Le Vent de la Chine Numéro 14
Le World Economic Forum était de retour à Pékin (16-18/4), avec son univers éphémère de sociétés "angels", "start-ups", de célébrités (haut fonctionnaire affable, économiste imberbe, star de la pop music), de traducteurs stressés et solliciteurs empressés, tous serrés dans les couloirs du China World Hotel, cartes de visite en main.
Le cru ‘2000 pourtant, s’est révélé différent: un ministre a honoré le Colloque de sa présence -les autres se sont réservés pour Shanghai et les Forums américains, depuis peu sur le marché: le Président Jiang était au Sommet «Fortune» de Forbes, (sept. 1999), la moitié du Conseil d’Etat sera à l’ «Asia Society» de Dow Jones à Pudong (10-12 mai). Évolution qui suggère deux forces en branle : celle de sponsors US (Exxon, Ford…) résolus à s’imposer sur ce terrain (et à y mettre le prix) face au rival européen, et le jaillissement de Shanghai comme la capitale des affaires, face à Pékin l’administrative.
Est-ce à dire que serré de près par la concurrence, ce WEF’2000 a été moins riche en échanges que ceux d’avant? C’est tout le contraire qui s’est passé: abandonné par les «poids lourds», le terrain a été occupé par les chefs de cabinet et par la base industrielle chinoise, tel ce chef de «Start», dot-com du Sichuan, ou ce directeur d’une usine de freins moteurs électriques de Pingyao (Shanxi). Moins exposée au feu des caméras, et avec pour orateurs ses véritables acteurs du terrain, l’économie chinoise a pu se livrer à des échanges pragmatiques, permettant une riche moisson d’informations.
Ainsi, l’on apprend que ces firmes « B2B » de commerce internet qui s’ouvrent en Chine au rythme de deux par jour, sont presque toutes importées, conçues et financées des USA par des gens venus des mêmes écoles (Harvard, MIT),qui n’ont souvent qu’une lointaine idée du fonctionnement du terrain chinois. Avec des produits sans marché chinois démontré, ils forment une «bulle» dont l’éclatement est déjà visible au Nasdaq (NY). Idem, on découvre la stratégie commerciale d’Unilever, multinationale présente depuis plus de 100 ans en Chine, qui choisit d’occulter son nom en ce pays, au profit de ceux de ses produits «plus chinois que chinois», et de former à étapes forcées son futur encadrement local: tout cela pour se faire accepter d’un grand public qui, en temps de crise, veut à 82% «acheter chinois».
On apprend encore du min. Xiang Huaicheng, que si l’État ne perçoit en impôts et taxes, en 1999, que 13% du PNB, son budget est complété, en cours d’année, par une tranche de 308 MM USD, suivi d’une 3ième (100MMUSD) alimentée par 19 «fonds à thème" -comme celui des taxes d’aéroport. En fait donc, avec toutes ces caisses grises ou noires, le gouvernement tourne avec 20% du PNB – loin des 35 à 50% pratiqués à l’Ouest… Mais la Chine progresse : au 1er trim.’2000, ses recettes, à 34,7MMUSD, augmentaient de 24%.
Par ailleurs, la presse annonce une forte mesure, afin de soutenir les besoins en hausse exponentielle de la Sécurité Sociale, malgré les défauts de paiement des charges patronales publiques. L’Etat qui possède 68% des parts de toute Entreprise d’Etat en Bourse chinoise, en céderait 17% (de manière à conserver 51%), pour en obtenir 200MMUSD d’argent frais et faire face aux "1ers besoins". Une seconde tranche serait "inévitable", ramenant la part de l’État de 51 à 30% (minorité de blocage). Niveau suffisant pour éviter, en théorie, le passage au privé des secteurs «piliers stratégiques» – mais par le jeu des reconcentrations privées et du marché secondaire, le passage sous pavillon privé de grands groupes d’État, n’est plus une utopie
En mars, Shanghai supprimait la ségrégation foncière pour étrangers (cf VdlC n°7/V).
