Le Vent de la Chine Numéro 4

du 25 au 31 janvier 1999

Editorial : Comment prévoir l’imprévisible…

Comme chaque janvier, Pékin se prépare au (chunjie, 16 février), afin d’affronter la nouvelle année, (du Lapin, en 1999). Mais cette fois, on assiste à une mobilisation rare: les cadres, à tous niveaux, savent que c’est à leur aptitude à maintenir la stabilité qu’ils seront notés. Zhu Rongji a dû lâcher sa réforme des Entreprises d’Etat, celles devant fermer au 16 février, ont un sursis, parfois au-delà de l’an 2000, tout comme les primes au logis et l’ancien régime santé. Pékin distingue 3 schémas d’instabilité à combattre :

[1] Les menaces à la loi et l’ordre: les chômeurs vont doubler en 1999 (de 14 à 30M); leurs manifestations déferlent, croissantes, sur fond de défaut de paiement des salaires ou des pensions (la dernière à Chang de Hunan, le 17). Fâce à cela, la stratégie consiste à agir vite (prévenir l’effet boule de neige!) : payer les plaignants de bonne foi, arrêter les inconditionnels, et garantir une prime meurs. Mais Pékin et les provinces sont en désaccord sur le financement : Wu Bangguo, Conseiller d’Etat, promet Carton Jaune ou même Rouge aux cadres qui laisseront leurs chômeurs sans ressources !

NB : De plus en plus de troubles ont des causes non économiques, telle cette manifestation d’un village du Shanxi, (11 janvier), contre le trucage des élections par la mairie sortante, où ces trois attentats dans des bus (6 janvier, Liaoning, 13, Zhuhai, 17, Changsha). Instigués par qui ? Pourquoi ? Les derniers cas connus, provenaient d’intégristes ouighours, d’amoureux déçus, de truands maladroits de partout et n’importe qui!

[2] La guerre à la corruption : le leadership veut être comme Han Fei et Shang Yang, magistrats antiques, inflexibles et impartiaux. D’ici le Chunjie, il faudrait avoir jugé 5 ou 6 grands tigres, hauts cadres vénaux tel Xu Bingsong, ex n°2 du Guangxi, accusé d’avoir vendu pour des MY de charges provinciales.

Les bilans des années passées sont déjà étonnants. En 1998, ont été « punis » 12 4000 cadres et 130 000 policiers. 594 chefs anti-corruption entre plus de 10000 cas majeurs ou importants, concernant les Entreprises d’Etat, pour 4,4 MMY (part infime des montants gaspillés).

Sur le site du barrage des trois Gorges, 95 cas ont été détectés dont 16 dans la construction, les autres dans le relogement du 1M de gens déplacés. Mesure fondamentale, Pékin va rehausser (jusqu’à 30%) les salaires publics, en retard sur le privé.

Mais cette campagne a deux limites : il n’y a pas d’organe autonome anti-corruption (telle la Cour des Comptes, ou l’ICAC hongkongais ou Independent Commission against corruption). Et contrairement à Han Fei et Shang Yang, Pékin a partialement restreint sa justice aux provinces du Sud (Canton, Fujian, Hainan), tout en exemptant les niveaux supérieurs aux vice ministres et vice gouverneurs.

[3] Les incidents inattendus et imprévisibles: le pouvoir fait preuve d’un dynamisme brillant, pour reprendre le contrôle de la situation:

Guerre anti-incendie (face à l’hiver rude, et aux pétards du Chunjie);

Anti-drogue (en 1998, 2,5t d’héroïne saisie, le double de 1997);

Anti-crues (1000 stations météo cette année);

Anti-séparatisme (29 ouigours condamnés à prison cette semaine);

Anti-sismique (80M-USD autour du Grand-Pékin, 60Mhts, en renfort d’édifices publics et dans 143 stations);

Anti-accidents industriels : Jiang en personne téléphone samedi 16, suite à l’explosion d’une chaudière dans le Ningxia, et à Chongqing, après l’effondrement d’un pont début janvier (40 morts), 47 projets publics ont été arrêtés, pour sûreté insuffisante. Tous ces efforts remarquables pour redresser la barre, ne cachent pas les faiblesses structurelles du moment :

– Bien des éléments d’instabilité  proviennent de mécanismes sclérosés du système (nullement imprévisibles), que Pékin ne parvient pas à réformer.

