Le Vent de la Chine Numéro 39

du 7 au 13 décembre 1998

Editorial : Elections à Taiwan – scrutin exemplaire, tournant de l’histoire !

Avec 123 sièges sur 176 au Yuan Législatif (Assemblée Nationale), et 4% de plus sur 1996, c’est une belle victoire que reçoit le   Kuo Min Tang aux élections de samedi 5 décembre à Taiwan. Campagne marquée (suivant la jeune et vivace tradition électorale insulaire) par un folklore d’un baroquisme tropical (le Président Lee Teng Hui lui-même, n’a t-il pas osé s’y montrer vêtu, pour le haut, en légionnaire romain, et en kilt à partir de la taille?), mais aussi par une maîtrise technique, avec dialogues TV en direct, affrontement non-violent de dizaines de milliers de militants et chute de près de 50% des fraudes aux achats de votes.

Le résultat-phare de ce scrutin, concerne la mairie de Taibei. Deux ténors s’y affrontaient, jeunes, capables et populaires: pour le  Parti Démocratique du Progrès (DPP), séparatiste, Chen Shuibian, le maire sortant, et Ma Yingjeou pour le Parti du Kuo Min Tang (KMT), dit « sunny boy » parce que bel homme, ex-ministre de la justice (à 43 ans), qui avait traduit au tribunal les membres de son parti coupables de corruption. Défiant tous les pronostics, dans ce combat de géants, c’est Ma qui a gagné, avec 80000 voix d’avance: le référendum indépendantiste au programme du Parti Démocratique du Progrès (DPP) (cauchemar de Pékin), est enterré sine die par la volonté du peuple. L’idée étant : « résister à la pression continentale, mais sans provocation ». Et tendre la main: Ma, veut bien aller à Pékin, « si invité avec son nouveau titre ». Cet électorat, décidément, apprend vite : en 1996, il exerçait la liberté, y compris celle de déplaire. Aujourd’hui, il en apprend les limites, et l’art de la responsabilité.

Ce succès aura été aidé par la prudence de Pékin qui contrairement aux présidentielles de mars 1996, a gardé ses frégates et ses missiles au râtelier. Autre sens de ce scrutin : La majorité indigène min-an et haka  de l’île, « pardonne » aux Continentaux pour leur violente prise de pouvoir des années 1950 (sous les ordres de Chiang Kaichek) : Ma est continental, tandis que Chen, l’enfant du pays, dénonçait en lui l’étranger. C’est symboliquement la fin d’une guerre civile larvée.

[1] Pour le DPP, c’est une saine leçon de démocratie (l’empêchant de se prendre pour « le peuple élu »). Et sans en avoir l’air, c’est aussi un pas en avant : Chen Shuibian, désor-mais libre, a 18 mois pour se préparer aux présidentielles de ‘2000 (il risque bien d’y retrouver Ma Yingjeou, pour « la revanche »). Le DPP progresse aussi en sièges à l’Assemblée : 70, soit +3% (31%). Surtout, il coiffe au poteau, à la mairie de Kaohsiung, 2ème  ville du pays, le maire sortant, KMT. Ce scrutin n’a donc rien d’un désastre.

[2] Pour le KMT, c’est la meilleure nouvelle depuis des lustres : celle qu’il n’est pas un dinosaure condamné à disparaître, et que son investissement (en rendant au public la liberté de s’autodéterminer) paie 10 ans après.

Ce message-là sera étudié, de l’autre côté du détroit, au plus haut niveau et avec la plus haute attention. Si cette vérité taïwanaise était extensible à la Chine, elle offrirait au PCC la garantie qui lui manque pour se lancer dans la réforme politique, vécue jusqu’à présent comme le fantôme de la mort – vêtue des traits de Gorbatchev, l’homme qui présidait à la réforme, et aux derniers jours de l’URSS!