La voilà qui à présent « civilise » le permis de résidence, désormais de deux ans au lieu d’un, voire permanent (à titre honorifique, et pour les couples mixtes). La longtou (« tête du Dragon ») confirme ainsi sa vocation d’avant-garde à l’ouverture au monde.
Aventis, groupe européen des sciences de la vie (ex Hoechst et Rhône-Poulenc) crée à Hangzhou (Zhejiang), une Joint-Venture (75/25) de 48MUSD pour produire et distribuer l’insecticide sélectif Regent, très efficace contre les pestes du riz, n°1 à l’importation en 1999 (400000 ha traités). Une des raisons de sa popularité en Chine: son utilisation en doses minimes, et son aspect non polluant – sa compatibilité avec les fermes d’aquaculture, qui vivent en symbiose avec les rizières.
Quittant le Caire (18/4), Jiang Zemin a été reçu en Turquie (18/21), pays à forte croissance en énergie, où la Chine bâtit deux barrages hy-droélectriques chinois, (coût = 460M USD), et espère monter deux centrales thermiques sur la Mer Noire.
Au plan politique, Suleyman Demirel, le Président turc et son hôte ont convenu de contenir leurs extrémistes respectifs- surtout les ouighours en Turquie. L’accord est le plus vague possible, côté turc: l’opinion d’extrême droite est acquise à la cause ouighoure!
Au même moment, le Comité «Droits de l’Homme» de l‘ONU, à Genève, votait (22 contre 18), pour rejeter la demande des USA, d’un débat sur les droits de l’homme en Chine. Ceci, en dépit d’un regain d’activité des militants du Falungong, dont 100 militants s’étaient faits volontairement arrêter place Tian An Men deux jours plus tôt, pour influencer ces débats. Pékin dispose à l’ONU d’un fort réseau de pays amis, qui lui permettent depuis 1990 d’éviter cette critique.
Dans le même temps, la Maison Blanche, apparemment peu fâchée par sa défaite, décidait de remettre à "au moins un an" la vente à Taiwan de quatre destroyers «Egée» (d’un coût unitaire d’1MMUSD). Seuls, une série de missiles et de radars anti-missiles pourront être cédés à la Chine nationaliste. Ceci, alors que Moscou s’apprête à vendre à Pékin (le 10 mai) un sous-marin de 100MUSD.
Les bonnes nouvelles ne venant jamais seules, le Président du Congrès américain, Dennis Hastert, a annoncé (18/4) que l’assemblée adopterait la législation pour l’entrée de la Chine à l’OMC. Comme, sur ce même dossier, l’Européen Pascal Lamy retourne à Pékin ces jours prochains finaliser le Deal sino-communautaire, on le voit, pour la Chine, le ciel est bleu!
Le parterre du World Economic Forum a permis à Gao Xiqing, vice-président de la CSRC, de rectifier le tir, concernant la vocation des deux marchés secondaires qui devraient ouvrir en juin à Shanghai et à Shenzhen : ils ne seront pas réservés aux seules valeurs "hi-tech", mais également aux PME. Précision plus significative : la sélection des firmes ne sera plus confiée à deux instances gouvernementales, (avec leurs pesanteurs bureau-cratiques et risques de corruption), mais comme au GEM de HK à une commission indépendante de professionnels, condition sine qua non, tardivement admise, pour permettre à la bourse chinoise de se battre à armes égales sur son propre marché.
Toujours au WEF, Kelon (Shenzhen), n°1 national du réfrigérateur révèle son ambitieuse stratégie commerciale: avec ses 80 MUSD de cash, le groupe va racheter 10% de ses parts en bourse étrangère, raffermissant le cours tout en taillant dans les dividendes à verser. Et surtout, Kelon veut réduire ses coûts en fourniture, distribution et SAV, en établissant sur internet une structure d’enchères permanentes. Pour sa part, fort du doublement de son chiffre d’affaires en ’99 et de ses 1MMUSD de capital, Jitong, n°4 national des fournisseurs d’accès à internet (ISP), compte investir 60MUSD dans un réseau de fibres optiques devant relier "de 100 à 250 villes" (sic), et leur offrir le "téléphone par internet". L’argent viendra de banques, mais aussi du capital à risque étranger.
au 1er trimestre ce sont 6 MUSD de capitaux qu’ont saisi les douanes du Guangdong, dans leur fuite vers l’étranger. Montant qui peut sembler bénin, mais qui traduit une hausse de 300% en un an, et cache le trafic immensément supérieur de la contrebande arrivée à bon port. Cette recrudescence est liée à l’obligation, depuis le 1er avril, de mettre un nom sur tout compte bancaire.
