Le Vent de la Chine Numéro 6

du 24 février au 2 mars 1997

Editorial : Mort de Deng Xiaoping – l’envol du maître !

Aux commandes de 1978 (11. Congrès) à juin 1989, Deng Xiaoping, décédé mercredi 19 février 1997 à 93 ans, est l’homme à qui la Chine doit son bien-être, par l’imposition d’un régime de liberté limitée (d’entreprise).

Régime inspiré d’un modèle néo-autoritaire venu de Singapour et plus généralement, de tous les capitalismes débutants (cf la France, où Deng avait séjourné à l’âge de 16 ans, et le mot d’ordre de Freyssinet, «laissez-faire, laissez aller»)!

Aujourd’hui, un consensus existe au sein du Parti sur le nouvel objectif: l’enrichissement individuel, et non plus, selon Mao, l’émergence d’un «homme nouveau» socialiste. Quels que soient les développements futurs ou les rêves d’une poignée de nostalgiques, un retour en arrière sur ce principe est exclu.

Seul risque de déstabilisation du PCC, le parti communiste chinois : la confrontation des 2 lignes rivales, héritières du Patriarche.

Celle conservatrice du Président et du 1er Ministre, déterminée à «sauver le communisme en Chine»- à préserver par tous les moyens le monopole politique et de presse, sourdes aux besoins d’une génération jeune, plus éduquée et complexe que son aînée;

et la ligne libérale, défendue par Qiao Shi, Président de l’ANP, le Parlement chinois, et ex-patron des polices de l’Empire, qui soutient la primauté du Droit et du Parlement sur les décisions de l’appareil (ce qui revient à revendiquer la séparation du Parti et de l’Etat).

Contrairement à une idée courante en Occident, l’attitude ambivalente de Deng, qui a passé sa vie à chalouper du Stalinisme à la Réforme n’était ni contradictoire, ni opposée à Mao Zedong. Pour ce fils de paysan, avant que lui-même puisse récolter (la croissance), il avait fallu un Mao pour labourer (retourner, déraciner la société et ses structures impériales stériles), et semer :

créer un Etat, des services qui fonctionnent, une «classe unique» de centaines de millions de jeunes disciplinés et scolarisés, prêts à entrer sur le marché mondial du travail. Deng est aussi l’homme qui a redonné sa place en Chine au pragmatisme, par ce conseil à ses proches, dans les années ’80 : «De l’Occident, essayez tout. Si ça marche, faites le vôtre, et appelez le «socialisme

Entre 1950 et 1976, Deng avait été « purgé » quatre fois, et un de ses fils avait été mutilé par les Gardes Rouges. Avoir reconnu malgré ces offenses l’obligation d’une continuité avec Mao Zedong, et placé l’intérêt de la Nation au dessus de son ressentiment, est un indice du génie politique de Deng Xiaoping.

 


A la loupe : Objectif succession!

Reconfirmé sans perdre une heure par le «Comité Funéraire», le programme du régime demeure immuable: même équipe, même politique.

Un seul changement, bénin en apparence, peut-être énorme en fait : l’appel à «combiner réformes économiques et autres».

Cela signifie qu’on envisage une réforme politique pour tenir compte des changements sociologiques d’une Chine de moins en moins ployée sur ses rizières, de plus en plus à la machine et à l’ordinateur.

Concession (peut-être simplement rhétorique) aux réformistes, mais de la part de l’Etat central, c’est une première! A noter aussi l’apparition de ce mystérieux «comité funéraire», qui pourrait bien se révéler un «Parlement informel», ou club de ceux qui, dans les mois prochains, géreront la succession.


Joint-venture : Réactions: diissidents (USA) – ‘demain,un pouvoir morcelé!’

• Politesses compassées des grands de ce monde : Bill Clinton («l’artisan de la normalisation sino-américaine»), John Majorl’artisan du succès économique de la Chine»), le 1er Ministre japonais R. Hashimoto («je pleure l’homme, car son existence était grande»)…

• A Taiwan, KMT – Kuo min tang- et gouvernement, sous couvert de «condoléances à la famille», saluent l’adversaire politique: «il a enrichi son pays… ce n’a pas été tâche facile».

Mais Taiwan rappelle aussi le rôle de Deng  Xiaoping dans le massacre de 1989, et que le principe défini par Deng pour le retour de Taiwan à la Chine (« un pays, deux systèmes ») est «hélas irréaliste».

• Hong Kong se pose la question des répercutions pour elle même, une fois RAS – la région administrative spéciale.

Diplomates, universitaires attendent des remous (conflit de succession, Jiang Zemin obligé de tenir une ligne dure, et moment propice, en Chine pour certains « barons », pour tenter d’empocher les richesses de Hong Kong). Les financiers demeurent optimistes, et le montrent à la Bourse!

• Le petit peuple pleure sincèrement le père du pays.

Telle cette retraitée de 65 ans : «mon fils était instit’, à 50 yuans par mois : grâce à Deng, il est PDG d’une boîte à Shenzhen»! Ou ce chauffeur de taxi : «Tous les riches devraient lui consacrer 3 jours de pleurs…Sans lui, personne ne serait riche aujourd’hui

• Les dissidents évaluent l’impact sur le pouvoir.

