Le Vent de la Chine Numéro 14

du 4 au 10 avril 1999

Editorial : Canton, la punie !

• Rarement on a vu époque moins faste pour Canton, notoire pour ses excentricités, son génie du commerce et un hédonisme exacerbé par son luxuriant climat. Ayant de longue date l’oeil sur l’égotiste province, le pouvoir avait dès 1998, imposé le transfert à Pékin de son premier , tongxiang (« fils du pays »), le Secrétaire du Parti Xie Fei (depuis lors « malade » et sous enquête pour corruption).

A présent, la plus forte reprise en main dans l’histoire post-maoïste est en cours, suivant un scénario sophistiqué, signé Zhu Rongji (inspiré par une « semaine de repos » sur place en février). Canton est le laboratoire, mais les mesures seront étendues au territoire national. Si elles réussissent, la Chine, en quelques années, pourrait juguler son fléau de la corruption !

• En matière de contrebande, une ville est épinglée Zhangjiang où plus de 100 douaniers, compromis dans une affaire de 10MMY étaent couverts par le chef du Parti : il a été suspendu, les cadres ont été doublés, (c’est à dire remplacés) par des collègues de l’extérieur, et une nouvelle règle de la  jilüjiancha (Commission de vérification de la discipline du Parti Communiste Chinois), prévoit, pour tout cas de corruption majeure, la mutation du Secrétaire du Parti local, pour laisser travailler les enquêteurs, libres de toute interférence. Ce qui apporterait, si la procédure est adoptée, une silencieux, mais vigoureux début de réforme politique !

• De toute manière, coupables ou non, d’ici deux ans, tous les chefs et sous – chefs cantonais, politiques, judiciaires et policiers seront remplacés par des « mandarins » : c’est la fin de la « cantonese connection ». C’est ainsi qu’à Shenzhen, Pékin arrivent un maire et un Secrétaire du Parti nouveaux (ce dernier, Huang Liman, homme de confiance de Jiang.

• Sous l’impulsion du nouveau chef du Parti Li Changchun, la campagne contre les  sanhaitrois vices », drogue, prostitution et jeu) bat son plein. Deux villes sont épinglées : Panyu (où trop de politiciens de Hong Kong ont été vus récemment dans des lieux équivoques),et Leizhou, juste nettoyée de ses  sanhehui, (triades), au prix de nombreuses arrestations de gangsters et de cadres complices.

• A 57 ans, Shao Ruicai, ex-étoile montante de Canton (ville), Directeur des finances, est depuis janvier un homme fini, en prison pour fraude. La presse l’accuse d’avoir humilié l’appareil : sic transit gloria mundi !

• Le dossier des media locaux contre leur ex-leadership, comporte (au moins) 2autres charges : avoir laissé les firmes, en 1998, « évader » pour 1,6MMY de cotisations – retraite (10%), et les villages frauder le planning familial, atteignant en 8 ans une croissance démographique nette de plus de 12% soit 40% de plus que la moyenne nationale…

Lors du Plenum de mars de l’Assemblée régionale, notamment suite à la faillite du groupe GITIC (Guangdong International Trust and Investment Corporation) effrayante et humiliante pour l’opinion, de nombreux élus « régionalistes » ont « lâché » leur pouvoir sudiste : la voie était libre pour la reprise en main complète, exigée par le Premier Ministre.

Tout se passe comme si Pékin et Canton s’accordaient pour nettoyer les Ecuries d’Augias, les ententes mafieuses et illégales, pratiques vécues désormais comme un luxe insoutenable. C’est ainsi que la crise asiatique est mise à profit par le tandem Jiang Zemin et Zhu Rongji,à travers le « cas Canton »,pour réaliser un double objectif, rêvé et inaccessible depuis 20 ans : reprendre le contrôle des provinces (rétablir ce levier du pouvoir),et endiguer la corruption. Pour Zhu, c’est, avant de reprendre ses réformes verticales (administrations, logement, Entreprises d’Etat) bloquées depuis 6 mois, le grand débroussaillage horizontal. Pour Canton, coincée entre cette purge et la dépression, plus sévère chez elle qu’ailleurs (Canton étant, dans le pays, l’espace le plus avancé et le plus comparable aux « petits dragons» voisins, y compris dans ses exports et ses investissements périlleux, style « bubble economy »), c’est l’ouragan et pour des années sans doute, la fin de l’insouciante arrogance.