Jusqu’à hier,à ce qu’on croyait, les migrations de la faim de Nord-coréens vers la Chine étaient marginales et pour cause: l’information restait secrète.
Mais d’Osaka au Japon, le professeur coréen Lee Young-Hwa a soulevé un lièvre, révélant simultanément l’existence de camps de réfugiés en Chine, et d’une émeute avec prise d’otages (18/4). L’information lui était parvenue des filières sud-coréennes du Nord-Est. Ainsi dans un camp proche de la frontière nord coréenne, des réfugiés se sont mutinés, refusant d’être reconduits dans leur pays où ils craignaient la mort- par les armes, ou bien de faim. La police locale a confirmé, précisant que l’incident s’était réglé le jour même: les réfugiés «coupables» ont été déplacés vers un autre camp à Tumen, centre de transit. Selon m. Lee, les émigrés de la faim 100 à 200000, dont une fraction vit cachée au sein des minorités coréennes du Liaoning et du Jilin. Les migrations auraient fort augmenté depuis mars, suite à l’interruption des distributions de vivres en Corée. Signe qu’en attendant la prochaine récolte, Pyongyang connaît une soudure des plus difficiles.
Opéra de Pékin : après la vague de critiques non publiées et le report sine die de la cérémonie de pose de la 1ère pierre (cf VdlC n°11/V), c’est, pour ce projet de prestige, le statu quo. Le Conseil d’État "prépare" le feu vert, et rencontre en chemin deux obstacles techniques : la faisabilité non démontrée (conséquence de délais d’ étude trop courts) et le budget d’origine, intenable. Confronté au même problème de coûts, Canton vient pour sa part de voter le report à des temps meilleurs de son projet d’Opéra, ce que la presse pékinoise s’est empressée de relater – zhisangmahuai, ("montrer le mûrier pour dénigrer du sophora"). Le chantier pékinois, en attendant, fonctionne jour et nuit.
La campagne anti-corruption monte en puissance. Un vice-président de l’ANP, Cheng Kejie, est exclu du Parti et remis à la justice pour avoir détourné "avec sa maîtresse" entre 1992 et 1998 pour 4,8MUSD. A l’autre bout du pays, sur la même affaire, cinq cadres du Guangxi, au plus haut niveau, sont incarcérés, dont le vice-président provincial et l’ex-maire de Nanning –un vice maire d’une autre ville est exécuté, pour avoir pris plus d’un MUSD. Autre "affaire" du même genre : à Pékin, cinq fonctionnaires et hommes d’affaires ont été condamnés à mort (18/4) pour avoir détourné 14MY en diverses affaires. Par contre, le 19/4, An Jun, qui avait monté son réseau indépendant d’enquête contre les fraudes à Xinyang (Henan), en a pris pour quatre ans : comme toute autre dossier public, la lutte anticorruption reste, très fermement, dans les mains du Parti et de l’État
Les chocs boursiers en dents de scie, la semaine passée entre New York et Hong Kong, n’ont pas eu d’incidence sur les Bourses de Shanghai et Shenzhen -protégées par leur système de parts «A» réservées aux nationaux. Ils ont par contre fait l’effet d’une douche froide chez tous les groupes qui préparent leur passage en bourse internationale. Selon le mot d’un Vice Président de Goldman Sachs, «quand la bourse chute, on se serre la ceinture, et on attend».
