Le Vent de la Chine Numéro 5

du 1 au 7 février 1999

Editorial : Le Yuan — dévaluation – ou pas ?

Après l’implosion du real brésilien (30% de chute en 8 jours), l’onde de choc a vite rejoint l’Asie, portant la rumeur d’une baisse du yuan. A vrai dire, non sans subtilité, la tempête a peut-être été délibérément ouverte puis fermée par les autorités, histoire de nettoyer le fond de l’air.

Ouverture : l’innocente provocation de Business Weekly, « dévaluer ou flotter le  (Renminbi, monnaie du peuple) n’est pas forcément une mauvaise chose». Fermeture : tous les ténors (Zhu Rongji, Li Ruihuan, Li Peng, Dai Xianlong, gouverneur de la Banque Populaire de Chine) sur le pont, entre lundi et mercredi, répétant « Non, non ,non ! »: assez pour calmer (un temps !) les inquiétudes des investisseurs étrangers, avec leur capital bloqué en monnaie locale.

Alors, une tempête dans un verre d’eau ? Peut être plutôt, une transition.

[1] La Chine démontre sa capacité à franchir, sans plier, la tempête monétaire mondiale.

[2] Sa réaction dans l’affaire Guangding International Trust and Investment Corporation (GITIC) prouve que pas plus que n’importe quel Etat du monde, elle n’éprouve d’Etats d’âme pour la finance étrangère. Pékin commence à penser qu’une dévaluation bien faite, n’entraînerait pas d’effet boule de neige mondial, avec risque de boomerang sur sa stabilité interne (ce qui est sa raison principale, voire unique pour ne pas dévaluer).

[3] Au contraire, une baisse du Renminbi, un abandon du lien au USD réduirait le coût réel de l’argent, relancerait l’activité intérieure (alors que 16M d’emplois seront être perdus en 1999 !), tout en réactivant ses investissements étrangers.

La dévaluation du Renminbi arrivera donc, peut-être, comme l’affirme Dai Xianlong, quand la balance commerciale sera fortement défavorable (c’est à dire dans longtemps : pour 1999, le surplus attendu est de 30MMUSD); mais plus probablement, le jour où la Chine sera assurée que ses avantages à sauter le pas, dépassent ses risques.

Certains, depuis Hong Kong, pensent que cela sera avant fin 1999. Dès maintenant, en tout cas, Pékin abandonne la restriction monétaire (pratiquée au niveau des taux depuis 1994), et veut suivre une politique flexible, pour soutenir infrastructures, consommation (achat de voitures, maisons), PME privées : d’une politique anti-inflation, on passe à celle de relance, ce qui va dans le même sens qu’une dévaluation, et l’anticipe !

 


A la loupe : Constitution – discrète peau neuve

Vendredi 29, samedi 30 se réunissaient les  193 hommes du Comité Central pour modifier première fois depuis 1982  la Constitution. Conformément aux règles, la réforme devra être approuvée aux deux tiers par les élus de l’Assemblée Nationale Populaire, en plénière, en mars.

Il s’agit d’enchâsser dans la Constitution le principe de l’Etat de droit, ainsi que la théorie de Deng (aux côtés de la pensée de Mao). Vont entrer dans cette Vulgate du marxisme chinois, le principe de la propriété privée (permettant à terme d’espérer une révision du droit du sol, l’égalité devant la loi des firmes publiques, privées, chinoises, étrangères), ainsi que ceux de l’économie socialiste de marché (rendant ainsi possibles, par exemple, des techniques financières et commerciales, aujourd’hui au bord de la légalité).

La nouvelle Constitution intègrera les progrès sociaux, économiques et politiques des vingt dernières années, installera un bastingage contre toute tentation de remettre en cause la politique d’ouverture. De ce point de vue, il s’agit d’un gage donné à l’aile réformatrice du Parti, à l’heure où prévaut, sur tous les fronts, le langage de la fermeté : la porte de la réforme reste discrètement ouverte. Tandis que Deng Xiaoping est placé à même hauteur que Mao Zedong au pinacle constitutionnel, ce, par  la volonté de Jiang Zemin, lui même déjà sacré dans la presse officielle, troisième grand homme de l’histoire du pays.


