Le Vent de la Chine Numéro 28

du 3 au 9 septembre 2000

Editorial : Beidaihe – la barre au centre!

Un ensemble de circonstances propices s’est trouvé réuni à la plage de Beidaihe, pour faire de ce sommet de l’appareil (juillet/août), une session empreinte d’une rare ouverture.

Profitant de la reprise mondiale (des commandes des voisins asiatiques, d’Europe, desEtats-Unis), l’économie était radieuse (voir ci-dessous).

L’échéance de la succession de Jiang Zemin demeurait assez lointaine (XVI. Congrès de 2002) pour ne pas mobiliser les clans. Et en l’absence de moyens militaires suffisants, et de toute provocation d’en face, Taiwan n’est pas apparu un sujet majeur.

Enfin, le pouvoir solitaire incontesté de Jiang, lui a permis d’octroyer aux 60  » patrons  » des régions, de l’armée et du Parti, une bonne plage d’expression…

Il en a résulté un conclave d’une tonalité unique, moins idéologue, plus tourné vers des dossiers techniques, tels l’entrée prochaine à l’OMC, les outils de relance à déployer dès septembre, les prix du pétrole, ou le développement des provinces de l’Ouest.

On a entendu, à Beidaihe, l’explication du nouveau mot d’ordre de Jiang, des  san daibiao ( » Trois Représentants « ) : le phare du Parti Communiste Chinois n’est plus le corps des ouvriers et paysans, mais l’univers de la technique, de l’économie et de la culture. C’est à dire les compétences urbaines et diplômées, y compris celles du secteur privé.

Cette orientation vient droit des partis ex-communistes d’Europe de l’Est, aujourd’hui très étudiés en Chine. En l’adoptant, Jiang traditionnellement conservateur, donne un signal aux libéraux déçus par des années d’attente stérile : la réforme politique reste à l’ordre du jour. Il prive aussi le dernier carré stalinien de son argument immuable, de l’ Avant Garde du Prolétariat.

Suivant Zhu Rongji (dont le sort, encore avant l’été, semblait incertain), il change une fois de plus de cap – barre au centre! Ce qui ne veut pas dire « à droite » : à Beidaihe, Jiang a aussi préconisé le renforcement de la censure de la presse et de la toile chinoise, contre tout ferment  » occidental » et  » bourgeois-libéral« . OMC ou pas, la Grande Muraille idéologique demeure!


A la loupe : J0 de 2008 : les grands moyens pékinois

Battue en 1993 (à 2 voix près) pour les JO 2000, Pékin, candidat pour 2008, vient de se donner tous les moyens pour remporter la palme. A commencer par un vice maire, Liu Jingmin, et 70 hommes à plein temps sur le dossier.

Il ne s’agit pas seulement du village olympique à construire, avec stade de 80.000 places et hôtels de luxe : Pékin entière sera refaite.

25 sites seront restaurés, pour 40M$ sur 3 ans (record absolu de crédits «monuments historiques»), parmi lesquels l’ex-Palais d’Été (Yuanmingyuan), précieusement gardé en ruines depuis le Sac franco-anglais de 1860; deux églises catholiques et 1 km² de quartier " Ming ", proche du Temple du Ciel (lui-même réparé).

Le trafic sera fort amélioré, avec une transversale Est Ouest, Guang’an (coût : 500M$), et un 5ème périphérique. Un parc de bus neufs, 2 lignes de métro, des nouveaux parcs verront le jour. Dans ce concert d’investissements somptuaires, l’Opéra de Paul Andreu, bulle de verre et titane au coeur d’un lac, face à la Cité Interdite, sera la cerise sur le gâteau.

Mais la décision la plus forte est ailleurs : fauteur de 10Mt d’acier/an et de pollution infâme, les aciéries de Shougang  seront fermées (sauf leurs branches récentes, d’électronique ou robotique) ou déplacées vers le Shandong. Tant d’efforts sont déployés pour maintenir croissance et image, de la ville et du Parti.

C’est qu’en face, les villes concurrentes sont de la trempe d’Osaka, Toronto ou Paris, et qu’un Pékin embelli et promu «olympique», est l’atout maître du régime pour asseoir sa popularité!

 


Joint-venture : Des start-ups à l’encan

• En Chine comme ailleurs, l’ivresse du passé, à propos des "Start-ups", a fait place aux maux de tête : Wu Jichuan, Ministre du MII (Ministère des Industries de l’Information), estime que 70 à 80% des firmes de l’internet chinoises disparaîtront sous six mois. Dès septembre, une 30aine de firmes du web mal en point côté caisse, seront vendues aux enchères par l’entremise du MII, et même un  "grand", tel Chinadotcom remercie 48 membres de son personnel.

