Le Vent de la Chine Numéro 19

du 4 au 10 juin 2000

Editorial : Sécheresse – un plan de salut public

Proximité de l’OMC, priorité d’investir à l’Ouest, fléaux de la sécheresse et pollution, sont les quatre paramètres à la base du plan brillant, signé Zhu Rongji, de relance de la réforme de l’agriculture.

L’accord avec l’OMC doit en effet substituer la protection verte directe, via prix et tarifs douaniers, par des aides indirectes, aux infrastructures, aux fonds de désastre et anti-pollution, et à l’amélioration des rendements en grain, de qualité supérieure.

Une telle réforme était nécessaire de toute manière, OMC ou non : en 1999, la production a dépassé la demande en presque tous secteurs, et les prix des grains ont baissé de 1%/mois. Il faut dès lors, produire moins et mieux.

Dès 1999, riz et blé médiocres régressaient de 800.000 ha, un riz « supérieur » progressait de 550.000ha et le colza (à huile), de 600.000ha. Pour 2000, les emblavures d’été haussent de 5% (récolte attendue: 105Mt), et le « mauvais blé » poursuit sa chute (-6%). Zhu lance des inspecteurs à travers le pays pour interdire aux Offices des grains de refuser d’acheter, ou d’acheter en dessous du prix public.

Hautement politique, le but de la campagne est double : maintenir le revenu paysan, et freiner le déclin de ces offices, au profit du circuit privé : le commerce du grain doit rester aux mains de l’État!

96MUSD sont affectés cette année à la création de fonds céréaliers, et à la construction de 20Mt de silos d’ici 2001. En même temps, Pékin promet à l’Ouest 1,4MMUSD cette année, et 13 d’ici 2005, pour la lutte contre les tempêtes de sable, et pour la reconstitution des prairies : dans des provinces comme Xinjiang, Qinghai, Gansu, des millions de paysans et pasteurs reçoivent blé et charbon gratuits, pour renoncer à la culture céréalière que Mao leur avait imposée 40 ans avant, et reboiser – retour en arrière coûteux mais courageux.

La sécheresse confine au fléau : les citadins rationnés d’eau sont déjà 21M (contre 15M il y a huit jours), et le bétail, 17M de têtes.

Le Fleuve Jaune est à sec depuis le Henan, qui n’a reçu depuis 12 mois que 14% des pluies normales, tandis que 40% de ses 2272 réservoirs sont à sec.

Cette sécheresse force Pékin à accélérer les préparatifs au projet de canal du Yangtzé vers le Nord, de 1246km, d’un gabarit de 1MMm3 /an… Face au chantier géant, la Grande Muraille, rétrospectivement, fera figure de maison de poupée!


A la loupe : Tianjin – la Joint Venture Toyota, enfin sur pied

La 1ère Joint venture auto signée en 2000, est celle d’un groupe anciennement sur place, Toyota, qui doit payer le prix pour avoir refusé, en 1987, de produire en Chine, comptant sur sa puissance commerciale pour exporter.

La progression des européens en Chine (Volkwagen, Gangzhou Peugeot Automobile Corporation puis Dongfeng Citroën Automobile Corporation) a forcé Toyota à reconsidérer sa décision.

Dès 1993, le n°1 nippon vendait à la TAI (Tianjin) la licence de sa Charade, rebaptisée Xiali. En 1995, elle ouvrait sa 1ère Joint Venture, et achetait (au moins 25%) des parts de l’entreprise d’État. En 1998, elle avait neuf Joint Venture, allant du montage de minibus, à la production de moteurs de 1,3l.

Dès 1998, Tianjin soutenait, pour Toyota, une demande de Joint venture pour 30.000 puis 150.000 Corolla.

Toyota "aiderait"  par ailleurs Xiali à produire 300.000 véhicules/an. En novembre 1999, le groupe "espérait" une licence Joint Venture pour une capacité de 150000 unités/an…

Finalement, c’est un permis pour 30.000 petites voitures qui émerge, pour une Joint Venture (50/50) au capital de 100MUSD.

Type dérivé de la Vitz, "modèle stratégique mondial" du groupe. Le prix sera bas : 100.000Y (12.000USD).

Toyota assistera aussi Xiali dans la production d’une Charade "redessinée", et espère rattraper la concurrence, grâce à la hausse escomptée de la demande après l’entrée à l’OMC. Mais la barre des 30.000 unités est une limitation sévère – sur un marché déprimé, les nouveaux acteurs partent handicapés.


