Le Vent de la Chine Numéro 15 (2025)

du 12 au 18 mai 2025

Editorial : « Made in China 2025 » : l’heure du bilan
« Made in China 2025 » : l’heure du bilan

Lorsque le plan industriel « Made in China 2025 » (MIC2025) a été dévoilé par Pékin en 2015, la Chine se trouvait au bas de la chaîne de valeur industrielle mondiale, produisant principalement des produits bon marché et peu avancés technologiquement. Le plan MIC2025, voulu par Xi Jinping, ambitionnait de changer cela, en faisant passer la Chine du statut « d’usine du monde » à celui de « puissance manufacturière mondiale ».

Peu fan de ce projet, le président américain de l’époque, Donald Trump, a tenté de perturber le plan chinois en lançant en 2018 une guerre commerciale et en dénonçant les subventions publiques massives qui y étaient associées. Le gouvernement américain a ensuite sanctionné plusieurs entreprises technologiques chinoises, imposé des tarifs douaniers élevés sur les produits chinois et mis sous enquête les scientifiques collaborant avec la Chine. Après que Joe Biden ait pris la tête des États-Unis en 2021, il a fait un pas de plus en imposant des mesures telles qu’une interdiction d’exportation des puces les plus avancées vers la Chine.

Ainsi, depuis le déclenchement de la guerre commerciale avec les Etats-Unis, le gouvernement chinois s’est abstenu de discuter publiquement du plan MIC2025 et de nombreux documents connexes ont été retirés de ses sites web. Sous cette perspective, l’absence de bilan officiel du MIC2025 dressé par Pékin n’est pas exactement étonnant.

Néanmoins, toute personne ayant vécu dans le pays durant cette période s’accordera à dire que la Chine de 2015 n’a plus rien à voir avec la Chine d’aujourd’hui. Dans la Chine de 2025, la plupart des véhicules dans les villes sont désormais électriques et de marque chinoise. Il est également possible de prendre le premier moyen-courrier chinois, le C919, pour un vol domestique ; de se faire livrer son repas à bord du train lors d’un arrêt ; de continuer à surfer sur Internet sur son smartphone même en traversant un tunnel ; de demander des renseignements à un robot dans un centre commercial ; ou encore d’expérimenter des taxis sans chauffeur et la livraison par drone…

Les experts abondent en ce sens : le MIC2025 a permis à la Chine de franchir un cap technologique important. Dans un article daté d’avril 2024, le média hongkongais SCMP, évaluait que 86% des 260 objectifs du MIC2025 étaient atteints.

Selon une étude plus récente réalisée par le groupe Rhodium, à la demande de la Chambre de Commerce américaine, le plan a fait preuve d’une efficacité redoutable, et cela, en dépit des tarifs et sanctions américaines.

Le rapport de 90 pages met en évidence des « progrès substantiels » dans la constitution de puissants secteurs industriels, notamment dans la robotique, les énergies renouvelables, les batteries de véhicules électriques et les télécommunications, qui faisaient partie des 10 secteurs-clés ciblés par le plan. La Chine aurait également réussi à réduire sensiblement ses importations dans tous les secteurs ciblés, notamment dans le domaine des dispositifs médicaux, où cette part est tombée de 24 % en 2015 à 14 % en 2023.

En parallèle, les auteurs du rapport Rhodium soulignent l’apparition d’un phénomène de « dépendances inversées » : le monde devient de plus en plus tributaire des chaînes d’approvisionnement chinoises, notamment dans les secteurs stratégiques de l’énergie solaire et des véhicules électriques. Cette dynamique modifie en profondeur les rapports de force industriels, posant des défis importants aux pays développés et à leurs entreprises en concurrence avec les acteurs chinois, en Chine mais aussi à l’international.

Comment Pékin a-t-il réussi ce tour de force ? Grâce à une explosion du soutien étatique : entre 2018 et 2022, les avantages fiscaux pour les entreprises des secteurs désignés comme « prioritaires » ont augmenté de près de 29 % par an, atteignant 1 300 milliards de yuans (environ 185 milliards de $). En parallèle, le recours aux fonds dirigés par l’État a été multiplié par cinq entre 2015 et 2020.

L’autre levier majeur du plan MIC2025, d’après les experts de Rhodium, réside dans la capacité de Pékin à inciter, voire contraindre, les multinationales à localiser leur production et leur R&D en Chine, condition d’accès au marché intérieur.

Cela n’a pas empêché le plan MIC2025 de rencontrer certains échecs. C’est notamment le cas dans l’aéronautique (le C919 du constructeur chinois Comac, dépend encore fortement des technologies étrangères), l’Internet rapide par constellation de satellites (Starlink, fondé par Elon Musk, jouit d’une avance considérable) et la technologie de « lithographie extrême ultraviolet » (qui permet de graver les semi-conducteurs les plus avancés et reste l’apanage d’une poignée de sociétés étrangères). Il ne fait cependant aucun doute que la Chine continuera à réduire l’écart dans ces domaines et à accroître sa compétitivité dans d’autres.

Toutefois, ce rattrapage technologique ne s’est pas fait sans contreparties. Le rapport de Rhodium alerte sur des effets pervers grandissants de cette politique industrielle : une stagnation de la productivité totale des facteurs, un gaspillage important des ressources au niveau local dans des projets redondants et inefficaces, une croissance économique en berne et un ralentissement des réformes structurelles. Le système chinois reste biaisé en faveur des producteurs et au détriment des consommateurs, entraînant des surcapacités industrielles — notamment dans les batteries et semi-conducteurs — et une demande intérieure insuffisante. Ces surproductions, largement subventionnées, alimentent désormais un excédent commercial massif et accentuent les frictions avec les partenaires commerciaux de la Chine.

Quoi qu’il en soit, ce rapport, publié au moment même où l’administration Trump 2.0 entame (enfin) des négociations avec la Chine, devrait relancer le débat à Washington (et ailleurs) sur la manière de contrer efficacement les subventions étatiques chinoises. Même si cette problématique ne sera probablement pas directement abordée par les Etats-Unis lors des discussions en Suisse, elle a toutes les chances de rester d’actualité puisque Pékin vient de présenter le prolongement du plan MIC2025,  qui consiste à développer de « nouvelles forces productives », à échéance 2035.