Le Vent de la Chine Numéro 34

du 26 octobre au 1 novembre 1998

Editorial : Une Chine entre deux eaux !

A mi-saison, la Chine balance entre désir de réforme, et besoin d’une pose. Par un discours de cet été, juste publié, Jiang Zemin semble avoir décidé une halte aux réformes initiées par Zhu Rongji : tant à la  (gufenhua), conversion des Entreprises d’Etat en compagnies par actions qu’à la vente à l’encan de Petites et Moyennes Entreprises d’Etat (PMEE), ou qu’à un new deal pour Taiwan (dont, au printemps, il était fort question).

Cependant, les voix en faveur de la réforme se déchaînent. Ce sont celles d’édiles de l’ Assemblée Nationale Populaire (ANP), d’universitaires, de politiciens (du Parti, ou non) ou de groupes de réflexion (tel Stratégie Nouvelle de Développement,  si remuant que sa maison mère, dépendance de la Sécurité Publique, vient de lui couper les vivres), priant Jiang de suivre Taiwan ou la Corée/Sud dans leurs élections au suffrage universel, ou bien de re-mettre en cause le permis de construire du barrage des Trois-Gorges. Le pouvoir ne demanderait sans doute pas mieux que d’aller de l’avant dans la réforme politique, mais se trouve bloqué par la difficile conjoncture actuelle, et bien sûr aussi par la minorité gauchiste agissante.

Cependant, cette procrastination implique un risque, exprimé de deux manières:

[1] Par les critiques de l’Assemblé Nationale Populaire (ANP) et de la CPPCC, le danger de se retrouver, faute d’adhérer au vent présent, dans une instabilité  » à la malaise ou à l’indonésienne « ,

[2] Tandis que pour le centre de recherche londonien Control Risks Group, les ministères chinois sont  » trop corrompus pour fonctionner efficacement « :

 Les mesures de nettoyage sont arrivées  » trop peu, trop tard « , et même si le frein à la croissance et la réforme administrative offraient de meilleures perspectives pour juguler ces  » mauvaises habitudes « , la prééminence du PCC sur le judiciaire, prive ce dernier de toute latitude pour exercer son contrôle sur le « tissu indéchirable » des hautes sphères du Parti : jugement peut-être pessimiste et sévère, mais qui nous éclaire sur les dangers liés à la prudence!…


A la loupe : L’affaire GITIC gonfle et n’en finit pas!

Du 22 au 25, Zhu Rongji, descendu d’urgence entre Guangdong et Guangxi, tentait, avec 80 enquêteurs aux pleins pouvoirs (dont Mme Wu Yi) de désamorcer une bombe : le montant des pertes de la Guangdong International Trust and Investment Corporation (GITIC) apparaît bien plus lourd qu’initialement supposé, et la faillite du "vaisseau amiral" de la finance cantonaise provoque des réactions en chaîne. Aucun chiffre ne circule plus sur le montant des pertes (secret d’État) : créances intérieures (de petits porteurs, ou de groupes chinois; sur leur sort : cf VDlC n°32), ou étrangères, approuvées par la Administration d’Etat des devises étrangères (contrôle des changes) (SAFE), ou bien signées (en toute illégalité) par la province: ces dernières ne seront pas honorées par Pékin.

Cette faillite jette, en Chine du sud, un soupçon sur la capacité de soutien financier de la province. Des filiales de Guangdong International Trust and Investment Corporation (GITIC), Guangdong Development Enterprise (GDE) et Guangdong Development Bank (GDI), deux "red chips" perdent lourdement sur la place de HongKong. Idem, la GOCTIC (Guandong Overseas) doit (au moins) 275M USD à 10 banques étrangères, et vient de faillir à un remboursement à la Commerzbank. Les autres " International Trust and Investment Corporations (ITIC)" ne vont guère mieux : l’ex-PDG de la ITIC du Hunan, en appel, est condamné à mort pour fraude, et la ITIC en plus mauvaise posture, ne serait pas celle de Canton, mais celle du Fujian. Par ailleurs, défiance et resserrement du crédit, commenceraient à affecter les petites banques –  Everbright, et toutes les "Developpement Banks" (Pudong, Shenzhen, Guandong)…

Autant dire que la crise est ouverte, alors qu’un banquier occidental estime: "en cas de second crash, après GITIC, rien ne dit que Pékin, pour les remboursements, resterait aussi généreux!’