 


Joint-venture : Ordures en or : la poubelle sélective

• A Shanghai, elles sont plus de 50% des Joints Venture à déclarer en 1997 des pertes moyennes de 370000 USD. Cependant, selon Business News, le fisc subodore diverses fraudes, reflet d’une pratique nationale: 2/3 des déficitaires,

[1] Exportent sous le manteau (évasion fiscale) leurs profits non déclarés;

[2] Les dépensent en matraquage publicitaire;

[3] Vendent à prix de dumping pour casser la concurrence locale;

[4] Une variante consistant à favoriser les pertes pures et simples, pour phagocyter la JV, le partenaire ne pouvant participer au refinancement.

• Beijing Sulo Pengyuan démarre,( 9,6MUSD de capital, à 90% allemand) spécialisée dans la poubelle mobile, dont elle produira à terme 600 000 par an. D’une durée de vie de 8 à 15 ans, cette boîte roulante ouvrira le couvercle à une collecte sélective, elle-même condition d’un bond en avant du recyclage.

• Premiers tours de rotors pour les deux 1ers générateurs (sur 6 prévus) du barrage d’Ertan (550000Kw chacun). Ertan collectionne les records: tunnel de diversion le plus long du monde (1,167km), salle des générateurs la plus vaste d’Asie. Coût total de l’ouvrage (qui sera le 2ème de Chine, après les Trois Gorges, et emploie 700 techniciens de 47 pays) :

3,4MMUSD. En 2000, Ertan produira 17MM Kw/h, et rapportera 674MUSD, dont 84 en impôts, dont 60 financeront d’autres projets de houille blanche.

 


A la loupe : Production céréalière en Chine: un succès brillant

Peu d’experts, en 1992, l’auraient parié, la Chine est en train de gagner son pari de l’autosuffisance céréalière, pour passer, en 2000, le cap de 500Mt/an de récolte. Ainsi le Nord-Est (1,24Mkm², 116Mhts), moyennant 1,2MMUSD d’investissement, espère passer en 7 ans de 81 à 99Mt, dont 45 disponibles.

Bilan dû à l’usage de l’engrais, y-compris par recyclage des déchets, (aujourd’hui 30% des récoltes, 40% d’ici 2000) et la récupération de nombreux terroirs, longtemps bloqués dans des projets avortés de zones industrielles: le terroir emblavé augmente, comme le révèle en avant-première le recensement en cours. Pour poursuivre son expansion, le grain chinois investit dans les silos: 388 d’entre eux, pour 1,8MMUSD, permettront d’ici l’été de stocker 25Mt (pour l’instant, l’ Etat ne stocke que 0,02% de sa récolte, le reste allant au stockage privé). Ces dernières semaines, le 1er  Ministre est monté vigoureusement au créneau pour défendre le commerce d’État, en faisant fermer trois marchés privés à Pékin (800t de grains confisqués), et taxer 7 traders du Shaanxi (450t confisquées): simple avertissement au commerce privé, de ne pas traiter à des prix inférieurs à ceux (subventionnés!) de l’Etat. Manoeuvre qui permet sans doute de gagner du temps, mais non de s’attaquer à la racine du mal. Le manque d’instruments de contrôles sur les offices du grain pour combattre corruption et détournement, à leur profit ou à celui des pouvoirs locaux.

 


Argent : Les patrons d’Entreprises d’Etat, actionnaires par défaut

• Mystère statistique: le Produit National Brut (PNB) aurait augmenté de 7,2% en 9 mois, pour une production d’énergie elle, de 2% seulement : en principe, c’est impossible. Sauf si, explique le ministère, certaines Entreprises d’Etat, grosses consommatrices d’électricité, génèrent « à titre privé » leur courant, non comptabilisé par l’autorité, à concurrence, semble t’il, de 5% du bilan national.

