Le Vent de la Chine Numéro 32

du 26 septembre au 2 octobre 1999

Editorial : Plenum du Comité Central : Zhu Rongji affaibli mais stable, Jiang Zemin, en quête du ‘juste milieu’

Alors que Taiwan panse ses blessures (cf photo), deux grands rendez-vous meublent la vie du pays : la guoqingjie (), fête nationale du 1er  octobre, qui se double  du Cinquantenaire de la République Populaire de Chine, occasion de célébration d’une munificence unique dans les anales, et le zhonggongzhongyang (), Plenum du Comité Central (19 au 22 septembre).

A ce dernier, le Président Jiang Zemin devait procéder à un arbitrage entre l’alliance ponctuelle entre mécontents, affaiblis économiques, fonctionnaires frappés de restructurations et conservateurs, et le groupe minoritaire des réformateurs, industriels et politiques, conscients des chances du pays, à accélérer maintenant réforme et ouverture.

Début mai, avant même le bombardement de l’ambassade chinoise à Belgrade, Jiang avait arrêté sa ligne, la seule possible pour réduire les fissures grandissantes dans l’unité du Parti : soutenir son 1er  Ministre Zhu Rongji dans la tempête de critiques, mais sans le blanchir à 100% – et ne retenir des réformes, que ce qui serait acceptable pour tous. Après des atermoiements remarqués jusqu’aux derniers jours, Jiang a tranché : le Plenum s’en tient à cette ligne « oecuménique », qui revient de facto à une inflexion à gauche.

Son thème était la réforme des Entreprises d’Etat : en principe réglée par le 15ème  Congrès (septembre 1997) par une série d’audacieuses mesures prônées par Zhu, bien vite lettres mortes. Le Plenum du Comité Central en confirme certaines, tout en cherchant à en aiguiser la portée « concrète » : pour créer l’apparence de « spirale montante » dans l’enchaînement des décisions, plutôt que de «sur place».

Le Parti Communiste Chinois redonne son feu vert, pour l’assainissement du secteur public (qui, l’an passé, a généré pour 49MMY de profits, pour 150MMY de subventions), à toute méthode évitant privatisation et élimination de ses propres structures :

non aux ventes massives d’Entreprises d’Etat (qui avaient débuté d’automne 1997 à l’été 1998),

– maintien du « contrôle public majoritaire » sur les industries « importantes »

– promesse de poursuivre les subventions aux Entreprises d’Etat de régions pauvres de l’intérieur, de « minorités nationales », et de Petites et Moyennes Entreprises d’Etat. Voilà une mesure sociale, en contradiction directe avec l’objectif d’assainissement. Dans ce contexte, le rapport salue « l’ineffable et majeure contribution de la classe ouvrière ».

– projet (non chiffré), de désengagement de l’État de certains secteurs compétitifs (machine outil, textile…), pour se cantonner à ceux stratégiques (transports, énergie…);

– appel (sans dates ni objectifs) aux Entreprises d’Etat à se convertir en sociétés à capital mixte, ou à « diverses formes de propriété »;

– limitation (vague) du pouvoir d’ingérence du Secrétaire du Parti dans la gestion de l’Entreprise d’Etat, et intéressement des patrons aux profits;

Dans le domaine politique, le Plenum nomme Hu Jintao, « Dauphin » de Jiang, n°2 à la Commission Militaire Centrale : étant déjà Vice Président de la République, c’est pour lui un pas de plus vers la succession au poste suprême en 2003. Le Comité Central expulse aussi de son collège (signe d’exaspération, face à un phénomène incontrôlable) le chef du Parti Communiste Chinois de Ningbo (Zhejiang), coupable de corruption, ayant détourné 108000 USD et fait perdre à l’Etat pour 144MUSD de biens publics

 


Joint-venture : Solucorp fixe une montagne de chrome

• Avec ses 128 « pensionnaires » (dont 106 industriels et 31% américain), ayant attiré un investissement global de 3,7MMUSD et généré 20 000 emplois, le Parc Industriel de Suzhou (« PSI », à Fujian), fleuron de la coopération sino-singapourienne, devrait être un succès sans ombre.

