Le Vent de la Chine Numéro 18

du 2 au 8 mai 1999

Editorial : Forum Economique Mondial : un Forum entre deux marées

C’est à un Forum taiseux que Pékin a pu assister. Non que le choix des thèmes (le maintien de la réforme des Entreprises d’Etat, et la relance) ait été moins pertinent que les années précédentes, ni moins prestigieux le choix des intervenants extérieurs (tel sa présidence, l’américain  F. Steingraber, patron du groupe A.T. Kearney).

Mais dans cette enceinte, les étrangers ont pour fonction d’aider leurs hôtes, par leur regard extérieur, à accoucher de directions futures.

Cette fois, la présence chinoise était mince: le Gouverneur de la Banque centrale (BPdC) Dai Xianglong, le vice 1er Ministre technique Wu Bangguo, quelques Présidents d’organes régulateurs (SETC, CSRC). Pas de Zhu Rongji, ni de Li Lanqing, ni de Wu Yi, les dei ex machina de la réforme…

Des raisons vieilles, d’autres immédiates, ont joué dans ce silence, imprévu pour cette fête de la Chine dans le Club des affaires du monde:

– pas, comme en 1998, de nouveau gouvernement, ni de politiques nouvelles,

l’épée de Damoclès de la réforme administrative (menaçant toujours bien des postes en haut lieu),

– l’imminence de l’entrée à l’OMC – les négociations en cours, les in-certitudes sur les conséquences, exacerbant le devoir de réserve,

– et in extremis, cette stupéfiante manifestation dimanche 25 avril, Place Tian An Men (après la sortie du VdlC n°17), de 10.000 militants du groupe  Falungong, mi-sectaire, mi-martial, peu connu, très organisé, revendiquant des 10aines de M d’adeptes. Ce 1er geste de défi populaire depuis 1989, à six semaines de l’anniversaire du massacre de la Place TAM, a suffi pour inciter les hôtes chinois à la prudence, et pour renforcer ce sentiment d’une Chine à l’aube d’une épreuve du feu, comme peut-être jamais en 50 ans: celle de l’adieu à jamais à l’économie socialiste, et de l’intégration complète dans les circuits économiques mondiaux

 


A la loupe : L’étranger veut le yuan flottant

Question-phare, posée lors du Forum: celle de la monnaie.

Wu Bangguo, vice 1er ministre, a une nième fois réaffirmé la promesse: «le RMB ne dévaluera pas».

Jusqu’à présent, pour ce credo inflexible, Pékin recevait du monde un brevet de civisme. Cette fois-ci, il a rencontré un mur de critiques! «Garder une parité fixe au USD», dit cet expert, «mène à la catastrophe. C’est ce qui s’est passé en Russie… En Amérique latine… Le postulat de ne pas dévaluer… est une erreur. Cela donne aux opérateurs l’illusion, que la garantie de l’économie nationale se trouverait en Amérique…»

Déclinée de multiples manières, cette demande de mettre le RMB à la même enseigne (découplée du USD) que les autres monnaies d’Asie, a été partiellement reconnue par ce ministre chinois: «la Chine veut un taux stable, ce qui ne veut pas forcément dire ‘fixe’».

Question simple: pourquoi cette croisade US, contre un Yuan fixe? Toutes les réponses se valent, sur les avantages (pour la Chine, ET l’investisseur américain) d’un RMB ramené à sa valeur réelle par l’offre et la demande:

pour jouir de la libre convertibilité

pour enrayer l’hémorragie de devises l’an dernier (67MMUSD) hors du pays,

pour permettre aux industries américaines sur place de profiter d’une relance des exports,

pour alléger l’appareil de contrôles des changes en place, satisfaisant les tenants d’un centralisme « à l’ancienne », mais pas ceux de l’ouverture, de la réforme… et de l’OMC!


A la loupe : Structure de défaisance : est-ce bien la solution?

