portait sur les GSM (Samsung) et le polyéthylène (510M$). Affaire réglée en août.

A présent, Séoul veut se protéger de la sciène jaune chinoise, poisson de mer – qui, avec 25.000t exportées de janvier à mars, a conquis 86% du marché. La Corée, par ces défenses, exprime sa gêne, entre l’obligation " OMC "d’ouvrir ses marchés, et la montée en puissance qualitative des produits chinois.

 NB : cette percée chinoise se poursuit sur un autre marché alimentaire. Premier importateur de maïs fourrager chinois (8,1Mt en 1999), la Corée en 2001, baissera ses achats : l’ouverture de son marché bovin va frapper son élevage, au moment où Pékin de son côté, après sa mauvaise récolte d’été, n’a plus trop de maïs à vendre – sauf peut être, directement, sous forme de viande!

• China Mobile (Hong Kong) vient de réaliser le plus lourd rachat en Asie : à China Mobile Communication sa maison mère, elle reprend 7 réseaux opérateurs provinciaux et 13,6M d’abonnés, pour un total de 32,84MM$.

Au plan comptable, il s’agit presque d’une opération blanche : les trois quart du montant seront payés en actions nouvelles de China Mobile (Hong Kong ).

Avec 35M d’abonnés, China Mobil (Hong Kong) devient le 2ème  opérateur mondial de GSM derrière Vodafone (59Md’abonnés) : pas par hasard, le britannique a été élu pour investir 2,5MM$ dans le nouveau groupe, contre 2% de ses parts. Un accord de coopération technique et de cession de licences par Vodafone doit être conclu sous six mois – faute de quoi le britannique pourra revendre ses parts.

 


A la loupe : Internet – un tour de vis de plus

Le cadre OMC des règles d’accès étranger en matière de télécom et d’internet vient d’être publié (2/10). Pour les Fournisseurs de Contenu Internet (FIC), ces règles confirment la volonté léonine du Ministère des Industries de l’Information (MII) de reprendre un contrôle qui s’étiole.

Les FCI ont 60 jours pour solliciter une (nouvelle) licence, sous peine d’amende ou de fermeture. Les sites sont tenus responsables de leur contenu, même dans leurs forums surtout en matière politique ou religieuse, et doivent conserver une archive pendant 60 jours à disposition de la police.

Le projet : ce tour de vis répond à l’injonction de Jiang Zemin, à Beidaihe cet été (cf VDLC n°28) de renforcer la lutte contre l’influence occidentale sur la toile chinoise, et le contrôle économique de ce pilier stratégique : l’investissement étranger dans les FCI, qui dépasse aujourd’hui 1MM$, demeure illégal.

Pékin s’apprête à laisser l’étranger tenir 49% de sa Joint venture sur le net, 50% deux ans après l’entrée à l’OMC. Sous l’angle du financement, la majorité des JV, aujourd’hui, sont en infraction.

L’impact : après une année 1999 glorieuse, les start-up sont en panne : sur 600 pékinoises, seules 39 sont bénéficiaires. Le nouveau règlement alourdit encore leurs charges : inquiétude sur l’octroi de leur licence, et surcoût imposé en mémoire et en personnel. Par contre, empêcher le surfeur d’accéder aux sites en mandarin hors de Chine, sera de moins en moins possible – dès à présent, des logiciels de codage contournent la censure.

Le nouveau cadre a atteint un but : la vente aux enchères d’une 30ainede sites locaux le 29 à Pékin, n’a fait déplacer personne et n’a abouti qu’à une seule cession effective – l’étranger n’a pour l’instant plus de raison de se risquer sur ce terrain!

Enfin, la nouvelle donne pourrait déboucher sur un type de gagnants : Netease, Sohu et Sina, les trois sites listés, après avoir fortement chuté au Nasdaq (-65% en 3 mois pour Sina), pourraient remonter, ayant leur avenir tracé par ce règlement et leur licence. C’est peut être le but recherché : élaguer, pour renforcer les rescapés, les fidéliser et discipliner!

 


Argent : Le moral d’acier des métallos

• Poussés par une campagne de préférence nationale, 10 producteurs locaux de téléphonie mobile verront leur part du marché passer de 6 à 15% en 2000. Une remontée rapide depuis 1998 (date de leur entrée dans le secteur), due à une politique de prix bas.

En mai 2000, Motorola, Nokia et Ericsson tenaient 32%, 29% et 21% du marché. Depuis 1999, ces géants ont dû baisser leur prix jusqu’à 50%.

NB : la reconquête du marché par des groupes tels Konka ou TCL, est freinée par l’absence de moyens financiers. L’industrie locale investit moins dans la publicité et la promotion, et dépend de l’étranger pour la production de "puces".

