Le Vent de la Chine Numéro 25

du 16 au 22 juillet 2000

Editorial : Une réforme atypique : celle du cinéma

Peter Lohr, producteur américain de films en Chine, explique sa démarche comme une « tentative de reconquérir les chinois, en les amusant« . On le comprend : 78% des citadins ne fréquentent jamais les salles obscures, préférant regarder leurs VCD au foyer : moins cher et surtout (grâce au piratage) bien plus varié et ouvert!

A leur tour, les deux tutelles (Ministère de la culture et Régie de la Radio/Film/ TV) tentent de régénérer le 7ème art chinois par une réforme peu usuelle, tant le cinéma, art pour les masses, est vécu, depuis le célèbre discours de Mao à Yan’an (1942) comme vecteur de propagande, soumis au contrôle le plus strict.

D’ici quelques mois, la production sera ouverte aux financements privés et étrangers. Les grands centres étatiques comme China Film Group pourront devenir des sociétés par actions et être reprises jusqu’à un plafond de 49% des parts, le reste devant rester aux mains du secteur. Les salles sont ouvertes aux investissements étrangers ou privés, qui pourront aussi se placer dans des films individuels. Promotion sur le web, ventes privées seront encouragées. La distribution elle-même sera ouverte au secteur non étatique, mais non aux étrangers!

Il ne s’agit, stricto sensu, que d’un début de réforme : seuls les aspects structurels sont affectés, tandis que demeure intangible la censure a priori (soumission du script) et a posteriori (visionnage, coupes, pour l’obtention du visa d’exploitation). Du moins le vent de jouvence apportera-t-il la concurrence entre ces dinosaures alanguis. Ainsi que, peut être, des crédits, comme ceux annoncés par China Digital Art. com (Hong Kong), qui veut établir une Compagnie nationale (privée) de distribution.

Ce vent d’ouverture souffle, au moment où Zhang Yuan, l’enfant terrible du ciné chinois, se trouverait interdit de tournage pour 7 ans – son dernier film primé à Cannes, « Le Diable à la porte« , pêcherait par manque de patriotisme. Nullement contradictoires, ces deux démarches sont souvent pratiquées simultanément en Chine: avant d’ouvrir un secteur à une réforme, il faut assurer le terrain!

 


A la loupe : Un pugilat écologique : poules contre cricket

Nourrie par la canicule (40C° constants), une des calamités de l’été est l’invasion des sauterelles du Xinjiang à la mer, obscurcissant le ciel, incubant sur les friches (1,4M d’hectares), se déplaçant sur des milliers de kilomètres, détruisant sur son passage, 400.000 ha de blé, maïs et sorgho du Nord et de l’Ouest, et 3,4M d’ha de prairies.

Au Xinjiang, le "Bureau du contrôle des rats et des locustes" a recouru à une prévention méconnue, en détachant une armée de 700.000 poules et canards dressés à se jeter, au sifflet (réflexe pavlovien, associé à l’heure de la pâtée), sur tout cricket passant à la ronde. Le canard s’est révélé de loin le mercenaire le plus coriace, capable d’anéantir 400 insectes/j.

Le mont Tianshan (notre photo), premier champ de bataille (5000 insectes /m²) servit de champ-test du 1er carnage : 100 M de grillons seraient passés de vie à trépas. Pour 2001, les élevages ont déjà reçu commande, pour décupler les rangs des tueurs volatiles.

Sur toute la Chine, moyennant 4,2M$, les efforts de 10aines de milliers d’hommes, et 10 avions de pulvérisation d’insecticides ainsi que d’un parasite biologique (le metarhizium), la sauterelle serait cette année, sous contrôle.

NB : les experts chinois sont conscients que ce fléau a à sa base l’erreur humaine: l’assèchement du Fleuve Jaune, dû à la déforestation des haut et moyen cours, et la conversion des lacs et prairies en culture, ont transformé la Chine du Nord en zone aride. En 10 ans, la zone menacée a quintuplé (à 4,7Mha) et la fréquence des invasions, de quinquennale, s’est faite triennale.


Joint-venture : Ford, aux portes d’un empire chinois

• Elu fin juin chef de file pour la reprise de Daewoo Motor, Ford (n°2 automobile mondial) a pris une option pour la prise de contrôle du n°2 coréen.

D’un point de vue chinois, le propriétaire de Daewoo héritera de deux très grosses Joint venture dans le Shandong, (moteurs, boites, ponts), d’un investissement de 940M$. Pékin n’a pas attendu pour en tirer les conséquences en accordant à Ford, après 4 ans d’attente, une licence de production d’autos en Joint venture, à 50/50% (80M$) avec Chang An (Chongqing).

