Le Vent de la Chine Numéro 18

du 28 mai au 3 juin 2000

Editorial : Deux dates, phares de l’histoire chinoise…

Onze ans déjà, depuis l’année de feu qui fit vaciller le régime, finit par le massacre de la nuit du 3/4 juin 1989, et reste présente dans les mémoires, en l’absence de tout débat public.

Autre date historique phare : le 24 mai, adoption haut la main (40 voix de majorité) par la Chambre des représentants du deal sino-américain pour l’OMC. Événement d’une portée immense, révélateur du chemin accompli par les Etats-Unis dans la compréhension du partenaire chinois. L’Amérique, à la sensibilité Droits de l’Homme exacerbée par sa propre Histoire, est le pays le plus engagé au monde dans leur défense.

Pour que les Etats-Unis, symboliquement, tournent la page de Tian An Men (ce que la Chine elle-même n’a pas pu faire), il fallait un argument plus fort encore. Il a été trouvé, c’est  le passage de la Chine à l’état de partenaire commercial et industriel majeur. Si Washington, par Congrès interposé, avait dénié à la Chine le statut de « relations commerciales normales« , auquel l’OMC lui donne droit, son influence aurait régressé dramatiquement en Chine, en termes industriels et d’investissements.

Pékin, pour sa part, a fait preuve de doigté en se gardant de toute arrestation de dissidents, en faisant la part belle aux produits et groupes américains cette semaine (cf notre rubrique « JV »), et en s’abstenant de critiquer vertement Taiwan, même après le discours d’intronisation de Chen Shuibian, le nouveau Président indépendantiste.

Tout de même, quand AMei, « idole » taiwanaise, très en vogue en Chine, a interprété lors de la cérémonie, l’hymne national, elle été rayée du box office par un censeur zélé : trop, c’est trop!

D’autre part, le vote de la Chambre assure la création, en compensation, d’une Commission de surveillance de la Démocratie en Chine. Enfin, la simultanéité de l’entrée en fonction du nouveau Président taiwanais et du vote du Congrès, doit être comprise comme une « heureuse coïncidence« . En effet, Pékin reconnaît pour l’instant Chen comme un interlocuteur plausible. Ce qui n’aurait pas été le cas autrement!


A la loupe : Corruption – la guerre ingagnable

L’intensification, ces dernières semaines, de la lutte contre la corruption, ne semble pas traduire une victoire sur le crime en col blanc, mais une recrudescence de ce dernier.

Ainsi, dans le Jiangsu, depuis janvier, six patrons ou hauts cadres ont été démis, et 780 affaires dénombrées : 46% de plus qu’en 1999!

– à Pingdingshan (Henan), un Secrétaire politique est condamné à mort pour avoir commandité l’exécution d’un vice-maire de banlieue qui menait la fronde aux taxes illégales

– au Sichuan, 21 cadres ont été punis à propos des 138 dernières affaires sorties en avril, concernant le Barrage des 3 Gorges : chassés du Parti Communiste Chinois, de leurs jobs, ou inculpés.

– à Hangzhou (Zhejiang), sont épinglés le chef des douanes et le commissaire, pour avoir pris des  hongbao (pot de vin) dans des affaires de contrebande.

– à Xiamen (Fujian), les 600 enquêteurs de la  jilüjiancha (Commission de Vérification de la Discipline) viennent de plier bagage, après 10 mois d’enquête sur une fraude de 8MM USD. Ni procès, ni conclusions – mais les trois quart de la mairie sont démis, ou en prison.

– la jilüjiancha et le Ministre de la supervision viennent de lancer, sur ordre du Président, l’arme suprême dans la lutte anti-corruption : une campagne pour éradiquer ce fléau, par le renforcement idéologique. Avec l’argument suivant : "apprendre de l’effondrement du Kuo Min Tang à Taiwan" – un parti corrompu ne garde pas longtemps le pouvoir!


Joint-venture : Volvo, le camion assigné à résidence

• Les jours précédant le vote américain du deal OMC avec la Chine, ont vu Pékin combler de ses faveurs les firmes du Nouveau Monde. Parmi celles-ci (liste non exhaustive) :

– le 28/4, feu vert de la Banque de Chine au crédit achat pour la Ford Transit (Joint Venture à Changchun, Jilin), qui disposait déjà des crédits China Construction Bank et Industrial and Commercial Bank of China

– le 23/5: fin à onze ans de blocus des imports de tabac américain, jusqu’alors accusé de porter un parasite.