Cet instrument (cf VdlC n°17) copié des USA pour résorber les mauvais prêts bancaires, a été critiqué lors du Forum. Le Resolution Trust Fund pris pour modèle, faisait racheter par l’Etat 150MMUSD, soit 1% de la dette nationale américaine. Mais les prêts insolvables chinois forment une part bien plus grave, 25 à 40% des «actifs» des 4 grandes banques, détentrices de 90% de la masse monétaire, soit 2000MMUSD chez les banques, 500 chez les ITICs et 200 dans les dettes triangulaires.

Ces pourcentages parlent d’eux mêmes: ni l’Etat, ni l’épargne ne suffiraient à racheter une telle masse. D’autant que la loi de la faillite serait (dit l’étranger) anticréditeur, et le marché pour ce genre de titres, limité (ni étranger, ni porteurs privés ne devraient y toucher).Autre incertitude: quelle garantie, que les Quatre Soeurs ne feront pas d’autres mauvais prêts?  Aucune, disent les experts, qui voient cette banque toujours figée dans des réflexes administratifs, en dépit des débuts de réforme de l’an passé: «le potentiel est grand,» dit l’un d’eux, «pour faire de la banque un cauchemar  public et non un outil du marché».

Suite aux consignes très sévères d’éviter de nouvelles pertes, les banques ont en 1998 cessé tous nouveaux prêts. En 1999,les dernières consignes ont été de rouvrir le robinet du crédit -et des risques d’erreur : retour, case départ!

La Chine a pourtant, on lui en rend acte, fait preuve d’un grand courage en mettant en faillite un «gros poisson», la GITIC, la Guangdong Industrial Trust and Investment Corporation. Mais un seul suffit-il pour faire peur à tous les autres?

Le seul avenir possible des banques, consistant à prêter l’argent privé (l’épargne, 45% du PNB, la plus grosse du monde) au secteur privé émergeant.

Toutefois, ce dernier, fort demandeur de crédits, n’apparaît souvent pas encore lui-même éligible à de gros prêts,- avec sa structure financière souvent plus riche en dettes qu’en actifs, et sa comptabilité «amateur», vide de document permettant au prêteur de réaliser son évaluation du risque. De plus, les PME privées ont trop tendance à faire «coréen», ou «Entreprise d’Etat»: à chercher à se diversifier trop tôt, dans les métiers sans rapport: «pour le banquier, financer un groupe textile, dans un projet de production de motocyclettes, n’est pas un bon risque».

Un des aspects du défi qui s’ouvre aux autorités financières est celui des marchés monétaires parallèles, style coopératives monétaires (fort prisées dans le sud côtier), marché noir etc. L’État les poursuit de ses foudres légales, afin d’éviter les accidents immanquables en ce genre d’activité -les carambouilles et  faillites pyramidales. Et pourtant, dit cet analyste américain, la seule bonne réponse consisterait à laisser vivre ce marché parallèle, tout en ouvrant la bourse chinoise aux « cow-boys» (petits opérateurs) qui en sont aujourd’hui interdits.

Par exemple (le Vice-ministre des Finances Lou Qiwei y a fait allusion) en mettant sur le marché une part des 70% de titres des EE, statutairement contrôlés par l’Etat.

La question «de vie ou de mort», pour le régime comme pour les banques, étant de débloquer cette épargne improductive, pour nourrir une croissance générée par le secteur privé: «il serait facile de nourrir, durant 10 ans, une croissance axée sur la construction de biens durables, et de logement individuel. C’est ce qui s’est fait en Amérique en ’45, en dotant chaque G.I. retournant de guerre, désargenté, d’une maison à crédit».

 

 

 


Argent : Le cadre nouveau, chinois

Au sein des groupes étrangers implantés en Chine, la tendance va irrémédiablement vers la reprise aux expatriés, par un personnel chinois qualifié, des postes de responsabilité. Mais pour ces groupes, la leçon des expériences passées doit être retenue: le seul critère financier ne suffit pas.