NB : Chang An produit déjà, depuis 1993 la Alto en Joint venture avec Suzuki. Ford monte déjà son minibus/pick-up Transit, avec Jiangling (Nanchang, Jiangxi). En s’installant au Sichuan, Ford renforce la capacité industrielle de l’intérieur du pays. D’autre part, s’il absorbe Daewoo, il fera un pas de géant en Chine, bloquant la progression du rival General Motors : deux objectifs qui conviennent parfaitement à Pékin.

• Hainan Airlines (HA), la plus moderne compagnie aérienne chinoise, propriété à 15% de G. Soros, va de l’avant : dans le cadre d’un "deal" avec une école canadienne de personnel naviguant, neuf hôtesses et deux stewards du pays à la feuille d’érable ont été placés sur les vols intérieurs.

Dès août, ils officieront sur les lignes Haikou – Hong Kong et Macao, avant d’être redéployés sur les lignes que HA compte ouvrir d’ici décembre, Tokyo, Séoul, et d’autres capitales d’Asie du Sud-Est. HA est ainsi la 1ère Compagnie chinoise à investir, au delà des équipements durs, dans la qualité du service.

 


A la loupe : Une reprise, mais pas d’emplois

Le premier semestre a apporté sa moisson de chiffres confirmant la reprise, en Chine comme en Asie. Shanghai, ainsi, a reçu (janvier – mai) 2,2MM$ d’investissements (+6,3%), surtout de pays tels Japon (+450%) ou Corée (+700%).

Au plan national, les Compagnies industrielles ont vu monter leur production (1er semestre) de 11,2%, à 132,5MM$, et leurs profits (janvier – mai) de 130%, à 15MM$. Ils devraient atteindre 36MM en 2000.

Imports et exports pour la 1ère fois, dépassent en un semestre la barre des 100MM$ (+36% et38%). La collecte d’impôts atteint 72MMUSD (+20%), celle des douanes, 12MMUSD (+29%). Le transport/fer (80.000 wagons/j) a monté de 4,2%. La production électrique de 9,5%, sa consommation de 10,5%. Le PNB, au 1er semestre, aurait haussé de 8,2%.

Résultats brillants, mais tempérés par cette évaluation "privée" de la Banque Mondiale : les groupes bénéficiaires ne créent pas d’emplois, seul moyen de nourrir la croissance en l’exportant dans les campagnes. De plus, ces mêmes firmes, surtout les Entreprises d’Etat, fraudent.

Emanant de  Beida, une étude révèle que constamment, la fuite des capitaux atteindrait le double des volumes communément admis : 36MMUSD en 1997, 38MM en 1998, 24 en 1999. La technique consistant à sous-déclarer ses exports, et à gonfler ses imports. Selon l’Office National de l’Audit, en 1999, Industrial and Commercial Bank of China (ICB) et la China Construction Bank (CCB) ont ensemble soustrait 1,2MMUSD au fisc – à peu près le montant de leurs caisses noires, tout en gardant 95MUSD de fonds propres sur comptes "privés". Enfin, une bonne part des investissements "étrangers" en Chine – surtout de Hong Kong, des Etats-Unis, du Japon, des îles Vierges et de Singapour – seraient en réalité des  fonds publics clandestinement exportés, réinjectés en Chine, empochant au passage (2de fraude!) les primes pour investissements étrangers.

Autant de faiblesses révélatrices d’un besoin de reprise en main, pour assurer le maintien de cette croissance à long terme!

 


Argent : Pékin privatise ses petites et moyennes entreprises d’Etat

• Indice de sa détermination à poursuivre la réforme libérale de son tissu économique, la mairie de Pékin se donne trois ans pour donner l’indépendance complète à ses 14000 PME d’Etat, responsables en 1999 des deux tiers du PIB de la ville (5MM$).

Les firmes seront cédées en propriété multiple, privée ou collective ou bien (pour celles chroniquement endettées), fermées.

Cette "libération" s’accompagne de deux instruments de soutien aux PME : une "holding" d’information, marketing, assistance technique (brevets) et formation, et (bientôt) une "assurance crédit" renforcée.

• Un mois après sa constitution, le cartel de 9 producteurs de téléviseurs jette l’éponge.