– semaine passée, signature d’un double accord immobilier : les Etats-Unis construiront 1000 HLM à Shanghai, 1000 à Pékin, et partageront leur expertise en matière de crédit hypothécaire, de design ou de matériaux de construction.

Le tout ayant pour but de renforcer la rentabilité des prêts immobiliers.

• Le « cas » Volvo illustre l’ambiguïté du système imposant en Chine aux constructeurs étrangers,un partenaire local majoritaire.

Approuvée en décembre 1999 après des années de tergiversations, la Joint Venture de 200MUSD pour une capacité de 12000 camions/an, s’installait à Jinan (Shandong).Sans pouvoir ouvrir : China National Heavy Truck doit d’abord rembourser 6MMY de dettes. Un (nouveau) plan d’assainissement doit être soumis à Zhu Rongji en juin. A Jinan, aux côtés de leur chaîne immobile, les suédois attendent.

 


A la loupe : Eté : le temps des quatre calamités

L’hiver et le printemps ont été secs en Chine du nord. Pluies et neiges se sont faites rares, remplacées par les tempêtes de sable du Gobi, qui ont frappé les semailles de blé, maïs et sorgho en pleine phase critique de germination.

Le résultat, en mai, est la plus forte sécheresse en cinquante ans, de la rive nord du Yangtzé à la Sibérie. Au 15 mai, plus de 12 M ha offrent le spectacle de champs jaunissants, dont 15% déjà morts. 15 M de gens ont leur eau rationnée. Encore ces chiffres ont-ils monté de 1% /jour depuis 15 jours. Le Ministre de l’Agriculture gère la pénurie et donne priorité à l’eau potable, et à l’irrigation des champs à semences.

Arrivent aussi, du Kazakhstan, les sauterelles, par centaines de millions qui ont déjà détruit 1,2M ha entre Xinjiang et bassin du Fleuve Jaune et volent vers le Hebei, semant la désolation à travers 4000 km d’ouest en est. D’ici juin, elles auront mangé 2,7 M ha de récoltes.

La Chine redoute aussi l’incendie de forêt et de prairie, favorisé par la baisse de prévention dans l’ex-URSS ruinée. En quatre mois, 185 foyers ont dévoré 141.000 ha – ce n’est qu’un début, avant les chaleurs estivales.

Enfin, paradoxalement, les autorités n’excluent pas, d’ici deux mois, la montée de crues sur le Yangtzé, et des situations critiques pour des villes comme Wuhan (Hubei), dont 80% des 48 digues, mal bâties, sont minées par une fourmi "blanche" spécialement virulente.

Toutes ces calamités ont un seul résultat, le désert, qui avance en Chine de 2600 km²/an et se rapproche de Pékin à 2 km/an. Elles n’ont aussi qu’une cause, humaine : jusqu’à hier, Pékin a laissé le bûcheron abattre toutes les forêts, le migrant défricher (en champ ou pâturage) toutes les prairies. A présent, c’est l’heure des comptes – et on ne raie pas d’un trait de plume, un demi siècle de mauvaises habitudes!


Argent : Une affaire qui marche :: l’école privée

• Le même jour (17/5), Unicom et China Mobile (groupe CT) lancent le service " WAP " (Wireless Application Protocol), donnant accès à Internet via un téléphone portable. Par ce nouveau vecteur, opérateurs de télécom et start-ups espèrent attirer la –nombreuse – tranche sociale inapte à l’ordinateur. "On ne sera pas prêts avant cinq ans" dit Song Jude, professeur à l’Université des PTT : le réseau est trop faible, sites et logiciels sont inadaptés à l’écran du téléphone, dont les coûts sont encore prohibitifs.

• L’enseignement privé se porte très bien en Chine, profitant de l’indigence des moyens publics. De la maternelle à l’université, en 1999, la Chine comptait 45.000 "boîtes" privées (5% du tout), qui enrôlaient 5,7M de jeunes (2,4% du tout). En primaire et secondaire, surtout en régions pauvres de l’intérieur, elles ont pour mandat de préparer les enfants de la bourgeoisie naissante, dans de meilleures conditions matérielles et morales (cf. article "Petit Peuple") au concours d’entrée aux universités (qui en Chine fait fonction de Bac). Avec des diplômes non reconnus, les 1240 universités privées, surtout à la Côte, se partagent le marché de ceux – pouvant payer – ayant échoué au concours. Ils sont 1,2M dans ce cas, environ 20% de ceux rejetés par le système officiel, et 10% de l’enrôlement public.

