Le Vent de la Chine Numéro 2

du 11 au 17 janvier 1999

Editorial : 1999 – la Chine, le cahier des charges

L’année 1999 s’ouvre en Chine sous des auspices moins fastes que la précédente, avec un taux de croissance de 7 % (au mieux), 1 % de moins que 1998, des exportations au mieux égales, des millions d’emplois à sacrifier.

Pour affronter cette bise, le pouvoir peut compter sur un bon climat social, avec un degré de prospérité et d’espoirs jamais atteints, y compris (peut-être, surtout) en comparaison avec les pays voisins. Jusqu’en septembre, son autorité était bénigne, tolérant des libertés nouvelles, tels les fax à la presse étrangère, ou les salons politiques. Tout ceci a conduit la dissidence à la faute : au défi frontal au Parti Communiste Chinois, en tentant de créer une structure nationale d’opposition, payée (circonstance aggravante) de l’étranger. D’où les condamnations actuelles, en petit nombre mais lourdes, et d’autres mesures « musclées », tel l’interdit de rassemblement dans Pékin, passé le 1er juillet, et le resserrement de la censure.

Il faut dire que 1999, pour la République Populaire, concentre bien des rendez-vous, glorieux ou indésirables : 10èmes  anniversaires du Printemps de Pékin et de la Loi martiale au Tibet, 80ème  anniversaire du Mouvement du 4 Mai (manifestation pour la Démocratie et les Sciences) et surtout le Cinquantenaire du régime.

Pour gérer la situation, un Groupe directeur temporaire de rectification des affaires nationales a été constitué, doté de pouvoirs spéciaux. 150000 soldats récemment démobilisés, devraient reprendre du galon dans la  (Wujing Police armée) pour la surveillance des dissidents, des religieux et syndicats de l’ombre, et des volontaires sociaux (militants consuméristes, écologistes et autres). L’enjeu de ces efforts pouvant s’éclairer au mot jacobin prêté au Président Jiang Zemin : « la fortune politique du Parti au XXIème siècle, pourrait dépendre de notre capacité à maintenir la stabilité en 1999 » !


A la loupe : Génie civil : Zhu Rongji sonne l’alarme

L’OCDE avait prévenu : une croissance soutenue par des projets publics, à moyen terme, conduirait à un gâchis des ressources, et un bénéfice limité à quelques secteurs. Et de fait, depuis lors se multiplient les cas de chantiers dangereux. On voyait la semaine dernière, cette voie rapide du Yunnan, ayant coûté 46MUSD, hors d’usage après 18 jours, puis ce pont piétonnier de 187 m près de Chongqing, qui s’effondrait après 3 ans de service : 40 morts évitables.

Cas le plus célèbre : la gare de Pékin Ouest, pour un coût de 0,6MUSD, a causé pour 2,42M USD de pertes. Tout cela pour cause d’allocation de contrats « au cercle fermé » des firmes proche du Parti, parfois plus spécialiste de l’« enveloppe rouge » que du génie civil…

Tout cela vaut la dernière campagne de contrôle de la SDPC (State Development Planning Commission) sur les principaux chantiers. On parle aussi d’une (encore très lointaine) loi sur les marchés publics. Ce que Zhu Rongji redoute le plus, il l’a dit à Yichang, site du Barrage des Trois Gorges en phase critique de construction : « toute négligence (sur le chantier) se paiera en désastres irréparables pour les générations futures ».

Le Premier Ministre envisage, ce que le secteur et le Conseil d’Etat refusaient hier : « d’inviter… des firmes étrangères spécialistes en contrôle d’ingénierie, à aider à vérifier la qualité de certains secteurs critiques sur le chantier »… Clairement, Pékin veut reprendre le contrôle. Voudra-t-elle payer le prix, en créant un contrôle indépendant de la haute administration ?

 

 


Joint-venture : Pour Airbus, la vie en rose

•Airbus (Chine) n’a pas d’état d’âmes : la République Populaire de Chine devra débourser plus de 100 MM USD d’ici 2017, pour 1000 appareils neufs, rien que pour remplacer les avions obsolètes et faire face à l’augmentation « normale » du trafic.