Joint-venture : Assurances : Allianz à Shanghai

• Rien de tel, apparemment, qu’une bonne crise, pour éveiller CCTV, le groupe national de télévision chinois (8 chaînes, 138 h de programmes par jour). Avec une belle vitalité, CCTV veut partciper au programme mondial, interactif (avec satellites analogues et digitaux, support téléphonique et tous les outils d’internet) de TV-Vatican, pour les célébrations du 1er  janvier 2000.

CCTV signe aussi avec le canadien CINAR un contrat pour la réalisation commune de 52 demi-heures des aventures de Sun Wukong, le Roi des singes (qui est à la Chine, depuis 4 siècles, ce que Mickey est à l’Occident).

• Allianz, n°1 mondial de l’assurance, 1er  groupe européen à avoir obtenu la licence pour le secteur « vie », vient d’ouvrir à Shanghai, en Joint venture (51% pour Allianz) avec Dazhong, pour un capital de 24MUSD. Allianz croit pouvoir conquérir 5% du marché d’ici fin 2000 – face aux 10 groupes concurrents.

« Plus » qu’apporte en Chine l’assurance allemande sur son produit « vie » : la faculté de couvrir le couple en une seule police, et celle de moduler couverture et prime, selon les moyens du client.

 


A la loupe : Zhu Rongji : rompre l’isolement hivernal

Zhu Rongji se rend à Moscou en février, à Washington en avril. Missions difficiles : l’une, faute de leadership clair et à cause de la faiblesse des échanges commerciaux, l’autre du fait de la méfiance réciproque suite à la tolérance moindre en Chine, face à la dissidence, et à l’accroissement à 60MMUSD de l’ excédent commercial chinois aux Etats-Unis.

Il s’agira des deux premières missions du 1er  Ministre, depuis ses visites au Royaume Unis et en France en avril 1998. Dans les deux cas, on compte sur son charisme, sa bonhomie et sa prodigieuse fécondité en idées nouvelles, pour relancer les rapports.

[1] A Moscou, Zhu aura à faire accepter le refus frontal de Pékin, de la proposition russe d’une trilatérale, espace industriel et militaire entre Chine, Russie et Inde. A cela, trois bonnes raisons :

1. entre Pékin et New Delhi, le climat ne passe pas (moins encore avec l’actuel gouvernement semi-confessionnel, semi-ethnique),

2. à l’heure de la mondialisation, la coopération en forme d’ «axe», fait vieux jeu;

3. Pékin conserve, haut dans son ciel, l’étendard de la lutte anti-hégémonies !

[2] A Washington, Zhu devra faire face à une dure échéance : tandis que son pays, depuis 1998, bute à la porte de l’OMC, le prochain « Round » ouvre le 30 novembre, à Seattle. Pour l’heure, la Chine en est exclue. Ce qui risque de devenir vite insupportable, alors que Taiwan vient de conclure ses négociations: risquant ainsi d’entrer à l’OMC avant Pékin, malgré ses protestations !


Argent : Professeur, à 200 tiges par semaine

• A Pékin, la plupart des familles savent où placer leur argent en 1999 : à 15% dans un logis (+ 3%), à 15,5%, dans un PC individuel (+ 40%). Il se trouve même 1% à vouloir acheter un vidéo téléphone. En chute libre en 1999 (de -30 à -80%), les VCD, micro-ondes, télévisions couleurs (gd écran), bipeurs, appareils photo. Dans ce tableau, les produits made in Beijing font pâle figure : le produit pékinois, à basse technologie genre alcool ou mobilier, passe pour grossier, à l’inverse du shanghaïen (raffiné) ou du cantonais (moderne).

• En secret, Pékin vient d’entamer la construction d’une autoroute circulaire de 200 km pour affranchir la capitale des trafics de passage, et de sa pollution.

• Curieuse affaire de droit commercial, que celle des frères Chen, depuis leur magasin de hardware de Fuzhou, qui offraient aux clients en prime, le téléphone gratuit, via Internet vers les Etat-Unis. Le Ministère des Industries de l’Information (MII) les fit arrêter… Pour s’entendre déjuger à la cour locale : s’agissant d’une technologie originale, elle n’était pas astreinte au monopole. Ce jugement  met dans l’embarras le MII et sa branche commerciale China Telecom : première impasse, juridique, dans leur projet de rejet absolu de toute concurrence en matière de service téléphonique – le MII a fait appel !