Au contraire, il est proche de la faillite, et aura perdu d’ici décembre 2000, 90% de son capital. Ces performances décevantes, sont dues à la conjoncture, mais aussi à la concurrence déloyale d’un autre parc de la ville, copie conforme du premier, imprévu au programme, qui a détourné du PIS une clientèle précieuse et attendue.

Échaudé, Singapour se retire du parc sous trois ans. A la mairie de Suzhou de reprendre sa gestion après l’avoir renfloué de 40MUSD : prix d’une erreur, dont la racine fut la vénalité.

• Avec deux nouvelles lignes d’embouteillage (1000 emplois, 38MUSD), Coca Cola double sa capacité pékinoise. Ayant investi 1MMUSD depuis 1979, dans 23 usines, le géant d’Atlanta est n°1en Chine des boissons non-alcoolisées, (33% du marché).

• Tianjin voit une première en matière de protection de l’environnement. Depuis plus de 40 ans, Tongsheng, filiale de Bohai Chemical empoisonnait la ville par le terril de scories de sa production de chromate de sodium. Solucorp Industries (Etats-Unis), qui détient un procédé de fixation moléculaire des déchets des métaux lourds a signé un contrat avec la mairie, pour la neutralisation (1000 ans garantis) de cette montagne évaluée à 400 voire 800000t.

Il aura aussi à installer dans l’usine deux lignes de précipitation de la pollution à sa source, et à fournir les 32000t de résine spéciale nécessaire à l’opération. La mairie prête 1MY à Bohai au titre de la « phase I » du projet.

 


A la loupe : Que la fête se prépare!

Mercredi 22, la rue de Pékin a changé : presque aucun piéton, un dixième des voitures, une poignée de vélos. Baisse notoire des décibels sur la ville : au jour « J » moins 10 des fêtes somptuaires pour la fondation du régime, les Pékinois avaient été consignés chez eux. Toutes les grandes artères, les trois périphériques ont été progressivement investis par la police : en fin d’après midi, même un vélo ne passait plus. Ceci, afin de procéder aux dernières retouches aux deux défilés en préparation : l’un de l’armée (plus vu depuis 1984), l’autre de parades et chars floraux qui, on l’a vu, n’auront rien à envier en taille et luxe, à ceux du carnaval de Rio.

Le vide de Pékin avait été préparé avec précision militaire : depuis dimanche, des centaines de milliers de migrants, même munis de permis valides, ont été refoulés aux portes de la ville, et tous les véhicules fouillés.

Le gouvernement exprime ainsi la peur de sabotage des festivités. On n’a pas oublié en mars 1997, la bombe dans un bus en plein centre (11 blessés), à quelques centaines de mètres du Plenum de l’Assemblée Nationale Populaire. Un mouvement islamique du Xinjiang avait été accusé. C’est pourquoi depuis l’été, une campagne vise les producteurs d’explosifs, (16000 contrôlés), cependant que 80t étaient spontanément remises par des paysans, désireux d’éviter des ennuis.

Le résultat de ce projet urbanistique grandiose, fascinant aux yeux de tous, frappe le plus la nuit, que l’on arpente l’avenue de Ping’An (« de la Paix Stable »), Chang’An (« Paix Eternelle »), ou d’autres : élargies, chaussées de neuf, dotées de trottoirs en granit rose, d’éclairages incandescents qui trouent la pénombre de leurs jets verts et bleus tumultueux sur les bancs juste posés, fontaines, parterres de fleurs, gazons et arbustes dans le silence des étoiles.

 

 


Argent : Télécoms : comment scinder un monopole

• Une banque en Chine passe pour moins endettée que les autres : la Shanghai Pudong Development Bank (SPDB), parce que son marché (la nouvelle Shanghai industrielle et d’affaires) est des plus prometteurs et que sa relative jeunesse (créée en 1993) la met à l’abri des mauvaises dettes. Ces atouts expliquent que la SPDB ait reçu le feu vert pour l’émission de 400M d’actions à 10Y la part. Valeur sûre, succès garanti : les quinze fonds mutuels du pays ont empoché dès le premier jour leur quota prioritaire de 20%.