Joint-venture : FIC, 1er géant de l’ordinateur, en franchise

• En 1998, pour permettre au Centre et à l’Ouest de combler son retard de développement sur la Côte, l’Etat promettait les trois quarts des crédits publics en projets d’infrastructures et de désenclavement,et des encouragements aux investissements étrangers. Mais 12 mois plus tard, les résultats dans le Henan, une des provinces les moins mal loties de l’intérieur, leader national dans la plupart des productions agricoles, sont loin de convaincre : les apports étrangers y ont diminué de 70% (de 3,12 à 0,9MM USD).

Ce bilan fait état de nombreuses fraudes : 37% des implantations étaient fictives, créées par des intérêts sino-chinois à l’affût des avantages fiscaux ou bancaires. Les autres ont durement pâti de l’effondrement du marché asiatique : 24% seulement des « existantes » ont fait des profits.

• FIC (First International Computer Inc), « poids lourd » de l’informatique à Singapour, mise peut-être son va-tout sur la « Zone de Libre Echange » de Canton, en y installant un complexe intégré, sans partenaire, de 12 filiales d’ici 2002, dont les deux premières, Broad Tech. et Prime Tech. viennent d’être inaugurées. Pari audacieux, alors que la Chine protège ses industries intérieures.

Mais FIC arrive avec un concept neuf, étant le premier constructeur en Chine d’ordinateurs à façon, tourné vers l’export, opérant en très grosses séries. A terme, le complexe de Canton produira 3 millions d’ordinateurs en kit, 4,8M cartes mère, 2,4M m² de circuits imprimés, 300 000 portables… Chiffre d’affaires attendu: 3,6MMUSD par an.

 


A la loupe : Comment réduire le déficit américain ?

Consigne apparente en Chine : Buy american ! Voici un extrait de la moisson des jours passés :

[1] En télécoms, UNICOM investit 3MMUSD dans 190 villes, en réseaux CDMA – des Etats-Unis.

[2] Enron versera 400MUSD dans un gazoduc de 745 km entre Chongqing et le Hubei, dont Enron possédera 45% c’est une première !

[3]Bank of New York obtient sa licence pour Shanghai, et Chase Manhattan pour Pékin. A Shenzhen, Citibank (et la banque Tokyo-Mitsubishi) ont leur feu vert pour opérer en Renminbi.

[4] Avec Marubeni, Sithe Energies cofinance une centrale à charbon de 454MUSD à Puqi (Hubei), propriété des deux groupes (25/75%).

[5] Cargill, IMC Global vont livrer pour « bien plus que 100MUSD » en engrais phosphatés.

[6] Joint venture de commerce par Internet (e@commerce), annoncée entre Commercial Concepts et Beijing Huatai, un des plus forts marchés émergents dans l’informatique.

[7] Traco (Pittsburgh) ouvre à Wuhan une Joint venture de portes et fenêtres d’aluminium et vinyl.

[8] Livraison de 10 Boeing (400MUSD), commandés en option en juin 1998.

[9] Glenayre va équiper Chongqing telecom de son système intégré de messagerie voix, fax et texte (contrat «multi-MUSD»).

[10] A Pudong, Corning bâtit pour 77MUSD, une usine en propriété pleine, de substrats céramiques cellulaires, principe actif des pots catalytiques, pour équiper toute l’Asie à partir de 2001 : marché d’avenir, assuré.


Argent : Daqing, le début de la fin

• Après l’introduction des « papillons » autocollants et de la fourrière, horodateurs et parkings payants entrent en ce moment même dans les moeurs. Ce qui ne vas pas sans vides juridiques à combler. A Canton, cet homme d’affaires ayant garé sa voiture dans un parc payant (5 RMB), et ne l’ayant plus jamais revue, a obtenu en justice, du gérant, remboursement complet du véhicule.

Très inattendu, ce jugement, qui risque de faire jurisprudence, entrave le développement des parkings payants : ceux existants, prennent des assurances en partie redondantes avec celles des véhicules. Quant aux investisseurs, ils y regardent à deux fois, avant de financer une aire de stationnement !