Pour les sites hongkongais, puissants et bien gérés, c’est une opportunité : Tom.com (du magnat Li Kashing), rachète Sharkwave (site du monde des sports) 19M$ et prend pour 30M$ le contrôle à 70% de Yangcheng Press.

• Le 17/08, PCCW (Pacific Century Cyber Works , le groupe de Richard Li "tzar" Kai, fils de Li Kashing) a finalisé sa prise de contrôle de Hong Kong Telecom, six bons mois après avoir remporté la bataille contre Singtel.

PCCW " empoche " un Hong Kong Telecom ayant perdu 30% de sa valeur (à 28,5 MM$), n’a pas de valorisation boursière à espérer à court terme, devra trouver au moins 1,3MM$ pour postuler pour une licence locale téléphonie de 3ème génération, et aura le plus grand mal à emprunter davantage, étant déjà endetté à 100%. Victoire à la Pyrrhus?

• En 1999, la China Insurance Regulatory Commission (CIRC) autorisait deux assureurs (Taikang et New China) à ouvrir leur capital à l’étranger. New China vient de vendre 24,9% de ses parts pour 120M$, triplant son capital à 193  M$. Cinq groupes ont été élus dont Zurich (10%), International Finance Corporation (IFC) et Meiji.

Bonne opération pour tout le monde : New China se recapitalise et modernise sans risque de prise de contrôle, et les étrangers sont présents dans le secteur, sans licence.

• Les télécom de 3e génération bourgeonnent, unissant opérateurs locaux et groupes étrangers à l’affût d’une place sur ce marché d’avenir. Le 23/08, le 1er réseau pilote GPRS/WAP (10 x plus rapide que le système GSM), livré par Alcatel, obtenait le feu vert de China Mobile.

A Fuzhou, Fujian Mobile (filiale de China Mobile Hong Kong) lançait (28/08) son propre réseau GPRS, de technologie Nokia (ces deux réseaux sont parmi les premiers au monde).

En ouvrant son accès à internet (16/08) dans 127 villes, Unicom gagnait ses galons de pilier du secteur télécom.

D’ici décembre, un géant verra le jour, reliant 2000 réseaux câblés et 90M d’abonnés, pour leur offrir programmes télévisés à la carte et accès internet.

NB : dans ce secteur où le monopole régnait encore hier, la concurrence ne s’établit pas sans peine : à Lanzhou (Gansu) une guerre de tranchées entre deux opérateurs GSM, a pendant 24h déconnecté 260.000 abonnés " mobiles " du réseau fixe. Au Hunan, des affrontements entre China Telecom et les opérateurs câblés locaux ont causé plus de 100 blessés, voire des morts.

 


A la loupe : Or noir : une erreur chèrement payée

Pékin paie maintenant une erreur d’hier : en 1998, à l’heure du pétrole à 10$/barril, pour protéger ses pétroliers, elle avait fermé les frontières. En 2000, sans réserves, elle devra importer, au prix fort (32$/b) 60Mt, contre 36Mt en 1999, et voir sa facture tripler (9,4MM$, janvier/juillet).

Conséquence immédiate : un stockage stratégique est inscrit au 10ème Plan, 4,8Mt d’ici 2005, et 15Mt en 2010, soit 15 jours de réserve (besoins estimés en 2010 : 300Mt/an), contre 90 jours aux pays de l’OCDE : c’est peu, mais c’est un début.

Le souci du régime face à sa dépendance étrangère, se lit aux inspections que Jiang vient de faire aux gisements de Daqing (Heilongjiang) et Zhu au Tarim (Xinjiang), la production domestique étant appelée à plafonner à 160Mt.

Conséquence :

[1] les prix montent, pour les taxis (à 3,2Y le litre), et les compagnies aériennes (35% en 9 mois, 560MY perdus).

[2] Par souci de stabilité, l’État freine la hausse au détail : les raffineurs pâtissent (Sinopec-Zhenghai, n°1 national, voit sa marge amputée de 47%, à 153MY). Pékin a aussi dû reporter sine die l’introduction de sa taxe du carburant votée en mars dernier : elle aurait porté le litre, à la pompe, à 5Y!

[3] Par contre, les pétroliers font fête : 4,9MM$ de profits depuis janvier, 2,6MM$ à Petrochina (le double de1999), qui reçoit aussi 2,4MM$ de prêts de la Banque de Chine (BdC), après 3,1MM$, en avril, de la Bourse de New York.

De quoi aborder avec sérénité sa restructuration (50.000 licenciements d’ici 2005) et ses coopérations avec des groupes tel BP (800 stations dans le Guangdong).