La localisation doit être prudente, préparée et intégrée dans la stratégie globale de l’entreprise. Elle s’adresse plutôt aux postes techniques, vu la formation continue, et le professionnalisme croissant du cadre chinois – au coût qui cesse d’être négligeable. Celui-ci devrait être formé à l’esprit «maison», séjourner au siège, à l’étranger. Enfin, un risque évoqué : que le nouveau « chef » chinois soit mal acceptée par le personnel, altérant alors la relation de travail, établie avec l’expatrié.

 

SES ATTENTES:

– demande de directives précises, et travail d’équipe,

– demande de stages réguliers de formation, et de pouvoir éprouver ses compétences,

– demande de motivations, promotion,

– demande d’un sentiment d’appartenance à une famille d’entreprise.

 

QUELS INVESTS ETRANGERS AU 21. siècle?

Le cadre légal de ces investissements évolue, grâce à l’ouverture à une gamme élargie de secteurs d’activités (chimie, agroalimentaire, technologies de l’information, loisirs, finance, environnement, santé…).

Les Joint ventures sont perçues comme chose du passé -remplacées, par les investissements en pleine propriété (près d’1/2 des invests étrangers directs en 1998), les holding (structurations des intérêts locaux des multinationales), ou de rachat (partiel, total…) d’Entreprises d’Etat

A la base de cette évolution : la prise de conscience généralisée de ces conditions sine qua non pour la réussite de toute implantation en Chine: le contrôle de la gestion par la partie étrangère, tant au plan financier qu’à celui des opérations (achats, commercialisation), la transparence avec le partenaire, la qualité du personnel et sa formation. L’imminente OMC ouvre des portes et garantit une plus grande flexibilité pour l’investisseur. Dans son approche professionnelle, comme dans ses transactions, la Chine se rapproche des normes internationales.

 

PROFITABILITE DES CIES ETRANGERES

D’après un sondage réalisé par A.T. Kearney, 40% des firmes étrangères en Chine sont profitables, au moins un tiers perdent de l’argent, plus de la moitié sont en retard sur leur agenda de profitabilité, et un tiers des firmes interrogées se sont retirées d’au moins une J.V. Ces firmes «ont de plus en plus de mal à tolérer un faible retour sur investissement.», ce qui se reflète dans la chute des placements directs étrangers : moins 14,6% durant le 1er trimestre, selon l’économiste-étoile Hu An Gang.

 

POIDS REEL DU CHOMAGE…

13 M en ’97, mais la vérité devrait être le double, du fait que bien des gens ne peuvent, ou ne veulent pas s’inscrire (peur de perte de face).Si l’on intègre à cette masse une part des 80M de migrants, majoritairement désoeuvrés, le total des chômeurs oscille entre 50/100M (face aux 600 M de travailleurs chinois), soit 10%!

 

LE SECTEUR PRIVE

Au taux de croissance de 30%, il contrôle déjà 20% du PNB et 37% du marché.

Comme obstacles à son développement, mis à part les facteurs internes, le privé rencontre deux problèmes dans ses rapports avec l’Etat.

1. La tendance publique à garder le contrôle par le maintien d’une «économie d’approbation»: licences de production, mais aussi d’export, octroi de financements, mais aussi le mécanisme inverse : l’interdit aux personnes morales de se placer en bourse ;

2. l’impossibilité, ou le danger pour les PME établies comme «coopératives», en réalité privées, de se mettre en règle en «ôtant leur chapeau rouge»: l’Etat (les provinces) freinent ce processus, craignant un affaiblissement de l’influence de l’Etat-Parti. En dépit de toutes ses «références dures», le privé, «découvert sur le tard», aguerri par la nécessité, a le vent en poupe: «d’ici 5 à 10 ans, il ne sera pas ‘important’ en Chine, mais ‘le leader’ en tous secteurs -comme partout ailleurs!»

 

IDG, «BANQUIER» POUR PME CHINOISE

Int’l Data Group, géant américain des media des industries nouvelles, a en Chine une démarche unique: prendre des participations dans des «bonnes idées high tech, privées».