 • Encore dans les langes, les assurances se font escroquer. Les experts estiment à 20% le taux des compensations indues. Exemple bénin (sauf pour l’assureur) : ces deux frères cantonais qui ont pu déclarer 34 fois le même sinistre, amassant ainsi le respectable pactole d’1,4MY. D’autres fraudeurs vont plus loin (épiphénomène d’une maladie moderne « tout s’achète et tout se vend ») : assisté d’un copain, ce jeune shanghaïen a assassiné sa mère, pour toucher les 420000Y promis par la police d’assurance-vie.

• Au 25 novembre, la vente directe de titres de l’entreprise aux employés est interdite. Jusqu’à présent, les firmes pouvaient écouler ainsi 10% de leurs titres en bourse. Mais les employés, non incités à améliorer les performances du groupe, s’empressaient de revendre au marché gris, avec profit considérable, ou d’y racheter davantage, dans la perspective d’une hausse (délit d’initié), le tout, sans risque ni mérite.

• Ces derniers jours ont vu un fort battage, autour des thèmes de la cession d’industries militaires (quelques centaines annoncées) aux autorités civiles, et de la réforme des Entreprises d’Etat (cette dernière, suite au voyage de Zhu Rongji dans le Liaoning, intitulée séparation du Parti et de l’économie). Parti et Armée Populaire de Libération (APL) ayant jusqu’au 31 décembre pour se séparer de leur patrimoine. Dans ce domaine, apparaît une initiative nouvelle : l’offre aux patrons de Grande Entreprise d’Etat (GEE), d’« options » sur des titres de leur firme, payables à l’avance (à conditions imbattables), réalisables uniquement en fin de contrat : en cas de succès, l’homme empoche portefeuille et plus-value. En cas d’échec, il ne reçoit que son avance, et perd sa place.

 


Pol : Washington reconnaît le planning familial

• Six mois après les faits, la presse du Guangxi révèle l’arrestation de Liu Jiaguo, le fondateur charismatique de la secte Zhushen (« Dieu et ses Esprits »), ainsi que la dissolution de cette secte de 10000 adeptes. La secte aurait réussi à s’infiltrer dans le giron de l’église Catholique officielle. Le cas n’est pas isolé, y-compris, dans les autres confessions en Chine: l’absence d’autorité morale indépendante indiscutée, et la multiplication des églises de l’ombre, favorise le sectarisme. Liu Jiaguo, qui avait fait ses armes dans une autre secte, Peiliwang (« royaume céleste du roi ressuscité »), est accusé du viol de 27 mineures, et de l’extorsion de 300000Y.

• Profitant de « l’impunité » que lui donnait sa campagne électorale, Taiwan a mis Chine et USA dans l’embarras, en annonçant son

« espoir » de s’équiper de quatre destroyers yankee de classe Aegis, dernier modèle (armé jusqu’aux dents de 90 missiles mer-air StandartII, 8 mer-mer Harpoon, des torpilles MK32, des missiles Tomahawk). Sa raison : la conduite « exemplaire » de ces bâtiments lors des « exercices » chinois au large de Taiwan en mars 1996. Pékin a immédiatement protesté; Washington n’a rien dit.

• Pour la 1ère fois, un navire de l’Armée Populaire de Libération (APL) de la base navale de HongKong, participe aux exercices annuels, HK/USA, de recherche et sauvetage en mer, destinée à tester matériels et coordination en cas de catastrophe aérienne. Autre première : en 1998, la simulation aura pour environnement le nouvel aéroport de Chek Lap Kok.

• Après avoir passé 10 ans aux USA, un fils de Zhu Rongji, Zhu « Levin » Yunlai vient d’être nommé à la tête du Département HongKong de la première Joint Venture de la banque d’affaires China International Capital Corporation (CICC). Celle-ci l’aurait recruté, non à cause de son nom, mais pour son CV brillant, ayant notamment  travaillé chez Merill Lynch, Morgan & Stanley et HSBC, et pour son titre de Docteur en université.