Joint-venture : Kodak – 5000 ième boutique

• En concluant en 1998 un accord avec l’Etat chinois, Kodak est revenu de loin.

A l’époque, Fuji tenait 65% du marché. La Chine n’était, pour le groupe de Rochester (USA) que son 17ème marché. Au terme de l’accord, pour 1,2MMUSD, Kodak a repris deux firmes photographiques régionales battant de l’aile, et créé à Xiamen la plus grosse usine sectorielle d’Asie, tout en relançant son programme KEX (Kodak Express) existant depuis 1994, de points franchisés de vente et développement.

Résultat : Kodak vient d’ouvrir à Chengdu (Sichuan) son 5000ème KEX. En mars, la Chine était devenu son 2 ème marché.

Kodak vient aussi (24/05) de signer un accord avec l’Industrial and Commercial Bank and China de Shanghai, qui attribuera aux candidats choisis par Kodak, un prêt sur trois ans, couvrant jusqu’à 90% du coût de l’équipement. Une expérience qui, en cas de succès, s’appliquera partout en Chine, permettant d’ouvrir 1000 KEX/an.

NB: le chinois moyen consomme 0,1 pellicules/an contre 3,6 aux US – le marché est immense.

• Conformément à l’accord "OMC" avec l’Union Européenne, Pékin s’apprête à attribuer sept licences d‘assurance vie et non-vie (bi-sectorielles, ou élargissant au «non-vie» une licence «vie» déjà octroyée). Les candidats sont ING et Aegon (Pays Bas), Generali (Italie), Gerling et Allianz (Allemagne), Commercial Union, Standard Life (Royaume Uni), et CNP, GAN et AXA (France).

• Inscrit au 10ème plan début 2000, le gazoduc Xinjiang-Shanghai, 4000km pour 4MMUSD (12MM, avec les réseaux de distribution), est sur le départ. Towngas (Hong Kong), négocie avec Petrochina, et promet – pour commencer – 230M USD sur trois ans. Towngas vise aussi la distribution (pas encore ouverte à l’étranger) de Wuhan (Hubei).

 


A la loupe : Kim Jong-il, Pékin – la réconciliation!

En 1994, après la mort de Kim Il-sung son père, Grand Leader de la Corée du Nord, Kim Jong-il, (le "cher leader") avait entamé avec la Chine une brouille de longues années, considérant comme une "trahison au socialisme", la normalisation entre Pékin et Séoul.

Cette phase s’est symboliquement achevée en mars 2000, quand Jong-il fit une apparition remarquée à l’ambassade de Chine, dans sa capitale Pyongyang.

Transformant l’essai, Kim vient d’effectuer un voyage secret, son premier à l’étranger depuis 1983, par train spécial, à Pékin

(30-31/05), accompagné de 50 à 60 hauts cadres. Il y a rencontré Jiang Zemin et "d’autres membres du Bureau Politique", et a visité Legend, la plus grande entreprise de PC du pays.

Cette normalisation permettra d’augmenter l’aide chinoise à ce petit pays en pleine famine. Aide alimentaire (riz, essence pour tracteurs), mais aussi industrielle, de reconstruction : Legend pourrait, par exemple, créer une usine en Corée, profitant d’une main d’oeuvre éduquée et à bas salaire. La visite aura aussi permis de discuter le retour des 100 à 200.000 coréens en Chine, en camps après avoir fui la disette.

Il s’agit aussi de passer un message aux autres pays du monde : Kim, enfin détenteur des rênes du pouvoir, est prêt à rompre les

50 ans de superbe isolement. Kim a demandé à Pékin son appui, dans le sommet historique entre lui et le sudiste Kim Dae-jong

(10-12/06, Pyongyang).

Enfin, pour Pékin, tirer la Corée du Nord vers le monde, est profitable : cela démontre la capacité d’évolution du socialisme mondial, la viabilité de la politique d’ouverture chinoise, tout en ôtant aux Etats-Unis un argument (le "bellicisme" de Pyongyang) pour déployer sur l’Asie un réseau de satellites anti-missiles Theater Missile Defense, dont la Chine ne veut en aucun cas!

 


Argent : L’incertitude des marchés

L’incertitude est l’impression maîtresse nimbant les marchés chinois, suite aux récents progrès de Pékin dans sa longue marche vers l’OMC, notamment face aux Etats-Unis et à l’Union Européenne : leaders et gestionnaires des secteurs multipliant les signaux contradictoires.