Formellement interdite par la loi et l’Etat, son entente sur les prix n’a été respectée ni par le commerce, ni par ses membres – tant la soif du secteur est grande d’éliminer ses invendus. Changhong (Chengdu, Sichuan), leader du marché, a été une cause majeure à cet échec, en se tenant à l’écart du cartel, et en jouant les francs-tireurs.

NB : à Bruxelles par ailleurs, ce lobby lutte pour réduire le droit européen antidumping sur les produits de ses membres, imposé au terme d’une action intentée par Philips. Or le groupe néerlandais pourrait prendre 40% de participation chez Changhong. Un des termes du contrat, étant l’écoulement par le réseau Philips de ses 4M de TV invendues.

On voit donc les deux stratégies (antinomiques) de croissance, coexistant au sein du secteur : Changhong est seul avec un étranger contre tous, et les autres sont ensemble.

• Il a fallu deux ans à l’administration pour imposer à l’Armée Populaire de Libération la cession de son réseau commercial téléphonique à Unicom.

Depuis juillet 1998, l’APL menait une guerre de tranchées pour conserver Great Wall Telecom, sa Joint venture de téléphonie. Code Division Multiple Access (CDMA) entre Pékin, Shanghai, Xi’an et Guangzhou. La Grande Muette avait créé une Joint venture au montage financier inextricable, Century Mobile

En vain : le Ministre des Industries de l’Information a issu ses ordres : le transfert est en cours, accélérant la montée d’Unicom, n°2 national.

 

 


Pol : La Banque Mondiale lâche le Qinghai

• Depuis leur création en juin 1999, les quatre structures de défaisance chinoises ont suscité les réserves d’experts internationaux, comme Nicholas Lardy (Brookings Institute). Selon lui, 10% au plus des 132,5MM$ de dettes d’Entreprises d’Etat "rachetées" aux banques pourront être recouvrées, grevant lourdement la dette nationale, qui pourrait atteindre 60 à 110% du PNB en 2008. "Faux", répond la CASS (Académie chinoise de sciences Sociales), pour qui les mauvaises dettes seraient récupérables de 30 à 40%, le "trou" pouvant être compensé par la vente partielle du portefeuille public en bourse.

NB : au-delà de la rhétorique, la State Economic and Trade Commission tente d’augmenter la crédibilité de ses SDD en réglementant plus sévèrement les transactions de reprises des dettes : aux Entreprises d’Etat désendettées, sont interdits (y compris à titre rétroactif) les dividendes fixes ou le rachat avec profit des unités reprises, ainsi que le saucissonnage des groupes entre unités rentables (à garder) et ruinées (à fourguer aux Structures défaisance).

• Avant la trêve estivale, soucieuse de faire planer l’image d’ordre et de lutte anti-corruption, la justice boucle ses dossiers :

1. A Ningbo (Zhejiang), l’ex-Secrétaire du Parti est l’accusé principal (11/7) dans la plus grosse carambouille jamais vue dans la province – 145M$ détournés de la NITIC (Ningbo International Trust and Investment Corporation). Il risque 10 ans de prison.

2. A Canton, est dévoilée (11/07) l’inculpation (jusqu’alors secrète) des trois principaux dirigeants de la GITIC (Guangdong International Trust and Investment Corporation), en faillite fracassante depuis l’automne 1998.

3. L’Office National d’A révèle (7/07) la fraude du Ministère de l’Eau, 362M$ destinés au réseau fluvial, détournés dans un projet immobilier – saisi.

4. A Xiamen, Fujian (site de la plus grosse fraude nationale, sur 10MM$, procès non tenu après 18 mois), c’est un pourvoyeur taiwanais de prostituées aux maisons closes insulaires, qui se fait arrêter (9/07). Il serait l’un des 900 shitou  ("têtes de serpent", passeurs) que la police du Fujian aurait appréhendé depuis janvier.

• Après deux jours de houleux débats, la Banque Mondiale (BM) a retiré son financement de 40M$ au projet le plus polémique de son histoire, destiné à la Chine.

Pour un investissement global de 160M$, il s’agissait de déplacer 60.000 agriculteurs "Han" du Gansu, vers le Qinghai, terre d’éleveurs tibétains. L’enquête complémentaire menée depuis 12 mois (moyennant 3M$ !) a conclu que la BM avait ignoré sept de ses règles statutaires, notamment en inscrivant le prêt dans la catégorie (discrétionnaire) des "micro-projet". La Chine a annoncé qu’elle mènerait le projet à terme sur ses fonds propres.