• Pour l’aciérie chinoise, les années se suivent et ne se ressemblent pas. En ’99, le secteur souffrait de surproduction (+27% depuis 1993) et de fonte des profits (-93%).

En octobre 2000, le système de quotas en place depuis un an et la fermeture de 106 petites unités polluantes a permis d’écrêter la croissance de 5,8% (moyenne depuis sept ans) à 3,5%, avec 82Mt produites entre janvier et août.

Grandes et moyennes Entreprises d’Etat ont pu réduire leurs coûts de 26% (janvier – août) et leurs pertes de 17%. L’effort a porté sur la qualité : 10Mt de tubes et laminés seront exportés en 2000.

Enfin, avec un marché intérieur de +4%/an en moyenne et une demande attendue de 165Mt en 2005, la Chine ses pose en 1er consommateur mondial.

• En annonçant (22/09) son entrée dans le secteur des climatiseurs et des réfrigérateurs, Galanz, n°1 national du micro-ondes a indéniablement semé la consternation parmi la concurrence. Pour 242M$, le groupe de Shenzhen compte produire d’ici 2002 à 2004 jusqu’à 8M de climatiseurs et 5M de réfrigérateurs par an.

Objectif : prendre sa part des 90% du marché urbain encore vierge.

Technique : briser les prix par sa capacité de production de masse. La marge bénéficiaire en climatiseurs est de 35%, et en réfrigérateurs de 30% : Galanz peut encore écraser les prix.

 

 


Pol : Chine Vietnam – mariage de raison ?

• A Genève, Suisse et Chine ont signé (29/09) leur "contrat-OMC ", laissant au Mexique le soin de clore la ronde des accords bilatéraux. Mais au même moment, même lieu, les négociations multilatérales s’enlisaient, Pékin rejetant le principe de "clauses de sauvegarde" européenne et américaine applicables à elle seule.

Pour l’Union Européenne et les Etats-Unis, Pascal Lamy et Charlene Barshefsky seront à Pékin dès cette semaine pour tenter de débloquer l’impasse. Le sommet euro-chinois (23/ 10) pourrait aider à arrondir les angles : peu d’experts croient encore à une adhésion chinoise cette année – on parle plutôt de " Pâques 2001 ". 

• Le passé enterré, Chine et Vietnam entament une phase nouvelle de leur rapports mouvementés. Avec Zhu Rongji (25-28/09), le 1er Ministre Phan Van Khai s’est promis de régler avant décembre le partage des eaux frontalières et des zones de pêche, résorbant ainsi le dernier conflit territorial.

La Chine par ailleurs fait à son voisin un premier prêt de 300M$ pour financer quatre projets chinois de centrales hydroélectriques, d’une fonderie de cuivre et d’une usine de fibres synthétiques. Les échanges, cette année, ont jailli de 30% à 2MM$ en 2000.

Même le secteur privé tient sa part dans cette idylle : Hope, un des plus grands groupes privés de Chine (coté à Shenzhen, dirigé par les quatre frères Liu), a construit pour 9M$ deux usines d’aliments pour bétail à Hanoi et Ho Chi Minh Ville, et étudie un projet d’usine de motos. Depuis Chengdu (Sichuan), Hope contrôle 5% du marché chinois des céréales fourragères.

• Le 27 septembre, 107 " gueules noires " succombaient d’un coup de grisou à Muchonggou (Guizhou). Coincés dans les galeries de houille, 59 autres mineurs sont sans doute morts. Rien que dans la province en septembre, c’était la sixième catastrophe du genre, les autres ayant causé 70 victimes.

A Danfeng (Shaanxi), un camion transportant 10t de cyanure de sodium s’est écrasé (29/09), dans la rivière Wuguan, affluent du Yangtzé perdant son chargement. L’accident n’a été publié que cinq jours plus tard, le temps de mettre en place un plan de crise, déversant des émulsifiants, prévenant des centaines de milliers de riverains et dressant un barrage.

Mais le réservoir de Danjiangkou (Hubei), un des plus grands de Chine, a été touché, et la faune exterminée sur des dizaines de kilomètres. Il s’agit peut-être, en Chine, de la plus grave catastrophe écologique en milieu fluvial de tous les temps.


Temps fort : Les structures de défaisance – un pari (trop?) ambitieux ?

Depuis leur émergence en 1999, les quatre structures de défaisance (SDD) ont allégé les banques de 134MM$ de mauvaises dettes. Condition préalable à la poursuite de leur oeuvre d’assainissement, il leur faut à présent céder ces actifs.

