Le Vent de la Chine Numéro 25

du 27 juin au 3 juillet 1999

Editorial : Expériences à risques: ambiance vissée !

Trois projets novateurs voire osés voient le jour (voir ci-dessous), dans une ambiance sociale vissée. Air du temps : le pouvoir est prêt à aller de l’avant, mais non sans avoir assuré ses arrières. A l’inverse des fleuves, la tolérance est à l’étiage, entre le 4 juin et le 1er octobre. Cet été étant, pour le Parti Communiste Chinois, le moment d’affronter les risques prévus (récession, crues, tensions politiques, ouvrières, sécheresse, pestes des arbre, invasions de cigales), et les urgences (guerres du Kosovo et indopakistanaise, tension des deux Corées)…

Dans ce contexte tendu, le pouvoir fait feu de tous bois. 600000 cadres ont été dépêchés dans les campagnes pour renflouer les cellules du Parti Communiste Chinois, dont 82000 (11%) seraient mourantes. 500000 juges et procureurs retournent à l’école – tous les judiciaires sans-diplômes devant perdre leur place sous 3 ans. Au titre de la campagne anti-pirate et anti-pornographie, 9000 personnes ont été arrêtées, 15000 librairies fermées, 19M de livres ou cassettes saisis.

L’étau se resserre sur les églises et sectes tel le  Falungong, 100M d’adeptes : le Quotidien du peuple avertit les « membres du Parti qui se perdent dans bouddhisme, astrologie, divination, physiognomie ».

Au chapitre dissidence, on compte cette semaine cinq nouvelles arrestations, et les emprisonnés des derniers mois s’attendent à de lourdes peines. Une campagne s’en prend aux explosifs, dont 3 tonnes et 80000 détonateurs ont été volés à la police cette année : tandis qu’augmentaient les explosions (1300, de janvier à avril, + 20%). Deux espions taiwanais ont été condamnés « à vie ».

A Shenzhen (Canton), suite à l’incendie d’une usine négrière taiwanaise (16 morts), des douzaines d’usines, restaurants etc., insalubres, sont fermés d’office. La clé de voûte de l’ouvrage étant cette campagne de la semaine dernière, de délation populaire, dans toutes les villes, par ligne anonyme (numéros en « 2000 ») – les gens –  et l’appareil – appellent ce système le rival de la corruption !


A la loupe : La candide réforme des bus pékinois

Avec 80000 employés « à vie » et ses célèbres bus articulés rouge et blanc antédiluviens, la Beijing Public Transport (BPT) a donné vie à un enfant : la Beijing Bus Stock Corporation (BSSC), née le 11 juin sous les regards de quatre autres Entreprises d’Etat municipales, co-actionnaires. Raison d’être de la BBSC : un an après jour pour jour, elle ira en Bourse !

BBSC reçoit les meilleurs outils de BPT : 116 lignes (à bus à impériale, à air conditionné), sa flotte de minibus modernes, celle de bus « coasters » à touristes (au total, 1735 véhicules), et sa compagnie de publicité BBSC a 172M de « parts » (hors bourse) à 1Y pièce, 262MY d’actifs et 2559 employés (avec contrats modernes).

Le seul hic à cette réformette, est que Pékin, à ce jour, n’a pas osé abolir la subvention, 800MY l’an passé : vendu à 15Y pièce, à 1,6M d’usagers, le passe mensuel, revient à 85Y ! Shanghai, qui l’a fait dès 1995, vient de doubler le prix du billet en mars (à 1Y), est en Bourse (depuis 1996) et profitable (20% de profits attendus cette année). Gageons que d’ici l’entrée de la BSC en Bourse, ce pas aura été franchi – faute d’aller, face aux boursiers, droit vers l’accident.


Joint-venture : FIAT invente la ‘camionnette décapotable’

• Débuts pour Gemplus dans sa Joint venture de Tianjin, d’une ligne de production de cartes SIM (système d’identification de l’abonné pour téléphone cellulaire). Gemplus a déjà produit à Tianjin 50 M de cartes à circuit intégré (33% du marché). En SIM, le groupe français (déjà 45% du marché, par imports), produira localement 15 à 20M d’unités par an, 25% de sa capacité.

