Le Vent de la Chine Numéro 40
Gulangyu, à quelques encablures de Xiamen, en est le joyau, avec ses pinèdes et rochers sauvages que font chanter le vent aux jours de tempête, et ses pentes parsemées de villas méditerranéennes aux toits de tuile, aux terrasses de marbre blanc, reliées par des sentiers pédestres : la voiture, le vélo sont interdits. Ainsi rénovée, avec son patrimoine historique et naturel, Gulangyu est le symbole de Xiamen, une des plus agréables métropole du pays, qui cherche son avenir dans une voie encore méconnue en Chine : la qualité de la vie.
Xiamen, elle-même une île, s’est nichée sur le versant ouest, à 500 m du continent, ainsi protégée des marées et aussi (avantage appréciable) des canonnades nationalistes jusqu’en 1958, depuis l’île voisine de Qinmen. Mais surtout, Xiamen, la perle de la mer orientale, passe pour une des villes les plus cultivées, et compte 5 universités, 10% de sa population diplômée – vieille tradition.
Xiamen est aussi d’une propreté rare. Son air est toujours frais, sans doute grâce aux vents marins. Le centre impeccable, aligne une grand place de verdure et de bassins, bordés par une mairie et un Parlement régional aux lignes futuristes, entre lesquels des couples dansent à dix heures du soir, sous les haut-parleurs municipaux.
Toute l’île est bordée d’une autoroute flambant neuve, de plages, gazon, parterres de fleurs et de bananiers. Plus important, les étangs centraux de Yuandang, cloaque il y a 5 ans, ont été sauvés, notamment grâce à 6 centres d’épuration des eaux usées (dont 3 en construction) : dès aujourd’hui, 52% des eaux d’égouts sont retraitées (un record !), et d’ici 18 mois, les milliers d’usines locales devront cesser toute émission d’eaux usées et de fumées : « à l’avenir », nous confie le Chef du Parti, Shi Zhaobin (suite Edito), « nous n’aurons plus aucun projet polluant ».
Et de fait, le chantier naval, l’usine de caoutchouc ont franchi l’isthme vers le continent, les 7 zones industrielles et le nouveau port en eaux profondes, d’un tirant d’eau de 100 000t, ayant traité 470000 TEU (Ton Equivalent Unit) en 1998 (objectif = 1MTEU en 2000). Viennent aussi des multinationales attirées par le cadre, telle Kodak (usine en construction, de 650 MUSD, base pour l’Asie Pacifique), Panasonic, Dell (ordinateurs) ou Linde (chariots élévateurs)…
D’ici 2010, Xiamen, qui «aspire» chaque année des dizaines de milliers de travailleurs qualifiés, devrait passer à 4 millions d’âmes.
La chance de Xiamen, tient à Taiwan. Non seulement à cause des milliards de dollars que les insulaires ont été investir chez leurs cousins (avec qui ils partagent leur dialecte, le minan), mais aussi par la volonté de Pékin d’attirer l’île nationaliste, et lui préparer un « port d’accueil ». Xiamen a donc reçu depuis quelques années le privilège unique d’édicter ses lois économiques.
Ce qui lui a, entre autres, permis d’allouer 3% de son PIB (de 37MMY cette année) à la protection de l’environnement, et à des travaux gigantesques. Le centre est en reconstruction, à l’identique, tandis qu’une ville neuve, Haicang, se bâtit sur la rive continentale, reliée par un pont suspendu de 800 m de long (ouverture en octobre 1999).
Crise asiatique oblige, l’oasis de Xiamen, à y regarder de près, accuse des fissures : Corée du Sud et Japon ont réduit leurs investissement de 48%, mal relayés par les euro-américains (+ 38%). Tandis que les exports s’essoufflent (– 6% en décembre), et que parmi les Occidentaux venus occuper la place, rares sont ceux qui ont le sourire. Tel le néerlandais Paktank, qui a ouvert dans la zone indust’le de Haicang pour 200000 m³ de citernes, pour produits pétroliers et huiles alimentaires.
En principe, le marché est bon – le Sud n’a pas encore de grandes raffineries. Mais comme Pékin vient d’interdire toutes importations (pour traquer la contrebande et regarnir les caisses de ses Grandes Entreprises d’Etat), la Joint venture tourne au ralenti – pas un seul navire à son chenal d’accostage (prévu, après dragage, pour atteindre les 100 000 Ton Equivalent Unit)…
Même scène au terminal-conteneurs : seuls 2 rafiots libériens sont à l’amarre, presque toutes les grues ultramodernes (capacité 35 t), sont à l’arrêt. «1999 sera difficile », conclut le secrétaire du Parti, « nous espérons un aménagement des règlements de Pékin »!
Pour leur avenir, Xiamen a un espoir secret : la réunification de Taiwan. Dès 1987, la première Zone Economique Spéciale locale, l’avait été pour Taiwan, en raison d’un projet de centrale thermique de 3MM USD par Formosa Plastics), doté par Pékin de forts privilèges tarifaires.
Son abandon en 1993 suite au refus de Taibei, a forcé Xiamen à ouvrir cette zone au reste du monde – qui n’a suivi que tardivement, en rangs trop minces pour rentabiliser l’effort. Sur le fond, « tout cet énorme projet », confie un industriel expatrié, « n’a de sens que par la réunification – l’apport massif de capitaux insulaires. C’est un pari sur l’avenir, où Xiamen peut tout gagner – ou tout perdre ! ».
Avant la guerre, c’était la villégiature des étrangers – 13 consuls, des armateurs, commerçants, et beaucoup d’ecclésiastiques, catholiques et protestants. Ce pieux microcosme apporta à Gulangyu ses églises, ses chorales… et ses orchestres. Revendiquant son passé, Gulangyu dispose de 10000 instruments pour 5000 foyers, dont 400 pianos : record national, qui n’est égalé que par le taux de concerts privés.
Une école de musique vient d’ouvrir à Gulangyu. 300 élèves, recrutés sur concours – un tiers de l’île, un tiers de la ville, un tiers des provinces voisines. Elle fonctionnait depuis 1984, comme annexe de l’école primaire. A présent dotée de tous les gadgets modernes, y compris d’une cinquantaine de studios et d’un pensionnat, elle permet aux enfants de suivre, fait unique en Chine, des études normales, de front avec une formation musicale intensive, de 3 à 4h par jour ( instrument, orchestre, solfège), et au moins 2h de cours particulier par semaine.
Autre singularité : l’école privilégie la sensibilité sur la virtuosité – à l’inverse des conservatoires du pays. Et comme il se doit, elle remporte de plus en plus de prix dans des concours nationaux et internationaux – ce qui justifie son très haut niveau, comme on peut s’en assurer, au hasard des studios.
Tout ceci confirmant une bonne fois, que dans Gulangyu, même 10 ans de révolution culturelle n’ont pas privé la population du goût sulfureux de ce que l’on appelait à l’époque « drogue bourgeoise, capitaliste et étrangère » – la musique !