Shen Tong (USA) :

«Jiang n’a pas la stature de Deng… A l’avenir, il n’y aura plus un siège unique de décision…Tous voudront leur part du gâteau»! Wang Juntao (USA): «Que Deng soit mort avant le 15. Congrès d’automne, va faciliter le changement…Jiang sera contesté par d’autres leaders de haut rang»!

Opinion à rapprocher de la rumeur venue de Hong Kong, le lendemain de la mort de Deng Xiaoping : les préparatifs s’accéléreraient pour tenir le Congrès le plus vite possible!

En effet, en l’absence d’un Congrès pour avaliser la ligne actuelle (campagne de la «société spirituelle socialiste»), le leadership reste vulnérable!


A la loupe : Des funérailles très nationales

L’annonce du décès a été suivie de celle d’un «Comité des funérailles» présidé bien sûr par Jiang Zemin, et comptant 459 membres tous choisis au sommet de l’appareil, sauf quelques outsiders tel Tung Chee- Hwa, futur gouverneur de Hong Kong.

«Conformément à l’usage», l’étranger n’est pas convié : ni Chefs d’Etat ni têtes couronnées, ni presse.

Ce choix ne va pas de soi: Deng Xiaoping, père de l’ouverture au monde, aurait pu sans préjudice pour la Chine, recevoir les derniers hommages de ce dernier.

Les raisons réelles apparaissant les suivantes : volonté d’éviter de grandir Deng (afin de mettre l’emphase sur le nouveau leader), hantise de voir apparaître un forum de discussion dans la rue, et tradition révolutionnaire, de militaires ayant partagé des décennies durant, le maquis et ses dangers.

 


Argent : Nécrologie : Deng Xiaoping, maoïste et libéral

• Dernière grande figure du PCC – le Parti communiste chinois, Deng Xiaoping a, en 12 ans de pouvoir solitaire, modelé son pays à la façon d’un empereur.

Né en 1904 en milieu rural, Xiaoping (, petite paix) se serait vite enflammé pour le socialisme, dans son Sichuan natal au paysannat étranglé par les propriétaires. Dès 16 ans, il est en France, à Lyon, ouvrier et étudiant (clandestin) des théories«rouges».

• 20 ans: membre du Parti, envoyé en 1926 pour études en URSS, voie royale des futurs leaders : début d’une brillante carrière d’organisateur de l’A.P.L. l’armée chinoise, contre Chiang Kai shek et l’envahisseur japonais, participant à la fameuse "Longue Marche" de 1932.

Dès lors, il est un des lieutenants de Mao, et stratège remarqué. Sa plus fameuse victoire: la campagne de Huaihai en 1948, où il détruit la 127ième armée du KMT -le Kuo min tang (1/2M d’hommes) piégée aux portes de Shanghai.

A la libération, octobre 1949, il est, à 45 ans, une des gloires du régime.

• En fait de gloire, Mao Zedong n’aimait pas trop la concurrence: 1ère disgrâce en 1950, relégué secrétaire politique à Chengdu (Sichuan).

Dès 1952, retour à Pékin, vice 1er Min. à 48 ans– Mao ayant besoin de ses meilleurs cadres pour consolider le régime.

• Deux ans plus tard, Deng est Secrétaire général du PCC.

Dès cette époque, s’exprime l’ambiguïté du personnage, hésitant entre les méthodes staliniennes plus odieuses et une ligne plus modérée :

En 1957, il est le fer de lance de la «Campagne des Cent fleurs», qui jettera en camp des dizaines de milliers d’intellectuels assez naïfs pour avoir accepté de critiquer le système, à l’invitation de Mao.

Par contre en 1962, Deng est de ceux qui mettent le Timonier sur la touche, après le "Grand Bond en avant", folie utopique de Mao qui venait de tuer 30 à 80 millions de paysans. C’est de cette époque que remonte la profession de foi du futur Patriarche: "peu importe qu’un chat (ou un paysan) soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape la souris (qu’il produise)"!

• Cinq ans après, Mao Zedong tient sa revanche féroce, avec la "Révolution Culturelle": mars 1967, Deng est "ennemi public N°2" (N°1 = Liu Shaoqi), accusé d’ignorer la lutte des classes.

Comme bien d’autres, il est envoyé manoeuvre dans une ferme : à 65 ans, il nettoie les auges des cochons, coupe le bois par les froid perçants des hivers chinois. Deng est sauvé par Zhou Enlai, son protecteur, qui le fait revenir à Pékin en mars 1973, vice Premier Ministre – retour case départ!

• Lutte de pouvoir en 1976 à la mort de Mao Zedong (et de Zhou Enlai) :  en 1978, Jiang Qing (la gauchiste veuve du Timonier) parvient à purger Deng Xiaoping pour la 4ème fois.

Mais la Chine épuisée par un quart de siècle de violence, vote cette fois «modérés»: lors du 11. Congrès, Deng , majoritaire, brisera ses ennemis – c’est l’aube du procès de Jiang Qing et de la "bande des Quatre".