Aussi Cinda une de ces SDD, démarche-t-elle auprès de l’étranger, commis voyageur de 38 projets prestigieux en faillite d’une « valeur » moyenne de 24M$ : port de Zhenjiang (Jiangsu), compagnies de gaz, de traitement des eaux, usines pétrochimiques…

Tout acheteur est bienvenu, chinois ou étranger. Toutes les méthodes (appel d’offre, vente directe) sont acceptables. Le but est d’aller vite, pour sauver ces outils à l’arrêt. Ainsi les Phosphates de Xuzhou (15M$ d’actif, autant de dettes) pourraient se négocier à la moitié en 2000, et 30% en 2001…

Pour l’étranger, ces offres « d’appel » pourraient constituer une chance unique : accès rapide et à bas prix à un marché, sans obligation de partenaire, outils souvent doté en équipements importés et personnel qualifié, ne manquant que d’investissements frais et de gestion rigoureuse pour repartir.

Mais face à ces perspectives, que de risques!

[1] Au plan légal, la SDD est doublement incapable de garantir à l’étranger les cessions d’actifs, vu l’absence de titre formel de propriété, et le vide juridique!

[2] La « valeur » des Entreprises d’Etat à céder est floue, même si les SDD s’entourent d’audits internationaux (Ernst & Young);

[3] Le risque politique est fort : face à ces emplois qu’on coupe, ces filières régionales « stratégiques » qu’on adjuge à l’étranger, quel sera l’attitude du leadership local? National? Leur soutien, crucial au succès du transfert, n’est pas acquis !

Car tel est l’enjeu réel des SDD : la privatisation de ce qui reste à sauver du parc industriel public ruiné, et l’abandon par le Parti Communiste Chinois (PCC) de son interférence permanente. Tel est aussi le problème de fond : pour l’appareil, la prébende était belle, la pilule est amère, et l’objectif des SDD ne semble pas prendre en compte l’encadrement politique et technique local – qui peut avoir tout à y perdre, et pas de voie de sortie!

 

 


Petit Peuple : Les talons aiguilles, plutôt que les crampons

• Un procès exemplaire voit son dénouement : celui de Hu Wanlin,  » médecin  » autodidacte de 51 ans sur l’image duquel la société se divise – diable pour les uns, bouddha pour les autres. Jusqu’à janvier 1999, les patients se pressaient par centaines aux portes de sa clinique de Shangqiu (Henan), au nom messianique de la « Santé Rendue« , espérant y trouver l’ultime recours là où le système médical déclarait forfait. Hu les traitait avec un remède unique, renforcé d’imposition des mains et de qigong.

D’emblée, une série de guérisons incroyables devait susciter son aura de faiseur de miracles. Mais les morts aussi s’accumulaient, causant la fermeture de sa 1ère clinique en février 1998 à Xi’an, puis son arrestation à Shangqiu en janvier 1999, suite au décès du maire entre ses mains.

Devant cette affaire complexe, le juge a émis un verdict de Salomon : 15 ans de prison – un de plus que celui par lequel il avait commencé sa vie d’adulte (il avait purgé 14 ans pour meurtre, dans le Xinjiang). 15 ans pour un bienfaiteur, c’était beaucoup. Mais pour un homme ayant 146 morts douteuses sur la conscience, c’était peu : en cas d’homicides multiples, la jurisprudence chinoise s’inspire plutôt de la loi du Talion.

• Les hauts responsables du ballon rond n’en dorment plus : parmi les 3000 équipes de 90 villes qui viennent de s’inscrire au Championnat junior 2000, division A (bientôt à Canton), il ne s’en est pas trouvé une seule à être composée exclusivement de filles. Qui donc va assurer la relève de l’équipe nationale féminine, qui avait défendu les couleurs chinoises en juillet 1999 en finale face aux Etats-Unis ?

 » Aujourd’hui, les filles ne font du sport que pour maigrir « , soupire un professeur de gym, déçu de voir « ses » lycéennes de 13-14 ans ne rivaliser que de régimes, pour gagner des concours de beauté. Cet incident traduit une mutation rapide des moeurs.

La jeunesse (féminine, ici) est toujours dans la course, mais la course a changé, de valeurs d’hier perçues comme ringardes (dépassement de soi, discipline collective), vers celles de l’individualisme matérialiste : hédonisme, glorification du corps-objet, dont la vertu se mesure à sa capacité d’attirer hommes, argent et plaisirs.

 


Rendez-vous : Ce lundi – Plenum du Comité Central

• 9-11 octobre, Pékin : Plénum du Comité Central

• 11-17 octobre, Shenzhen : Salon de la  Haute Technologie

• 13-16 octobre, Shenzhen : Foire Agro-alimentaire

• 15 octobre, Pékin : Marathon International

• 15-26 octobre, Canton : Foire Internationale

• 21-23 octobre, Pékin : Visite de Jacques Chirac, Président du Conseil Européen

• 21- 23 octobre, Pékin : Visite de Romano Prodi, Président de la Commission Européenne.