• C’est un progrès modeste, mais qui mérite d’être souligné: les Etats-Unis, qui jusqu’alors classaient le programme chinois de planning familial comme une violation des droits de l’Homme, viennent de faire volte face, par la voix du Sous-Secrétaire d’État américain Frank E. Loy, qui vient d’en faire l’éloge, et s’est engagé à tenter de convaincre le Congrès de restaurer les subsides US au programme de planning familial des NU. Raison de ce demi-tour : plus de coercition observée en Chine, sur l’application de ce plan limitant en principe les naissances à un enfant par foyer, et conscience de l’urgence d’agir (suite aux engagements pris, et non tenus, lors de la Conférence du Caire en 1994).


Temps fort : Comité Central: Le Plenum inattendu

Quand Europe et Etats-Unis seront plongées dans leur Noël, la Chine tiendra un 4.è Plenum, inattendu, du Comité Central placé, hasard ou non sous le 20ème anniversaire de la Réforme de Deng Xiaoping. Plenum voulu par le 1er  Secrétaire. Jiang Zemin, afin d’orienter Parti et pays au début du 21. s. Pourquoi revenir sur un travail fait lors du 15. Congrès? C’est qu’avec la crise qui s’aggravera en 1999 (55% des patrons hkgais le disent), l’état de grâce de l’avènement de Zhu Rongji comme 1er  Ministre, est terminé. Ce mini-Congrès espère, par un plan de réformes limitées, relâcher la vapeur et faire taire les critiques internes.

Quatre thèmes sont à l’ordre du jour :

[1] Renforcer patriotisme et cohésion nationale (modèle japonais);

[2] Relancer le rôle du Parti dans la société, en recréant 800000 cellules (disparues) du Parti Communiste Chinois (PCC) à la campagne;

[3] Assurer une réforme « interne », pour lutter contre la corruption et l’abus de pouvoir. Réforme sans organes nouveaux, indépendants (tel le hongkongais ICAC), et tablant sur la seule force morale des membres;

[3] Exalter sciences et technologie, au service de l’autorité du Parti (modèle « néoauto ritaire » de type Singapour). La préparation du Plenum, justifie aussi les rejets frontaux des semaines passées, de partis et syndicats autonomes, d’une réforme de l’ Assemblée Nationale Populaire (ANP), le durcissement des conditions d’inscription des ONG, et la vague d’arrestations de dissidents : à l’annonce d’un grain, ce n’est pas le moment, pour le capitaine, de laisser les marins en faire à leur tête!

 


Petit Peuple : La fin de la ‘corruption sur roues’

• La voiture de fonction fait encore partie des privilèges du fonctionnaire. L’Etat maintient une flotte de 1,6M de véhicules d’une valeur d’achat de 50MMUSD, plus 12MMUSD/an en chauffeurs et en entretien. Un sondage national révèle que ces véhicules haut de gamme (Mercedes, Audi) ne servent qu’au tiers du temps à des fins avouables. Mais cet âge d’or du cadre touche peut-être à sa fin : en cours d’introduction, le nouveau système supprime (vend) les voitures (probablement au fonctionnaire lui-même, pour une fraction de la valeur), reclasse le chauffeur, et alloue au fonctionnaire une prime variable selon son rang, de 100Y à 3000Y.

• Un beau matin d’octobre, les paysans d’une ferme de Wanjia (Zhejiang) découvraient leurs 946 poulets raides morts, intacts, le vétérinaire était bien incapable de se prononcer sur l’origine de l’incroyable hécatombe. Puis, moyennant de lourds sacrifices, ils avaient réinvesti dans 3020 poulets de grain. Et le 16 novembre, le pot au rose fut découvert : un aigle géant se posa au milieu de la basse cour, en un tourbillon de plumes : tous les volatiles sans exception périrent – d’effroi.

 


Rendez-vous : Canton, Séminaire Pays en voie de développement (PVD)

• 7-8 décembre Canton: Séminaire/Coopération entre Pays en Voie de Développement (PVD)

• 17 décembre : entrée en vigueur des normes américaines pour les emballages de bois, afin d’empêcher la pénétration des scarabées chinois « à longues cornes» de type termites.