Le reste allant au « public » dont 17% seulement au petit porteur. Une autre banque l’avait précédée dans cette voie : la Shenzhen Development Bank. Ces deux cas constituant pour l’autorité monétaire un test sur la capacité de la bourse chinoise à participer à la recapitalisation des banques.

• Cinda, structure de défaisance des créances de la China Construction Bank (cf VdlC n°31) poursuit l’échange des dettes d’Entreprise d’Etat contre une part de leur capital : pour sa troisième opération du genre, chez Meishan, une des branches sidérurgiques du shanghaien Baosteel, n°1 du pays, elle absorbe pour environ 500M USD, ramenant son taux dette/ capital de 76 à 38%.

Sa quatrième action bénéficie à Jiangxi Guixi, groupe d’engrais, dont elle éponge pour 107M de dettes, taux dette/capital ramené de 89 à 26%. Les groupes assainis prennent un nouveau départ : pour l’an 2000, Meishan s’attend à 12MUSD de profits, tandis que Guixi, scindée en deux, prépare la cotation en bourse de l’une de ses filiales. Comme pour les opérations précédentes, la part de capital prise par Cinda demeure secrète.

• Dans le secteur des télécoms, un vieux projet public voit le jour : afin de briser au moins en théorie le monopole public, China Netcom prend sa place aux côtés de China Telecom et Unicom. Son capital : 51MM USD, contrôlé paritairement par l’Académie des Sciences, l’Administration de la Radio, les Films de télévision, le Mines des Chemins de Fer et la Mairie de Shanghai.

Netcom fournira du transfert de données à haute vitesse et de la téléphonie par internet entre 15 villes chinoises, au moyen de réseaux de fibre optique possédés par deux de ses parrains.

NB : le chemin qu’aura à faire Netcom pour s’imposer, peut se lire à l’incident dont vient d’être victime Unicom-Lanzhou (Gansu). Les PTT locaux ont déconnecté ses lignes régionales, favorisant de facto le réseau local de China Telecom, dont la taxe de raccordement atteint presque le double de celle d’Unicom-Lanzhou.

 


Pol : Observateurs chinois de l’ONU à Timor

• A la veille de toute fête, du Cinquantenaire en particulier, le pouvoir renforce sa popularité : les congés annuels passent de 7 à 10 jours, deux de plus au 1er  mai, un au 1er  octobre. Décision qui correspond aussi à une réduction du temps de travail dans une perspective de création d’emplois. Au même moment, la presse met en exergue le rôle d’institutions « d’alternance » telle la Conférence Consultative Politique du Peuple Chinois (CCPPC).

Tels aussi les huit mini-partis « démocratiques », tel le Comité Révolutionnaire du Kuomintang, l’Alliance Paysans-Ouvriers, ou la Société du Trois Septembre, formations fondées entre 1925 et 1949, comptant chacune quelques dizaines de milliers d’adhérents, essentiellement intellectuels.

• La Chine enverra des observateurs au Timor Oriental dans le cadre de la force de paix des Nations Unies. Une décision malaisée pour Pékin, qui désapprouve en principe toute intervention étrangère dans un conflit national. Ont joué dans ce feu vert, le fait que la mission des Nations Unies ait été approuvé par Djakarta, ainsi que la volonté pékinoise de renforcer sa crédibilité sur la scène internationale.

• Les exécutions, fin août du Général Liu Liankun en même temps qu’un autre officier supérieur d’Etat Major pour haute trahison, a déclenché la plus vaste opération de contre-espionnage depuis des décennies au sein de l’Armée Populaire de Libération. Plus de 100 officiers régionaux et du Département Général Logistique sont sous enquête, soupçonnés d’avoir divulgué des informations secret-défense à Taiwan ou à des puissances étrangères.

Un nouveau code militaire sur la protection des informations vient d’entrer en activité. En marge du scandale et de l’espionnite taiwanaise qui sévit ces jours-ci, les autorités de Chengdu (Sichuan) viennent de découvrir un réseau de vente au grand jour d’un CD de propagande nationaliste : 10000 copies ont été saisies.