• Créer des Joint venture  « matière grise + finance », est à la mode en Chine, mais pas de tout repos. Ye Shuli, doyen de l’Université du Sud-Est (Nankin) l’a appris le 28 septembre 1998, en étant arrêté et kidnappé vers Zhuhai, pour délit d’escroquerie. Cette université avait ses doutes sur les participations réelles des partenaires dans la Joint venture, et Ye était chargé de l’enquête.

Or, eut-il le temps de voir, en 8 jours à l’ombre, si le litige était publié, la Joint venture ne pouvait plus entrer en Bourse ! Un partenaire, à Zhuhai, avait eu assez d’influence pour le faire embastiller. Ye a dû sa liberté aux grèves de ses étudiants et de ses collègues. Bon prince, il ne réclame qu’un Renminbi symbolique de compensation, « pour l’honneur de la loi ».

• Comme en Russie, on voit de plus en plus, en Chine, des salaires en nature, d’une nature inattendue. A Jianli (Hubei), professeurs et instits ne perçoivent plus leurs (déjà maigres) émoluments de 340 Y par mois, que sous forme de 4 cartouches de cigarettes, fraîchement roulées à l’usine du lieu : au lieu de corriger leurs copies , ils peuvent jouer les buralistes dans la rue, ce dont ils ne tirent, avec peine, que 3,5Y du paquet, au lieu des 8,5Y du prix imposé – bel exemple de taxe illégale, et de « marché » captif.

 


Pol : Vers un élargissement du G7 ?

• Rappel : le 30 janvier 1949, une unité d’élite de la quatrième armée libérait pacifiquement  Peiping, nom nationaliste de Pékin. Premier d’une série d’anniversaires concentrés en cette année difficile.

• Pékin comporte 22089 comités de quartier, chargés de régler les problèmes de voisinage. Mais leurs agents (retraités reconnaissables au brassard rouge) ont 53,9 ans en moyenne, un tiers seulement ont une éducation secondaire, et leurs salaires vont de 80 à 190Y – hors primes. Il en faudrait 5 fois plus pour survivre, et tous exercent un autre job de rue (coiffeur, marchand de journaux etc.). D’où le projet de revaloriser la fonction et de bannir les revenus annexes. Mais peut-on interdire le travail au noir ?

• La Macédoine (ex-Yougoslave, 2M hts) a-t-elle changé de Chine ?

Taibei le prétend, Premier Ministre Dimitrov à l’appui, en visite sur place. Pékin croit que non, citant le Président Glikorov, qui n’avait pas été mis au courant. Journée des dupes ? Dimitrov, à Taibei, raconte à « sa » presse le prix promis par le Kuo Ming Tang pour ce retournement : 1MMUSD. « Très au dessus de la marque… A rediscuter ! », commente acidement Taiwan…

Comme on voit, le prix pour la seule ambassade de la « Répulique de Chine » en Europe (à part le Vatican) ne peut être petit. Skoplje argumente que l’argent n’est pas tout dans sa décision : elle veut aussi apprendre comment un tout petit pays « isolé » et confiné, parvient en 20 ans au sommet du pouvoir commercial. Enfin, le drapeau (délavé) à soleil rouge et jaune flottait encore dimanche à Pékin sur son ambassade (modeste appartement diplomatique de Sanlitun).

• Encore sans doute des dizaines d’incidents sociaux à travers le pays semaine passée. Parmi ceux connus: un sit-in de retraités à Chongqing (aux poumons brûlés par des vapeurs de soufre, et aux pensions rabotées), une explosion d’un bus dans un marché du Hunan (9 morts, 63 blessés) et à Chengdu, une manif de 400 paysans dont la terre fut « légalement » volée.

• Le quota des « grands tigre s» corrompus, à châtier avant le Nouvel An (16 Février), pour l’exemple, se remplit : Li Chenlong, ex-Secrétaire du Parti à Yulin (Guangxi), condamné à mort pour 16MY de patrimoine, injustifiables par son salaire de 600Y. Li était arrêté depuis décembre 1996.

Arrêtés aussi, le Chef des Finances de Canton (province), et l’ex-Vice Président de l’ABC (Agriculture Bank of China) à Tianjin. Tandis que sur décision de Zhu Rongji, même les ministres et les gouverneurs ne sont plus au-dessus des lois.