• Les malheurs de Denway, partenaire de Peugeot dans la défunte GPAC (Guangzhou Peugeot Automobile Corporation) de Canton, n’en finissent pas : gros producteur de pièces auto, ses pertes, de janvier à octobre 1998 ont décuplé à 36MHKD,  tout comme ses dettes (515M HKD). Son passif égale désormais 3,8 fois son capital. Tout cela ne la met pas en position idéale pour ponctionner ses actionnaires de 530MHKD, et payer sa part dans la nouvelle Joint venture avec Honda, laquelle, en retard, n’a pas débuté la production.

 


A la loupe : Comment défaire les mauvaises dettes ?

Cet été, les quatre soeurs bancaires (China Construction Bank, Industry and Commerce Banking Corporation, Banque de Chine et Agricultural Bank of China) ont reçu 32 MM USD en bons d’Etat, qui ont doublé leur capital, lui permettant de passer au seuil légal de 8% de leurs encours.

Mais cet assainissement est compromis par les mauvaises dettes, celles dont l’intérêt reste impayé plus de trois mois, soit, pour les quatre, un passif évalué à 240 MMUSD (25% des encours – le bilan pourrait être bien plus lourd).Or, les 4 soeurs détiendraient ensemble 64% du capital chinois.

Pour sortir de l’impasse, toute chirurgie spontanéiste est impossible : elle aboutirait à des banques à capital négatif (= faillite). Pékin a décidé de s’inspirer de la technique appliquée pour le sauvetage des caisses de retraites américaines, et du Crédit Lyonnais : la « structure de défaisance ».

C’est à la CCB qu’échoit l’« honneur » redoutable d’étrenner le système. Une entité séparée :

[1] rachètera les créances à valeur faciale, opération financée par obligations;

[2] récupérera ce qu’elle pourra des débiteurs;

[3] fera éponger le déficit par la banque, sur ses profits futurs, ou par le Trésor Public. La beauté du système tient au fait que dès le premier jour de la défaisance, les dettes ne sont plus celles de la CCB !

Toute l’opération apparaît tributaire de la confiance de l’épargnant, d’autant que la durée de vie du titre sera longue (10 ans?). Mais y aura-t-il assez d’épargne pour racheter cette dette ? Au plan national ? Assez de profit pour rémunérer l’emprunt ? En tout cas, la technique employée trahit le souci n°1 du curateur : gagner du temps !


Argent : La taxe d’essence, ET les péages

• La liquidation de la GITIC (Guangdong International Trust and Investment Corporation), le 10 janvier, fera date. Fermée en octobre 1998, cette deuxième  Entreprise d’Etat d’investissement de Canton, a laissé jusqu’à 4 MM USD de dettes (le chiffre réel est secret d’Etat). Faillite exceptionnelle, prononcée hors tribunal par le Conseil d’État, qui financera la fermeture- à sa guise.  

Contradiction : la loi chinoise ne permet pas de privilégier le créancier étranger; mais si l’Etat ne rembourse pas les prêts autorisés par la SAFE, l’investisseur étranger en tirera les conséquences, aggravant la pénurie de crédits : à Canton, par exemples, trois autres grandes compagnies d’investissements ont cessé d’assurer le service de leur dette, faute d’argent frais !

• Dépeinte par Xiang Huaicheng, ministre des finances, 1999, pour la Chine, ne laisse « pas de place à l’optimisme ». Le déficit budgétaire sera d’au moins 12,7MMUSD, soit 10% de plus qu’en 1998. L’emprunt public (bons d’Etat) sera de 316,5MMY (38MM USD) soit 15% de plus. L’Etat poursuit donc sa politique de grands travaux, profitant de son faible endettement.