Joint-venture : Le come-back des ventes directes

• Le 24 à Shanghai, sur la rue de Nankin clinquant des néons et vitres métallisées, 200 garçons et serveuses avec tablier vert (bouteille) et noeud papillon, célébraient la 2 de l’édition de la Coupe de Bordeaux, course de 600m, avec plateaux, verres et bouteilles de ce cru. Initiative de Gitcom, Petites et Moyennes Entreprises (PME) française de Shanghai, pour le compte du CIVB, dans le cadre du Festival de Tourisme de la ville. Course, et mission  fructueuses pour G. Dupuch, son Président, vu l’engouement pour le vin rouge, dont l’export monte de 150%/an, et vu les progrès de la distribution, grâce à des grandes surfaces étrangères tel Carrefour. Reste à consolider le résultat, mettre au pas les nombreux cas de piratage constatés. Suite à quoi le marché chinois, aujourd’hui un modeste 2,5% de l’export de Bordeaux, pourrait suivre les traces du Japon -devenu, en 10 ans, 1er, en valeur exportée.

• Au printemps, Pékin interdisait les ventes directes, technique sulfureuse de Cies US de produits de beauté comme Avon ou Mary Kay. Loin de quitter le pays, ces groupes avaient annoncé leur reconversion dans une distribution conventionnelle. Et puis Bill Clinton était passé en Chine. Aujourd’hui, coup de théâtre: on annonce le retour en grâce des ventes directes, au bénéfice exclusif de ceux dont la conversion avait été homologuée. C’est donc un retour à la case départ qui se profile, mais avec 2 garde-fous: 3les vendeurs, en porte à porte, devront montrer leur licence, et 3 la vente ne se fera qu’au consommateur final, pas de revente ni de commerce "pyramidal". En principe.

• Bientôt sur les routes de Chine, trois nouvelles voitures: la Hongqi (drapeau rouge) – New Star, 2, 2l, injection électronique, ABS et airbags (31000USD); en décembre, la 1ère  Buick de chez GM, 3l, de 36 à 48000USD; et en février, la cantonaise Honda Accord (31000USD). Vient aussi d’être fondée une JV de moteurs 1300/ 1500cc et de transmissions à Harbin (Heilongjiang) par Mitsubishi 15%, le reste allant à Harbin Dong’An, une holding malaise et 2 filiales de Consortium Aéronautique Public Chinois (AVIC). Investissement: 500MY; à terme (‘2010), capacité d’équipement de 75000 véhicules.

 


A la loupe : LA PETITE REINE en chute libre

A 6,5 M dans Pékin, 500 M en Chine, la bicyclette a imprimé dans la voie socialiste son ornière indélébile, quadrillant la ville par nuées de spécimens de cette infinie société à 2 ou 3 roues: colporteurs, rémouleurs clinquaillants, grand-pères à mini roulottes portant leur rejeton à la maternelle, homme d’affaires en complet et grosses lunettes négociant son contrat au téléphone GSM… Malgré les peines sévères, les vélos se dérobent comme des petits pains, 200 000 par an, et se rachètent une bouchée de pain à Gangwashi (Pékin), cour des miracles interlope.

Les ennuis du vélo ont débuté en 1992, avec l’arrivée en masse de la voiture locale. Avec leurs moteurs approximatifs à combustion aléatoire, auto et camion chinois ont quintuplé la pollution, ainsi que les toux, catarrhes et crachotis calamiteux, tout au long des hivers au smog bleu.

Aux carrefours, la lutte des classes s’est amplifiée, classe des autos contre celle des vélos, qui coupent le flux motorisé d’une tenaille solidaire. Mais le vélo perd la bataille, à mesure que Pékin est convertie en ville de bureaux. Le 21, le cycliste de la rue Xisi, à deux pas de la Cité Interdite, a eu la surprise de s’en voir interdire l’accès: il en passait 6000/h, au pas, à cause des embouteillages. Personne ne s’y trompe : cette répudiation va s’étendre, etce sera la fin du règne de la petite reine des prolétaires, et d’un des ultimes espaces de liberté face à la promiscuité du foyer, des bus et du Comité de quartier.