Depuis l’ouverture de son fonds «capital venture», en 1993, il a placé 270MUSD dans ce type d’affaires, souvent émanant d’ex-fonctionnaires  xia hai de («descendus à la mer, passés à leur compte). IDG compte y investir pour 1MM USD en 7 ans, sur 400 projets, dont 35% dans les télécom et 20% dans internet (le e@com-merce). Appréciation attendue: 35% à 45%/an. Recette de P.Mc Govern, Président du groupe: «on évalue le sérieux des gens, on n’attend pas que le 1er projet soit le bon, on lui fournit le plus d’info/assistance possible, outre le financement, et on fait confiance -à long terme».

 

MIRAGE OU SECTEUR EMERGENT ?

le e@commerce

Mme Lyric Hughes, la bien nommée Présidente de China Online, n’hésite pas à annoncer pour 2005, 200M d’abonnés à Internet (notamment par des connections «à partir du téléviseur»), avec forte percée dans les campagnes. Faute de crédit hypothécaire, le boom de construction privée ou d’achat automobile n’est pas pour demain, tandis que les achats de base (TV, réfrigérateur, moto..;) sont partout déjà faits.

Tel est le terreau du «e-commerce», sur Internet. 80% des 2,1M abonnés actuels se disent prêts à acheter via ce support, et l’autre outil indispensable, la carte de crédit (à puce) avance vite.

L’OMC va priver les PTT chinois de leur monopole -qui freine le e-commerce, en prélevant 80% des revenus des serveurs, contre 5% aux USA. Le e-commerce, permet un choix illimité de biens exposés, est désinflationniste (en supprimant les intermédiaires), et garantirait un meilleur service après-vente, tout en accélérant la pénétration des marques, étrangères et chinoises.

Un seul danger: la taxation, «qui, dans des pays comme France et l’Allemagne, est en train de tuer l’enfant au berceau». La double question du VdlC est restée sans réponse: « Comment comptez-vous entretenir les 200 M d’appareils de connexion à Internet en l’an’2000? Avez-vous déjà été dans un village chinois ? »


Temps fort : Aquarium…

Nous pardonnera t’on de poser, sur cet univers éphémère des participants du Forum (que tout sépare), le regard simple du marin?

Le spectacle ayant, en effet, quelque chose d’une république sous-marine, avec sa faune bigarrée, évoluant dans l’ombre des galeries cossues du China World Hotel. En voici quelques spécimens (liste non exhaustive, faute de place):

1. des cohortes de jeunes forts en thème, surdiplômés et polyvalents, tel cet imberbe professeur à l’université Tsinghua, conseiller de la mairie de Shenyang, s’exprimant sans accent en anglais, français ou chinois,

2. l’inévitable ex-sénateur républicain, autodéclaré «très proche de George Bush», lyrique sur l’énergie irrépressible des masses chinoises et leur vertu n°1: leur «amour sincère pour l’Amérique». Pas sot, ce lobbyiste conseille au Céleste Empire d’ouvrir grand leur marché aux PME yankee, «qui font 75% de l’économie américaine»: les politiciens passent, le business reste!

3. affolé par trop de mauvaises affaires, ce manager européen solitaire, entr’aperçu dans les couloirs, balbutiant des propos insensés mêlés de vagues insultes,

4. dépêchés depuis Karthoum, noirs comme l’ébène dans leurs burnous immaculés, deux mollahs de l’ agit-prop soudanaise, intervenant pour chanter leur Révolution, fustiger le capitalisme  judéo-chrétien dans son ignorance des choses spirituelles, sans oublier de conclure leur homélie par un vigoureux Allah u-Akhbar!

5. tandis qu’un Président d’une Compagnie maritime chinoise, notoire héritière d’un passé stali-nien militant, exécute dans un anglais trébuchant un discours embrasé, exaltant les progrès universels de son groupe, pourfendant au passage la CIA, avant de conclure satisfait, s’applaudissant pour inciter à le suivre l’auditoire médusé!

La plupart de ce beau monde, sous jetlag, étant peu enclin à (capable de?) sortir de l’aquarium pour affronter rue, poussière et lumière de la Chine – sujet du jour!