Le Vent de la Chine Numéro 13

du 25 au 31 mars 1996

Editorial : Taiwan – Lee Teng Hui élu président, et après ?

Le succès immense (54.6% des voix) du Président Lee Teng Hui aux élections de samedi 23 était annoncé  l’orchestre rouge" des exercices militaires continentaux a insufflé aux taiwanais non la peur, espérée par Pékin, mais la conviction qu’il faudrait un "homme fort" pour négocier -d’égal à égal, ce dont la Chine ne veut pas.

Mais ce "plébiscite" reflète autre chose : Lee, en dépit de son âge (72ans) et de sa carrière jusqu’alors effacée, a pris les choses en main depuis peu d’années, éliminant l’une après l’autre les vieilleries du Kuo Min Tang héritage de la "Chine imaginaire" de Chiang Kai Chek : congé aux 200 "élus à vie" du Parlement "législatif yuan", remplacement des "badernes" aux postes de ministres par des hommes jeunes et compétents; imposition au pas de charge d’un calendrier électoral qui a culminé avec le scrutin de samedi .

Lee Teng Hui a aussi gagné avec une telle marge, parce qu’il su tenir tête, rappelant aux insulaires que l’agressivité chinoise résultait de tensions internes (de la surenchère nationaliste, dans un cadre de guerre de succession), et en leur suggérant, comme parade : la fermeté et la cohésion.

Par ce discours simple et mobilisateur, le Président Taiwanais a trouvé, pour un temps du moins, la "pierre philosophale" que ses prédécesseurs s’étaient infructueusement usés à chercher depuis des lustres : réunir sur une idée commune les "chinois" de Taiwan, et les "taiwanais" Min-an et Hakka.

La bonne tenue des élections ne doit pas faire oublier qu’à présent, des temps difficiles s’ouvrent pour Taiwan: aucune solution n’apparaît possible pour les négociations qui devront s’ouvrir avec Pékin, pour un statut taiwanais, puisque le status quo n’est plus possible; et le risque majeur, au plan interne, est celui d’une implosion des Partis, K.M.T. comme D.P.P. ou "Xindang" (nouveau parti), du fait de l’absence de raison d’Etat et de la réalité du pouvoir, trop souvent pratiqué hors des partis et des institutions!

 A présent, Lee Teng Hui a quatre ans pour faire une oeuvre : la réconciliation avec la Chine -ou la fondation d’une nation!

 


A la loupe : TENSION CHINE / TAIWAN : PROFITS ET PERTES DE PEKIN!

Provisoirement, manoeuvres et actions verbales de la Chine contre Taiwan sont terminées : qu’a-t-elle, gagné, qu’a-t-elle perdu?

Gains: Pékin a pris date.

Aucune indépendance taiwanaise n’aura lieu sans guerre.

 La Chine a posé son exigence (retour de Taiwan dans la nation chinoise, abandon par l’île de toute tentative de rentrer à l’ONU), et montré sa détermination.

Au plan interne, gain pour les "faucons" militaires, qui monnaient au plus cher leur soutien au Président Jiang Zemin.

Pertes : renforcement de l’exécutif à Taiwan (mandat populaire) et de Lee Teng Hui, bête noire de Pékin. Abandon par Washington (Maison Blanche, et Congrès) de l’ambiguïté : Taibei sera défendue, en cas de besoin.

 Livraison de 1500 missiles Stinger (les "tueurs" de l’aviation soviétique en Afghanistan).

Remise en cause de la clause MFN -1996.

Pas d’entrée à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) cette année.

Généralement, réveil de l’image de la Chine, menaçante et autoritaire, que le ministre des Affaires Etrangères avait mis 6 ans à restaurer.


Joint-venture : Shell, espionnage industriel?

Venant de dépasser Canton, le Jiangsu est désormais la première province chinoise bénéficiaire des investissements taiwanais : 1,7 milliards de $ depuis janvier 1991 (sur une quinzaine de milliards investis à travers toute la Chine).

En général investissements de délocalisation (seconde main), ces projets sont à bas risques (déjà amortis).

Les investissements à hauts risques sont pour l’instant limités par l’absence d’accord de protection des investissements taiwanais en Chine.