 


Pol : Réforme à Pékin – des élections atomisées

•Comme dans le dossier « anti-corruption », les dernières saisies de drogue dans le Yunnan, région phare du fléau, frontalière de la Birmanie, suggèrent plus une explosion des stupéfiants en dehors de tout contrôle, qu’une victoire des autorités, police et santé publiques.

De janvier à avril, les prises d’opium et d’héroïne (total = 1000kg) et de ice (80kg) ont progressé respectivement de 127% et 80%/an. NB : à travers le monde, les saisies de stupéfiants sont estimées à 10% du trafic réel. Quant aux consommateurs recensés, ils ont augmenté de 15%, à 680.000. Mais une autre extrapolation tirée du nombre de séropositifs, aboutit à une population de 20M. d’éblouis.

• Après avoir achevé l’introduction des élections au village, la Chine est en demande de plus en plus marquée de cette réforme démocratique, au niveau supérieur, cantonal. La 1ère du genre à Buyun (Sichuan) en décembre 1998 s’était faite sans l’accord de Pékin, qui l’avait avalisée du bout des lèvres, en prenant soin que "cela ne se reproduise pas". Ne voulant ni bloquer ni céder, Pékin explore une voie médiane : en juin, dans les 18 arrondissements de la capitale, les 5000 "Comités de Quartier" (aujourd’hui formés de petites vieilles aux immuables brassards écarlates) seront directement élus pour trois ans, et "autogérés, auto-formés et auto-intéressés".

Le problème tiendra évidemment, par rapport à la demande de démocratie de la base, à la faiblesse du mandat (voirie, rapports sociaux), et du territoire couvert (quelques rues).

• La nuit du 19/5, le viol et le meurtre d’une étudiante sur la route de son campus, vers Changping, a provoqué le 1er mouvement social universitaire depuis juin 1989.

3 à 5000 étudiants de Beida ont tenu des veillées funèbres, exigeant une cérémonie funéraire et des excuses publiques (pour la sécurité précaire autour du campus, et la tentative maladroite de camoufler le crime).

Bien des aspects de ces jours de protestation font référence directe aux débuts du Printemps de Pékin, de onze ans plus tôt : un décès, une canicule de fin de printemps sur un campus énervé par la proximité d’examens, des  dazibao (pamphlets manuscrits muraux), des veillées aux chandelles… Pour couper court, et malgré la proximité de l’anniversaire fatidique, les autorités ont cédé : les étudiants ont eu leur mémorial. Samedi, la situation semblait calme et sous contrôle – affaire à suivre.

• A deux ans du 16e Congrès du Parti Communiste Chinois qui verra la fin du mandat de Jiang Zemin, comme Secrétaire Général, une démarche prétend inscrire la "Théorie de Jiang" dans la Charte du Parti, aux côtés de celle de Deng. «Théorie», et «Œuvres Choisies» seraient publiées en 2001.

Jiang revendique d’avoir "enrichi et développé" la Théorie de Deng et la Pensée de Mao. Sa propre théorie, dite des  san jiang ("Trois Préceptes") parle d’éducation, de discipline (autour de Jiang) et de prolétariat.

Cette démarche d’inscription dans la charte projette un éclairage sidéral sur ces dernières années de pouvoir : celles d’un leader isolé, protégé par sa "camarilla", que les bruits et voix extérieurs ont désormais plus de difficultés à atteindre.


Temps fort : Avant l’ouverture monétaire, quelles étapes ?

A présent presque membre du club des nations marchandes, la Chine, via sa Commission de Régulation des Affaires Boursières, a dévoilé ces derniers jours, cinq mesures intermédiaires avant la convertibilité complète de sa monnaie et l’ouverture de son marché des capitaux :

1. renforcer les maisons de courtage. Elles sont 26 ayant reçu la licence de souscription en bourse, selon des critères stricts de solvabilité, professionnalisme et légalité. Imminente, la dernière en date sera n°1 nationale, avec 5MMY de capital et 170 agences : Galaxy va fusionner les ex-bras boursiers des quatre banques publiques et de celui de la PICC (Assurances Populaires de Chine), dont les branches commerciales ont donné les structures de défaisance (Cinda, Orient, Huarong et Great Wall).