FIAT profite des projecteurs du Salon auto de Shanghai pour se glisser dans le Club des producteurs auto de Chine. Par sa Joint venture Nanya Auto (Nankin, Jiangsu) avec Yuejin, grâce à une chaîne de production espagnole d’occasion, elle va produire deux modèles de camionnette pick-up  dont l’un pouvant être utilisé comme voiture décapotable. Ceci dans l’attente d’une licence en bonne et due forme. Le géant de Turin est déjà présent en Chine par IVECO (joint venture de véhicules légers utilitaires), 4 Joint venture de pièces.

 


A la loupe : Banque mondiale : un prêt contesté

Jamais la Banque mondiale n’aura rencontré tant d’opposition : ce prêt à la Chine (24/06), de 160M USD étant rejeté par 11 dirigeants sur 24, par l’Allemagne et les Etats-Unis. Voté à l’arrachée, ce cas éclaire une forte sympathie de la Banque Mondiale envers Pékin, son premier client (30MMUSD prêtés !).

Le projet « Dulan » (Qinghai) est pourtant pavé de bonnes intentions, visant à déplacer 58000 pauvres ruraux Han (chinois) vers de meilleures terres, bonifiées et irriguées. Le problème n’est pas dans ces bénéficiaires – volontaires -, mais dans leur destination, 450 km à l’Ouest, vers une zone confisquée au Tibet 40 ans plus tôt.

Autre probème : ce projet sensible (à coloration politique, ethnique) aurait été abusivement classé dans une catégorie le rendant éligible, sur procédure et enquête allégées. Cette criti-que circule d’ailleurs à Pékin, depuis des années, sur l’ensemble des « microprojets » de la Banque Mondiale (BM). Pékin a justifié son projet, au vu du progrès à espérer par ces populations déshéritées.

Le tollé actuel marque un tournant dans la vie de la BM qui, jusqu’en 1997, décidait ses prêts par consensus, loin de la presse.

Pour que le vote ait lieu, un compromis a été trouvé, consistant en une « enquête indépendante » sur le projet, devant statuer sous deux mois… Chaotique et contesté, ce vote entraînera pour la BM une perte de prestige, voire un début de changement dans ses pratiques opaques et feutrées !

NB : En même temps, la BM prête 100MUSD au Shaanxi (rénovation d’irrigation),et 500M au Sichuan (autorote,eau potable de cinq villes) et ensuite, la Chine cesse d’être un Pays en Voie de Développement auprès de la BM, avec les taux de prêts les plus bas de l’institution.

 


Argent : Un outil contre la pauvreté le microprêt

Wang Yingjie (Hebei) et Wang Taohua, (Guizhou), ont deux ponts communs :

[1] Les paysans pauvres,

[2] Ils ont bénéficié des micro-prêts de l’ABC, plafonnés à 2000Y (1à 3 ans), un des outils du régime pour éradiquer la pauvreté. En janvier 1998, Taohua (veuve, donc femme comme la majorité des bénéficiaires paysans) a reçu 1000Y pour se lancer dans l’élevage des canards. Moins de deux ans après, elle rembourse et, pour la première fois de sa vie, soutient sa famille. Ying-jie, lui, a reçu 1200Y pour se lancer dans le champignon, et a oublié les années de chien, à 90 Yuan par an. De mai à décembre dernier, l’ABC (Agricultural Bank of China) a ainsi prêté 800MY à 700000 foyers.

• Confronté en août 1998 à la plus violente tempête financière mondiale depuis 1929, le gouvernement de Hong Kong avait du recourir à des mesures extrêmes : l’achat pour 120MMHKD de titres locaux (15% de ses réserves, cf. VdlC27/III). Entre-temps, la valeur des actions a presque doublé, et l’administration de Hong Kong ne veut pas conserver ce patrimoine boursier (peu dans sa vocation). Mais comment l’écouler sans risquer l’effondrement des cours?