– Les réformes les plus modernes sont au frais.

 


Joint-venture : BP à Chongqing

• Présent en Chine depuis 1988, en coopération avec Sinotrans, UPS, n°1 mondial de la messagerie (330 000 employés dans 200 pays) signe un préaccord, pour élargir d’ici fin 1999 son service (avec ses uniformes, et ses camions) à 21 villes – presque toutes de la côte, sauf Chengdu, Chongqing, Xi’an et Lanzhou.

• Avec China Petroleum Corporation(CPC), le groupe britannique BP vient d’inaugurer à Chongqing en présence de son Président Peter Sutherland, une usine de production de 150000t/an d’acide acétique, d’un invest conjoint de 200MUSD. Investissement « politiquement correct », à l’intérieur (pauvre) du pays.

• Le groupe finlandais Nordberg ouvre à Tianjin, une usine de 10MUSD (propriété à 100%) de fabrication de broyeurs à pierre, portables, giratoires et à mâchoires. Avec les projets de construction, notamment les 1000MMUSD que la Chine croit pouvoir investir dans les 3 prochaines années en infrastructures nouvelles, consommatrices d’agrégats de haute qualité, le marché ne devrait pas faire défaut.

 


A la loupe : Internet, Janus de la société chinoise

Jusqu’en mars 1998, Lin Hai était un informaticien (un peu trop) doué pour les affaires : arrêté depuis lors, il vient d’être condamné à 2 ans de prison fermes, pour avoir livré 30000 adresses E-mail, branchant ainsi la dissidence sino-américaine à une vaste clientèle intérieure.

En décembre 1998, d’autres dissidents ont été condamnés plus sévèrement (de 11 à 13 ans). Ces 24 mois (dont 10 déjà purgés) représentent, aux yeux du pouvoir, le poids de la « faute » de LinHai, qui affirme avoir agi dans un but « commercial ».

En même temps, tous les cybercafés du pays (quelques dizaines), avec internet à bord, sont priés d’enregistrer leurs clients comme les hôtels. C’est que les surfeurs de la toile, 700 000 en janvier 1998, ont triplé, et pourraient passer à 10M d’ici fin 2000.

D’autre part, 70% de la jeunesse urbaine n’a pas les moyens d’un ordinateur, ni d’Internet (même à 10Y l’heure) : le cyber-café est un bon compromis, où l’on se rend (aujourd’hui, innocemment, pour télécharger la photo ou le dernier tube des Spice Girls) sans le dire aux parents.

La répression molle exprime le sentiment mitigé de Pékin vis à vis du « Net » : le désarroi des conservateurs, vis à vis d’une inéluctable érosion de la censure, l’enthousiasme des technocrates (qui sont parfois les mêmes !), envers ce formidable moteur de communication et de recherche !

 


Argent : Emploi, le retour aux barrières intérieures

• Justice, consommateurs et grandes surfaces (qui n’existaient guère il y a dix ans) ont du mal à s’entendre. A Shanghai, une jeune femme soupçonnée de vol dans un drugstore Watson’s, et soumise à fouille corporelle (négative), avait obtenu en justice 250000Y de pretium doloris. En appel, la seconde Cour Intermédiaire a ramené la somme à 10000Y, tout en jugeant que la faute de Watson’s touchait à la dignité, pas à la réputation. C’est toute la différence !

NB : Le problème de la fauche, et le suréquipement en surface de vente, n’empêche pas à Shanghai le groupe Nonggongshang d’ouvrir (17 janvier) le plus grand supermarché du pays, (20000m²).

• La crise en Chine remodèle en profondeur la carte de l’emploi.

Non seulement par les fermetures d’Entreprise d’Etat, mais aussi par rapatriement ethnique : les villes (responsables, sur leur territoire, des indemnités de chômage), réservant l’emploi aux locaux. Ce protectionnisme intérieur a son prix : Zhang Dongqiao, chinois « de l’intérieur », docker à Canton, collectionnait les médailles du travail, y compris celle d’« un des dix meilleurs ouvriers migrants », a dû quitter la ville. Son patron doute que son remplaçant fasse le travail mieux que lui.

