Le Vent de la Chine Numéro 11

du 23 au 29 mars 1998

Editorial : ANP 1998- Jiang Zemin – Li Peng – Zhu Zongji: même triangle, autres forces !

Jiang Zemin, Li Peng, Zhu Rongji : de la 9. Session de l’ANP, la session annuelle du Parlement, émerge la même troïka que la veille. Et pourtant, un léger report de poids dans le mobile, bouleverse le rapport de forces.

Vainqueur: Jiang Zemin, puissant comme seul Mao hier, chef de l’Etat, du Parti et de l’Armée. Diminué, Li Peng, qui n’est plus que l’homme au «perchoir» de l’ANP -position qui n’a pas évité le limogeage à son dernier titulaire, Qiao Shi. Une option pour lui (la seule, peut-être?): être atteint par la foi parlementariste et défendre l’ANP contre le Parti, poursuivant la croisade entamée par Qiao Shi. Ce serait contraire à ses convictions, mais pas la 1ère fois que Li boirait le calice, pour sauver sa carrière (il l’a fait en 1994, en se découvrant une vocation de réformateur).

Enfin, Zhu Rongji se retrouve au coeur du triumvirat. Un homme dont les applaudissements de l’ANP révèlent la popularité croissante, avec l’espoir (de justice sociale, de prospérité – de faire bouger les choses, enfin) suscité par son programme protéiforme de réformes.

Jiang et Li, pour l’instant, sont ses alliés: sans eux, rien n’est possible. Mais ils sont aussi ses rivaux: en cas de trop grand succès personnel, ils pourraient être tentés de le faire chuter en route -comme cela avait été le cas en 1988-1989 avec Zhao Ziyang, lâché au milieu du gué, en pleine dérégulation des prix publics.

Citons enfin, ici, le handicap n°1 de Zhu Rongji : sa santé fragile, et son obligation de s’isoler chaque week-end dans sa villa des collines de l’Ouest, pour lui permettre de « tenir le coup »

 


A la loupe : Le nouveau gouvernement

 Coup de balai, et coup de jeune pour le nouveau Conseil d’État désigné par le  (tou’r, «patron»: nouveau sobriquet de Zhu Rongji, allusion à son style business), et approuvé mercredi 18 mars par l’ANP: 38 membres au lieu de 53, moyenne d’âge 59 ans (=4 ans plus jeune que la promotion précédente).

70% des ministres inaugurent leur 1er portefeuille, et leur compétence a augmenté: 34  ont un diplôme universitaire, dont 5 de l’étranger.

Fait inédit: 2 patrons de groupes, Shen Huaren, 63 ans (ex-Petrochem), et Zhou Yongkang, 55 ans (ex-CNPC), apparaissent, l’un chef de la Commission d’État pour l’économie et le Commerce, l’autre Ministre des ressources terrestres.

Les Conseillers d’Etats sont «dégraissés» de 7 à 5 (parmi ceux ci Wu Yi, l’ex-patronne du MOFTEC), et les Vice-1er Min. de 6 à 4.

Parmi ces derniers, un seul nouveau, Wen Jiabao, 55 ans, en charge de l’agriculture et des finances: cet ex-lieutenant de Zhao Ziyang, après 8 ans de semi disgrâce, voit l’ascenseur redémarrer.

Ascension plus fulgurante pour Hu Jintao (même âge), vice-Président de la République: il est l’héritier présomptif -et Jiang Zemin, par ce biais, a fermé la dernière porte qui eût permis à Qiao Shi d’éviter les oubliettes de l’histoire. NB : le nouveau cabinet compte 15 hommes réputés dans l’allégeance de Jiang Zemin.

 


Joint-venture : Entrée à l’OMC – Li Lanqing

Le problème est que quelques pays croient que la Chine a plus besoin de l’OMC, que l’inverse.

Je crois que c’est une erreur. La Chine est prête à honorer, une fois dans l’OMC, les obligations d’un pays en voie de développement, et à jouir des droits y- afférents. Depuis 10 ans, quoique la Chine ne soit pas encore membre, bon nombre de nos réformes ont été au-delà de nos propres engagements. Mais ce processus doit se poursuivre d’une manière graduelle, selon les objectifs… D’importants progrès viennent d’être obtenus sur ce point : nous espérons qu’un accord sera vite trouvé ».

NDLR: cette déclaration sibylline, peut se relire à la lumière suivante : tous les directeurs et responsables des négociations avec l’OMC, sont aujourd’hui en stage de 3 mois à l’École du Parti. Ce qui en Chine, ne signifie qu’une chose : une promotion. Indice, peut être, que pour Pékin, l’accord d’entrée à l’OMC est « chose faite ».

 


A la loupe : LE PROGRAMME DE ZHU RONGJI, VU PAR ZHU

Zhu Rongji définit son programme de travail 1998-2002 d’un slogan bien «à la chinoise» : «Une assurance, 3 mises en place, 5 réformes».