L’EFI (Exchange Fund Investment, autorité de tutelle) donne sa solution : la revente en fonds d’investissement d’ici 4 à 5 mois, le temps de peaufiner le projet et sa promotion (locale et internationale).

• En cinq semaines d’euphorie, la Bourse de Shanghai a vu ses parts « A » (pour chinois) jaillir de 51%, poussées par à la demande de 350000 nouveaux acheteurs. Même tendance à Shenzhen : parts « A » = + 54%, Parts « B » (pour étranger), au 2d trimestre = + 131% (n°1 mondial).

Pourtant, disent les experts, l’ensemble du processus apparaît bien artificiel :

[1] la hausse des titres ne reflète pas leur performance réelle. Acheng Steel (Heilongjiang) qui a triplé en 6 mois à Shanghai, a vu ses profits « de production » baisser de 10%;

[2] les gains sont souvent siphonnés par les Entreprises d’Etat,qui ont eu la priorité d’achat sur leurs titres – et épongent ainsi leurs dettes;

[3] les petits porteurs placent directement leurs gains en banque, en prévision de charges futures : chômage, retraite, logis, santé. Résultat, pour l’heure ce boom boursier n’aurait aucune traduction dans la consommation – il n’entraîne pas la relance.

 


Pol : Première condamnation à mort d’un européen

• Le 9 avril 1997 à Jinghong (Yunnan),  « A », routard suisse, était jeté en prison après avoir étranglé une écolière Dai de 16 ans. Ce 23 juin, le tribunal intermédiaire de Kunming a rendu son verdict : la mort (premier cas étranger dans l’ère de Deng). Discrète et très active, la chancellerie helvétique a obtenu le sursis, vraisemblablement une libération sous 10 ans – et ce privilège rare : le maintien de l’anonymat.

• deux administration voient le jour :

[1] la CMSA (China Maritime Safety Administration), regroupement d’une kyrielle de bureaux responsables de la sécurité maritime sous tous aspects (fleuves et mers);

[2] L’Université des Sciences et Techniques de Défense Nationale de l’Armée Populaire de Libération résulte de l’absorption par l’ex-académie de défense, de 4 instituts militaires de Changsha (Hunan). Objectif : la formation de soldats d’un nouveau genre, comme on en a beaucoup vu sur CNN ces derniers temps, ados acros d’informatique, calqués sur ceux de l’OTAN

• Dans notre lecture (VdlC24) la campagne de relance économique en cours était fondée sur l’augmentation des salaires moyens, et la gufenhua (semi-privatisation) des Entreprises d’Etat moyennes. Un troisième axe se dégage, d’une inspiration politique distincte : « aiguoxiaofei, aiguotouzi » (« si tu aimes ton pays, consomme, investis ! »).

Cette consommation étant préconisée made in China et recommandant même (en un apparent malentendu sur le sens générique de l’OMC) le boycott de tout produit yankee. Ceci suggère la division du pouvoir en plusieurs écoles sur la question cruciale de la relance. En tout cas, on voit mal le citoyen chinois arrêter son choix de consommation ou d’investissement, en fonction du critère de l’intérêt supérieur de l’Etat.

• Le 17 juin, un garçon de 9 ans rentrait chez lui à Lhasa : Gyaincain Norbu, 11e  Panchen Lama, imposé par Pékin en novembre 1995, après qu’un premier Panchen eût été identifié par le clergé fidèle au Dalai Lama (celui-ci avait été enlevé et vivrait en semi-liberté près de Pékin). Depuis son monastère de Tashilumpo, à Shigatse (deuxième ville de la province), Gyaincain tient à présent son rôle de 2d  chef spirituel et baptise les novices.

Les autorités se préoccupent de la prochaine étape : le remplacement du Dalai Lama, 65 ans. Craignant l’élection à l’étranger d’un Dalai « blond aux yeux bleus », un responsable depuis Lhassa a annoncé que la future réincarnation (identifiée vers 5/6 ans) serait tout à la fois « tibétaine né en Chine, patriotique et rejetant le séparatisme ». Faute de quoi Pékin lui réserverait le même sort qu’au Panchen. Précision : le Dalai Lama (« séparatiste et pas religieux »), aurait « peu de chances » de pouvoir reposer dans sa terre natale. La dernière chose que les autorités veuillent voir advenir, étant l’érection d’un Stupa visité chaque année par des centaines de milliers de fidèles et de touristes !

