Petit Peuple : Pékin: Papa-chou

Cette histoire fait pleurer bien des chaumières de l’Empire. Succès obligé, avec sa toile de fond de misère dickensienne, et son association de deux clés gagnantes, celle politiquement correcte de la « société harmonieuse »(和谐 hexie, où toutes les couches sociales sont supposées s’entraider pour le bien être général) et celle de l’énergie vitale (huoli 活力), rivée à cette culture.

A Shunyi près de Pékin, se trouve Guang’ai, « Amour lumineux », centre d’accueil pour orphelins. Shi Qinghua son père-aubergiste répond au sobriquet malicieux de « papa-chou », en raison de la prépondérance de l’humble légume au menu quotidien. 12 ans en arrière, il aurait été bien étonné si on lui avait prédit qu’il se lancerait dans telle aventure. Dans son Anhui natal, il coulait une existence sans histoire jusqu’à ce jour de 1997 où sauta un stock de pétards secrètement caché par un voisin désinvolte, défigurant son épouse et sa fille.

Une fois écoulés quelques mois, ayant quitté son poste et fait un emprunt, Shi quitta l’Anhui avec ses femmes, monta à Pékin pour tenter de leur rendre un visage en  hôpital spécialisé. Deux opérations plus tard, leurs ressources épuisées, ils entrèrent dans une vie d’errance et de jobs précaires.

Puis, après quelques mois, vint le miracle: une fondation les rattrapa, leur finança huit mois de chirurgie plastique, tandis que Shi poursuivait ses emplois au noir.

A mesure qu’ils remontaient la pente, ils ressentirent toujours plus fort le besoin de rendre ce que le monde leur avait donné. L’occasion s’en présenta quand Shi, lors d’une de ses gamberges interlopes, trouva sous un pont sept enfants vagabonds, crasseux et affamés : il les adopta. Il trouva une masure à louer et peu après, continua à récupérer d’autres de ces « chiens perdus sans colliers ». En 2004, Guang’ai était fondée. Des volontaires apparurent pour lui remettre, qui de l’argent, qui des journées de son temps.

En automne 2007 vint le grand tournant : Fen Bi Dei, labo pharmaceutique leur offrit de tourner un clip publicitaire pour un de ses fortifiants, qui raconterait leur histoire et leur combat.

Shi et sa femme y regar-dèrent à deux fois : jouer ce jeu là, n’était ce pas sortir de son rang et encourir le courroux du ciel, selon le proverbe de l’ «homme qui craint la gloire, comme le cochon la graisse » (人怕出名猪怕壮 rén pà chū míng zhū pà zhuàng)?

Ils finirent par se laisser tenter, par altruisme : l’argent qui rentrerait, serait le plus sûr moyen d’aider leurs protégés.

Le calcul s’avéra payant. Depuis lors, Guang’ai est devenu coqueluche de la capitale, voire de toute la Chine, tellement visité que Shi et son épouse ont dû interdire les visites hormis le week-end pour préserver l’intimité des pensionnaires. Ils sont un peu à l’étroit -ils attendent leurs nouveaux locaux en réfection à Tongzhou, d’ici quelques mois. Mais les enfants montrent fièrement leur bibliothèque, leur salle de musique, leur centre informatique et leur petit gymnase, tous dus au mécénat, sans compter les 250.000¥ de toutes origines, de  leur budget annuel. La prochaine étape désormais consistera à assurer des formations, un gagne-pain pour ses protégés. 

Entraîné dans le tourbillon des urgences permanentes, Shi n’a jamais le temps de se demander s’il était plus heureux, du temps de l’Anhui, dans leur vie précédente. Mais certains matins, quand il se réveille, il reste ébloui d’avoir franchi tant de dangers, d’avoir reçu tant de bienfaits, et d’avoir par hasard remixé tout cela en un chef d’oeuvre : sa propre vie !

 

 

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