C’est ce qui arrive à Unicom, n°2 des télécoms (5M d’abonnés au téléphone portable, et deux tiers du marché du «bip», soit 48M) qui espère attirer, à NY, jusqu’à 5MMUSD de capital. L’opération devait démarrer début juin. Mais des investisseurs dans des JV avec Unicom, dites «CCF», dissoutes en automne 1999 sur ordre du MII, choisissent le moment de la déprime boursière pour se plaindre de la compensation offerte par Unicom. Les faits sont liés: les Fonds US ne peuvent accepter une maigre prime sur leurs investissements passés, que contre une perspective de réussite en bourse de NY. Autrement, –no deal!
Un projet n’est pas directement affecté par la giboulée boursière: la vente de parts d’Entreprises d’Etat au privé pour financer la Sécurité Sociale (cf col. droite)
-mais à condition que le privé n’aille pas acheter pour le compte de l’étranger. C’est entre autre à quoi servira le tissu de règles en préparation à la CSRC, destinées à contrôler les enregistrements de firmes privées aux bourses étrangères…
Tout ceci donne l’image d’un carcan stérile, n’ayant su isoler la bourse de la spéculation étrangère qu’au prix d’une sous-capitalisation, à 344MMUSD parts "A") et 4MMUSD ("B", pour étranger). Si le marché était réuni, la Bourse chinoise devrait (dit D. Hale, du Groupe Zurich) percer le plafond des 1000MM USD – et s’éviter à l’avenir le casse tête chinois de cet ingérable appareil de règlements.
Cause principale de décès chez les jeunes de 15 à 35 ans en Chine : le suicide. 200000 désespérés mettent fin à leurs jours chaque année encore ce chiffre ne recouvre-t-il probablement que les cas des villes. Sur les suicides ruraux, pèse une chape de silence. Leur bilan (notamment féminin) devrait être bien plus lourd.
Cause identifiée par les psychologues, à ces suicides d’ados : la scolarité, toujours trop pesante, les relations orageuses avec les parents, les professeurs, l’incapacité à trouver l’âme-soeur. Autrement dit, la solitude intolérable de cette génération laissée à elle-même par ses parents, débordés par le travail. Une autre raison de suicide, est l’échec à l’examen et la perte de face (aussi insupportable) – héritage confucéen. Les professeurs partagent le stress de leurs élèves : une enquête auprès de 2300 enseignants du Liaoning nous apprend que 51% d’entre eux, en majorité des femmes, souffrent de problèmes psychologiques, dont 2,5%, gravissimes.
Ex maîtresse de maternelle à Pékin, Mme Wang fait partie de ce groupe: parce que Chuang, son fils, huit ans n’avait pas fini à temps ses devoirs, elle le roua de verges huit heures durant. Quant son faible mari, enfin se rebella pour emmener le garçon à l’hôpital, elle tenta de l’en empêcher. Tout cela au nom de cette foi, maintes fois par elle professée : "c’est par les fesses que rentre le talent ". Chuang se remet de sa paralysie rénale à l’hôpital – elle ne vient pas le voir.
Comme la plupart de ses concitoyens, à Zhengzhou (Henan), Yan Wanshou pestait depuis 1996 en découvrant sa note de tél. bourrée d’irrégularités: appels doublement facturés, ou pour des numéros imaginaires… Quand il se rendit, armé de ses 100 mètres de factures et 10kg de documents, aux bureaux de Zhengzhou Telecom, la Cie refusa de l’entendre. Après deux ans -en août ’99, le juge lava ZT de toute accusation. "Dans ces conditions", se demanda Yan, pourquoi la firme lui offrait elle 20.000Y de prime? Accusant la cour de partialité (des pièces à conviction s’étaient volatilisées du dossier), Yan a fait appel du verdict. Donnant ainsi un exemple prémonitoire de la classe émergente des citoyens consommateurs, très à cheval sur leurs droits chèrement acquis, et prêts à user des pantalons aux bancs du prétoire.
25-28 avril, Pékin : Conférence Int’le "Gestion des Catastrophes"
26-29 Pékin : COMDEX (salon informatique)
26-29 Pékin : Salon Contrôle du Trafic Aérien
26-5 mai Shanghai : Festival Int’l du Thé
27-28 Qingdao : Forum Int’l d’Ecologie