1. L’assurance: face à la crise financière d’Asie du Sud-Est, Zhu doit garantir en 1998 une croissance de 8%, une inflation moindre de 3%, et la stabilité du yuan. L’outil pour remporter ce défi, étant la relance du marché intérieur, par le programme déjà annoncé d’investissements lourds dans les infrastructures, et le logement.

2. Les trois «mises en place» (d’ici 2000):

– l’assainissement des GEE déficitaires,

– la liberté des banques commerciales, sous la supervision de la BPdC (l’essentiel de ce «tranchage du cordon ombilical», aura lieu cette année),

– et le dégraissage des corps d’État et du fonctionnariat (4 M de fonctionnaires auront quitté leur poste avant fin 1998, et reçu un nouveau job d’ici ‘2000).

3. Les «Cinq réformes» :

– marché (public) des céréales: après trois récoltes record, les silos sont pleins, mais la charge des subventions est devenue insupportable.

investissements (publics): «jusqu’à présent, nous procédons par examens et feux verts administratifs, sans faire jouer le rôle du marché, de distribution des ressources. Ce qui nous a valu de nombreux projets immobiliers redondants: il nous faut un système plus conforme aux pratiques internationales».

– celle du logement: nouveau pôle de croissance, mais nécessitant une refonte complète du parc immobilier public: «d’ici mi-’98, après des années de délibérations, nous allons publier un règlement mettant tous les logements locatifs en vente, et suspendant toutes les subventions (afin de mettre les usagers en position d’acheteurs)».

– celle du médical: règlement prévu en 1998, instaurant un régime national de couverture des soins de santé.

– celle de la taxation et fiscalité: la dernière réforme de 1994 a permis d’augmenter chaque année le revenu de l’Etat, mais en privilégiant les taxes sur les impôts directs: «les gens sont surtaxés».

Le prochain système interdira à toute administration de lever des taxes autres qu’en nombre limité.

 

 


Argent : Zhu Rongji l’a dit

Les petites phrases qui suivent (comme le "programme de Zhu Rongji", p.1) sont extraites de sa conférence de presse de clôture de l’ANP.

L’objectif de cette rubrique, étant d’éclairer la personnalité affirmée, mais encore mal connue, de l’homme à qui viennent d’être confiés les rênes du pays d’ici 5 ans.

• humour 1: (à l’hebdo US Newsweek): «j’aurais mauvaise grâce à vous en vouloir d’avoir publié de moi 1 médiocre portrait- je ne suis pas vraiment bel homme.

• humour 2: je referais bien un tour à HK,  mais hélas, nommé 1er Ministre, j’ai perdu un peu de mes libertés et de mes droits de l’homme -je n’ai plus le temps. Maintenant, si j’y vais, savoir si les Hongkongais vont m’applaudir, ou me crier des slogans, ou manifester, ce sont eux qui décident. A ceci près: à mon avis, quoiqu’ils fassent, devra être en ligne avec la loi fondamentale de HK, et les lois de la RAS.

• réthorique socialiste 1 / Tian An Men: en 1989, face aux troubles politiques, Parti et gouvernement ont pris, à temps et sans hésiter, les mesures qui s’imposaient. Sur ce point, tout le Parti est du même avis… Une conclusion a été adoptée, et elle restera.

• réthorique socialiste 2: malgré les charges qui pèsent sur moi, j’ai toute confiance que tant que nous tiendrons la bannière théorique de Deng Xiaoping,  le leadership du Comité Central du PCC avec le camarade Jiang Zemin à son coeur, et que nous maintiendrons le lien intégral avec le peuple chinois entier, ce gouvernement triomphera de toute difficulté…

• suffrage universel : Bien sûr, que je suis en faveur d’élections démocratiques! Concernant un scrutin national, c’est une question de réforme politique… Vu la distance entre Chine et étranger… Orient et Occident, j’aurais du mal à prédire combien de temps cela va prendre.

• sciences et éducation : pourquoi ce gouvernement, tout en affichant la priorité de revitaliser la Chine par les sciences et l’éducation, n’avance pas? La raison est simple : pas d’argent. Et où l’argent est-il allé? Il a été gaspillé en salaires de fonctionnaires, en chantiers inutiles …Cela doit changer. Le Comité Central du PCC vient de créer un groupe de travail «sciences/ technol./ éducation», que je présiderai.

• HKD : si le gouvernement de Hong Kong avait besoin de notre soutien, et à condition qu’il le demande formellement, le gouvernement central n’épargnerait aucun effort ou coût, pour maintenir stabilité et prospérité à HK, et le « peg » USD/HKD.