• Retour de balancier: à peine au pouvoir, Deng réprime les intellectuels comme Wei Jingsheng qui réclamaient la démocratie, pour «octroyer» une liberté limitée – celle d’entreprise, et de la terre aux paysans (fin des communes populaires détestées), encourageant les firmes privées.

•En 1989, face à la contestation des étudiants, Deng choisit le fusil – il a chassé ses 2 dauphins libéraux, Zhao Ziyang et Hu Yaobang.

Une équipe plus autoritaire est mise en place après le massacre de Tian An men (1000 à 3000 morts): Li Peng et Jiang Zemin, l’héritier désigné. Hommes à poigne, mais qui se gardent de remettre en cause l’ouverture économique et les libertés déjà conquises.

 


Pol : Hong Kong gouvernement de Tung Chee-hwa formé – la continuité!

•A mesure que la Chine apprenait la mort du «patriarche», la masse des gens faisait un effort pour faire montre de leur indifférence.

Certains sincères, d’autres cachant un désarroi authentique: le «père» désormais parti, l’inquiétude s’instaure, pour l’avenir! Retenue des gens : tradition confucéenne de pudeur, et interdiction des autorités, de toute manifestation, quelle qu’elle soit -les cérémonies ne sont permises que dans les lieux de travail.

Centre focal du recueillement (milliers de «pèlerins»): Guang’An, village natal du leader.

• Point culminant des funérailles de Deng Xiaoping, lundi 24 février : crémation, et mardi 25, dispersion des cendres en mer -comme en 1976, celles de Zhou Enlai

Échapperont aux flammes les yeux et certains organes, donnés par Deng à la science -geste symbolique, mais qui place le disparu dans une aura de quasi-sainteté. A 10 h. mardi, 3 minutes, hululeront des centaines de milliers de sirènes d’usines, bateaux et trains.

• La presse (chinoise) de Hong Kong, Macao et Taiwan interdite d’accès durant le deuil (dans la pratique, elle entre par avions entiers, en falsifiant sa profession – Pékin ferme les yeux).

• l’APL, l’armée chinoise, est en état d’alerte.

Surtout à cause du risque, théorique à cette heure, de coup d’Etat.  En face Taiwan, lui rend la politesse: à Quemoy, à 2 km de la Chine, troupes et milices nationalistes terrées au fond de leurs bunkers.

 


Temps fort : Un décès préparé

Preuve rarissime d’un mensonge d’Etat : les 2 dernières alertes, depuis Hong Kong et Taiwan, sur la santé de Deng (en janvier, et le 13 fév.), avaient été démenties – jusqu’à la veille du décès- et l’on avait même poussé le souci de brouiller les pistes, jusqu’à mettre Deng sur la liste des condoléances pour la mort de son compagnon Jin Jiwei, deux jours avant son propre trépas.

Toujours pour sauver les apparences, deux hauts cadres s’étaient «sacrifiés» pour maintenir leur voyage à l’étranger: le vice 1er Li Lanqing en Israël, le Général Chi Haotian aux Philippines.

L’Etat de Deng était pourtant évidemment désespéré, puisque c’est à Zhong Nan hai (siège du PCC) qu’il s’est éteint, et non à l’hôpital militaire n°301 qui le soignait.

Enfin, après sa fin à 21:08, la nouvelle a été notifiée par une laconique dépêche de Xinhua à 02h44 – cinq heures plus tard, gagnant ainsi une nuit, le temps de mettre en branle le lourd programme des funérailles, peaufiné depuis des mois : 1ère étape, sous haute surveillance, d’une nouvelle ère, sous le leadership de Jiang Zemin!

 


Rendez-vous : Funérailles : vues de la rue, de l’Etat et de l’armée

• A mesure que la Chine apprenait la mort du «patriarche», la masse des gens faisait un effort pour faire montre de leur indifférence.

Certains sincères, d’autres cachant un désarroi authentique: le «père» désormais parti, l’inquiétude s’instaure, pour l’avenir! Retenue des gens : tradition confucéenne de pudeur, et interdiction des autorités, de toute manifestation, quelle qu’elle soit – les cérémonies ne sont permises que dans les lieux de travail. Centre focal du recueillement (milliers de «pèlerins»): Guang’An, village natal du leader.

• Point culminant des funérailles lundi 24 : crémation, et mardi 25, dispersion des cendres en mer – comme en 1976, celles de Zhou Enlai

Échapperont aux flammes les yeux et certains organes, donnés par Deng à la science -geste symbolique, mais qui place le disparu dans une aura de quasi-sainteté. A 10 h. mardi, 3 minutes, hululeront des centaines de milliers de sirènes d’usines, bateaux et trains.

• la presse (chinoise) de Hong Kong, Macao et Taiwan interdite d’accès durant le deuil (dans la pratique, elle entre par avions entiers, en falsifiant sa profession – Pékin ferme les yeux).

• l’APL, l’armée chinoise, est en état d’alerte. Surtout à cause du risque, théorique à cette heure, de coup d’Etat.

En face Taiwan, lui rend la politesse: à Quemoy, à 2 km de la Chine, troupes et milices nationalistes terrées au fond de leurs bunkers.