• Peter Sutherland, ex-diresteur Général de l’OMC, au Forum Economique Mondial de Davos, réclame l’ouverture du Groupe des 7 à de nouveaux interlocuteurs : Chine, Inde, Brésil, voire (en un groupe) l’ASEAN : « le G7 est une réponse inadaptée au changement global »

• « Si les gardes-côtes vous arraisonnent, défendez-vous et appelez par radio le 110 » : tel est le conseil du Bureau de la Sécurité Publique à Canton aux capitaines, vu la recrudescence incontrôlable de «vrais-faux-pirates-policiers», en vedettes et uniformes, dont la seule légitimité indiscutable, est au bout du fusil.


Temps fort : Banques et International Trust and Investment Corporation : l’introuvable réforme

Dai Xianglong n’a pas révélé, comme attendu, de plan de refonte des ITICs (Int’l Trust and Investment Corporation) et banques commerciales. Le total des prêts étrangers serait de 8,1MM USD aux ITICS, chiffre très peu crédible dans les milieux étrangers, qui parlent de 30 à 50 – et de 143 MMUSD à la Chine (face aux 145MMUSD de réserves en devises).

Tout ceci n’empêche pas le secteur de souffrir. La ITIC du Fujian ne peut rembourser 80MUSD. CITIC (China International Trust and Investment Corporation), China World, et Heilongjiang Agri. ont renoncé à se placer sur la bourse étrangère. Résultats de cette crise de confiance, attendus par un banquier étranger : le marché chinois va devenir un marché d’acheteurs,

[1] les groupes étrangers vont être sur sollicités par les prêteurs,

[2] la banque étrangère prêtera moins, consultera plus.

Un cas d’ITIC en crise dépeint bien le problème du jour : la GZITIC (de Guangzhou), menacée de faillite, avec 0,4MMUSD de dettes étrangères, suite à des emprunts court terme pour financer des projets à long terme. En principe, les actifs (2,42MMUSD) couvrent les dettes (2,29MMUSD).

La mairie de Canton, après avoir injecté 250MUSD en 18 mois jusqu’à été 1998, passe la main, tout en appelant les étrangers (surtout la Société Générale, titulaire d’un prêt syndiqué de 35 MUSD) à la patience : « si tous les étrangers réclament leurs fonds en même temps, la GZITIC fera faillite ! ».

Sans doute, mais quid des chinois, telle la AITIC (de l’Anhui) au bénéfice de qui son tribunal provincial ordonne à GZITIC de céder sa part dans Guangzhou Securities, en règlement d’une dette de 5,9MUSD ? Tels les verreries de Luoyang (Henan), les Chantiers de Canton, qui se sont chacun servis sur la bête, lui confisquant des parts d’actifs ? Donnant l’impression de défiance, et le signal du hallali.

 


Petit Peuple : Nouveau : le divorce à la chinoise

• On connaissait le divorce à l’italienne : voici venir celui à la chinoise, hier campagnard, qui fait à présent tache d’huile dans les villes. Il s’agit d’une fraude – les couples ne se séparent que fictivement. Au village, M. et Mme Zhang, voisins des Liu, peuvent « divorcer » pour faire un « remariage croisé » : ils en tirent le droit à un enfant en plus (et la justice n’ira pas voir, si le bambin « adultérin » vient de l’« ancien » mari).

A la ville, les « divorcés », pour peu qu’ils émargent à la même Entreprise d’Etat, ont droit à deux appartements au lieu de un, qu’ils peuvent ensuite, pour quelques mois encore, racheter pour une bouchée de pain… Affaire compliquée, mais qui marche !

• Deux perles de l’étrange, qui foisonne dans la vie quotidienne :

[1] le 4 décembre 1998, au collège Gailipu (Pékin), 13 filles et 2 garçons passent à tabac, deux heures durant, Melle Shi Wei, pour avoir dénoncé le séjour nocturne de garçons dans le dortoir des filles. Le bizarre, c’est que ce sont les filles qui ont senti le besoin de se « venge r» (sic).

[2] A Huadu (Canton), Deng et Li avaient coutume de récupérer les foetus humains dans les poubelles de l’hôpital, pour en tirer des re-mèdes pour leur fille malade. Mais pourquoi la police s’est elle sentie tenue de morigéner le couple (et non l’hôpital), pour sa « naïveté »?

• La fermeté de la police pékinoise croît au même rythme que l’engorgement des artères, dont la surface reste stationnaire : 292 conducteurs qui avaient omis de payer leurs amendes durant une période de plus de trois mois, se sont vus résilier leurs permis -avertissement sans frais des autorités, les temps changent !