 


Argent : Le privé, boursier par la bande

• Avec l’Acadadémie Chinoise des Sciences, Legend, n°1 de l’ordinateur en Chine, fait une synergie politiquement correcte et mutuellement profitable. Legend reprend 900 des 1000 chercheurs, de l’Institut informatique de l’Académie, dont la formation ne lui a rien coûté, qui le doteront d’une capacité en R&D plus à la hauteur de son 4ème rang en Asie Pacifique.

L’ACS dégraisse son personnel (conformément aux ordres), sans perte de compétence, puisqu’elle gardera accès au produit de cette recherche.

• Les compagnies privées n’attendent pas que l’Etat lâche, comme promis, son soutien systématique au secteur public (cf vdlc 33) : pour accéder à l’épargne des actionnaires, pour l’instant réservé aux Entreprises d’Etat.

Elles entrent en bourse "par la bande", en rachetant des parts d’Entreprises d’Etat déjà cotées. Hong Taikai (pharma, Hubei) veut payer 70MY pour 14% d’une zone high tech. Qisheng (Xiamen) a repris (80MY) 20% de Shanghai Met. L’éditeur hainanais Chengcheng verse 100MY pour 21% de son homologue Besun (Wuhan). Les 4 acquéreurs sont des années 1990, en croissance très rapide, et les acquis, des Entreprises d’Etat aux performances médiocres en dépit des capitaux récoltés en Bourse.

• Bon indicateur sur la tendance présente des capitaux flottants chinois (des liquidités des provinces et Grandes Entreprises d’Etat) : en septembre, pour la 1ère  fois en 10 mois, les banques cantonaises affichent un excédent en devises étrangères, de 177MUSD.

De janvier à août, existait un excédent commercial (15 MMUSD), mais aussi un inexplicable déficit en devises (moins 2,2MMUSD) : l’argent partant, par caisses noires, vers Hong Kong. Les lourdes pertes sur les marchés étrangers, et les opérations "coup de poing" de la Banque Populaire de Chine (BPdC), de l’Administration d’Etat des devises étrangères (contrôle des changes) SAFE, semblent avoir ramené spéculateurs à la raison, et fonds publics à la maison.

 


Pol : Splendeur et chute d’un boss cantonais

• En 8 ans, Canton a conçu trois fois plus vite que la Chine moyenne, augmentant son peuplement d’1M/an pour devenir la 5ème   province la plus peuplée du pays (71,5Mhts). Ceci, malgré un terroir cultivable de moitié inférieur (330m² /ht).

Résultat : une "armée en culottes courtes", qu’il faut nourrir et éduquer, et surtout, un désaveu cinglant de la politique nationale de planning familial, avec sa règle d’un voire deux (max.) enfants par couple. Le cantonais passe en Chine, à la fois pour le plus attaché au confucianisme, (très nataliste), et le moins à cheval sur les règlements. La reprise en main prévoit le triplement des amendes pour enfant de trop, et l’amé-lioration des privilèges (primes, promotions) aux rares parents vertueux obéissant aux lois.

 • «Big Boss» Cheung Tze-keung, 43 ans, menait la grande vie, avec (au moins) 35 membres de sa triade de part et d’autre de la frontière Hkgaise: extorsions, exécutions, import-export (hors douane!) d’armes et d’explosifs…

Ces dernières années l’avaient vu se risquer au kidnapping, notamment celui d’un fils de Li Kashing (peut-être l’homme le plus riche du monde) : il en avait empoché 1MMHKD, dont un tiers pour lui, immédiatement perdu au tapis vert… Mais trop d’ambition cuit: Li Kashing est un ami personnel de Jiang Zemin, et la Chine souhaitait peut-être aussi enrayer la prolifération des triades, après deux décennies de laisser-aller cantonais: le  laoda et ses acolytes tombèrent cet été dans un coup de filet, et le plus gros procès des 10 dernières années commence : 57 avocats, trois juges, 36 accusés des milliers de pages d’actes du procès…

Big Boss risque fort, sa vie.


Temps fort : PAYSANAT: sous le sillon, des vagues!