• En 1998, 12,5MM de gens ont pris la route, soit une hausse de 4% : plus de 90% des voyageurs chinois recourent à ce moyen de transport, le plus vieux du monde. En 1999, le pouvoir y investira 21,7MMUSD. En 1998, ses 5 M de cantonniers ont tracé 37000km de routes nouvelles, dont 1487 d’autoroute, et érigé 6000 ponts fluviaux.

• L’ Economist Intelligence Unit prédit à la Chine, pour 1999, un Produit National Brut (PNB) en hausse de 6,7% (Pékin, elle, parle de 7%).Pas de dévaluation à attendre avant 2000, du fait des bonnes réserves en devises et du surplus commercial de 29,7MMUSD.

 


Pol : Chine – USA : l’impasse

• Depuis août 1998, une cour provinciale du Shaanxi a, en souffrance, l’embarrassante plainte de 10000 paysans de Zizhou contre leur mairie, accusée de les avoir pressurés avec exceptionnelle violence : ceux qui tentaient de ne pas payer ces taxes illégales, furent frappés et blessés parfois gravement, d’autres jetés en prison. Comme en France de Louis XIV aux temps noirs de la gabelle, bétail, charrues, (beizi, édredons) et même les portes furent confisqués ou détruits. Pour Zizhou (dont le cas est très loin d’être isolé), le verdict devrait bientôt tomber. Le « Quotidien du paysan » suit l’affaire !

• D’ordinaire placide et discret, Vasco Rocha Vieira, Gouverneur Général de Macao, sort du silence pour réclamer de ses partenaires « plus de transparence et d’ouverture » : concernant l’avenir de l’enclave, à 11 mois du retour à la Chine, et ses lois et règles de fonctionnement futur.

Pas d’accord, par exemple, sur le système judiciaire, ni sur la présence future de l’ Armée Population de Libération (APL) (que Pékin a annoncée, que les résidents apparemment saluent, comme un moyen de mettre les Triades au pas, mais que Lisbonne estime inutile;

NB : vendredi 22, encore un attentat à la grenade dans les rues macanaises, un mort. Le coup serait signé d’une triade du Fujian).

Autre point d’inquiétude lusitanienne : des membres de l’« Assemblée préparatoire », futur parlement intérimaire, veulent l’abolition du portugais, comme une des langues officielles de la future Région Administrative spéciale (RAS).

• Les rapports sino-américains continuent à se déliter : tandis que Bill Clinton, dans son discours sur l’Etat de l’Union, fait la leçon à Pékin, qui « ne peut plus davantage acheter la stabilité aux dépends de la liberté », la Chine se déclare « sérieusement affectée » par les plans de déploiement de missiles américains NMD (National Missile Defense) et TMD (Theater Missile Defense), ce dernier pouvant être livré à Taiwan.

Idem, Pékin dénonce la nomination d’un « coordinateur spécial des affaires tibétaines ». A Washington, Charlene Barshefsky, Représentante des Etats-Unis du Commerce extérieur ressort la vieille menace de sanctions commerciales, si la Chine (qui nonmembre de l’OMC, n’est pas tenue de le faire) n’ouvre pas davantage ses marchés aux produits américains. Entre les deux pays, c’est peut-être le fond du problème ! Pour changer de ton, les espoirs se portent sur la visite, annoncée, de Zhu Rongji aux Etats-Unis en avril 1999 !

 


Temps fort : Finance: la tempête, après…

Du 19 au 21janvier, la Banque Populaire de Chine (BPdC) tenait sa conférence annuelle, faisant suite à la fracassante faillite de la (Guangdong) Industrial Trust and Investment Corp (GITIC). Depuis, les 243 autres ITICs sont sevrées par l’étranger de tout prêt à long terme (la DITIC, de Dalian, traînée devant les tribunaux). Le ministre Xiang Huaicheng tient le cap : « nous n’allons pas rajouter de l’eau dans la mare, pour élever les poissons ».

Par contre, Pékin accélère le tempo, dans la résorption des mauvaises dettes : la structure de défaisance (cf vdlc n°2), qui devait être appliqué expérimentalement à la China Construction Bank (CCB), va l’être immédiatement aux quatre Soeurs (avec Industrial and Commercial Bank of China ou ICBC, Banque de Chine ou BdC, et Agricultural Bank of China ou ABC), et leurs dettes seront reclassées avant décembre, selon les normes internationales.