Enfin, Pékin choisira d’ici novembre le Partenaire de la China National Off-shore Oil Corporation au futur terminal Gaz Naturel Liquéfié (GNL) de Shenzhen, projet de 600M$, d’une capacité de 3Mt (d’ici 2005). Vu le nombre des consortiums candidats (26), on estime généralement que le choix se fera en fonction de critères politiques – selon le pays, plus que selon le groupe!

 


Argent : TV, Auto… La guerre des prix!

• Cet automne, parmi les outils déployés afin de maintenir un haut niveau de consommation, figure l’élagage de nombre de taxes abusives (automobile, immobilier), l’allongement des vacances (une semaine au 1er octobre, pour leguoqingjie, fête nationale). Autre outil : le prêt individuel, aménagé pour faire davantage d’émules. Au banc d’essai dans huit villes depuis 1999, le prêt d’études est étendu au pays (1er septembre) : 2.000Y-50.000Y, huit ans maximum, taux = 5,85%.

La 1ère carte de fidélité d’une grande surface vient (17/08) de voir le jour à Shanghai : sur acceptation du dossier, la China Construction Bank (CCB) offre au client une carte, approvisionnée de 3000Y, pour achats exclusifs au Grand Magasin n°7j, qui paie ce service à la CCB 12000$/mois.

• Avant l’été, huit producteurs de téléviseurs avaient voulu s’organiser (cf VdlC n°25/V). Fin juillet, l’effondrement de leur cartel a précipité la chute des prix (12 – 13/08) de 30 à 35%. La guerre s’est étendue à tout l’électroménager (DVD, climatiseurs) ainsi qu’à l’automobile, où elle fait rage.

Les perdants du 1er semestre (Volkswagen Shanghai, Xiali) ont ouvert le bal avec des coupes de 8.000 à 13.000Y, suivis par des groupes faisant de meilleures ventes, tel Citroën. L’opération s’est avérée payante pour la télévision (+100% de ventes en août), au prix de la chute des profits (– 41% pour Changhong et Konka au 1er semestre).

Dans l’auto par contre, l’acheteur ne suit pas (+4,8% de janvier à juin), attendant les baisses induites par l’OMC.

Imposée par les plus forts (capables de "tenir", par leur " trésor de guerre "), cette action anarchique vise la concentration, avant l’entrée à l’OMC, de groupes de poids nationaux, à partir d’un tissu productif atomisé à travers les provinces : c’est l’adieu au modèle de développement régional socialiste.

• Comment gagner la bataille contre la corruption, sans donner son indépendance au système judiciaire? Le Conseil d’État fait deux expériences :

[1] il installe (22/08) 15 Comités de Supervision dans 8 banques, 4 structures de défaisance, 3 assureurs et un groupe de courtage. Leur mission : "comprendre" (sic) la situation dans ces Entreprises d’Etat avant la fin de l’année.

NB : le rapport 1999 de l’Office National d’Audit (ONA) révélait la fuite de 1,2 MM$ dans les caisses noires de l’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) et de la China Construction Bank (CCB);

[2] L’ONA prépare l’audit systématique de tout haut fonctionnaire – même ministre – avant toute promotion ou mise en retraite.

Reste à savoir quel sera l’accueil réservé à ces inspecteurs d’arcanes de la finance et du Parti.

 


Pol : Japon et Chine s’expliquent

• «Une décision rationnelle», dit (02/9) Pékin après l’annonce par Bill Clinton (à la veille du Sommet des Chefs d’Etat à New York) du report du projet TMD (Theater Missile Defense) de parapluie spatial antimissiles sur l’Asie. Sous ces termes mesurés, Pékin exprime son soulagement – un cauchemar s’éloigne.

Clinton avait dit que ce système servirait contre des pays à risques, type Corée du Nord. Mais la Chine se sentait visée, notamment en cas d’attaque de Taiwan.

Enfin, la Chine reste soucieuse : Clinton part, et ses candidats successeurs sont d’accord pour poursuivre le programme TMD quel qu’en soit le prix – 60MM$, et la réaction de la Chine, de la Russie, et d’autres nations hostiles à cette expression « d’hégémonie militaire américaine » !

• Yohei Kono, Ministre des Affaires Etrangères japonais, était venu en Chine (28-31/08) pour soulever le problème des « au moins17  » incursions depuis janvier de bâtiments chinois, militaires et « scientifiques » dans la ZEE (Zone économique spéciale) des 200 milles marins du Japon. Son homologue, Tang Jiaxuan, a promis officiellement de mettre un terme à ces pratiques, et ils ont  convenu de se notifier mutuellement toute sortie de ce type « à proximité » de cette zone – que Pékin revendique par ailleurs : les négociations reprendront sur ce point, ce mois-ci.