Unicom par exemple, après avoir signé un accord-cadre en février avec Qualcomm (USA), pour l’ouverture en 2000 d’un réseau de téléphonie mobile Code Division Multiple Access (CDMA), choisissait le 29/5, après le vote positif à la Chambre des Représentants, pour abandonner le projet – il développerait à la place, son réseau GSM existant.

Les retards imposés par le Ministre des Industries et de l’Information, pourvoyeur de la licence, avaient privé le projet de sa pertinence technique, du fait de l’annonce entre-temps d’une

2ème génération de GSM, moins gourmande en capacité hertzienne. Se posait alors la question : comment réagiraient les investisseurs,

à la présentation d’Unicom en bourse de New York en juin, pour 4 à 5 MMUSD espérés? C’était le second lâchage de l’étranger par Unicom en un an, après sa dénonciation de Joint Venture "China China Foreign", pour 1,4MM USD. 48h après, Unicom se rétractait : le réseau CDMA " serait peut être construit – plus tard "!

La China Securities Regulatory Company avait lâché cette " bombe " (cf VDLC n°18) :

l’étranger aurait accès, en bourse chinoise, aux parts "A", pour chinois, avant la convertibilité complète du Yuan.

Or peu après (26/05), un ex-patron de cette administration démentait. Puis atténuait son démenti (31/5): la bourse (A et B) serait bien fusionnée, "une fois la convertibilité atteinte". La source de la 1ère affirmation étant de haut niveau, une seule conclusion s’impose : la CSRC vient de refroidir les espoirs, trop "chauds", d’une ouverture prochaine. Pourquoi? La bourse, mais aussi l’immobilier s’enflamment dans les grandes villes, sans autres raisons visibles que la spéculation. La Bourse "A", à Shenzhen, a monté de 45% depuis janvier (record mondial). Ce qui, pour Zhu Rongji, peut paraître dangereux, et nécessitant une mesure pour dégonfler l’abcès "en douceur"!

A tâtons, la Banque Populaire de Chine expérimente sur la scène monétaire.

Elle renforce (30/05) les taux d’intérêts sur quatre devises (USD, £, ², HKD), de 0,1 à 0,5% en moyenne : suite à leur revalorisation mondiale ces dernières semaines, il s’agissait de prévenir la fuite vers l’étranger des placements locaux.

La Banque Populaire de Chine et Forex se livraient aussi (23/05), pour la 1ère fois depuis l’unification de la monnaie en 1994, à des expériences de fluctuation du Renminbi (RMB) : sur une fourchette très réduite (1/1000), mais exprimant la volonté de rejoindre le marché – objectif convertibilité ! 

 


Pol : Inde – Chine – une timide reprise

• Durant la dernière décennie, peu d’années se sont déroulées sans incidents au Xinjiang.

En 1999, les autorités reconnaissent la mort de 19 policiers en service dans cette province volatile. Dernier incident : à Bishkek (Kirghizistan) une délégation chinoise en visite officielle a été prise sous le feu de terroristes ouighours – un mort.

D’autre part, Pékin redoute des attentats imminents dans les grandes villes, y compris Hong Kong.

En prévention, les autorités sur place multiplient réunions obligatoires et visites porte à porte pour recommander aux « concitoyens » de ne pas céder aux appels séparatistes, et notamment de ne pas quitter le Parti Communiste Chinois.

• La visite à Pékin du Président indien Kocheril Raman Narayanan (28/05, pour une semaine), traduit la reprise, entre ces deux géants d’Asie, d’une normalisation gelée par les tests nucléaires indiens de mai 1998.

Venu formellement célébrer le 50ème anniversaire des relations bilatérales, Narayanan et le gouvernement chinois tentent de faire avancer des dossiers d’intérêt commun :

1. régler le problème des 125.000km² revendiqués par les deux pays,

2. développer un commerce bilatéral encore modeste (2MMUSD),

3. aider l’Inde à obtenir un siège permanent au Conseil de Sécurité,

4. faire front commun contre « l’hégémonisme » (sic) américain, et notamment le dispositif de défense spatial Theater Missile Defense (TMD).


Temps fort : Hôpitaux : objectif concurrence!

Après la réforme de la Sécurité Sociale, débute celle du système hospitalier, en pleine sclérose dans son moule d’un demi-siècle.

