Le Vent de la Chine Numéro 26

du 17 au 17 juin 1996

Editorial : Accord sino-américain sur le piratage des logiciels d’outre-Atlantique !

La voix rauque de fatigue, Charlene Barshefsky, négociatrice des Etats-Unis a présenté lundi soir les résultats de 3 jours et 3 nuits de marathon presque ininterrompu.

Enjeu apparent : imposer ou non aux produits chinois  2 milliards de $ de taxes discriminatoires sur le marché américain, dans le cadre de l’instrument 301 de la législation commerciale des USA, en rétorsion d’un piratage florissant des logiciels d’Outre-Atlantique.

Enjeu réel : « exporter »  vers la Chine, et y faire respecter, les normes et procédures complexes américaines, qui rendent aussi impossible le piratage industriel que la survie de bactéries dans du lait UHT.

C’est effectivement ce qui s’est produit : tout semble se passer comme si l’accord sino-américain annoncé lundi soir avait en fait été conclu 15 jours plus tôt, tout le temps intermédiaire ayant été consacré à vérifier et affiner les détails du « new deal », afin que personne ne semble perdre la face, en cette période de « campagne électorale » dans les deux pays. La Chine a cédé -depuis au plus tard le 23 mai- sur les 4 points de l’ultimatum de Washington, et savait depuis lors qu’elle n’avait rien à redouter. cf suite VdlC 26 news1 et news 2.

 


A la loupe : Conséquences pour l’Europe

conséquences pour l’Europe

Elles ne sont pas forcément bonnes. Les Européens doivent se réjouir de la volonté ferme exprimée par la Chine de balayer devant sa porte, ne serait-ce que pour donner à sa propre industrie du spectacle les moyens de décoller, en éradiquant la copie illégale. Mais au delà de cette intention, les nouvelles dispositions semblent « taillées sur mesures » pour l’Amérique, et pas pour l’Europe : seule l’Amérique, avec son leadership mondial sur les arts du spectacle de masse, pourra faire le plein usage de cette ouverture forcée (et relative!) du marché chinois du cinéma, de la musique et du software électronique.

D’autre part, les milieux d’affaires européens doivent s’attendre désormais à une fin brutale du « régime de faveur » dont ils ont joui durant quelques semaines, de façon artificielle, en raison de la stratégie chinoise de faire pression sur ses partenaires d’Outre-Pacifique. D’une manière ou d’une autre, l’Amérique va retourner dans les gros contrats chinois : livraisons d’avions Boeing, énergie, voire le projet d’avion de 100 places

Le véritable avantage de l’Europe, en la matière, est que la Chine apprend -et apprend vite!- à rouler sur des rails réglementaires à l’occidentale, et qu’un arrangement peut en amener un autre : les accords avec l’Europe, concernant la propriété de leurs softwares, vont suivre, différents dans les détails de celui signé lundi par mme Barshefsky.

La Chine y sera prête -il n’y a que le premier pas qui coûte!                                                             

 


Temps fort : Les sanctions…

contre les usines de CD :

15 usines fermées (les 3 dernières, dans les 10 derniers jours), presque toutes à Canton, leur matériel confisqué, en particulier les presses (qui seront « liquidées ») et les matrices (détruites). 30 responsables arrêtés, 40 en examen. Fermeture dans Canton des 6 plus importants marchés à CD, CD-rom, Disques laser et cassettes vidéo pirates, ainsi que (depuis 2 mois déjà) celle des 5000 mini-salons de projection de disques laser, qui ne tournaient qu’au disque d’origine illégale. A l’avenir, la Chine s’engage, par son règlement du 10 juin, à interdire l’importation des machines de copiage des CD et logiciels, et l’utilisation de produits piratés dans ses administrations. La présentation à la T.V. des responsables arrêtés, menottes aux poignets, a dissipé tout doute parmi la population, sur l’aspect délictueux de l’activité.

 « période de nettoyage »

L’effort de répression anti-piratage a été coordonné entre le Ministère de la Sécurité Publique, (MSP), le MOFTEC et l’Administration de la Presse et des Publications (APP), laquelle apparaît la pierre angulaire du système chinois, par son monopole de la certification des produits d’auteur. Au plan national, une période de 3 mois, a été désignée « période de nettoyage », reconductible si nécessaire. A Canton, cette période a été fixée jusqu’à fin ’96. Son but est de débusquer ce qui reste de pirates, et d’introduire les mécanismes de « vaccination ». Ces dernier, déjà convenus en décembre ’95, avaient connu une application laxiste. La vérification se fait par le code sur chaque disque, qui identifie la presse d’origine (que les pirates ne peuvent utiliser!), et les titres. Les éditeurs américains ont accès aux « livres de compte » des usines chinoises, et peuvent vérifier en permanence si la production est légitime ou non (si les droits ont été payés) : le contrat de reproduction ne peut être passé, qu’une fois achevée la procédure de vérification du titre!

autres dispositions

D’autres dispositions ont été prises, concernant la coopération à la formation des « brigades anti-pirates », l’interdiction provisoire en Chine de toute nouvelle usine de CD, et la coopération aux frontières (pour saisir les CD-pirates visant l’exportation).

accès au marché:

Le volet commercial de l’arrangement négocié par mme Barshefsky a été beaucoup moins mis en lumière : à la fois pour éviter d’éveiller la susceptibilité chatouilleuse de l‘opinion chinoise, et la jalousie d’autres régions du monde, Europe en tête. Aucune de ces dispositions ne figurent dans les textes remis à la presse. Par contre, Charlene Barshefsky a mentionné précisément de remarquables « nouvelles opportunités »:

– musique… les éditeurs musicaux américains pourront librement conclure des J.V. avec leurs homologues, et jouir (après enregistrement) de droits d‘exclusivité en Chine. Les conséquences de cette facilité sont doublement remarquables :

[1] la Chine a, pour l’occasion, oublié son aversion (pourtant très actuelle) pour toute participation étrangère en matière de culture (dossier souvent assimilé à celui de l’idéologie, chasse gardée du PCC);

[2] grâce à cette nouvelle facilité, les géants new-yorkais de l’édition musicale vont pouvoir partir à l’assaut du marché chinois, avec leurs partenaires locaux, et mettre leurs catalogues entiers à disposition de ce public « vierge et enthousiaste » : en accord avec la loi, et sans crainte de se faire voler leur produit!

– cinéma…

Les producteurs yankee pourront exporter vers la Chine leurs films et les exploiter à revenus partagés (à condition qu’ils franchissent le cap de la censure), sans limitation de quota (c’est nouveau) : sans doute, l’idée est, comme dans le domaine musical, de « dédommager » les producteurs pour les pertes subies en piratage, par un accès amélioré au marché. Ils obtiennent aussi la co-production de film et du téléfilm (dont il se consomme énormément en Chine).

méfiance américaine

Emprunté au film « the terminator », le dernier mot d’un professionnel du software américain est « I’ll be back » (je reviendrai) : en décembre dernier, l’Amérique était repartie chez elle avec un merveilleux « paquet » d’engagements chinois, qui par la suite ne furent que très partiellement tenus. Aujourd’hui, la confiance est toute relative : le prochain rendez-vous, avec Mickey Kantor (Commission mixte du commerce et des échanges) est pour dans quelques semaines, et la prochaine séance d’évaluation des résultats chinois, dans l’application des nouveaux engagements, est pour septembre!