NB : Cette affaire marque un tournant dans les rapports entre BM et autorités chinoises.

 


Temps fort : Désarmement : dialogue difficile, mais dialogue

A Pékin, M. Albright, J. Holum puis William Cohen (6-11 juillet) ont repris avec la Chine un dialogue de désarmement, en panne depuis 15 mois.

Débat au ton vif et aux thèses irréconciliables en apparence. Pékin croit le temps venu pour les GI’s de quitter la Corée, et veut que les Etats-Unis lâchent leur programme de recherche National Missile Defense (NM, ou sa version asiatique TMD) de missiles spatiaux anti-missiles. Les Etats-Unis veulent voir Pékin abandonner sa course à l’armement face à Taiwan (50 missiles/an) et ses livraisons de missiles au Pakistan, voire à l’Iran.

En réalité – c’est la surprise-, les deux bords, dans le respect des différences, se sont montrés accommodants.

Cohen a réitéré que son pays était "opposé à (…) l’indépendance de Taiwan", et ne lui enverrait pas "les mauvais signaux". Son vis-à-vis, le Ministre de la défense Chi Haotian a déclaré que la Chine ne "comptait pas attaquer Taiwan", et accepté de participer à un Sommet de Défense de la Zone Pacifique à Hawaï.

Les deux hommes ont encore signé un accord d’échange d’infos "militaires de protection de l’environnement" : c’est plus qu’on ne pouvait espérer, d’autant qu’on apprenait en même temps l’abandon par Israël, sur pression yankee, d’un contrat de fourniture à la Chine de son Phalcon, radar monté sur un Iliouchine 76. Pour Pékin comme pour Tel Aviv, c’est un coup dur – mais le Congrès menaçait de supprimer 2,9MM$ d’aide à Israël. Pire, la relation "organique", très étroite entre les deux pays était en jeu.

Enfin, Paris a décidé de fournir à Taiwan un satellite civil ROCSAT2 (Matra, 70M$). La Chine, déçue, parle de sanctions.

Mais, Jacques Chirac, se rendant à Pékin en octobre, devrait pouvoir dissiper les tensions entre les deux pays : le moment d’octroi de cette licence d’export, semble bien choisi.

 


Petit Peuple : Les humeurs ‘massacrantes’ de l’été

• En Chine comme ailleurs, la canicule porte sur les nerfs :

1. à Jiluogou (Sichuan), le 30/06, une explosion à la mairie causa 6 morts (dont le maire) et 7 blessés. C’était une bombe. Après 4 jours, le coupable s’avéra être l’administrateur de toutes les fermes de sériciculture du canton, dont le maire venait d’exiger un rapport sur ses véreux agissements. Crime de couverture, ou de vengeance anticipée.

2. A Zhoukou (Henan), un restaurateur des rues attirait les foules par la succulence de ses petit déjeuners : 100 personnes furent empoisonnées (16 morts). Au labo médico-légal, ses plats accusèrent une teneur funeste en mort aux rats. Le coupable court toujours.

3. A Pékin, le gagnant du gros lot d’ une loterie porta plainte, découvrant un peu trop tard que "sa" Buick, doit être partagée avec d’autres gagnants – qui, le volant, qui, la roue de secours…. La Cour a eu tôt fait de le débouter, protégeant l’organisme officiel : "la loterie est une oeuvre de bienfaisance", et les citoyens "devraient s’abstenir d’y chercher un moyen de s’enrichir".

• L’examen d’entrée aux universités (cf VDLC n°24), ne laisse que peu de place à la fraude, qui est rare – le système est équitable.

Le complot suivant, qui vient d’être éventé à Dianbai (Canton) n’en est que plus remarquable, par l’écart entre son ingéniosité technique, et son ingénuité psychologique.

Sitôt distribués les sujets, l’examinateur, professeur de mathématiques, résolut rapidement les équations, sortit et communiqua la grille des réponses par GSM à un sien cousin, qui la retransmit sur les bipeurs des élèves qui avaient payé (360$).

C’était compter sans la  hongyanbing ("maladie des yeux rouges", jalousie) des concurrents, qui dénoncèrent le tout, à peine leur copie rendue : 12 épinglés, dont plusieurs à l’ombre!

 


Rendez-vous : Putine à Pékin, en Corée du Nord!

•19 juillet, Shanghai : Salon Equipement Sportif

•20 – 23 juillet, Pékin : Salon Restauration/Hôtellerie

•18 – 20 juillet, Pékin (puis Pyongyang) : Vladimir Putine