• Au 1er  avril, le litre d’essence augmentera de 1,15Y (il est à 2,3Y), et celui de diesel, de 0,95Y. Taxe supposée remplacer toutes les ponctions des pouvoirs locaux (timbre, péage etc.) sur la circulation. En décembre, les députés de l’Assemblée Nationale Populaire avaient rejeté cette taxe du carburant, qui lésait l’intérêt des provinces (en « recentralisant » cette taxation).

Finalement, le pouvoir a dû compromettre : la taxe d’essence entre, mais se maintiendront les péages des routes financées par l’étranger, le privé, ou les pouvoirs locaux. Cela fait beaucoup de routes, et on peut douter que le consommateur y économise, comme prévu, 2MMUSD par an !

• Depuis février 98, le groupe agro-technologique Hainan Minyuan était suspendu en Bourse de Shenzhen, pour fraude sur son exercice 1997. Deux de ses dirigeants étaient parents de Deng Xiaoping (Wu Jianchang, gendre; et Deng Pufang fils). Chargée de remettre Minyuan sur les rails, une Entreprise d’Etat de la capitale, Beijing Residential, vient (4 janvier) de faire élire un nouveau conseil d’administration : ambiance explosive des petits actionnaires, qui craignent un « coup d’accordéon », à la reprise de la cotation.

• L’an passé, dit le sondage China Daily, seuls 19% des porteurs en bourse ont fait des profits (moins de 30%), et 20,5% ont fait opération blanche. 25% ont perdu 30% ou plus de leur capital, et l’Index de Shanghai, « étrillé » en 1998, a perdu 7,5% (parts « A », réservées aux nationaux).

• Le secteur privé obtient lentement les privilèges des autres groupes d’Etat et à capital étranger : vingt groupes industriels privés viennent d’obtenir la licence d’import export. Parmi ceux-ci, 10 du Sichuan privilège économique pour une province de l’intérieur, en retard sur la côte). Pour obtenir cette licence, il fallait un capital d’au moins 1MUSD et d’un marché import-export supérieur à 1MUSD sur 2 ans.

 


Pol : Un ministre sous les verrous

• Spectaculaire, l’opération anti-contrebande de l’été (cf vdlc n°31/III) avait tourné court après quelques semaines. Sur l’année entière (janvier-novembre), les saisies ont doublé, atteignant 12MMY (indice d’un doublement de la contrebande elle-même). Le « marché gris » est évalué à 15% des imports chinois (soit, en valeur, 30MMUSD).

D’où aujourd’hui, la création d’une « police des douanes », unité d’élite, supposée incorruptible, aux officiers tous diplômés. Ses 10000 agents seront répartis en 42 commissariats le long de la côte, à la source du trafic. Or, est annoncée l’arrestation pour corruption de Li Jizhou, vice min. de la Sécurité Publique, ex-patron de la répression de la contrebande. Ce qui confirme la volonté de Jiang de frapper haut, et explique peut-être que ce corps dépende des douanes, non de la police.

• Pékin est chagriné par le rapport de la Commission d’enquête du Congrès américain,qui conclue à un effort systématique (et couronné) pour obtenir des technologies militaires sensibles, notamment via les producteurs et exploitants de satellites Hughes et Loral. En même temps, un ancien chercheur chinois de haut niveau (sur les systèmes d’armes nucléaires), ayant fui en 1989, est en prison en Chine, où il était revenu: accusé d’avoir fourni ses informations – aux Etats-Unis !


Temps fort : 1999, année des réformes et des festivités

1999 doit être, pour Pékin, une année de célébration socialiste. Pour les festivités du 1er  octobre, 67 projets grandioses sont en train de changer le look de la capitale (nouvelles universités, musée, avenues, métro…), dotés de 13,6 MMUSD. Effort aussi sur le front de la propagande. La Chine espère lancer d’ici décembre un satellite habité (avec un vecteur capable de déplacer 20 t).