Echaudés, les créanciers de la (Guangdong) Industrial Trust and Investment Corporation (GITIC) (très grands noms de la finance mondiale) se sont constitués en « comité consultatif » monté à Pékin pour faire pression. La Banque Royale du Canada tenterait de fermer son agence de Shanghai. Pour sa part, l’Administration d’Etat des devises étrangères (contrôle des changes), la SAFE avertit, qui veut l’entendre à l’étranger, de ne pas prêter à des Entreprises d’Etat – manoeuvre dangereuse et inutile.

Dans ces conditions, on s’étonne presque de voir la Chine choisir ce moment pour placer pour 1 MMUSD de bons d’Etat sur la Bourse de Hong Kong (8ème  émission depuis 1993, pour aider HongKong à devenir une base régionale du marché de la dette), et Heilongjiang agricole Corporation y tenter sa chance, pour 220MUSD. Moment mal choisi ( les parts « H », à HongKong, sont aussi nues que le roi du conte d’Andersen), mais la vie continue même en bourse !

 


Petit Peuple : ‘Y’a pas seulement qu’à Paris?’

• Gros bourg rural de la ceinture verte de Pékin, Gantou aurait tout pour être heureux. Pourtant, rien ne va plus ! Les cochons périclitent, les poules cassent leurs oeufs, les poissons mêmes se meurent dans leurs mares, les 200 enfants de l’école, n’apprennent pas plus que les instituteurs n’enseignent : c’est dur, pour un village, de se trouver en bout de piste d’atterrissage! Pourtant, en son temps, la State ( Developpment) Planning Commercial (ex SPC, aujourd’hui SDPC) a versé 50MY à l’aéroport pour régler le problème, à l’occasion de l’extension de capacité. Rien n’a été fait à ce jour.

• Les saga combinant amour passionnel et haute finance, ne se passent pas qu’à la télévision californienne. Toutes les chaumières du Henan se passionnent pour le drame dont tremble encore la ville moyenne de Zhumadian : Chen Guilin, dame sur le retour, a refroidi au revolver Liu Mingding, son amant, avant de se faire justice. Chen était vice maire, et Liu, n°2 à la branche municipale de la China Industrial And Commercial Bank (CICB), catapulté à ce poste, grâce aux amitiés de Mme Chen.

En août 1998, vibrant d’amour, elle brise son mariage. Mais lui, velléitaire (ou un peu gigolo), ne veut plus quitter sa femme. Chen l’a tué, avec une arme prêtée par un ex copain de classe, commissaire de police presque un drame de famille !

• Pour célébrer 1998, une heure avant minuit, les moines du célèbre temple bouddhiste Baima à Luoyang (Henan) avaient annoncé un concert de cloches. Mais au moment du carillon, horreur pour les Luoyangais, bonheur pour les touristes nippons, l’air traditionnel était japonais (d’un pays, que l’on a pas oublié, depuis la guerre) : tollé, campagne de presse, pressions, les prêtres promirent de s’amender, et tinrent parole. Au 31 décembre 1998, face à la population réunie, les cloches du monastère gardèrent un majestueux silence. Personne n’ayant, cette fois, l’aumône aux carillonneurs !

• Pourquoi, dans le Guizhou, 2390 lycéens ayant réussi leur concours d’entrée à l’université, ont-ils renoncé à cet indicible privilège (alors qu’en Chine, seul un lycéen sur trois trouve sa place en fac) ? Les enquêteurs, qui s’attendaient, vu la pauvreté de la province, à trouver comme raison l’impécuniosité des familles, ont eu la surprise de l’année : ayant franchi la barre du concours avec les notes les plus basses, ces jeunes tombent sur des instituts trop médiocres, ou trop loin de leurs aspirations, et préfèrent bachoter une année de plus pour repasser leur « bac », « avec mention ».

Belle preuve de confiance en soi, mais si le phénomène est le même dans toute la nation, la promotion annuelle, d’un millions de jeunes, est amputée de quelques dizaines de milliers de jeunes.