Le Vent de la Chine Numéro 14 (2025)

du 27 avril au 10 mai 2025

Editorial : Partie de poker menteur entre Trump et Pékin
Partie de poker menteur entre Trump et Pékin

Après « Je t’aime »/« Moi, non plus », Washington et la Chine nous livrent un nouveau duo de « Je ne t’aime pas »/« Moi aussi ». Les deux géants économiques, militaires et technologiques continuent de s’entendre à ne pas s’entendre et de réciproquement affirmer puis nier se parler ou ne pas se parler. Ce qui n’aide en rien à clarifier une situation déjà obscure.

Entre un « pervers narcissique » comme le président américain qui pense toujours avoir gagné (selon la définition de Paul-Claude Racamier : « le pervers narcissique se définit comme une façon organisée de se défendre de toute douleur et contradiction interne et de les expulser pour les faire couver ailleurs, tout en se survalorisant, aux dépens d’autrui ») et un « paranoïaque compulsif » comme l’actuel dirigeant chinois qui fait tout pour ne jamais pouvoir perdre (la paranoïa est définie comme « une tendance omniprésente à la méfiance injustifiée, où la suspicion des autres mène à interpréter leurs motifs comme malveillants »), la partie est complexe et la raison économique n’est pas forcément le motif principal.

Ce dessin duTelegraph résume bien la situation : tout l’art du deal consiste semble-t-il à ne pas donner l’impression de céder le premier – tandis que le reste du monde panique et veut savoir à quelle sauce il va être mangé.

Reprenons donc le fil des événements. Le 1er février, le président Trump nouvellement élu augmente les droits de douane sur la Chine de 10 %. Le 4 février, la Chine riposte en imposant des droits de douane de 15 % sur le charbon et de 10 % sur le pétrole brut. Le 3 mars, Trump augmente les taxes sur les produits chinois à 20 %. Le 4 mars, la Chine riposte en imposant des droits de douane de 15 % sur le poulet, le blé, le maïs et le coton ; de 10 % sur le soja, le porc, le bœuf, les produits laitiers, etc. Le 2 avril, les Etats-Unis passent à 54 % sur toutes les importations chinoises. Le 4 avril, la Chine annonce 34 % supplémentaires sur tous les produits américains. Le 7 avril, Trump menace les droits de douane sur la Chine à 104 %. Le 9 avril, la Chine riposte avec 84 % de taxes et Trump y répond le même jour avec des droits de douane à 125 % sur les produits chinois, puis à 145 % le lendemain. Le 11 avril, à nouveau, en représailles, la Chine annonce une augmentation à 125 %. On est là à un premier pic de tensions commerciales.

Ce bref rappel chronologique devrait nous aider à ne pas tomber dans le piège des caricatures chinoises nous montrant un Xi Jinping restant de marbre face à un Trump hystérique. En réalité, la Chine a répondu du tac-au-tac à chaque pression tarifaire venue de Washington.

Depuis, les événements ont pris une autre tournure, dont l’issue n’est pas encore claire. Le 11 avril, les États-Unis annoncent que des droits de douane réciproques excluront les produits électroniques grand public tout en maintenant 20 % pour ceux issus de Chine. Sortant de la politique tarifaire, la Chine riposte en suspendant les exportations de minéraux et d’aimants ; le 15 avril, la Chine ordonne à ses compagnies aériennes de ne plus accepter de livraisons d’avions Boeing. Le 17 avril, les États-Unis indiquent des droits de douane à 245% sur certains produits chinois.

Revirement de situation le 22 avril, lorsque Trump annonce qu’un deal est « proche » et qu’il envisagerait de réduire les droits de douane sur les produits chinois importés de 145 % à 50 % ou 65 %. En réponse, Guo Jiakun, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères (MAE), affirme : « Ce sont des fakes news. À ma connaissance, la Chine et les États-Unis n’ont engagé aucune consultation ni négociation sur la question des droits de douane, et encore moins conclu d’accord. » Le 23 avril, le hashtag « Trump s’est dégonflé » (特朗普认怂了) devient l’un des plus populaires sur Weibo, accumulant 170 millions de vues. Le 25 avril, le MAE exhortait Washington à cesser de « tromper le public » sur les négociations.

Pourtant, ce même jour, circulait sur les réseaux sociaux chinois, une liste de 131 catégories de produits dont l’exemption tarifaire serait envisagée (allant des vaccins et des produits chimiques aux moteurs d’avion, ainsi que huit types de puces).

Plus encore, un journal sud-coréen, 중앙일보  The JoongAng, publiait le 24 avril, un article intitulé : « après avoir nié tout contact… un haut fonctionnaire chinois visite en personne le département du Trésor américain », montrant pour preuve la photo prise d’un haut fonctionnaire du ministère chinois des Finances entrant au siège du département du Trésor américain à Washington, D.C., accompagné d’une dizaine de personnes, pour assister à la réunion des ministres des Finances du G20 qui se tenait du 23 au 24 avril à Washington. Selon toute vraisemblance, le sommet G20 a été l’occasion de discussions entre la Chine et les Etats-Unis. Néanmoins, il est essentiel pour la Chine d’apparaître forte et de nier jusqu’au bout toute négociation.

La ligne officielle est celle diffusée par He Yadong, le porte-parole du ministère chinois du Commerce : « Les hausses tarifaires unilatérales ont été initiées par les États-Unis. Si les États-Unis souhaitent réellement résoudre le problème, ils doivent supprimer complètement toutes les mesures tarifaires unilatérales contre la Chine. » Le principe même d’accepter des négociations sur la base des pressions douanières américaines signifierait pour Pékin avoir cédé au chantage. Or, la Chine doit montrer à ses citoyens, qui veulent y croire, qu’elle est au centre du monde, qu’elle a seule les cartes en mains, que l’Occident est négligeable et qu’elle est assez résiliente pour faire face.

Le fait que des négociations soient déjà en cours pourrait infirmer ce narratif. La Chine attendra que les Etats-Unis reviennent publiquement sur leurs tarifs pour annoncer un accord : chaque partie devant alors convaincre son public que c’est le meilleur accord possible pour le pays et que cela montre la valeur extraordinaire de leur providentiel leader. Ce qui atteste autant de la dépendance de la Chine à Washington que de la « Xijinpingsation » du président américain. De ce point de vue, quoiqu’il en soit, les Etats-Unis ont déjà perdu, non vis-à-vis de la Chine, mais du reste du monde : avec sa guerre commerciale tous azimuts, Trump a durablement affaibli la marque US.

Par Jean-Yves Heurtebise