• Le gisement de pétrole de Daqing, responsable d’un tiers de la production nationale, qui connut ses heures de gloire sous Mao, annonce pour la première fois dans son histoire, une réduction des extractions : 2%, à 54,5Mt cette année. La fermeture d’une fraction des 8000 puits en fin de cycle (qui seront à sec sous 3 ans, et dont la productivité est basse, pour cause d’équipements périmés et de remontée des eaux) doit permettre d’augmenter les profits d’un tiers (à 11,5 MMY), de rechercher des nouveaux sites … ou d’investir ailleurs !

• La CSRC (China Securities Regulatory Commission)  donne cette semaine le feu vert aux 7ème  et 8ème  fonds mutuels du pays : Taihe et Tongyi, de 2MMY chacun, à Shanghai et à Shenzhen. Une question intrigue les experts – pourquoi les six premiers fonds (Kaiyuan,Jintai, Xinhua, Puhui, Anxin et Yuyang), lancés depuis 1er  janvier 1998, concluent leur 1er  exercice par des résultats décevants (7,5  fen de profit, soit 7,4%), alors qu’ils étaient supposés caracoler en bourse ?

La réponse tiendrait au manque d’expérience des gestionnaires, qui ont abusé de la procrastination dans les opérations, laissant en friche leur meilleur atout : leur droit limité de préemption sur les nouveaux titres.

 


Pol : Les habits neufs de la mairie de Pékin

• Jeudi 1er, la rumeur surgit: Zhu Rongji pourrait renoncer à sa visite à Washington, à cause des hostilités entre l’OTAN et Belgrade, et d’un échec des pourparlers d’entrée de la Chine à l’OMC. Bruit, toutefois, à prendre avec réserves ! L’inquiétude de Pékin face aux frappes sur la Yougoslavie, est réelle. Mais pas au point de sacrifier ses intérêts à ceux d’un pays tiers. Les négociations « OMC » sont peut-être serrées, mais elles continuent, et la date butoir est pour l’été.

Enfin, si le voyage de Zhu était remis et les discussions interrompues, tous les sacrifices chinois envers les Etats-Unis (cf page 1 col. droite), seraient en vain : en bref, ces sons inquiétants, apparaissent tactiques !

• Après le remplacement le 10 février de Jia Qinglin par Liu Qi (ex-ministre des industries métallurgiques) comme maire de Pékin, la ville poursuit son opération peau neuve. Deuxième femme nommée vice maire, Zhai Hongxiang dirige les taxes et finances. Pour 1999, 60 projets sont en cours, tels l’expulsion de 50 usines polluantes, l’adduction du gaz GPL à l’intérieur du 3ème périphérique…

Le projet le plus « lourd », pour « rapatrier l’emploi », consiste à expulser 300000 migrants vers leurs provinces : la police spéciale sera doublée (de 5000 à 12000), les locations au noir seront rompues, les propriétaires punis (3 ans d’interdiction de location). Les permis de résidence temporaires devraient tripler… Mesures désagréables, mais les migrants, aujourd’hui frisant les 3M, ont décuplé en 10 ans.

• Une avalanche de cas de vol de marques, ces derniers mois, incite la CASS  (Académie chinoise des Sciences Sociales) à  réclamer une refonte de la loi des marques. Ainsi, Viagra (Pfizer), dont le nom chinois,  weige (« super-grand-frère », marque déjà employée à Taiwan) a été piraté par plusieurs firmes, profitant des délais d’homologation… Les groupes chinois ne sont pas épargnés, délestés de leurs marques par des escrocs plus rapides qu’eux à les enregistrer – quitte à les leur revendre à prix d’or…

• Est-ce pour la Qiminjie (fête des morts) de dimanche 4 ? Samedi 3, en direct à la télévision, Lin Shiyuan, 37 ans, responsable n° 1 dans la construction du pont du fleuve Qi, à Chonqging, dont la chute le 4 janvier avait causé 40 décès, a été condamné à mort. Lin avait empoché, sur ce contrat, 12000USD. Quatre autres officiels ont écopé de peines de prison.


Temps fort : OMC : la Chine à l’heure américaine !