Ministre de la santé et Administration nationale des médicaments viennent d’annoncer la division des milliers d’hôpitaux du pays, en deux classes :

 1. ceux à l’ancienne, majoritaires, non lucratifs, poursuivront, avec deux changements : ils recevront des aides, pour remplacer leurs revenus en ventes (désormais interdites) des médicaments, qui procurent pour l’instant 50 à 80% de leurs revenus

(d’où : tentation de sur prescription et tarifs abusifs).

2. ceux commerciaux, seront indépendants, libres de leurs tarifs et imposables. Cette innovation vise l’introduction de la concurrence dans le système des soins : avec son assurance santé à points, le patient peut choisir son hôpital. Elle veut aussi redéployer les centres de soin là où ils font défaut : à la campagne!

Autre réforme, promue par le Ministère de la Santé et le Moftec (Ministère de la Coopération Economique et Commerciale) :

au 1er juillet, tout investisseur étranger (hôpital, groupe pharmaceutique…) pourra établir son hôpital en Joint Venture.

Classés "commerciaux", ces centres doivent apporter des outils médicaux absents en Chine, avoir au moins 30% d’investissement local, pour un montant ministériel de 2,4MUSD. La durée de la Joint venture ne peut dépasser 20 ans. Règles pouvant souffrir des exceptions dans l’Ouest,  moyennant permis spécial des deux ministères.

A noter que sur les 200 hôpitaux en Joint venture en place, les 60% fonctionnant sans licence, seront fermés, ou priés de se régulariser.

De cette réforme, le but final est de baisser les coûts des soins : multipliés par 28 depuis 1980, ils sont inaccessibles pour beaucoup de gens, engendrant un gâchis entre des dizaines de milliers de lits vides d’un côté, et de l’autre, des millions de patients préférant baisser les bras face à leur mal!

 


Petit Peuple : La fin du monde dans un wagon

• Pour faire refaire leurs papiers conformément au règlement, Mr Wang, Mme Lan et leur enfant s’étaient soumis à des tests sanguins à l’hôpital de Cangzhou (Hebei). Quelques jours après, ils eurent le choc de leur vie. Les résultats étaient formels : Wang Xin n’était pas leur fils. Le 30 juin 1993, le nourrisson qu’on leur avait remis n’était pas le bon! La maternité ne voulant rien savoir, les Wang estèrent en justice – c’était en 1998.

Le verdict (24/5), aurait dû les combler d’aise. Jugé fautif, l’hôpital devait leur verser 1,5MY en pretium doloris et frais d’élevage d’un marmot "aliène". Mais Wang et Lan objectent: « qu’on retrouve notre fils »! L’hôpital s’obstine, avec l’énergie du désespoir, dans sa surdité : c’est que ce jour là, selon ses livres, ce ne sont pas un, mais treize garçons qui sont sortis de sa maternité.

Et si 13 familles, avec 13 tests erronés, venaient réclamer leurs millions ? Intéressant imbroglio, que les Wang se promettent d’entretenir : ils font appel.

• En épinglant, le 22/05, ce couple de passagers clandestins à bord d’un train de marchandises, la police ferroviaire de Shenyang (Liaoning) ne se doutait pas de la saga qu’elle allait dévoiler.

L’homme, Zeng, travaillait depuis 1993 comme manoeuvre aux moulins du village de Yan (Hebei), qui n’avait pas jugé bon en six ans, lui verser un  fen (centime) de paie. A ce prix là, un tel ouvrier valait de l’or! Quand, fin 1999, le meunier de 42 ans décida d’enterrer son célibat, son patron lui offrit de lui trouver "chaussure à son pied", par l’entremise d’une de ses  guanxi (relations) au Liaoning, une vieille marieuse. Coût de la transaction : 6000Y – en guise de six ans de salaire. La femme – plus sur sa prime jeunesse – fut donc livrée, la lune de miel débuta. Dès lors, les événements se précipitèrent.

A des symptômes indiscutables, Zeng constata que son épouse, était folle à lier : le contrat était caduc! Il intima au boss de lui verser son solde et de reprendre l’objet du litige. Ce dernier convainquit le benêt de s’en prendre à l’entremetteuse, et le plaça, avec sa marchandise, sans un sou, dans le wagon du Liaoning.

 


Rendez-vous : Pékin, Salon Auto-China 2000

• 6-10 juin, Kunming : Foire Export

• 6-12 Pékin : Auto Chine 2000

• 8-15 Pékin : Conférence Internationale Energie Hydrogène