Temps fort : Luttes internes, OMC et toile chinoise

Début mai, Jiang Zemin tranchait, à propos du deal « OMC » offert par Zhu aux Etats-Unis : il avait « lésé des intérêts nationaux » (cf VdlC n°19). Le 6 mai, Long Yongtu, « patron » du dossier OMC, invitait tous les ministères à venir partager la responsabilité des négociations.

Ce n’est qu’à présent que l’on peut évaluer la portée du tournant opéré alors : Zhu était dépossédé du dossier, repris par Jiang en mains propres, et l’homme au tapis vert n’était plus Long, mais Shi Guangsheng, ministre du Commerce extérieur. La reprise par Jiang peut être bénéfique pour Zhu (qui ne pourra plus être critiqué). Mais le remplacement de Long par Shi fera perdre un temps précieux. Passé le dernier délai pour l’accord multilatéral, le 30 novembre, il faudra atttendre au moins deux à trois ans : ce que veulent les anti-OMC !

Wu Jichuan de son côté, patron du Ministre des Industries de l’Information (MII) hostile à l’OMC, cet été, était parvenu à rendre illégales les 37 Joint venture d’Unicom (la rivale de China Telecom) avec de grands groupes mondiaux du secteur, qu’Unicom devra rembourser (1,4MMUSD). Aujourd’hui, Wu, mis en confiance, s’attaque au E-business, et aux 4 ou 5 dynamiques Joint ventures de services-Internet (Zhaodaola, China.com, Sohu, Sina, etc) – eux aussi « en infraction avec le monopole », devraient se séparer de leur partenaire étranger.

 Les Joint venture répliquent :

[1] vu la capacité locale, technologique et en financement, la toile chinoise sera mixte, ou ne sera pas;

[2] au besoin, ces joint ventures pourraient fonctionner « off shore »;

[3] Wu ne chercherait rien d’autre que des concessions américaines à l’OMC. Sur ce dernier point, toutefois, rien n’est moins sûr:

[4] constante depuis plusieurs années, la démarche du patron du MII procède d’une logique de protection nationale, non négociable; [5] le moment lui est favorable;

[6] ce qu’il attend de l’OMC, est moins des concessions, qu’un report pur et simple!

 


Petit Peuple : Vigiles éternels d’une université

• Pour avoir défiguré au vitriol ses six neveux à Luoding (Guangdong), Wang Xiuying, 27 ans, avait été (13 avril) condamnée à mort, et à 90000 Yuan de dommages et intérêts aux victimes. Parente indigne, Wang Xiuying ? Indéniablement, mais sous des circonstances « spéciales », ayant été kidnappée cinq ans plus tôt à Shenyang (Liaoning), déplacée et contrainte à convoler, à l’autre bout du pays, avec un homme de l’âge de son père, réduite à la condition de souillon du village et brimée à chacune de ses tentatives de fuite.

La Haute Cour de Canton a été saisie, la presse s’en est émue, ainsi que Mme Peng Peiyun, vice-présidente du Bureau de l’Assemblée Nationale Populaire (qui joue un peu en Chine le rôle moral, vis à vis des droits des femmes, d’une Simone Weil en France). Affaire à suivre;

•A Zhengzhou (Henan), constamment perturbés par les chahuts des voyous et mauvais plaisants, les étudiants de la Faculté de Médecine Tongji avaient imaginé « aux grands maux, les grands remèdes » : deux cadavres fraîchement livrés pour les travaux pratiques de dissection avaient été placés comme gardiens aux portes du campus. Leur service dépassa les espérances les plus folles, la paix planant à nouveau sur les amphithéâtres.

Il dura 18 mois, jusqu’au jour où des rumeurs parvinrent de descente imminente de police : da cao jing shi  (« à battre les herbes, on fait fuir le serpent ») : ils disparurent, ensevelis à la sauvette aux abords de l’Institut. La justice recherche toujours les carabins coupables, et dénonce la profanation.

 


Rendez-vous : Shanghai : un banquet de Fortune

• 27 – 29 septembre Shanghai-Pudong : « Fortune global Forum » (« Fortune 500 »)

• 27 septembre Chengdu : Journée mondiale du Voyage