Etrangers en Chine: le volume des actes notariés concernant brevets, soumissions, contrats commerciaux et enregistrements de sociétés, fait apparaître une augmentation de 33% des étrangers résidents en Chine en 1995.

La source ne précise pas le chiffre lui-même qui, pour les Français enregistrés aux Consulats, s’élèverait à 2300.

 

 


A la loupe : ENERGIE: TAIWAN PRIVATISE – MAIS SERA-CE RENTABLE?

Avec ses 7 réacteurs nucléaires et sa capacité de production électrique proche de saturation, Taiwan est loin de pouvoir répondre à sa soif exponentielle d’énergie (taux de croissance de 6% par an).

 Tai-Power-Co s’apprête donc à « passer la main » en autorisant le secteur privé à investir dans ses propres centrales thermiques, en BOT (Build-Operate-Transfer) (énergie nucléaire exclue).

La distribution sera à son tour dérégulée d’ici 3 ans.

Ces deux mesures suscitent l’intérêt vif des industriels européens.

Mais la mission technique de l’EDF met en garde : le réseau taiwanais ayant été construit dans les années 1950 en « léger », et sans plan d’ensemble, de lourds investissements seront nécessaires, et vu (ici aussi) l’inexpérience taiwanaise en BOT (Build-Operate-Transfer), la rentabilité n’est pas assurée.

Par exemple, sur les 11 centrales privées autorisées depuis fin 1994 (dont l’une pour Formosa plastics, le géant pétrochimique), pas une seule n’a pu démarrer les travaux: en raison de l’hostilité des riverains, que personne, Etat ni industriels, n’avait prévu!


Argent : 300 villes chinoises manquent d’eau

Divergence d’opinion: concernant le niveau de ses dépenses militaires, la République Populaire de Chine annonce, pour 1994, un budget de 3,4 milliards de US$.

De source occidentale, le montant réel serait plus proche des 30 milliards de $.

Énergie: comme Taiwan (voir première page), Pékin se met aux projets d’investissement énergétiques en BOT (Build-Operate-Transfer).

D’ici l’an 2000, la Chine compte investir dans l’énergie pour un total de 100 milliards de $, dont plusieurs centrales thermiques et hydroélectriques en BOT (Build-Operate-Transfer) (puissance max. = respectivement 250.000 KW et 600.000 kW).

Par ailleurs, l’appel d’offre pour 12 des 26 turbines du barrage des 3 Gorges, d’une capacité de 700 MGW chacune, est imminent (avant juillet).

10 multinationales sont sur les rangs. Les turbines entreraient en fonction en 2003.

Réforme agricole: afin de gagner son pari d’augmenter substantiellement ses rendements, qui sont déjà à leur plafond par les méthodes conventionnelles, la Chine prévoit jusqu’en l’an 2000 la réalisation de 200 projets J.V. (Joint Venture) par an, dont 10 à haute technologie.

En 1995, le pays recensait déjà 4000 J.V. (Joint Venture), pour un investissement global de 9 milliards de $.

300 Villes chinoises manquent d’eau, dont Pékin, dont le déficit atteindra 1 milliards de m3 d’ici 15 ans.

L’adduction d’eau du Yangtzé, par un super canal nord-sud de 1000 km de long, est un des projets prioritaires à l’étude pour les prochaines années.

Resquille : un chinois vient d’être condamné pour avoir tenté de se soustraire à l’impôt, qui s’applique à toute personne physique disposant d’un salaire supérieur à 800 Yuan.

Wei Baolin, ingénieur à l’institut de recherche minière et métallurgique à Pékin, a écopé (c’est une première en droit chinois) de 2 ans de prison.

Futur nouveau quartier commercial dans Pékin : celui de la Gare de l’Ouest, récemment ouverte.

La moitié des 6 projets immobiliers (complexes commerces+bureaux+appartements) sont déjà achevés, dont celui de Ruihai (600 millions de yuan), faisant face à la gare.