2. créer de nouveaux fonds d’investissements "ouverts" – sans plafond, avec l’aide de l’étranger comme conseiller et gestionnaire. Le jour de l’entrée à l’OMC, le partenaire pourra reprendre jusqu’à 30% du fonds, devenu Joint Venture, puis 49% trois ans après. L’implication est immense, car dans le fonds "ouvert", le client peut retirer ses avoirs à tout moment en fonction des résultats.

Pour les 10 Compagnies d’investissement et les 25 fonds (de 2MMY chaque), c’est le vrai début de la concurrence. Une telle démarche, espérée depuis des années par les assurances, nécessitera un fort "input" d’expertise et de logistique étrangère, tout en stimulant la bourse et ses investisseurs institutionnels, aujourd’hui faibles en Bourse de Shanghai (0,38% en nombre, 11% en valeur placée).

3. ouvrir graduellement la bourse aux cotations en parts "A" (en Yuan) de Joint Ventures et investissements 100% étrangers en Chine – laissant l’épargnant chinois investir dans les "étrangères de Chine".

4. ouvrir la bourse aux placements étrangers en parts "A", dans le cadre d’un plafond strict des imports et exports (à Taiwan, c’est le QFII).

5. ouvrir un marché "hors comptoir" des obligations et bons d’Etat, permettant de faire flotter leur valeur – et de renforcer la demande!


Petit Peuple : Omertà à Xi’an

• S’il est un domaine où la Chine superstitieuse résiste à l’avènement des lumières, c’est bien celui des naissances de ses enfants – que l’on préfère à heure "propice". En 1999, de nombreux couples se sont adonnés à ce jeu insolite, tentant de faire "l’enfant du millénaire", à minuit tapant, au 1er janvier 2000. A cette loterie, parmi les perdants, figure Jin Yihua, de Jiamusi (Heilongjiang). La Grande nuit venue, violant sa promesse d’une césarienne, l’obstétricien signifia à sa cliente qu’elle devrait en passer par la voie naturelle. Ce qu’il ne lui dit pas, fut la présence d’une meute de journalistes aux portes de la salle d’accouchement, et le fait que le "record" ne comptait plus en cas de recours au bistouri. Il en résulta un enfant malformé. Instruite de l’affaire, la Commission des Erreurs Médicales a sans hésiter débouté la plainte. A présent, le couple militerait pour obtenir le changement du nom de l’établissement : "Hôpital pour la Protection de la Mère et de l’Enfant" (ça ne s’invente pas!).

• Tous les matins, cet élève de 5ème prenait son cartable, embrassait sa mère et sortait. Toutefois, au lieu de se rendre à son collège n° 86 de Xi’an (Shaanxi), il faisait la buissonnière, attendant le soir pour rentrer chez lui. Suite à quoi, il s’imposait le martyre de feindre faire ses devoirs. Ce n’est qu’au bout d’un an que ses parents découvrirent son manège. La raison était la bande de racketteurs en culottes courtes (de 9 à 14 ans) qui l’avaient battu et taxé dix fois, pour 500Y au total. Quand sa maman décida d’alerter la presse, elle fit une nouvelle découverte navrante : tout le monde avait tout su, au premier jour, et personne n’avait rien dit. 31 mères d’autres victimes signèrent sa pétition. Les commissariats avaient "d’autres chats à fouetter". Des professeurs aigres rejetèrent la faute sur les parents "qui donnent trop d’argent de poche". Ceux-là rétorquèrent qu’ils payaient en toute connaissance de cause, en l’absence de protection publique, pour éviter à leurs petits la "baston"… La faute, conclut la presse, est à toute la ville, et révèle une intense misère de communication. Avec une mention spéciale pour le collège n°86 qui n’a pas réussi à détecter l’absence d’un de ses élèves, pendant toute une année.

 


Rendez-vous : Un salon international VERT

•29-2 juin Chengdu : Foire Internationale

•31-3 juin Pékin: Salon Ecologie/Produits "Verts"

•31-3 juin Pékin : Foire de l’immobilier

•1-2 juin Pékin : Commité France Chine, avec Valéry Giscard d’Estaing

•2-5 juin Shanghai : Salon Informatique