Pour Tang – et Jiang Zemin le lendemain – il s’agissait d’apaiser la Diète nippone, qui venait de différer un prêt de 161M$ pour des infrastructures. Zhu Rongji par ailleurs, qui s’apprête à visiter le Japon (12-17 octobre), a confirmé que son pays était toujours dans la course pour le contrat de TGV Pékin – Shanghai de 15MM$ – façon subtile de signifier qu’au-delà des contentieux hérités de l’histoire, les deux voisins sont condamnés à l’interdépendance.


Temps fort : Conjoncture : beau fixe, et brume à l’horizon

La reprise ne s’est pas démentie cet été. Le 1er semestre a vu une hausse du PNB de 8,2% avec 478MM$. De janvier à juillet, les profits des usines ont fusé (+110%) à 24,4MM$, ceux des Entreprises d’Etat ont fait +190% (13,6MM$), leurs pertes chutant de 8,8% (6,3MM). En juillet, les échanges ont atteint 41MM$ (+31%), les exports 21,5MM.

Même optimisme dans le commerce de détail: +9,1% (19,2MM$). Revenu urbain et dépenses dans le Guangdong  ont connu la même hausse de +18,7% (respectivement 1100Yet 888Y /mois /pers.). A Jinan (Shandong), les achats de climatiseurs ont progressé de 53%. A Pékin, les ventes d’appartements ont triplé au 1er semestre, à 2,3M m².

L’État a reçu sa part de la manne: au 1er semestre, son revenu a remonté de 18%, à (75,2MM$), dégageant un surplus de 4,8MM$!

Raisons invoquées à la performance industrielle : une poussée de productivité (index à 111, soit +16,6%), due :

[1] aux bas taux d’intérêts (6 coupes successives);

[2] à l’épongeage des dettes des Entreprise d’Etat par les structures de défaisance (le taux passif/actif des firmes en bourse, est descendu de 73% en 1991 à 50% en 2000);

[3] à la reprise mondiale;

[4] aux subventions publiques à l’export

[5] aux hausses mondiales du pétrole et des métaux non ferreux.

Ce bilan ne doit pas pour autant occulter les problèmes. Avec un index de 88 au 2d trimestre, succédant à 77 au 1er trimestre, l’emploi a "cessé de s’éroder", mais n’a pas repris. Pour la 2de année, l’investissement étranger direct chute (-7,5% au 1er semestre) en 2000, remettant en cause les espoirs d’investissements massifs dans l’Ouest.

L’économie manque de crédit en général : 2,4MM$ aux industries pékinoises d’ici 2005, et les industries rurales ne recevaient plus, en 1999, que 5% des subsides nationaux, contre 10 en 1995. Ceci expliquant le souci visible de Zhu Rongji et de Zeng Peiyan, ministre de la State Development Planning Commission (SDPC), de continuer à stimuler la croissance, cet automne, par tous les moyens!

 


Petit Peuple : Un dragon dans l’eau

• Zhang Jian, dont la ligne enveloppée masque une condition très athlétique, a contracté une habitude exceptionnelle : tous les douze ans, à la , benmingnian, (l’année de son signe), il traverse à la nage un détroit chinois. En 1988, à 24 ans, il passait le détroit de Qiongzhou (Canton – Hainan), petite mise en train d’à peine 20km.

Pour ses 36 ans, le 8 août 2000, il frappa beaucoup plus fort, à l’assaut du détroit du Bohai (Liaoning-Shandong, 123km). Les difficultés furent immédiates : dès les premiers mètres, la houle le força à crawler, au prix d’une précieuse énergie : 3 heures pour le 1er km. 15 heures après, dans l’obscur, il connut sa 1ère phase d’épuisement physique et moral.

A l’aube, il dut franchir des bancs de méduses géantes et des eaux infestées de requins. Tard dans la 2e nuit, il dut découper, avec des ciseaux tendus par son escorte, sa combinaison hightech qui l’irritait. Enfin, en vue des côtes du Shandong (Penglai), il dut lutter 2 heures contre des courants, pour franchir le dernier kilomètres : il mit pied à terre, après 50 heures et 22 minutes!

Le prochain défi de ce diable d’homme est déjà fixé : en 2012 pour ses 48 ans, ce sera le détroit de Taiwan (140km) – si les Taiwanais et la Mer de Chine le laisse!


Rendez-vous : New York, ONU / Sommet des Chefs d’Etat

• 6 septembre, New York : Sommet des Chefs d’Etat (ONU)

• 4 septembre, Pékin : Salon de l’Equipement

• 5-8 septembre, Pékin : Salon de l’Emballage alimentaire

• 8-12 septembre, Xiamen : Foire Internationale