Les réformes des Entreprises d’Etat, de la finance et de la Sécurité Sociale gardent toute priorité. L’assuranceretraite sera étendue à la plupart des villes, ainsi que la médicale (2% de prélèvement obligatoire, 6% de contribution patronale). Un plan-logement audacieux verra le jour (8%, puis 9% des salaires, et le même montant en subvention, pour aider à acheter le logement à l’Etat).

Pas assez, toutefois, pour faire décoller le secteur, toujours trop cher (à cause des taxes !) et manquant d’un cadre légal protégeant les droits des propriétaires.

D’ici 2002, l’Assemblée Nationale Populaire, « usine législative », sortira 89 lois qui affecteront tous les secteurs : loi « législative » (sic), interdisant aux ministères de concocter des lois à leur profit, lois des contrats, anti-trust, linguistique (favorisant le  putonghua), des télécoms, des ports, des droits de succession, lois (révisées) des entreprises, des brevets, des droits de marque

Tout cela suggérant un régime à la fois audacieux et timide, reculant le moment d’un saut dans l’inconnu et en attendant, épuisant le dernier miel de la réforme économique inventée il y a 20 ans juste, par le patriarche Deng Xiaoping.

 


Petit Peuple : De guerre clanique, et de la contraception des anguilles

• C’est assez effrayant, mais la Chine a le courage d’en parler : selon Hebdo des affaires (Shanghai), un rapport secret de la CASS (Académie chinoise des Sciences Sociales) constaterait que 120 garçons naissent pour 100 filles. En 1995, le taux était de 116; le taux mondial est de 106. Le dernier chiffre est sujet à caution (les statistiques chinoises n’intègrent pas, par exemple, les millions d’enfants ruraux ou SDF non-déclarés, qui sont surtout des filles).

Cause de ce déficit en filles : la préférence culturelle pour les garçons, et (probablement) les avortements sélectifs (illégaux, mais incontrôlables), suite à repérage du sexe par échographie. La Chine produit 10000 de ces appareils par an. Conséquence certaine : jusqu’à 111 millions de gars (1/6) d’ici 20 ans, ne trouveront pas femme. Ils seront ruraux, analphabètes, et trop pauvres pour acheter compagne !

• Paysan mongol lourdement endetté, Song Xianggui pensait « estourbir » à la dynamite les passagers de son bus, pour les dévaliser. Il s’est trompé dans la dose : 19 morts, et la sienne ne tardera pas, s’étant fait prendre.

• Le personnel volant de Cathay Pacific a de bonnes raisons de se plaindre, la compagnie étant contrainte par deux années très difficiles, à des sacrifices. La direction lui offre, soit de travailler plus, avec augmentation rognée, soit le gel du salaire, soit les licenciements. Pilotes et hôtesses répliquent en menaçant d’une campagne « porte de prison » : pas de sourire, 1 heure par vol. Mais alors, pourquoi voler Cathay?

• Tout bon Shanghaien adore les anguilles. Celles dominant le marché récemment, battent tous les records de taille (jusqu’à 60 cm). Malheureusement, un pisciculteur bavard a tué le marché, en avouant sa méthode : voyant que ses anguilles passaient un temps indu à la fraie, il les a mis à la pilule contraceptive… humaine !, obtenant ainsi un gain de poids de 30% ! L’Université halieutique de Shanghai (cela existe !) met en garde les chalands.

• Cela peut arriver partout, en période de sécheresse. C’est arrivé entre Wangwu et Xingjialin (Shandong), villages de pêcheurs : une guerre tribale, pour le contrôle du réservoir. Le 10 octobre, après des mois d’animosité, Mao Xinhong, chef de la police de Wangwu, fit venir ses gars au bord du lac, et tirer au pistolet sur les barques de Xingjialin.

Puis, trouvant trop faible la puissance de feu, il fit mander fusils et renforts, et courser ceux d’en face, à travers le plan d’eau, blessant onze et tuant un homme. Dans son rapport, il fit passer son acte comme une victoire de l’ordre civil. On s’étonne presque d’apprendre que le Commissaire et ses tireurs d’élite ont été arrêtés – sembletil, suite aux notes d’hôpital impayées !