 


Temps fort : Bush corp, ou comment aider l’étranger à miser sur la Chine !

Un des paradoxes de cette période de crise, tient au décalage entre capitaux mondiaux en quête de projets viables, et compagnies de pays émergents, avec tout pour séduire, pleurant (en vain) pour les obtenir. La raison étant, sur le fond, l’absence de structures autonomes de vérification de la santé des candidats.

L’Américain Bush-Corporation (fondateur, en 1987, de la Bourse de Taibei) vient de créer, avec l’agence Xinhua et CNFMITG (China Non Ferrous Metals Industry Trade Group), une Joint venture destinée à fournir de l’information financière sur Internet, sur des firmes éligibles à l’enregistrement en bourses internationales.

D’ici janvier, Xinhua Financial dressera le profil de 700 firmes dans cinq secteurs de pointe – high tech, biochimique, biomédical, production « de niche » et piliers stratégiques. Il en retiendra les 100 meilleures, pour son site sur le net, « gratuit page de garde, payant pour les détails ».

L’information proprement dite sera assurée – et renouvelée – par le réseau de Xinhua, qui compte des milliers d’analystes-chercheurs, et a composé une importante base de données en anglais et en mandarin. Les clients seront les groupes d’investissements (banques, assurances, maisons de courtage etc.) d’Europe, des Etats-Unis et d’Asie, qui placent en moyenne 25% de leurs avoirs hors de leurs frontières.

Bush croit pouvoir orienter sous deux ans, par ses services, jusqu’à 3MMUSD des bourses étrangères vers la Chine, au bénéfice probable de PME privées ou publiques, à haut potentiel technologique mais jusqu’ici barrées de la bourse et des prêts bancaires. Marquant ainsi, pour l’étranger, l’entrée sur le marché prometteur, du capital chinois à risque !

 


Petit Peuple : Vol au-dessus d’un nid d’électricité

• Depuis tous ces millénaires de présence humaine, le Fleuve Jaune n’avait jamais été conquis ainsi : dimanche 20, à Hukou (Shanxi/Shaanxi) Zhu Chaohui  paysan local, enfourcha sa moto 250cc (notre illustration), tourna à fond la manette des gaz et sauta au-dessus de la cataracte, chutant bénignement à l’arrivée. Puis il se releva, embrassa sa fiancée devant les invités et ils se marièrent.

• Halte à la morosité ! A Jinan (Zhejiang), l’ingénieux patron de cet hôtel-restaurant a imaginé ce service nouveau et intéressant, lui permettant chaque nuit d’afficher complet : à peine la voiture arrivée, le chasseur se précipite pour garnir les plaques d’une housse d’un bleu horizon, écran à la poussière et aux regards indiscrets qui risqueraient d’identifier cette clientèle de fonctionnaires venus prendre du bon temps aux frais du socialisme. L’émergence de cette pratique reflète l’intolérance croissante de l’Etat, comme de l’opinion, vis à vis de ce style de vie fondé sur le gaspillage du denier public.

• Ce canton du centre de la Chine ne consommait « statistiquement » que peu d’électricité. En fait, cette importante centrale encore neuve (7 ans), ne fonctionnait que par intermittence. Mystérieusement « tuyauté », un journaliste chinois vint et découvrit le pot aux roses : un tunnel de diversion, foré pour les travaux et déclaré comblé, restait bel et bien sous eau et alimentait une turbine pirate, au vu (depuis le barrage) et su de toute la province. De ce fait l’ouvrage public ne tournait qu’en période « pic », lorsque son petit frère  « parasite » ne faisait plus face. Au tarif local, la fraude sur l’Etat central par le pouvoir local, se monterait à 20MY/an.