Les Etats-Unis se retrouvent en avril, au coeur des pensées chinoises (cf notre illustration), des meilleures comme des pires. Côté noir, [1] les frappes de l’OTAN sur la Yougoslavie, que Pékin hait; [2] la motion critique déposée par Washington contre le « mauvais état » des Droits de l’homme en Chine – les Etats-Unis prient les Européens de soutenir leur tentative, « pour le principe », ce qui aura pour effet de les associer au risque, quelque soit le résultat; [3] la vague antichinoise aux Etats-Unis, sur fond d’accusations d’espionnage nucléaire en Amérique…

Côté blanc, [1] le déblocage et les progrès vifs enregistrés dans les négociations pour l’entrée chinoise à l’OMC, [2]la visite imminente de Zhu Rongji, homme populaire, à Washington, [3] la liste qui s’allonge apparemment d’heure en heure, de contrats ou lettres d’intention (voir colonne de droite), pour des fournitures en tous genres confiées aux Etats-Unis…

Tout ceci permettant de mieux comprendre l’appel aux milieux d’affaires yankee, réverbéré par le secrétaire d’Etat William Daley : « ce n’est pas le moment de céder à ceux qui voudraient faire de la Chine notre ennemi pour le 21ème siècle ».

Sur le tapis vert de l’OMC, les négociations se poursuivent, malgré les pressions grandissantes des groupes de pression industriels américains, aiguillonnés par l’imminence d’un accord : lobbies des producteurs de soja (qui veulent consolider leur accès actuel), de coton (exigeant un contrôle strict des subventions à cet ex-client et nouveau concurrent), de céréales (qui espèrent imposer à la Chine leur blé noirci de champignons « inoffensifs »), et jusqu’à Hollywood, qui prétend augmenter de 10 à 25 en deux ans, le nombre de ses films visibles dans les salles chinoises (face aux « 0 » visas accordés au Vieux Continent)…


Petit Peuple : Pékin : Le ‘retour en enfance’

• « Quelle chance! », se dit cette professeur de Changchun (Jilin), en trouvant le 10 février dans sa pile de copies d’examens, celle de son fils. Puis elle s’évanouit : ce dernier narrait à la correctrice (mais les Dieux vengeurs chinois veillaient!) que sa mère « était morte quand il avait trois ans »…Après entretien, il apparut que le garçon était moins affabulateur, que pathologiquement incapable d’aligner une phrase : il avait appris par coeur quelques corrigés-type.

A en croire le Centre (pékinois) de recherche de l’enfance et de la jeunesse, le cas n’est pas si rare : 82% des enfants de 10 à 15 ans, écrasés par la pression d’un système scolaire trop axé sur la mémoire, n’ont aucun projet d’avenir – ni de moyens pour s’exprimer de façon personnelle.

• Ces mois derniers, les zoos chinois ne valent rien à leurs pensionnaires. A Nankin et Hangzhou, un mystérieux maître-chanteur avertit anonymement depuis le 26 septembre : « si demain, je n’ai pas 40000Y, je tue le zèbre… la girafe » (etc.). Et comme les zoos ont toujours refusé, les animaux sont toujours morts empoisonnés.

A Shenzhen, c’est pire : les gardiens « gentils », battent les tigres pour leur apprendre à rester cois durant la photo. Les « méchant s» proclament qu’un tigre mort vaut mieux qu’un vivant : 30000Y à l’achat, contre 10 fois plus pour la fourrure, sans compter l’argent de l’eau de vie des os de la pauvre bête, concoctée au labo secret de ce sanctuaire des animaux sauvages.

• A époque nouvelle, vocation nouvelle : sous la surveillance des « maîtresses » en blouses blanches, les pensionnaires recroquevillés, aux yeux chassieux de la maternelle de Chaoshou Hutong, à Pékin, ne sont plus des bambins, mais des vieillards hagards et égrotants : c’est l’effet de l’inversion de la pyramide des âges, elle même due à la règle de l’enfant unique.

De 400 bambins en 1970, Chaoshou n’en avait plus que 60 en 1998. Les 2800 maternelles de Pékin, affectées du même syndrôme, viennent d’être regroupées, fermées, ou reconverties en homes de vieillards – avec « armes et bagages », les institutrices étant reclassées garde-malades !

 


Rendez-vous : Zhu Rongji en Amérique

• 06 – 14 avril : Zhu Rongji aux Etats-Unis

• 05 –  09 : visite Hosni Mubarak (Egypte)

• 06 – 09, Pékin : Foire de la réfrigération

• 17 – 22, Pékin : Foire de l’audiovisuel