• RMB : la crise asiatique n’influencera pas notre programme de réforme financière, ni l’ouverture des banques et assurances aux étrangers. La Chine a déjà réalisé la convertibilité du RMB sur compte courant. La convertibilité entière, c’est à dire sur compte capital, interviendra… le jour où la Banque Centrale, en supervision et régulation, sera à la hauteur.

 

 


Pol : Superstar à l’ANP : le secteur privé

 

Li Peng, premiers pas 

En discours de clôture, Li Peng, pour son 1er discours au « perchoir » de l’Assemblée (ANP), tâtonne et cherche son nouveau rôle, à la tête de ce « contre-pouvoir ». "Nous devons corriger la tendance qui consiste à ignorer la Loi, soit en ne la respectant pas, soit en ne l’appliquant pas à la lettre et en ne punissant pas les contrevenants ou en recevant des pots de vin"… Passé de l’autre bord, l’ex-1er Ministre  cherche et trouve un terrain d’entente entre les deux organes : la loi.

Entreprises privees

Un des acteurs de ce 9. Plenum sous les feux de la rampe, omniprésent dans les débats et pourtant invisible, aura été le secteur privé, désormais très actif, accepté et constitué en puissant lobby dans les couloirs de l’ANP. Lors du 15ème Congrès en septembre 1997, Jiang Zemin l’avait qualifié de "composante importante (et non plus complémentaire)  de l’économie socialiste de marché".

Aujourd’hui, sa position est renforcée par sa capacité affirmée, d’éponger les millions d’imminents nouveaux chômeurs, voire de reprendre les milliers d’Entreprises d’Etat (EE) en faillite.

Par la voix de Jing Shuping, Président de la Fédération de l’Industrie et du Commerce,  le secteur privé réclame un changement de la Constitution qui le réhabilite, ainsi qu’un accès au crédit, identique à celui de ses rivaux publics. Message reçu 5/5 : rendez-vous est pris


Temps fort : OBÉDIENTE, L’ANP?

Élections en chaîne, pour les 3000 députés, et scrutin réglé comme du papier à musique: ténors et poulains ont été élus avec des marges formidables. Pourtant, malgré le vote électronique, sans garantie de confidentialité, cette 9. Session a battu tous les records du régime, en matière d’indépendance:

Li Peng, élu Président de l’ANP avec 326 voix non-positives (11%): à comparer aux 2% de « non » à Jiang!

Jiang Chunyun, Vice-1er depuis 1995, parachuté vice-Président du Parlement (ANP), a dû souffrir presque 500 voix hostiles: en 1995 déjà, il en avait eu le double! Mal vu des édiles, parce qu’ancien gauchiste (vice-directeur de la propagande en 1965);

Han Zhubin, ex-haut «garde rouge», puis min. des chemins de fer et vice-chef de la Commission de Discipline du Parti, a subi le «soufflet» de plus de 1000 voix adverses (35%) -accusé, dans les couloirs, d’incompétence, dans sa nouvelle fonction de Procureur Général.

– le comble dans l’audace, pour les élus, aura frappé non un homme mais un rapport : celui du procureur général (sortant), qui fut adopté  avec presque 1300 voix hostiles (45%) : expression de colère face à la déficience de la lutte anti-corruption.

L’ANP a exprimé une fronde proportionnelle à la distance du fouet (lequel, pour Li Peng, n’était pas très près). Égratigner les grands/rosser les petits. C’est ce qu’on appelle zhi lu wei ma , montrer le cerf pour le cheval.

 


Rendez-vous : Liaoning / Chongqing

Pour le maire de Chongqing, et le gouverneur du Liaoning, le Parlement (ANP) était moins une enceinte de discours politiques internes, qu’un moyen de parler… à l’étranger, pour attirer les capitaux, en présentant leurs programmes de développement -crânement ambitieux, voire irréaliste. Chongqing veut devenir « un des meilleurs sites d’investissements de Chine », et attirer d’Europe, par incitations diverses, tous types d’industries « haut de gamme », tandis que le Liaoning, pense investir 14,4MM USD en 5 ans, dont 1/3, venus de l’étranger : 100 grandes entreprises d’etat (GEE) seront ouvertes d’ici 3 ans, à des accords de JV majoritaires pour l’étranger.

Ces deux entités, l’une ex-Sichuanaise, promue l’an dernier région autonome, l’autre à la frontière de la Corée du Nord, ont en commun une industrie lourde d’époque (et de mentalité) maoïste, ayant le plus besoin de fonds pour démanteler ou restructurer leurs entreprises d’Etat (EE).

Dans la seule Chongqing,  190 000 des 400000 ouvriers licenciés en 1997 restent au chômage, chiffre qui doublera cette année, et dans le Liaoning, ce sont 39 E.E. qui ont fait faillite en 1997 contre 59, fusionnées.

D’où les  concessions exceptionnelles que ces régions sont prêtes à consentir – dans les limites tolérées par Pékin!