Axé sur les problèmes du monde rural, le Plenum du Comité Central (CC) (cf VDLC n°33) a pu donner, par son bilan, l’impression de faire du sur-place, durci au vernis de la rhétorique officielle. La vraie situation est plus ouverte. Lin Yifu, économiste, expose dans  (Journal de l’économie) la racine du mal: une administration locale imposant aux villages quotas et plans, tout en se nourrissant sur l’habitant, par le biais des taxes illégales.

Cette bureaucratie est pléthorique et croissante,"pesant" souvent plus de 100 emplois au niveau cantonal, bien plus que dans les années 1970. A l’époque, le cadre, inquiet pour son pouvoir (face à l’arrivée de l’économie de marché), a détourné la décentralisation à son profit matériel, mais aussi politique (maintien aux champs d’un ordre autoritaire, aboli depuis 20 ans dans les villes).

Mais cet "été indien" post-maoïste voit sa fin proche: le revenu rural ("enrayé depuis 1984") recule, exerçant une pression sur la stabilité. Soutenu en haut lieu (à preuve, sa publication, malgré ses audaces politiques) M. Lin propose la suppression du contrôle des produits agricoles stratégiques (grain, coton etc.), seule raison d’être de cette bureaucratie. Le paysan deviendrait son propre maître, guidé par le marché et l’encadrement des prix. Autre suggestion pour forcer le recul de ces fiefs ruraux: rendre obligatoire, chaque année, l’audit et la publication de leurs budgets.

De telles mesures n’ont pas été discutées au Plenum du Comité Central (CC). Elles auraient risqué une fronde des cadres provinciaux. Mais le problème est posé, pour la 1ère fois depuis 1949 : la relance rurale dépend désormais de l’éradication d’un outil néo-stalinien, déjà aboli dans les villes depuis 20 ans.


Petit Peuple : Des doléances des hommes battus

• On connaît désormais le mal, croissant en Chine, des femmes battues. Moins évident est le cas inverse : de plus en plus d’hommes, surtout à Canton (province plus libérée, où l’on s’exprime plus aisément sur les problèmes intimes), se présentent (faute de mieux) à la Fédé. Des Femmes, pour se plaindre des violences de leurs épouses. Ainsi, Liu Hongbo, employé, las de son enfer conjugal, engagea la procédure de divorce, pour se retrouver, à plusieurs reprises, battu comme plâtre par des hommes de main envoyés par sa femme, puis dépossédé de l’électroménager du foyer, avant de se faire une fois de plus frapper jusqu’au sang par des membres de sa belle famille, auprès de laquelle il avait tenté de protester. Idem, Zhang, tout patron d’entreprise qu’il fût, filait doux devant sa femme et quand, n’en pouvant plus, il suggéra la séparation, sa moitié, illico, se saisit d’un couteau de cuisine, pour tenter de l’expédier rejoindre ses ancêtres. Toute nuit de Chine, n’étant pas forcément câline, ni d’amour.

• Quand Neil Amstrong fit ses premiers pas (titubants) sur le sol lunaire, la Chine, navrée, fit son deuil de sa plus belle légende : pas de Palais de glaces, ni de  Chang’e, la courtisane solitaire, sur l’astre jaune. Mais ce 22 octobre, c’est au monde de trembler, suite au départ de l’expédition de 100 hommes de science et de presse, vers la rivière Yarlung Zangbo (Tibet -cf. notre illustration en «Une») : en pénétrant cet univers encore vierge, l’expédition ne risque-t-elle pas de déflorer le  (Shangrila), paradis mythique dissimulé dans les replis tropicaux, nordiques du massif tibétain? Le Yarlung Zangbo serait le plus grand cañon du monde, 496km, 56 de plus que le Grand canyon du Colorado), et le plus profond (5382m). En 50 jours, cette équipée s’attend à découvrir, entre autres, des chutes d’eau qui détrôneraient Niagara et Victoria, ainsi que des centaines d’espèces animales et végétales inconnues, ou disparues de la surface du reste du monde.

 


Rendez-vous : Pékin – le grand salon des télécoms

• 27-21 octobre Pékin: salon des télécoms– le grand Rendez-Vous de l’année, avec en pointe, Alcatel.

• 28/10-1 novembre Yiwu (Zhejiang): foire internationale

• 1er -8 novembre, Pékin, Xi’an, Shanghai, Guilin : visite Jean Luc Dehaene, 1er  Ministre de Belgique.