En 1980 à l’âge de 28 ans, Zhang Guangzi, frais émoulu de son école normale de Kunming, enterra sa vie d’étudiant à vélo sur 3000 km, à la découverte estivale de son pays. Par monts et par vaux de Kunming à Pékin, le périple lui offrit le cadeau quotidien de paysages sublimes, et d’hôtes aussi chaleureux qu’originaux. Pour finir en beauté le voyage de sa vie, Zhang avait publié son journal, ses photos, en un ouvrage qui lui valut à l’époque une notoriété bien méritée.
26 ans plus tard, instituteur à Nujiang (Yunnan), Zhang qui avait alors 48 ans, voulut remercier les auteurs de ses jours, en refaisant avec eux son circuit de jeunesse. Zhang ressentait comme une injustice insupportable, que son père de 91 ans, sa mère de 88 ans et Rongmei sa soeur d’un autre lit (61 ans), n’aient jamais eu la chance d’étudier ni de s’aventurer au-delà de leur village, condamnés à végéter dans un horizon cent fois plus étriqué que le sien.
Au Yunnan pas plus qu’ailleurs, l’école n’enrichit son homme : pour boucler le budget des vacances de sa tribu, Zhang dut emprunter 200.000 ¥, prix de la jeep de ses rêves. Une fois les bagages chargés, avec ses parents, il se lança dans leur voyage à petite vapeur.
Taquiné par la vanité mauvaise conseillère, le maître d’école avait commis une petite erreur: avertir la presse, qui prit ensuite prétexte des fréquentes sautes de santé d’une mère vite épuisée, pour faire pleuvoir sur l’expédition un feu roulant de critiques insidieuses. Par contre, contre toute attente, Zhang découvrit l’engouement inattendu de son père pour ce passe-temps, et l’ancêtre lui en redemanda : le 25/9/2007, c’est discrètement qu’ils repartirent à deux en jeep. Le nouveau circuit est plus ambitieux, 5000km via Hainan l’île tropicale, Canton, Nankin (le père veut s’incliner devant le mausolée de Sun Yatsen, au pied du 2dpic du Mont pourpre), pour finir à Qufu (Shandong), terre de Confucius. Zhang a emprunté 60.000¥ de plus, et renoncé à trois mois de salaire, sans avoir seulement pu rembourser le 1er emprunt -par bonheur, le créancier, un ami, n’est pas regardant, et «on ne vit qu’une fois », dit le maître, dont l’unique hantise est de n’avoir rien à se reprocher, une fois ses parents trépassés. Après ses exploits, Zhang passe en Chine pour un parangon de piété filiale, semblable à ce fils du proverbe, gentil au point d’ «endosser les nippes bariolées du poupon, pour faire sourire ses vieux parents ». (彩衣娱亲, cai yi yu qin).
Mettons quand même un petit bémol à cette trop belle histoire, publiée dans la presse locale : elle est -pas par hasard -du type qu’aime la censure, et sert de cache-misère à une crise de génération. Selon de récents sondages, 80% des jeunes actifs souhaitent éviter de vivre sous un même toit avec leurs parents, qui les rendent mal à l’aise, à être demeurés paysans. En cela, cette histoire renvoie, 170 ans plus tard, à celle du père Goriot de Balzac, abandonné par ses filles, après s’être épuisé à les marier plus haut que lui !
Sommaire N° 37