Flop : même en Chine, tout ce qui est esbroufe, ne marche pas: Nanshiling, de Shanghai, l’a appris à ses frais, ayant créé une ligne de lingerie de haut vol, pour le "beau linge" local: sur une série limitées de 200 chemises "faites à la main", à 6000 yuans pièce, seules 5 ont trouvé preneur.

China Power International va racheter 3 millions de parts de la Heilongjiang Electric Power Co (HEPC).

HEPC est sur les rangs pour être cotée à la Bourse de Shenzhen.

"Politiquement correcte", la CPI pourrait l’y aider : Li Xiaolin, l’assistante du PDG, est la fille de Li Peng.


Pol : Nomination du dernier gouverneur de Macao

Visite confirmée de Boris Eltsine, fin avril, à Pékin, qui devrait consacrer l’émergence de liens privilégiés, commerciaux et militaires.

Finalisation du contrat de décembre 1995; portant sur 60 chasseurs bombardiers Sukhoi 27. Signature annoncée, à Shanghai, d’un "pacte de sécurité mutuelle" en Asie Centrale, impliquant Russie et Chine, mais aussi Kazakhstan, Kyrgyzstan et Tadjikistan.

Les républiques islamiques d’Asie Centrale n’étaient jusque alors pas très heureuses d’un accord frontalier avec la Chine, signé par l’ex-URSS lors de ses derniers mois de vie.

La visite en Chine du Président Chirac est reportée à l’an prochain. En automne 1996, il se rendra au Japon.

Espionnage industriel? La directrice chinoise du bureau pékinois de Shell à Pékin, Melle Xiu Yichun, a été arrêtée pour détention illégale de secret d’Etat, en rapport avec l’approbation de la raffinerie de Nanhai.

En attendant plus de détails, cette affaire semble souligner les risques, pour les cadres supérieurs chinois dans les firmes étrangères en Chine, du fait de l’absence d’habeas corpus en leur faveur.

Ennuis pour la Police Populaire Armée : après qu’un se ses membres ait assassiné (version officielle) le vice Président de l’ANP dont il était le garde du corps (après quoi le Général commandant la PPA avait été limogé),  deux autres policiers ont brutalisé l’épouse du maire de Shenzhen, qui s’est plainte à Pékin – à  suivre!

 


Temps fort : LE TGV KAOSHIUNG – TAIPEI SERA-T-IL FRANCAIS?

D’ici fin de l’année, Taiwan choisira le constructeur de sa ligne de T.G.V. construite en « B.O.T« . (build-operate-transfer) sur 30 ans, destinée à relier en 87 minutes Taibei à Kaohsiung (5 gares intermédiaires, et 18 millions d’habitants desservis, soit 90% de la population).

Pour ce contrat, trois concurrents sérieux : GEC-Alsthom, auréolé de ses récents succès aux USA (ligne Boston-Washington remportée en consortium avec le canadien Bombardier).

Alsthom fait tandem avec Siemens, qui a lâché AEG-Daimler, coauteur avec lui du TGV allemand « ICE ».

Changeant de cheval de bataille, Siemens jette toutes ses forces dans la filière française.

AEG, le laissé pour compte, lance un projet alternatif, le A.D.TRANS, avec un partenaire de qualité, ABB. Et une offre nippone, pas encore explicitée (Mitsubishi- Hitachi?).

Taibei devrait accorder la priorité aux critères financiers (bancaires) plutôt que techniques : le contrat reviendra au groupe capable de rassembler les 8 milliards de dollars « privés » exigés par Taiwan (sur les 20 milliards du coût total estimé).

Sous cet angle, le Japon est bien placé -et l’alliance franco-allemande prend tout son sens.

Autre incertitude : l’inexpérience de Taiwan en matière de BOT (build-operate-transfer) -avant de convaincre les investisseurs mondiaux de participer, quelles seront les garanties publiques, sur la liberté de tarification, taxation etc.).

 Taiwan devrait également renoncer, sur ce contrat, au monopole du génie civil (mauvaises expériences à Taiwan, notamment sur le métro de Taibei : l’inexpérience se paie en années de retard).

Enfin, une condition sine qua non de réalisation du projet, est l’absence de guerre ou de tension militaire devant du continent : condition qu’il n’est pas dans le pouvoir de Taiwan de satisfaire!